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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Dernière mise à jour : 18 sept. 2024


Aujourd’hui (mardi 17 septembre 2024), Ursula von der Leyen a présenté au Parlement européen la composition de la nouvelle Commission. Elle a confirmé les noms des différents candidats proposés par les Etats membres – à l’exception de la candidate slovène, dont le pays est empêtré dans une crise politique déclenchée par le remplacement du candidat initialement proposé par une femme, à la demande de la Présidente... Celle-ci a annoncé les portefeuilles et responsabilités des différents commissaires. A présent, le Parlement européen va procéder à l’audition des 26 candidats devant les commissions parlementaires compétentes. Il décidera ensuite d’accorder ou non l’investiture à la nouvelle Commission. A chaque fois, les députés ont refusé certains candidats ou demandé des aménagements de leur portefeuille, arguant de leur manque de maîtrise des dossiers, de leur attitude pendant l’audition ou d'ombres sur leur cv. Cet exercice permet au Parlement de s’immiscer dans la composition de la Commission et de rappeler que la confiance du Parlement ne lui est pas due, et qu’elle se mérite. Il y a fort à parier que certains candidats se feront une fois encore étriller, et que des ajustements de l’équipe seront nécessaires. Sans attendre de connaître la composition définitive de la nouvelle Commission, on peut d’ores et déjà tirer trois enseignements des choix opérés par Ursula von der Leyen.

 

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1.     Une Commission aux ordres de la Présidente

 

La Présidente sortante a connu une fin de mandat difficile et s’est fait admonester par des membres du Conseil européen pour certaines de ses initiatives ou prises de positions. Elle a dû faire profil bas pour être réinvestie : reconnaître qu'elle n'est pas un Premier Ministre européen, et admettre que certaines compétences – notamment en matière de relations internationales – ne sont pas de son ressort. De même, Mme von der Leyen a dû déployer des trésors de diplomatie pour obtenir l’aval du Parlement européen. Les traités prévoient en effet qu’il doit « élire » le Président ou la Présidente de la Commission, et ce à la majorité de ses membres, ce qui implique que les absents et les abstentionnistes s’opposent à sa nomination. La tâche est donc ardue. Elle l’est d’autant plus que le scrutin a lieu à bulletins secrets, et que les groupes politiques ne peuvent donc pas faire pression sur leurs élus. En 2019, Mme von der Leyen ne l’avait ainsi emporté que de 9 voix, alors même qu’elle était soutenue par les trois plus grands groupes politiques, qui bénéficiaient en théorie d'une nette majorité. Dans un Parlement encore plus fragmenté, le résultat du vote était très incertain. La Présidente a néanmoins pu bénéficier de la mobilisation des députés pro-européens, paniqués par l’idée d’une crise institutionnelle, et a été réélue le 18 juillet dernier avec une avance plus confortable de 41 voix.

 

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La nouvelle Commission


On pouvait penser que Mme von der Leyen continuerait à faire profil bas, afin de se ménager les bonnes grâces du Conseil européen et du Parlement, mais il n’en est rien. Elle a en effet choisi d’exercer un leadership fort sur la nouvelle Commission, en se débarrassant de tous les commissaires qui lui avaient tenu tête pendant son premier mandat : la danoise libérale Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive sortante ; le luxembourgeois Nicolas Schmit, qui était pourtant le candidat des socialistes à la Présidence de la Commission lors des dernières élections européennes ; et le Français Thierry Breton, qui a été poussé vers la sortie au dernier moment. Un autre poids-lourd du précédent collège, le socialiste néerlandais Franz Timmermans, est lui aussi absent, car revenu à la vie politique nationale. La Commission von der Leyen 2 se compose donc de personnalités peu connues et l’on ne voit pas qui pourrait contester l’autorité de la Présidente.

 

2.     Une Commission dominée par la droite

 

La nouvelle Commission se caractérise aussi par une domination sans faille du Parti populaire européen (PPE), le parti de la droite modérée. Depuis 1999, il constitue la première force politique au Parlement européen, et les présidents de la Commission sont issus de ses rangs sans discontinuer depuis vingt ans. Le précédent collège des commissaires présentait toutefois un certain équilibre entre le PPE, le Parti socialiste européen (PSE) et la famille libérale (Renew). Cet équilibre avait notamment commandé la création des postes de vice-présidents « exécutifs », qui étaient allés en priorité aux candidats malheureux du PSE et de Renew au poste de Président de la Commission.


La Commission von der Leyen 2 présente un tout autre visage : elle est largement dominée par le PPE, qui obtient 15 sièges sur 27, contre seulement 4 aux socialistes. Elle ne reflète plus les équilibres politiques au Parlement européen, où le PPE est certes le premier groupe, mais ne peut rien faire sans ses partenaires du PSE et de Renew. Puisque, légalement parlant, la Commission prend toutes ses décisions à la majorité, la Présidente pourra désormais imposer ses vues en mobilisant les commissaires du PPE. En pratique, la règle est la recherche du consensus, mais ce nouveau déséquilibre politique permettra à Ursula von der Leyen de renforcer son autorité.

 

La domination du PPE en cache une autre : celle de la CDU. En effet, l'Allemagne a toujours joué un rôle prépondérant au PPE parce qu'elle envoie d’importants contingents de députés au Parlement européen. A l’heure actuelle, le groupe compte 188 députés dont 31 Allemands – la plus forte délégation de l’hémicycle. Le France n’y compte que 6 députés et l’Italie 9. Dans la perspective du retour au pouvoir de la CDU l’an prochain en Allemagne, la domination de la Commission par le PPE, notamment grâce à sa Présidente, est préoccupante.

 

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3.     Une Présidente qui affirme son leadership vis-à-vis des Etats

 

Le dernier enseignement de la composition de la nouvelle Commission tient aux rapports de force entre la Présidente et les leaders nationaux. Le remplacement, au dernier instant, de Thierry Breton par Stéphane Séjourné est à ce titre emblématique. Breton, qui n’avait pas fait mystère de son envie de rempiler, avait été confirmé comme candidat français par l’Élysée le 25 juillet. Mais ses relations avec Ursula von der Leyen étaient exécrables. Il avait plusieurs fois critiqué ses décisions et dénoncé une gouvernance trop personnelle. Il avait aussi publiquement moqué le faible soutien du PPE à son second mandat. Il existait enfin d’importantes divergences entre Thierry Breton et Ursula von der Leyen, notamment quant aux rapports avec les Etats-Unis. Breton a ainsi mené une croisade contre les GAFAM que la Présidente, très atlantiste, n’a pas appréciée. Mme von der Leyen, profitant de la mauvaise passe du Président français, a donc demandé le retrait de Breton, en faisant miroiter en échange un portefeuille élargi et une vice-présidence exécutive. Emmanuel Macron ayant accepté cet arrangement, Breton a claqué la porte.

 

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Stéphane Séjourné et Thierry Breton


La nomination très tardive de Stéphane Séjourné a été interprétée par beaucoup comme un camouflet à la France, désormais traitée comme un « petit » pays. En effet, jamais par le passé un des plus grands Etats de l’Union n’avait été contraint de retirer son candidat – si ce n’est sous la pression du Parlement européen. Le nom de Mme von der Leyen avait été proposé par Emmanuel Macron en 2019 pour débloquer les négociations sur les "top jobs", et on la décrivait alors comme faible et redevable au Président français. Cinq ans plus tard, elle a su lui imposer le retrait de son candidat, sans même brandir l’excuse du respect de la parité. La séquence est aussi interprétée comme le signe d’une nouvelle dégradation des relations franco-allemandes : Mme von der Leyen ne représente certes pas son pays, mais elle n’a pu exiger ce changement sans l’aval des autorités allemandes ni celui de son parti, la CDU, qui est sans doute appelé à gouverner l’an prochain. Si le couple franco-allemand n’était pas en crise, jamais telle demande n’aurait été formulée.

 

Il ne faut cependant pas voir dans la décision d’Emmanuel Macron qu’une reculade. Elle a également été motivée par la défense de ses intérêts personnels. Quelle que soit la composition du gouvernement Barnier, le Président ne pourra en effet plus s’immiscer dans la gestion des affaires courantes comme il le fait depuis 2017. Il devra, comme y avaient été contraints François Mitterrand et Jacques Chirac en temps de cohabitation, se replier sur les questions internationales, européennes et de défense. Pour ce faire, le Président a besoin d’un homme de confiance à la Commission. Il a certes dit le plus grand bien du Commissaire français sortant, et les deux hommes avaient des préoccupations communes: la mise au pas des GAFAM, la régulation du marché, le développement d’une politique industrielle européenne, notamment dans le domaine de la défense… Mais Breton n’est pas un proche du Président et n’a jamais pris ses instructions à l’Élysée. En revanche, Stéphane Séjourné est un macroniste de la première heure et un fidèle parmi les fidèles, qui doit toute sa carrière au Président. C’est aussi un représentant de la famille libérale, puisque Séjourné a été président du groupe Renew pendant la précédente législature ; Breton était quant à lui considéré comme sans étiquette, même s'il était membre du RPR et de l’UMP à l’époque où il était ministre. Emmanuel Macron ne s’est donc pas contenté de céder au chantage d’Ursula von der Leyen : il a aussi soigné ses intérêts politiques du moment. Cela inclut évidemment la composition du gouvernement; Michel Barnier exigeant que les Affaires étrangères reviennent à un Républicain, il convenait de trouver un point de chute à Stéphane Séjourné.

 

 

Une séquence qui va alimenter les fantasmes eurosceptiques

 

Les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 dévoilent une évolution des rapports de force à Bruxelles. Lors de l’investiture du précédent collège, en 2019, un duel avait eu lieu entre le Parlement européen – qui voulait écarter certains candidats, dont la Française Sylvie Goulard – et le Conseil européen – qui entendait décider seul de la composition de la Commission. Désormais, c’est un duel à trois, entre le Parlement, le Conseil européen, et la Présidente de la Commission.


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En effet, Mme von der Leyen entend faire mieux respecter les prérogatives que lui octroient les traités quant à la composition de son équipe et à l’attribution des portefeuilles. Plus largement, elle promeut une interprétation des traités qui renforce sa fonction présidentielle. Sur ce point, les textes sont ambigus : les décisions de la Commission se prennent de manière collégiale, par un vote des 27 commissaires à la majorité. La Présidente n'a pas de voix prépondérante et ne peut prendre aucune décision importante de son propre chef. Cependant, les traités lui reconnaissent aussi un leadership politique, un rôle actif dans le choix des commissaires et la distribution des portefeuilles et des fonctions, et le droit de limoger les commissaires individuellement. Mme von der Leyen bataille donc pour obtenir une interprétation maximaliste de son pouvoir, et imposer l’idée qu’elle peut prendre des décisions unilatérales au nom de la légitimité tirée de son « élection » par le Parlement européen.

 

Il reste que les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 donnent une bien piètre image de l’institution. Elles viennent alimenter les fantasmes qu’elle véhicule depuis longtemps : celui d'une bulle où règnent le népotisme, le copinage et les batailles d’égo, et celui d’une institution capable d’imposer ses désidératas à des États membres pourtant réputés souverains.


Olivier Costa

Chacun guette la composition du gouvernement Barnier pour essayer d’en saisir la ligne politique. Quels seront les équilibres entre partis ? Y aura-t-il des ministres venus de la gauche ? Ou de l’extrême-droite ? Va-t-il créer des portefeuilles aux intitulés droitiers ? Ou progressistes ? En attendant, les leaders du NFP estiment que l’élection leur a été volée et veulent mobiliser citoyens, syndicats et étudiants autour de ce narratif. Ils affirment que Lucie Castets aurait dû gouverner, au nom de la « victoire » du NFP, et qu’elle en avait les moyens. Mais est-ce bien vrai ?

 

 

Lucie Castets n’a jamais été majoritaire

 

Il y a deux semaines, je faisais valoir, sans réelle ironie, qu’Emmanuel Macron aurait dû nommer Lucie Castets à Matignon pour clarifier la situation. Elle aurait composé son gouvernement, fait un discours de politique générale, et été rapidement censurée par l’Assemblée nationale. Le NFP aurait crié au coup de force, arguant une fois de plus de sa « victoire » du 7 juillet, mais la démonstration aurait été faite que l’exercice du pouvoir requiert, au minimum, qu’une majorité absolue de députés s’engage à ne pas voter la censure. Or, comme cela a été clairement établi lors de l’élection de la Présidente de l’Assemblée nationale, le NFP ne peut compter, au mieux, que sur 200 députés sur 577. En outre, les leaders des principaux groupes politiques hors-NFP avaient annoncé que, même sans ministres insoumis, ils voteraient la censure contre un gouvernement Castets. Les choses auraient sans doute été différentes si celle-ci avait réellement négocié avec les autres partis, mais elle ne l’a pas fait. Bernard Cazeneuve aurait pu, lui aussi, essayer de construire une majorité à gauche et au centre, mais Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure ont torpillé cette perspective.

 

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Composition de l'Assemblée nationale, 9 septembre 2024

 


Une coalition minoritaire ne peut gouverner seule

 

Contrairement à ce que laissent entendre chaque jour les caciques du NFP, qui ont dû rater quelques cours, il n’existe aucune disposition dans la constitution, ni aucune coutume politique qui permette au parti arrivé en tête aux législatives d’appliquer son programme sans disposer d’une majorité absolue. Et, à l'inverse de ce que certains ont curieusement suggéré, Emmanuel Macron n’avait pas les moyens constitutionnels ou politiques d’interdire aux élus de son camp de censurer Lucie Castets pour la laisser appliquer le programme du NFP, au nom de sa « victoire ». Il faut rappeler que, dans aucun régime réellement démocratique, une majorité relative ne vaut une majorité absolue. Si un lecteur connaît un contre-exemple, je le prie de m’en faire part. Partout dans le monde, quand aucun parti ou aucune coalition ne dispose d’une majorité absolue à l’issue des élections, leurs leaders doivent négocier un accord majoritaire avant de prétendre gouverner. Parfois, il est impossible de réunir une majorité absolue sur un programme de gouvernement, mais il existe au moins un engagement de partis disposant d’une telle majorité à ne pas voter une censure immédiate. Il arrive aussi que le parti arrivé en tête des élections ne soit pas dans la coalition gagnante, faute d’avoir trouvé des alliés ; il siège alors dans l’opposition, car une majorité composée d’autres partis a émergé.

 

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Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol. En 2023, la droite (Parti populaire) emporte les élections législatives anticipées. Après l'échec de son leader, Alberto Núñez Feijóo, à obtenir l'investiture du Congrès des députés, le Roi charge Pedro Sánchez, le Premier ministre socialiste sortant, de former le nouvel exécutif. Il conclut un accord de coalition avec un mouvement de gauche radicale, trouve une majorité et conserve le pouvoir.


 

Le RN pèsera sans doute sur le gouvernement Barnier…

 

On verra comment le gouvernement Barnier s’en sortira. Pour l’heure, il semble à l’abri d’une censure – qui n’est promise que par les députés du NFP. D’aucuns diront qu’Emmanuel Macron ou Michel Barnier a pactisé avec l’extrême-droite pour cela. C’est une possibilité, et la composition du gouvernement et sa ligne politique éclaireront ce point. Il reste que, ce n’est pas parce que l’on trouve le programme du RN politiquement ou moralement condamnable, que l’on peut faire abstraction des résultats des élections : le RN dispose du plus grand groupe à l’Assemblée nationale (126 députés), est le premier parti de France et a obtenu près du tiers des suffrages aux législatives (29,26% des voix au premier tour et 32,05% au second). A titre personnel, cela ne me réjouit pas, mais c’est le résultat d’élections dont personne ne conteste la sincérité. Plus globalement, la représentation nationale penche aujourd’hui fortement à droite : la gauche est arrivée en tête des élections législatives, mais elle n’a qu’un tiers des sièges. Il n’est donc pas illogique, démocratiquement parlant, que le gouvernement incline à droite. On peut certes craindre que Michel Barnier ne subisse les pressions du RN et qu’il ne conduise une politique très droitière en matière de sécurité et d’immigration pour échapper à la censure. On peut aussi déplorer que certains à droite – comme l’ont déjà fait M. Ciotti et ses amis – envisagent de remettre en question le « cordon sanitaire » qui isolait jusqu’à présent le RN. Mais c’est ainsi que fonctionnent les démocraties parlementaires, par le jeu des négociations entre partis. Et le fait que quelques beaux esprits entendent démontrer que les Français sont fondamentalement animés par des idées et valeurs de gauche, y compris les électeurs du RN, n’y changera rien.

 

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Michel Barnier dans la cour de l'Elysée

 


Une nomination paradoxale qui a une logique

 

Il est désolant d’entendre aujourd’hui les responsables du NFP affirmer que Matignon leur a été volé et que Lucie Castets disposait des moyens de gouverner. Elle aurait pu les obtenir, mais n’a rien fait pour cela. Les citoyens peuvent avoir divers motifs de ne pas être satisfaits de la nomination de Michel Barnier. Ils peuvent s’étonner que Les Républicains récupèrent le poste de Premier ministre après être arrivés bons cinquièmes des législatives, et avoir refusé de participer au front républicain – dont ils ont tiré profit. Ils peuvent s’indigner de ce que le Premier ministre s’inscrive dans la continuité de l’action menée par Emmanuel Macron depuis 2022, malgré le double désaveu des élections européennes et législatives. Ils peuvent considérer qu’il aurait été logique, faute de majorité, de gouverner au centre, en conciliant les idées des deux camps, et en renvoyant LFI et le RN à leurs outrances respectives. Ils peuvent regretter que le Premier ministre soit un homme du passé, peu susceptible d’incarner le renouveau ou le changement espéré.

 

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Lucie Castets dans la cour de l'Elysée (au centre)


Mais il faut prendre acte des réalités politiques et électorales, et de la fragmentation inédite de la représentation nationale. M. Barnier semble pouvoir échapper à une censure immédiate, ce qui n’était pas le cas de Mme Castets. Celle-ci s’est contentée de dire qu’elle entendait appliquer le programme du NFP au nom de la « victoire » de celui-ci, de la volonté du « peuple » et de la préservation de l’union de la gauche, mais elle n’était soutenue que par un tiers des députés. Oui, vraiment, Emmanuel Macron aurait dû la nommer à Matignon afin que ces réalités soient clairement établies.


Olivier Costa

Après une longue séquence de consultations, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier à Matignon. Du côté de l’Élysée, ce choix est justifié par l’expérience et le profil de l’ancien négociateur du Brexit, et par le fait qu’il devrait échapper à une censure immédiate, à défaut de pouvoir lancer de grandes réformes. Il bénéficie en effet du soutien du parti présidentiel et de ses alliés, ainsi que de la droite républicaine, et le RN s’est engagé à ne pas voter la censure avec le NFP – auquel il manque 100 voix pour l’obtenir. S’il est trop tôt pour savoir sur quelles forces Michel Barnier pourra compter, on peut dresser un bilan de la partie de poker-menteur qui a conduit à sa nomination. On distingue quatre gagnants et un grand perdant.

 


Emmanuel Macron : « c’est qui le patron ? »


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Le premier gagnant est Emmanuel Macron. Le Président s’est mis dans une situation intenable en prenant l’initiative de la dissolution : elle a en effet abouti à une forte réduction des effectifs de sa « majorité », a permis à la gauche de retrouver des couleurs et a confirmé la tripartition de la vie politique française, et donc l’impossibilité de trouver une majorité parlementaire. Avec la nomination de Michel Barnier, il a toutefois obtenu trois choses. D’abord, il a rappelé, jusqu’au grotesque, qu’il ne se laissait dicter ses choix, sa conduite ou son agenda par personne. On peut s’interroger sur la pertinence de cette attitude martiale et sur les motivations du Président, mais il a réussi à préserver son autorité. Ensuite, alors que les résultats des élections annonçaient une cohabitation, le Président a choisi un premier ministre qui n’est pas un adversaire politique, et avec lequel il pourra travailler. C’est d’autant plus probable que Michel Barnier ne sera sans doute pas candidat aux prochaines élections présidentielles, et ne cherchera donc pas à échapper à tout prix à la tutelle du Président. Enfin, en choisissant Barnier, Emmanuel Macron maintient le cap de son quinquennat. Il n’est en effet pas nécessaire d’attendre la déclaration de politique générale du nouveau premier ministre pour imaginer que les grandes options du gouvernement Attal ne seront pas remises en cause.

 

Marine Le Pen : l’arbitre

 

La deuxième gagnante de cette nomination est Marine Le Pen. Les élections législatives ont été une grande déception pour le RN : arrivé largement en tête des européennes, donné vainqueur des législatives par les instituts de sondages, ayant bénéficié du plus grand nombre d’électeurs, le RN a été privé par le front républicain d’une victoire attendue.


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Avec 126 députés, le groupe du RN à l’Assemblée nationale est le plus important, mais il est très isolé. La campagne pour les législatives a aussi démontré que le RN n’est pas prêt à gouverner, avec un candidat premier ministre qui ne maîtrisait pas les dossiers, un programme qui se limitait à la dénonciation de l’immigration et du wokisme, et un grand nombre de candidats aux profils fantaisistes ou inquiétants. Depuis le 7 juillet, le RN est inaudible et tenu en marge des négociations. La nomination de Michel Barnier le remet au centre du jeu. Il ne s’agit pas de dire, comme certains, qu’il est le candidat du RN : il faudra juger sur pièces, voir s’il s’aligne sur les positions du RN sur les questions migratoires et sécuritaires, ou s'il accueille des ministres très droitiers. En revanche, Marine Le Pen est faiseuse de roi, car la nomination de Michel Barnier a été conditionnée par son engagement à ne pas le censurer a priori. Et le gouvernement sera à sa merci, puisqu’elle pourra arguer du moindre motif pour le priver de ce soutien passif.

 

Laurent Wauquiez : le cancre récompensé

 

Le troisième gagnant de la nomination de Michel Barnier est Laurent Wauquiez. Les Républicains traversent une très mauvaise passe, pris en tenaille par un parti présidentiel qui se droitise et un RN qui se « normalise ». LR a fait un score piteux aux législatives (47 sièges) et le parti s'est fracturé, avec le ralliement d’Eric Ciotti au RN.


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Wauquiez, qui a dit et répété depuis le 7 juillet que LR n’avait pas vocation à soutenir un premier ministre d’union nationale, et encore moins un candidat issu du NFP, emporte la mise. Le premier ministre appartient en effet à sa famille politique – rappelons que Michel Barnier était candidat à la primaire des Républicains pour les présidentielles de 2022 – et son gouvernement devrait accueillir de nombreux ministres de droite. En outre, comme on l'a indiqué, Barnier ne sera a priori pas un concurrent pour les prochaines élections présidentielles. C’est tout le paradoxe de cette nomination : porter à Matignon un représentant du parti arrivé bon dernier aux législatives et qui a refusé de participer au front républicain.

 

Jean-Luc Mélenchon : le stratège infatigable


Le quatrième gagnant de la séquence est Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci n’est motivé que par une perspective : accéder au second tour de l’élection présidentielle, et l’emporter face à Marine Le Pen en bénéficiant du front républicain. A cette fin, il entend maintenir l’union de la gauche et y conserver sa position centrale, pour être le seul candidat du NFP lors des prochaines présidentielles. Il n’a sans doute jamais envisagé sérieusement d’aller à Matignon – même si la perspective était séduisante pour un responsable politique dont l’expérience gouvernementale se limite à un poste de ministre délégué – ni désiré qu’un représentant du NFP y soit nommé.


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Le choix d’une parfaite inconnue et l’exigence répétée par les Insoumis qu’elle applique strictement le programme du NFP rendait sa nomination improbable. Jean-Luc Mélenchon n’a en effet aucun intérêt à ce que son parti gouverne, car c’est le plus sûr moyen de créer des tensions irréconciliables avec le PS, qui se traduiraient par une candidature socialiste aux prochaines présidentielles. En outre, chacun sait qu’il est plus facile de gagner une élection quand on siège dans l’opposition que lorsqu'il faut assumer le bilan des sortants. Il n’était, de même, pas question pour Jean-Luc Mélenchon de soutenir Bernard Cazeneuve, qui aurait pu nourrir des ambitions présidentielles. La nomination de Michel Barnier est en somme idéale : elle permettra à LFI de rester dans son rôle d’opposition virulente, dénonçant chaque jour un déni de démocratie et une politique antisociale et islamophobe, et d’apparaître comme le seul rempart contre l’accès du RN au pouvoir.  

 

Les électeurs socialistes : les dindons de la farce


Le grand perdant de l’opération est le PS. Non pas ses responsables, mais ses militants, sympathisants et électeurs. Les huiles du parti ne perdent rien avec la nomination de Michel Barnier, puisque leurs ambitions semblent se limiter à la préservation de leurs sièges à travers l’union de la gauche. Pour les responsables du PS, gouverner avec Lucie Castets ou soutenir Bernard Cazeneuve était la garantie d’engendrer un divorce avec LFI, qui aurait eu des conséquences désastreuses pour eux : la fin de la politique du candidat unique pour les prochaines législatives – 2025 ou 2027 – et les élections locales de 2026 et 2028, et la perte par le PS de la plupart de ses sièges à l'Assemblée et de nombre de villes, départements et régions. Les grands perdants sont les électeurs de la gauche modérée, car le PS a raté le coche. Les résultats de la liste Glucksmann aux européennes étaient prometteurs : après le désastre des présidentielles de 2022 (les 1,69% d’Anne Hidalgo), le PS retrouvait une partie de ses électeurs, un temps séduits par un vote Renaissance ou LFI.


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Le PS s’affirmait comme la première force politique de gauche grâce à un discours modéré, républicain et pro-européen – loin des outrances, du populisme et de l’euroscepticisme des Insoumis. Il aurait pu sérieusement prétendre à Matignon, mais il aurait fallu pour cela négocier avec les partis du centre et de la droite, et accepter la rupture avec LFI. Le PS aurait aussi pu soutenir la candidature de Bernard Cazeneuve, mais il a préféré s’en tenir à la ligne imposée par Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, Olivier Faure annonce « qu’aucune personnalité du PS ne rentrera dans le gouvernement Barnier ». Le PS s’est donc méthodiquement privé de toute influence politique et de la possibilité de faire émerger un candidat crédible en vue des prochaines présidentielles. Or l’espace politique existe : si Emmanuel Macron a su séduire l’électorat social-démocrate en 2017 et, dans une moindre mesure, en 2022, son successeur n’y parviendra pas, car il sera sans doute issu des rangs de la droite.

 

Vers un retour des sociaux-démocrates ?

 

Une large partie des électeurs de gauche sont donc orphelins. Alors que Macron et Mélenchon constituaient des alternatives acceptables en 2022, ce n’est plus le cas. La droitisation de Renaissance et la radicalisation des Insoumis créent un espace politique pour un candidat social-démocrate, défendant des positions comparables à celles des socialistes ailleurs en Europe – qui sont très éloignées du programme du NFP. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont jusqu’ici, chacun à leur manière, empêché l’émergence d’un candidat de centre-gauche, mais le vent tourne. Le premier est désormais le responsable politique le plus rejeté : selon une récente enquête Ipsos pour Le Monde et le CEVIPOF, Jean-Luc Mélenchon enregistre 83 % de jugements défavorables dont 68 % de « très défavorables », des niveaux jamais atteints par aucun leader politique. Il peinera donc à mobiliser à nouveau l’électorat modéré. Quant à Emmanuel Macron, il sera contraint de quitter la vie politique au plus tard en 2027, et n’a rien fait pour organiser sa succession.


La tripartition de la vie politique française entre gauche, centre/droite et extrême-droite est probablement durable, mais le leadership dans les différents blocs pourrait évoluer : il est possible qu’un candidat social-démocrate s’affirme au sein de la gauche, et il est probable que la droite républicaine referme la parenthèse du macronisme.


Olivier Costa

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