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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Après quelques jours de consultations, Emmanuel Macron a déclaré qu’il n’avait pas encore de solution : il écarte l’hypothèse Lucie Castets, et veut poursuivre les échanges avec les responsables des partis – à l’exception du RN et de ses alliés, et de LFI. Les leaders du NFP ont toutefois annoncé qu’ils refusaient d’y participer, et exigent une nouvelle fois la nomination de Lucie Castets, au nom de leur victoire du 7 juillet. On peine toutefois à comprendre de quels soutiens elle pourrait se prévaloir pour gouverner et échapper à la censure. Alors, comment sortir de l’imbroglio ? Mais en nommant Lucie Castets!

 

 

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Composition de l'Assemblée nationale (27 août 2024)



Toute réflexion sur la situation politique actuelle doit être structurée par 5 constats objectifs :

 

1.     Aucun parti n’a gagné les élections. Le NFP a une majorité relative, mais c’est la plus faible sous la V° République et il lui manque près de 100 députés pour appliquer son programme et échapper à la censure de l’Assemblée nationale. Il est en effet impossible pour un parti qui compte seulement un tiers des sièges au Palais Bourbon de gouverner sans négocier avec personne. L’idée, notamment, que la réforme des retraites pourrait être abrogée par décret – comme l’a encore affirmé récemment Sandrine Rousseau – vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année en fac de droit. Quant à l’article 49.3 de la Constitution, dont la gauche a si bien dénoncé le caractère attentatoire à la démocratie, il ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire, en sus des lois de finance. Rappelons enfin qu’il suffit de 289 députés pour renverser le gouvernement ; or, 384 députés ne siègent pas au NFP.

 


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Tweet de Sandrine Rousseau (26 août 2024)



2.     L’article 8 de la Constitution laisse entière liberté au Président quant au choix du Premier ministre : il nomme qui il veut, quand il veut. Ni le parlement ni les partis ne sont supposés intervenir dans ce processus, même si le Chef de l’Etat est libre – comme il le fait depuis vendredi dernier – de les consulter, et si, politiquement, il lui revient de nommer un Premier ministre capable de gouverner et d'échapper à la censure.

 

3.     Dans les régimes parlementaires classiques, le parti arrivé en tête des élections a toujours la priorité pour essayer de constituer une majorité. Mais, en aucun cas, il ne peut gouverner en refusant de négocier un programme de coalition avec d’autres partis. Il appartient à son leader de prouver au Chef de l’Etat qu’il dispose d’une majorité, faute de quoi, la mission de constituer un gouvernement est confiée au représentant d’un autre parti. C’est la raison pour laquelle la constitution d’un gouvernement en régime parlementaire est souvent très longue ; à plusieurs reprises, elle a pris plus d’un an chez nos voisins belges.

 

4.     Jean-Luc Mélenchon a proposé que le gouvernement soit dépourvu de ministres Insoumis, afin d’échapper aux menaces de censure que brandissent les autres partis. En échange de cette concession, il exige que ce gouvernement applique exclusivement le programme du NFP et que les leaders des autres formations s’engagent à ne pas déposer de motion de censure. Cette double revendication a été unanimement rejetée et moquée. Rappelons que LFI a déposé pas moins de 26 motions de censure contre les gouvernements Borne et Attal, qui disposaient d’une majorité relative bien plus large que celle du NFP…

 

5.     La représentation parlementaire penche aujourd’hui très à droite. Avec 193 sièges, le NFP est arrivé en tête, mais la droite au sens large (majorité présidentielle, Républicains et RN) compte 339 députés. Il est donc exagéré de dire que les électeurs ont massivement appelé à un coup de barre à gauche : seuls 25,7% se sont prononcés pour des candidats du NFP le 7 juillet dernier – bien moins que pour le RN (32%).

 


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 Résultats du second tour des élections législatives, 7 juillet 2024



La seule solution? Nommer Lucie Castets!


Compte tenu de ces 5 éléments, il apparaît que la seule solution raisonnable pour faire avancer les choses serait… la nomination de Lucie Castets à Matignon. Cela peut sembler paradoxal, mais on voit mal comment il sera possible de surmonter la crise politique actuelle sans en passer par là. Ce choix présenterait en effet deux avantages. D’abord, il permettrait d’éviter le blocage du pays que les partis du NFP, les syndicats et certaines organisations de la société civile préparent pour la rentrée. Les appels à manifester le 7 septembre se multiplient. La petite musique de la « dérive illibérale » du Président, entonnée notamment par Marine Tondelier, trouvera en effet un fort écho, compte tenu du degré d’impopularité du Président et d’impatience de nombre de citoyens, et aboutira sans doute à une situation très conflictuelle. En outre, le gouvernement, démissionnaire depuis 42 jours, ne peut éternellement expédier les affaires courantes et, surtout, opérer les arbitrages fondamentaux que réclame la préparation du budget 2025 – alors que la majorité présidentielle a clairement perdu les élections législatives. Il faut nommer un nouveau gouvernement, et vite.



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La délégation du NFP à l'Elysée vendredi dernier

 

Le second avantage de la nomination de Mme Castets serait la clarification. En effet, elle n’aurait que deux options.


La première serait le pragmatisme. Elle impliquerait de récuser la ligne politique maximaliste de Jean-Luc Mélenchon, et d’ouvrir de vraies négociations avec les partis politiques du centre et de la droite modérée, pour trouver un accord de coalition. Il inclurait une liste de réformes et une répartition des portefeuilles ministériels. C’est le prix à payer pour obtenir le soutien des autres partis ou, au moins, leur engagement à ne pas censurer immédiatement le gouvernement. Le NFP pourrait avoir satisfaction sur certains points de son programme (réforme des retraites, hausse du Smic, rétablissement de l’ISF ?), mais devrait faire des concessions sur d’autres. A ce compte, un gouvernement dominé par la gauche pourrait gérer le pays et échapper à la censure, en attendant les prochaines élections législatives ou présidentielles.


Si Lucie Castets choisissait de s’en tenir au programme du NFP, même en écartant les Insoumis de son gouvernement et en impliquant des ministres sans étiquette, le vote d’une censure serait inévitable. Les leaders de tous les autres groupes parlementaires ont en effet clairement annoncé leurs intentions à ce propos : la censure immédiate d’un gouvernement prétendant appliquer le programme du NFP. Tout serait à refaire.



La censure, indispensable rappel à la réalité politique et institutionnelle


La première hypothèse semble improbable. Compte tenu des rapports de force au sein du NFP et des dispositions des leaders des autres partis, on voit mal comment un gouvernement Castets pourrait échapper durablement à la censure. Alors, pourquoi la nommer ? Cette censure ajouterait une crise à la crise, et génèrerait la confusion, voire le chaos.

 

Elle présenterait toutefois l’avantage essentiel de ramener l'ensemble des responsables politiques à la réalité. Les leaders du NFP ne pourraient plus prétendre qu’ils ont gagné les élections, qu’ils disposent d’une majorité pour gouverner, qu’ils peuvent appliquer leur programme à coup de décrets ou de 49.3, et que seul Emmanuel Macron les en empêche. Ils seraient confrontés à la réalité constitutionnelle et politique qu’ils nient depuis le 7 juillet. La méthode Coué et la dénonciation de l’arrogance présidentielle engendrent de beaux éditoriaux, des tweets savoureux et des discours enflammés, qui permettent de galvaniser les militants et de convaincre certains citoyens, mais elles n'influent ni sur la constitution ni sur le résultat des élections.


Le rappel à la réalité ne concernerait pas que les leaders du NFP, mais tous les responsables politiques. Aujourd’hui, ils ne pensent qu’aux élections présidentielles de 2027 et à l’éventualité d’une nouvelle dissolution à l’été 2025, et peaufinent leurs stratégies en fonction de ces deux échéances, sans égard pour la situation du pays. C’est notamment le cas de Jean-Luc Mélenchon qui fait pression sur ses partenaires du NFP en vue de possibles élections législatives l’an prochain (sans union, socialistes, communistes et écologistes disparaîtraient quasiment des bancs de l’Assemblée nationale) pour faire perdurer le NFP. Ce faisant, il veut empêcher l’émergence d’une autre candidature que la sienne à gauche, dans l’espoir de l’emporter sur Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2027. Mais le leader insoumis n’est pas le seul à jouer au billard à trois bandes : ses homologues du centre, de la droite et de l’extrême-droite sont eux aussi obnubilés par la bataille pour le leadership dans leur parti, la préservation de son poids à l’Assemblée nationale et les perspectives de l’après-Macron.

 

Une motion de censure les obligerait tous à se focaliser sur les problèmes du moment : la négociation d’un accord de coalition et la nomination d’un gouvernement capable de gérer durablement les affaires du pays. Certes, la culture politique française est étrangère à ce type de négociations d’après élections, car jamais la représentation parlementaire n’a été aussi fragmentée sous la V° République. Mais la situation politique a changé, et il faut en prendre acte, plutôt que de le déplorer ou de le nier. Un électrochoc semble aujourd'hui indispensable pour faire évoluer les comportements et les stratégies.


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Olivier Costa

Dernière mise à jour : 22 août 2024


A l’issue des Jeux olympiques, Emmanuel Macron a annoncé qu’il recevrait à partir du 23 août les chefs de partis et de groupes parlementaires, en vue de la nomination d'un nouveau gouvernement. Certains ont critiqué sa prétention à vouloir contrôler ce processus. D’autres se sont réjouis de le voir prendre enfin ses responsabilités. Une sortie de crise est-elle possible? A quel prix?

 

 

Un président qui temporise, des Insoumis qui perdent leurs nerfs…

 

Ces derniers temps, de nombreux observateurs et responsables politiques ont vertement reproché à Emmanuel Macron de temporiser et d’ignorer la gravité de la situation politique. Il est vrai que, d’une manière générale, il a toujours aimé imposer son calendrier et son rythme, qui ont rarement été précipités, sauf sans doute pour annoncer la dissolution le 9 juin 2024… En vertu d’un mélange d’orgueil, de considérations tactiques et d’une certaine conception de sa fonction, il ne laisse personne lui dicter la cadence, jouant avec les nerfs des autres responsables politiques. Rappelons que les élections législatives remontent à plus de six semaines, et que le gouvernement Attal est démissionnaire depuis plus d’un mois.

 

Les leaders de LFI ont vu dans la décision d’Emmanuel Macron de ne pas nommer un des leurs à Matignon dès le lendemain du second tour des législatives, puis de ne pas proposer le poste à Lucie Castets, un déni de démocratie. Ils ont considéré que son refus initial d’accepter la démission de Gabriel Attal, puis le renvoi à après les jeux olympiques de la nomination d’un nouveau gouvernement, étaient des provocations. Dimanche dernier (La Tribune, 17 août 2024) ils ont ainsi annoncé leur volonté de lancer une procédure de destitution du Président, pour sanctionner ce comportement.

 

 

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Un avion tractant une banderole avec la mention "destitution" a survolé le littoral de la Côte d'Opale le 17 août 2024.

 

 

Une procédure de destitution qui n’aboutira pas

 

Cette procédure n’a aucune chance d’aboutir. L’article 68 de la constitution qui la prévoit a été introduit en 2007, dans le cadre d’une réflexion globale sur le statut pénal du Président de la République, menée par la Commission Avril. Selon la constitution de 1958, le Président est par principe irresponsable devant le Parlement, au nom de la séparation des pouvoirs, mais il peut être démis pour « haute trahison » – en plus de sa responsabilité personnelle pénale et civile. Les tenants de la réforme de 2007 ont jugé utile de remplacer cette notion très vague par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions ». Il reste que la procédure de destitution ne vient pas sanctionner un désaccord politique, mais démettre un Président qui prendrait trop de libertés avec la constitution et ses obligations, ou serait incapable d’exercer son mandat.

 

Afin d’éviter les usages politiciens de la procédure, celle-ci est très exigeante : une proposition doit être faite par 10% des députés ou sénateurs ; elle doit être validée par le bureau de l’assemblée concernée ; elle doit être examinée par la commission des lois ; et surtout elle doit être adoptée à la majorité des deux tiers des membres de chaque chambre. Il faut donc que la destitution soit approuvée par 387 députés et 234 sénateurs. Autant dire que la proposition des responsables de LFI ne peut en aucun cas aboutir. C’est un coup de communication comme Jean-Luc Mélenchon les affectionne, qui lui permet de rester au centre du jeu politique en vue des prochaines élections présidentielles.

 


Emmanuel Macron reprend l’initiative

 

Le Président a toutefois annoncé le 16 août sa volonté de convier « les présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les chefs de partis représentés au Parlement pour une série d’échanges » afin de tenter de constituer un gouvernement. L’Elysée a annoncé, mardi 20 août, que « la nomination d’un Premier ministre interviendra dans le prolongement de ces consultations et de leurs conclusions ».


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Palais de l’Elysée

 


Une première réunion est prévue vendredi 23 août le matin, avec les quatre formations du Nouveau Front populaire (NFP) - les forces politiques étant reçues par ordre d'importance à l'Assemblée. Leurs leaders ont annoncé qu’ils se rendraient collectivement à cette invitation, accompagnés de Lucie Castets ; l’Elysée a accepté sa présence, bien qu’elle ne soit ni parlementaire ni responsable de parti. Une deuxième réunion est prévue lundi 26 août, avec les dirigeants du Rassemblement national (RN) – Marine Le Pen et Jordan Bardella – et leur allié de droite Eric Ciotti.

 

Le député Renaissance Jean-René Cazeneuve a affirmé que les élus du camp présidentiel étaient « prêts à des compromis » avec les socialistes pour permettre l’émergence d’une coalition, mais en rappelant qu’un gouvernement impliquant des députés LFI serait immédiatement censuré par son parti. Le 20 août, Raphaël Glucksmann, cofondateur de Place Publique et tête de liste socialiste aux élections européennes, a appelé la gauche à « négocier des compromis » et à s'affranchir de Jean-Luc Mélenchon (Le Point).

 


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Lucie Castets, entourée de la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, et d’Aurélien Le Coq, député LFI, à Lille, le 27 juillet 2024 (L. Pastureau/H. Lucas, Le Monde) 

 

La démarche du Président est-elle légitime ?

 

Certains à gauche estiment que ce n’est pas ainsi que cela doit se passer, et qu’il revient à Emmanuel Macron de nommer Lucie Castets sans y mettre de conditions ni essayer d’intervenir dans la constitution du nouveau gouvernement. C’est l'une des justifications avancées par les responsables de LFI – Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Mathilde Panot – pour proposer une destitution.

 

Mais les réunions annoncées n’ont rien de contraire à la constitution, qui laisse les mains libres au Président quant à la manière dont il entend choisir le Premier ministre, et au calendrier pour le faire. L'article 8 n'encadre en effet pas cette procédure : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ». Et ni la constitution ni la tradition politique ne prévoit que le Parlement ou les partis auraient vocation à proposer ou imposer des noms.

 

Ensuite, politiquement parlant, ces réunions semblent plus que nécessaires et urgentes. Depuis le début de l’été, tout le monde estime, à raison, que la V° République doit fonctionner de manière plus « parlementaire », pour prendre acte de la situation politique : un Président qui a perdu son pari en dissolvant l’Assemblée nationale ; une absence de majorité ; une coalition (le NFP) arrivée en tête mais qui est loin de la majorité absolue (193 sièges, alors qu’il en faut 289 pour gouverner sereinement) et dont la cohésion interne est limitée par de profondes divergences sur les questions européennes et internationales, la réforme des retraites, le nucléaire… Les autres partis n’ont montré aucun signe d’entente, la droite étant particulièrement divisée sur la conduite à tenir et réservée quant à l’idée de participer à une coalition. L’extrême-droite est pour sa part marginalisée.

 

Il faut donc envisager les différentes possibilités, clarifier les positions et faire émerger des points de consensus. Et cela ne se fera pas spontanément, dans un pays qui est habitué à la confrontation politique. En France, les coalitions – telles que le NFP ou Ensemble ! – sont habituellement négociées avant les élections ; dans les régimes parlementaires, elles le sont après, au terme d’un processus où les partis essaient de se mettre d’accord sur un programme et un gouvernement. Ce sont deux approches différentes de la vie politique, qui ont chacune leurs vertus et leurs défauts. En l’absence de majorité, la France doit tout simplement changer de modèle, car le premier ne fonctionne plus.

 

 

L’initiative d’Emmanuel Macron n’aura de sens qu’à deux conditions

 

Pour que les réunions prévues dans les jours à venir permettent d’aboutir à la nomination d’un gouvernement capable d’agir et d’échapper à la censure, deux conditions doivent être remplies.

 

Il faut d’abord que les responsables politiques aient une vraie volonté de dialogue. Cela implique, au NFP, d’en finir avec l’approche radicale portée par LFI et de se montrer ouvert à la discussion avec les autres partis, situés plus au centre et à droite. Les leaders insoumis restant sur l’idée que le gouvernement devra appliquer le programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme, il convient que la ligne portée par Raphaël Glucksmann s’impose. Lucie Castets s’est montrée suffisamment prudente et réaliste pour que cela soit possible, comme l’attestent ses déclarations récentes à Libération (20 août 2024); elle se dit en effet prête à « créer du consensus ».

 

Il faut, ensuite, que le Président accepte réellement d’entrer dans une ère parlementaire. Quel que soit le futur Premier Ministre, il devra se mettre en retrait sur les questions de politique intérieure et laisser le gouvernement gouverner. Car rien dans la constitution ne prévoit que le Président s’implique dans la gestion quotidienne des affaires : c’est une simple pratique qui s’est développée sous la V°, en raison du tempérament particulier de Charles de Gaulle, d’abord, puis du fait que ses successeurs étaient tous des chefs de partis et, de fait, les leaders de la majorité parlementaire (sauf situation de cohabitation). Dans d’autres pays européens où le Président est élu au suffrage universel direct – Finlande, Autriche, Portugal… – tel n’est pas le cas : c’est une personne située plus en retrait du débat politique, qui laisse son Premier Ministre gouverner et veille à la préservation des institutions et de l’intérêt général.

 

Emmanuel Macron ne peut plus prétendre à la confusion des rôles qui a dominé la V° République, et qui amène le Premier Ministre à être un simple « collaborateur » du Président, et ce pour trois raisons. D’abord, son parti a perdu les élections législatives, avec un nombre de députés en fort recul : il serait paradoxal qu’il continue à décider de tout. Ensuite, le Président est très impopulaire dans l’opinion publique : s’il nomme un Premier Ministre proche de lui, celui-ci sera immédiatement disqualifié aux yeux d’une majorité d’électeurs, quel que soit son programme. Enfin, le Emmanuel Macron est un épouvantail à l’Assemblée nationale comme au Sénat : si le gouvernement est perçu comme étant à ses ordres, celui-ci sera incapable de faire adopter des textes et d’échapper à la censure. Il faut donc un Premier Ministre de cohabitation, qui ne prenne pas ses instructions à l’Elysée.

 


En finir avec l’élection du Président au suffrage universel direct ?

 

Pour sortir de la crise politique que rencontre le pays, il faut accepter un vrai fonctionnement parlementaire de nos institutions, qui sont suffisamment souples pour cela. Il convient de distinguer clairement les rôles de Chef de l’Etat et de chef de la majorité. Durant les trois premières cohabitations, François Mitterrand et Jacques Chirac y étaient parvenus, en se repliant sur les questions européennes et internationales, et les enjeux de sécurité et de défense. Emmanuel Macron devra s’y résoudre lui aussi, et ce même si aucun parti ne l’a emporté le 7 juillet dernier.

 


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Campagne référendaire de 1962 (photo archives RL)

 


A plus long terme, si la « tripartition » NFP / Centre-LR / RN se stabilise, il faudra que les partis français en finissent avec leur obsession présidentielle. L’élection présidentielle doit devenir, comme en Autriche, en Finlande ou au Portugal, la simple désignation d’un leader respecté, capable d’assurer le bon fonctionnement des institutions et de promouvoir l’intérêt général, et non d’un chef de parti, désireux de gouverner et de se mêler de tout. Mais on peut douter que ce soit possible, tant les responsables politiques français sont obsédés par la perspective d’un destin élyséen. Il faut sans doute en finir avec l’élection du président au suffrage universel direct. Rappelons qu’elle n’était pas prévue par la constitution de 1958, mais qu'elle découle d’une réforme constitutionnelle de 1962 voulue par Charles de Gaulle pour surmonter une crise politique. Les institutions de la V° République peuvent donc très bien fonctionner sans cette élection.


Olivier Costa

 


Après une pénible séquence de gaffes et de moments d’absence, Joe Biden s’est retiré de la course à la présidentielle. Il a fallu pour cela d’intenses pressions de la part de responsables démocrates éminents et de donateurs potentiels car, sans le milliard de dollars nécessaire à une campagne présidentielle aux Etats-Unis, l’échec était certain. Kamala Harris s’est imposée dans l’urgence, même si, depuis son arrivée à la vice-présidence en 2020, elle a souvent été présentée comme une erreur de casting. Ces dernières semaines, son action et son tempérament ont été réévalués. Elle suscite désormais de vifs espoirs dans le camp démocrate, et l’inquiétude dans l’entourage de Trump, qui ne peut plus se contenter de railler la sénilité supposée de son rival. Mais la candidate démocrate peut-elle vraiment l’emporter après tant de confusion et en menant une campagne aussi courte ? Et, surtout, saura-t-elle reconquérir l’électorat populaire ?

 


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Les défis de la campagne

 

Face à des sondages qui évoluent positivement pour Mme Harris, les médias semblent considérer que la partie sera facile, mais rien n’est moins sûr, car elle est face à des défis immenses : se faire connaître du grand public, qui ignore encore qui elle est ou s’en remet au portrait désastreux qu’en font les médias favorables à Trump ; mettre sur pied une équipe de campagne efficace ; et imposer des thèmes de campagne afin de sortir d’une confrontation de personnes stérile.

 


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Les sondages montrent que K. Harris et D. Trump sont désormais au coude-à-coude (Source: Financial Times).

 

Pour l’heure, le débat est en effet d’un piètre niveau. Donald Trump décrit sa rivale comme une gauchiste exaltée et incompétente, et comme une opportuniste. Mme Harris insiste sur les multiples affaires judiciaires dans lesquelles son adversaire est empêtré, et sur les risques qu’un nouveau mandat de celui-ci ferait courir au pays, en termes de respect de la démocratie et de l’Etat de droit, et plus particulièrement d’IVG. C’est un registre où elle excelle, compte tenu de son expérience de procureure et de ses engagements en tant que vice-présidente, mais il ne peut pas suffire.

 


Retisser des liens avec un électorat populaire

 

Le discours de Kamala Harris doit en effet être élargi, car il ne parle qu’à une minorité d’électeurs. L’Amérique – comme l’Europe – connaît une profonde crise de la représentation. La partie de l’électorat qui est la moins dotée économiquement et socialement, celle qui n’a pas de diplôme universitaire et est cantonnée à des emplois volatiles et faiblement rémunérés, se sent ignorée et méprisée par les « élites ». Ces électeurs se soucient assez peu du détail des ennuis judiciaires de Donald Trump, qui se diluent dans une rengaine du « tous pourris ». Ils ne sont pas non plus émus par la défense des droits des minorités et des libertés individuelles par Mme Harris.

 

Le divorce du parti démocrate avec ces électeurs n’est pas nouveau : il remonte aux années 1980, quand les masses laborieuses – les blue collars, ouvriers en bleu de travail, par opposition aux white collars, cadres à chemise – ont cessé de voter systématiquement pour la gauche. L’électorat démocrate se concentre désormais dans les classes moyennes et supérieures des grandes villes, tandis que le gros des troupes des Républicains – outre les électeurs les plus prospères – se situe dans les campagnes.

 


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La carte (source : Wikimedia) montre les résultats des élections présidentielles de 2020 à l’échelle des comtés. Plus le comté est bleu foncé, plus il a voté pour Biden ; plus il est rouge foncé, plus il a voté pour Trump. On voit que le vote démocrate se concentre sur les côtes, où se situent les grandes villes et les Etats les plus peuplés. Les « territoires » votent largement pour Trump, car il l’emporte surtout dans les zones rurales peu denses.

 

Le fait que Mme Harris soit une femme et une personne de couleur ne lui facilite pas forcément la tâche, les Républicains étant habiles à dénoncer l’impact des privilèges dont jouissent ces catégories de la population sur les masses laborieuses. Elle est activement présentée par D. Trump comme une gauchiste radicale, qui ne serait animée que par des combats lunaires et des préoccupations « wokistes », à mille lieux des tracas réels des Américains. En outre, elle ne peut revendiquer des origines modestes : elle est la fille de deux éminents universitaires ; elle est diplômée de grandes universités ; elle a fait une carrière au plus haut niveau dans les juridictions de Californie ; elle est ensuite devenue Sénatrice de cet Etat – le plus riche du pays. Son colistier – que Mme Harris choisira sous peu – est censé avoir un profil complémentaire du sien, pour l’aider à séduire des électeurs d’autres catégories socio-professionnelles, d’autres confessions et origines, et d’autres Etats. Mais aucun des prétendants en lice n’a de baguette magique pour réconcilier le parti démocrate avec les masses. Donald Trump ne peut pas non plus prétendre être proche du peuple : il est richissime et c’est un héritier. Mais son discours, qui ne s’embarrasse jamais des nuances et des faits, plaît à certains citoyens qui souffrent d’un sentiment de déclassement. Il cultive aussi une forme d’authenticité et de simplicité à force de vulgarité, de sexisme, de racisme et d’ignorance satisfaite.

 

 

Affronter la crise de confiance des citoyens

 

La crise démocratique qui affecte les Etats-Unis frappe toutes les démocraties libérales, et se traduit par un déclin de la participation électorale et de l’engagement citoyen, une montée en puissance des forces politiques populistes, notamment d’extrême-droite, et une perte de confiance des citoyens dans leurs élus. Les Etats-Unis ont toutefois été confrontés à cette difficulté les premiers. Les enquêtes d’opinion montrent que les citoyens américains ont de moins en moins confiance dans leurs élus et le sentiment de plus en plus vif qu’ils ne les écoutent pas. La campagne des Républicains joue largement sur ce registre : l’idée que l’administration Biden n’a rien fait pour prendre en considération les deux principales préoccupations des Américains moyens que sont l’inflation et l’immigration.

 

Kamala Harris ne pourra séduire les citoyens des classes populaires que si elle accepte l’idée que leurs revendications et critiques ont du sens. Relativiser avec force chiffres l’idée que l’inflation a rogné leur pouvoir d’achat, ou traiter de racistes l’ensemble des citoyens qui se préoccupent de l’immigration et des tensions entre les communautés est le plus sûr moyen de pousser ces électeurs dans les bras de Donald Trump. Le bilan économique de Joe Biden est bon, si l’on s’en réfère aux principaux indicateurs (emploi, salaires, croissance…), mais cela importe peu : en démocratie, il faut prendre acte des perceptions des citoyens. Il en va de même de l’immigration. On peut arguer que nombre de citoyens préoccupés par le sujet n’y sont pas directement confrontés. On peut aussi dénoncer les mensonges de Donald Trump, qui renvoie toutes les difficultés du pays à l’immigration illégale. Il reste que les Etats-Unis sont incapables de contrôler leurs frontières et que leur politique d’immigration est incohérente : entrer légalement est excessivement difficile, mais l’économie a grand besoin d’une main d’œuvre étrangère peu regardante sur les salaires et les conditions de travail. Il existe donc un abîme entre les principes et la réalité.

 

 

Prendre les préoccupations des électeurs au sérieux

 

Pour pouvoir compter sur l’électorat le moins fortuné, Mme Harris doit répondre à ses préoccupations, plutôt que de nier leur pertinence ou de refuser de s’y confronter pour des raisons « morales ». Il faut aussi qu’elle propose un projet de société qui permette de penser les enjeux à la fois économiques et migratoires, et qui réponde aux angoisses des moins favorisés. Il s’agit, plus largement, de donner des perspectives à chaque membre de la société américaine et de faire face au sentiment de plus en plus vif de déclassement et de manque de reconnaissance sociale d’une large part de la population.

 

La question de la répartition des richesses est ici centrale. Le néo-libéralisme, la globalisation et la dette publique ont permis une croissance sans fin de l’économie américaine, mais ses bénéfices sont répartis de manière de plus en plus inégalitaire. Les gagnants du processus connaissent un enrichissement inouï et le pouvoir économique s’est concentré entre les mains de quelques originaux qui échappent au droit commun et semblent tout droit sortis d’un film de James Bond. La crise financière de 2008 a été exemplaire à cet égard : l’Etat fédéral est venu à la rescousse des banques en consentant des efforts financiers sans précédent, tandis que les ménages les plus modestes, notamment ceux qui s’étaient endettés pour acheter leur logement, restaient sans rien. La crise du Covid n’a pas été très différente, avec des effets d’ajustement très violents pour les plus fragiles.


 

Repenser la société américaine

 

Les responsables politiques, démocrates comme républicains, n’ont jamais remis en cause le fonctionnement et l’organisation de la société et de l’économie de leur pays. Ils se sont contentés de vanter le rêve américain : la possibilité pour chaque citoyen de s’élever socialement, à force de travail, d’audace ou de diplômes. Les success stories existent, mais combien de citoyens défavorisés ont-ils vraiment pu en bénéficier ? Et comment ceux qui ne l’ont pas fait doivent-ils interpréter leur échec ?

 

Paradoxalement, Donald Trump s’est plus adressé à ces citoyens déclassés que les démocrates. Il n’a pas de solution à leur proposer, mais il leur parle. Au pouvoir, il a tenté de démanteler le système de santé dont beaucoup bénéficiaient et a opéré des réformes fiscales qui n’ont profité qu’aux plus riches. Mais peu importe : son discours hostile aux élites et aux immigrés a masqué cela.



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Joe Biden : l’action sans le récit

 

Durant son mandat, Joe Biden a répondu à ces préoccupations, mais davantage sur le fond que sur la forme. Il a développé un programme très ambitieux d’investissements dans les infrastructures et dans l’énergie verte, il a favorisé la réindustrialisation du pays, il a permis la création de nombreux emplois, il a lutté contre les monopoles et contre l’inflation. En somme, il a restauré le rôle de l’Etat fédéral face aux marchés et à la globalisation débridée, lui a redonné une fonction de régulation, d’organisation et de justice sociale.

 

Mais il a échoué à faire comprendre sa politique et à répondre concrètement aux préoccupations des citoyens. Il n’est pas parvenu à mettre ses décisions en perspective, à expliquer le type de société et d’économie qu’il appelait de ses vœux – comme à préciser le rôle qu’il envisageait pour les Etats-Unis à l’échelle internationale. Par voie de comparaison, le « Make America Great Again » de Trump, formule vague dont on ne sait pas bien ce qu’elle recouvre, est un narratif puissant et séduisant, comme l’était le « Take Back Control » des Brexiters, tout aussi creux.

 

Kamala Harris doit donc sans tarder présenter un narratif pour donner du sens à son programme politique et à son action à la tête des Etats-Unis. La lutte contre les discriminations, pour la démocratie et pour les libertés individuelles ne suffit pas, car ce n’est pas un sujet de préoccupation majeure pour une large part de l’électorat. Les enjeux du pouvoir d’achat, de la dignité du travail, de la reconnaissance sociale de chacun semblent tout aussi importants. Il s’agit également de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions politiques et les élus, de raviver le débat démocratique qui a été confisqué à la fois par les grands patrons – qui ont imposé la globalisation et la dérégulation comme des phénomènes non-négociables et bénéfiques pour tous – et les populistes – qui réduisent le débat public aux invectives, aux mensonges et à la désignation de boucs émissaires. Cela permettrait de révéler les contradictions du trumpisme, qui veut réduire les taxes sur les plus riches, déréguler l’économie et démanteler les droits sociaux, et qui récuse l’idée d’augmenter les bas salaires.

 


Quel narratif pour séduire les classes populaires ?

 

On ne gagne pas une élection en se contentant de critiquer son adversaire. Le « we won’t go back » de Kamala Harris ne suffira pas à mobiliser les électeurs. Il faut un récit et du souffle. Mais la question du narratif n’est pas qu’une affaire de marketing, et il ne suffit pas d’inventer un concept ronflant ou de marteler une formule pour convaincre les électeurs. Emmanuel Macron a pu le constater après ses pesants discours sur le « réarmement » de la France fin 2023, qui n’ont ni ému ni convaincu.

 

Il revient à présent à la candidate démocrate de relever le défi, et d’avancer le récit qui saura convaincre les électeurs les plus modestes que les démocrates sont à leur écoute et ne déploient pas toute leur énergie à défendre des causes dont le sens et l’utilité leur échappent. Barack Obama avait su le faire, et reconquérir l’électorat populaire, notamment chez les femmes et les personnes de couleur. Si Mme Harris se contente d’agiter les risques d’un retour de Trump à la Maison blanche, la victoire de celui-ci reste possible.  

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