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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Dernière mise à jour : 29 sept.


A la surprise générale, Mme von der Leyen avait fait du « Green Deal », le Pacte vert, la priorité de son premier mandat (2019-2024), afin de rallier les écologistes et les socialistes à son action. Mais le vent a tourné : toutes les institutions européennes penchent désormais plus à droite, et de nombreuses voix se font entendre pour limiter l’impact économique des mesures environnementales et remettre la compétitivité au centre des priorités de l'Union. C’est notamment le sens du rapport Draghi. Quel sera le destin du Green Deal dans les prochaines années ?


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Le Green Deal, enfant du tournant politique de 2019

 

Les élections européennes de 2019 avaient été marquées par une intégration de la thématique environnementale dans les programmes de tous les partis – à l’exception de l’extrême-droite – et par un succès historique des écologistes. Ursula von der Leyen, pour recueillir leur soutien et celui des socialistes, avait placé le Green Deal (Pacte Vert) au centre de son programme pour la législature 2019-2024. Il comportait un vaste ensemble d’initiatives destinées à réorienter l’économie européenne selon les nécessités de la protection de l’environnement, et tout particulièrement de la décarbonation. L’idée était d’agir tous azimuts – et non pas seulement dans le domaine de la politique environnementale – pour permettre à l’Union de remplir les objectifs des Accords de Paris. Près d’une centaine de directives et de règlements relatifs au Green Deal ont été adoptés entre 2019 et 2024, en ce compris des textes ambitieux : taxonomie européenne, SFDR (caractéristiques environnementales ou sociales des investissements), marché du carbone et taxe carbone aux frontières, fin programmée des moteurs thermiques, soutien aux énergies renouvelables, CSRD (reporting extra-financier), CS3D (impacts négatifs des activités des grandes entreprises sur les droits de l’homme et l’environnement)

 

La Commission entendait transformer l’économie européenne en partant du principe que la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) et les logiques du marché ne suffiraient pas à le faire. Le Green Deal n’ignorait pas pour autant les enjeux de la compétitivité, et il entendait préparer l’économie européenne à un monde où les règles du jeu évoluent rapidement, sous l’effet de multiples facteurs : changement climatique, épuisement des ressources naturelles, nouvelles attentes des consommateurs, progrès technologique, évolutions de la situation géopolitique…

 

 

En 2024, un paysage politique beaucoup plus marqué à droite

 

Les élections de 2024 n’ont pas confirmé les tendances observées en 2019. Les écologistes sont en net recul et, surtout, l’extrême-droite et une partie de la droite de gouvernement ont fait ouvertement campagne contre ces derniers. Aux côtés des immigrés, les écologistes sont désormais dénoncés par les partis les plus droitiers comme la cause de tous les maux dont souffrirait l’Europe. Pendant la campagne, les leaders nationalistes et conservateurs les ont dépeints comme des extrémistes, voulant imposer leurs valeurs "post-modernes" à l’ensemble de la société et prônant la décroissance et la désindustrialisation. Une partie de la droite de gouvernement, qui siège au sein du groupe du Parti populaire européen (PPE), les a imités en dénonçant les outrances du « wokisme » et de l’écologie « punitive ». Ce discours cache mal un clientélisme plus ou moins assumé vis-à-vis des secteurs de l’économie les plus exposés aux nouvelles normes environnementales (industrie lourde, automobile, agriculture) et à l’objectif de réduction des émissions de carbone. Le PPE, qui reste la première formation politique au Parlement européen (PE), veut tempérer les ardeurs de la Commission sur ces sujets. Pour cela, certains de ses responsables n’excluent pas de faire ponctuellement alliance avec les groupes d’extrême-droite.


Source: PE
Source: PE

 

Cette évolution se retrouve à la Commission. Mme von der Leyen a été beaucoup critiquée par sa propre famille politique, notamment en Allemagne, durant la fin de son premier mandat. L’importance accordée au Green Deal a été jugée préjudiciable à la compétitivité économique de l’Union. En 2024, le PPE a fait campagne en prenant clairement ses distances avec le Green Deal, et la Mme von der Leyen a dû tempérer son discours pour obtenir une seconde investiture de la part des 27. Au sein de la nouvelle Commission, le PPE est désormais présent en force. Avec 15 sièges sur 27, dont la présidence, il pourra imposer ses vues au Collège, qui se prononce en principe à la majorité des voix exprimées. Et, pour la première fois, la Commission comporte un membre majeur venant d’un parti eurosceptique, puisque Raffaele Fitto, issu du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, est pressenti à un poste de vice-président exécutif.



La Commission von der Leyen II (2024-2029). Source: Commission européenne
La Commission von der Leyen II (2024-2029). Source: Commission européenne

 

On note également des évolutions du côté du Conseil – où siègent les ministres des 27 – et du Conseil européen – qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement. Ces instances penchent, elles aussi, de plus en plus à droite et comportent un nombre croissant de représentants ouvertement eurosceptiques, qui ne cachent pas leur réticences vis-à-vis du Green Deal.

 

 

Peut-on revenir sur le Green Deal ?

 

Certains font valoir que les institutions européennes ne pourront pas toucher aux acquis du Green Deal, notamment à des mesures aussi emblématiques que la fin des moteurs thermiques en 2035. Rien n’est moins sûr. Jean-Louis de Lolme avait écrit, au sujet du Parlement anglais, il "peut tout faire sauf changer une femme en homme." L’observation vaut aussi pour les institutions de l’Union ; ce que les unes ont fait, les autres peuvent le défaire. C’est une question de souveraineté et de démocratie : les élus d’une génération ne sauraient être engagés par les décisions de leur prédécesseurs, tout particulièrement quand les équilibres politiques ou les circonstances ont changé. En outre, les textes européens ne sont pas gravés dans le marbre : la plupart d’entre eux prévoient des réévaluations périodiques, voire des clauses de « rendez-vous » destinées à les réviser en fonction des évolutions politiques, économiques et sociales.

 


Présentation du Pacte Vert (2019). Source: Commission européenne
Présentation du Pacte Vert (2019). Source: Commission européenne


Même du côté de la Commission, on ne se sent pas engagé par les décisions passées, comme peut l’être une administration. Cette pratique est établie depuis l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête du collège en 2014. Il avait en effet demandé aux candidats commissaires de passer en revue toutes les propositions pendantes pour décider de poursuivre ou non leur adoption, selon un principe de « discontinuité politique » (lettre à Frans Timmermans, 10 septembre 2014). En somme, la Commission Juncker ne s’estimait pas tenue par les propositions de la Commission Barroso II, car son orientation politique n’était plus la même. Cela impliquait, en creux, la possibilité de revenir sur certaines décisions. Le nouveau PE et la nouvelle Commission sont donc parfaitement en droit de rétropédaler sur les ambitions climatiques affichées en 2019.

 

Certains responsables politiques se montrent aussi particulièrement virulents à l’égard du Green Deal. Le 18 septembre 2024, la Présidente du Conseil italienne Giorgia Meloni a dénoncé son caractère idéologique et mis en garde contre le risque de désindustrialisation qu’il engendre. A l’appui de son propos, elle a cité le rapport sur la compétitivité européenne récemment remis à la Commission par Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne. Mme Meloni est d’avis que les objectifs ambitieux du Green Deal ne sont atteignables qu’avec des investissements européens massifs – sauf à nuire à la compétitivité et à la croissance. A défaut, elle entend qu’il soit remis en cause.

 

Ce tournant ne date pas des élections. Dès 2023, il était manifeste que le désir de la Commission, d’une partie des députés européens et d’un nombre croissant d’Etats membres de mener à bien le Green Deal commençait à s’éroder, en raison des coûts engendrés par les mesures déjà adoptées pour l’industrie, les agriculteurs et les consommateurs. Ce recul est mesurable, et le rapport de suivi de l’Agence européenne pour l’environnement (décembre 2023) se montre très dubitatif quant à la capacité de l’Union à tenir ses objectifs climatiques.

 

Le rapport Draghi est un nouvel obstacle potentiel à la poursuite du Green Deal. Il ne porte pas directement sur le sujet, mais interroge sur sa place dans la stratégie de l’Union. Les réactions des parlementaires européens au rapport montrent qu’une évolution se dessine. Ainsi, les députés libéraux (groupe Renew) et démocrate-chrétiens (PPE) se sont bruyamment réjouis du retour de la notion de « compétitivité » pour orienter l’action globale de l’Union. Du côté des socialistes (S&D) et des écologistes (Verts-ALE), on déplore que le rapport n’évoque pas les aspects non-économiques du Green Deal. Il se focalise en effet sur la décarbonation, qui doit guider les transformations de l’économie européenne, et fait abstraction des autres enjeux : biodiversité, santé humaine, protection des milieux naturels… Dans une logique libérale, Mario Draghi est aussi très critique à l’endroit du trop grand nombre de normes européennes et plaide pour une stratégie de dérégulation.

 

 

Le Green Deal menacé ?

 

Malgré les multiples évolutions qui affectent le microcosme européen, le Green Deal figure toujours parmi les priorités politiques de Mme von der Leyen pour les cinq années à venir. Il convient aussi de nuancer l’impact des changements politiques récents. Au PE, l’extrême-droite a progressé, mais moins que prévu ; la nouvelle assemblée ne compte pas moins de 3 groupes politiques à la droite du PPE, qui semblent peu capables ou désireux de définir une stratégie commune. De fait, les forces politiques qui dominent le PE sont toujours les mêmes : démocrates-chrétiens, socialistes et libéraux. Du côté de la Commission, la Présidente rempile, et aura sans doute à cœur de ne pas se déjuger. Enfin, au Conseil européen, un consensus existe pour considérer que le dérèglement climatique est un fait et la décarbonation de l’économie une priorité. Dans le secteur de l'énergie, des progrès substantiels ont été réalisés, avec un soutien unanime des Etats membres, et nul ne les conteste. Vladimir Poutine, en envahissant l’Ukraine, y a largement contribué, permettant à l’Union de définir une position claire sur la question du gaz russe qui divisait les Etats membres.


Mais d’autres sujets sont plus controversés. Il en va ainsi du bannissement des pesticides – dont il n’est plus question. De même, le texte sur la restauration de la nature fait toujours l’objet de vives discussions. Il est aussi probable que certains Etats membres traînent les pieds pour mettre en œuvre les mesures sur le terrain. Enfin, la question budgétaire demeure centrale : l’Union ne pourra tenir ses objectifs climatiques que si le futur Cadre financier pluriannuel (CFP), qui déterminera les grandes orientation budgétaires pour la période 2027-2033, donne davantage de place au Green Deal. La Commission von der Leyen 2 n’est pas encore en fonction, mais déjà on évoque des reculs ponctuels du Green Deal.

 

C’est le cas du règlement qui vise à limiter la déforestation en dehors de l’Union. Adopté en décembre 2022, il oblige les fournisseurs de certains produits (huile de palme, bois, café, bœuf…) à prouver que leur production n’entraîne pas de déboisement ni de perte d’accès. L’Allemagne, qui avait soutenu initialement le texte, a fait machine arrière, au nom de la nécessité pour les entreprises de s’adapter. D’autres Etats membres ont demandé des modification plus substantielles. Les députés du PPE ont fait valoir que les secteurs concernés n’avaient pas eu le temps d’anticiper ce changement de cadre législatif, et que la Commission avait trop tardé à publier les textes d’application pour qu’une entrée en vigueur soit possible en décembre 2024. Sous la pression, la Commission a reporté sa mise en œuvre. La décision a été très critiquée par les mouvements écologistes et les députés Verts, qui estiment que le retard pris par la Commission et les entreprises était un acte de sabotage du texte.

 

Il existe aussi une forte mobilisation pour remettre en cause ou repousser l’interdiction des moteurs thermiques en 2035. Les industriels de l’automobile sont particulièrement inquiets de la concurrence des véhicules électriques chinois, et sont soutenus par le PPE. La perspective de l’arrivée au pouvoir de la CDU (PPE) en Allemagne l’an prochain laisse penser que le Conseil européen remettra la question à l’agenda. Pour l’heure, la Commission essaie de limiter les effets de la concurrence chinoise, dopée par des subventions publiques massives, en introduisant une taxe à l’importation de ses véhicules électriques. Mais, là encore, les Etats membres sont divisés, certains craignant des mesures de rétorsion des autorités chinoises. En tout cas, le débat est rouvert, et certains industriels européens réinvestissent massivement dans la conception de moteurs thermiques, en faisant le pari que l’interdiction sera remise en question.

 

 

Quelle place pour le Green Deal dans la nouvelle Commission ?

 

Le Green Deal ne disparaît pas des priorités de Mme von der Leyen, mais il n’est plus au sommet de son agenda. Ainsi, le programme qu’elle a présenté avant son audition par le PE au mois de juillet ne donnait pas la même importance aux questions environnementales et climatiques qu’en 2019. Et les priorités annoncées par la Présidente aux candidats commissaires font la part belle à la compétitivité et à la politique industrielle. L’articulation entre les responsabilités des différents commissaires en charge du Green Deal est confuse, et on ne saisit pas la place donnée à la protection de la nature – en marge des réflexions sur l’économie et la limitation de l’impact du dérèglement climatique sur les activités humaines.

 

Pour Ursula von der Leyen, c’est la quadrature du cercle : sauver le Green Deal pour garder la confiance des écologistes et des socialistes, tout en ménageant le PPE et les Etats membres les plus soucieux de la compétitivité de l’Union. Pour cela, elle entend lier les questions environnementales, sociales et économiques. Ainsi, la Première vice-présidente exécutive, Teresa Ribera (Espagne), a le portefeuille de « la Transition propre, juste et compétitive » et celui de la concurrence. Elle supervisera notamment le travail du commissaire Wopke Hoekstra (Pays-Bas) en charge du « climat, de la neutralité carbone et de la croissance propre ». L’idée, qui rejoint les réflexions de M. Draghi, est que l’industrialisation n’est pas incompatible avec la protection du climat et de la nature. La rhétorique de la « croissance verte » n’est pas nouvelle à Bruxelles, mais elle devra tôt ou tard être confrontée à la réalité et des arbitrages difficiles devront être opérés. Compte tenu des équilibres politiques actuels, la protection de l’environnement ne sera sans doute pas prioritaire.


Olivier Costa

Dernière mise à jour : 29 sept.


Aujourd’hui, lundi 30 septembre 2024, le procès du RN a débuté devant le tribunal correctionnel de Paris. Vingt-quatre personnes (Jean-Marie et Marine Le Pen, 11 députés européens du parti, 12 assistants parlementaires et 3 responsables de la formation) sont poursuivies pour divers chefs d’inculpation, dont « détournement de fonds publics ». Il leur est reproché d’avoir, entre 2004 et 2016, salarié des agents du parti avec les fonds destinés à rémunérer les assistants de députés européens. Le préjudice se monte à 6,8 millions d’Euros. La pratique aurait été systématisée dans les années 2000, pour aider le RN à faire face à des difficultés financières. Marine Le Pen, la présidente du parti à l’époque des faits, risque 10 ans d’emprisonnement, 150.000 euros d’amende et entre 5 et 10 ans d’inéligibilité. Ce procès, loin d’être anecdotique, révèle la relation très paradoxale que l’extrême-droite française entretient avec le PE. Il pourrait aussi bouleverser la vie politique française en empêchant Marine Le Pen de se présenter aux prochaines élections présidentielles.

 

 

Le rapport ambigu du RN avec le Parlement européen

 

Le FN, et son successeur le RN, ont toujours entretenu un rapport paradoxal avec le Parlement européen (PE). Jusqu’au Brexit, le parti d’extrême-droite français a milité pour une sortie de l’Union et a dénié toute légitimité à ses institutions – et notamment à son parlement. Cependant, les élections européennes, en raison du recours à la représentation proportionnelle, ont longtemps été un scrutin très prisé du RN. Ainsi, depuis le début des années 1980, tous les cadres du parti, à commencer par Jean-Marie et Marine Le Pen, ont longuement siégé au PE, faute de pouvoir le faire à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ou de parvenir à conquérir des collectivités locales de premier ordre. Les choses ont changé avec le succès du RN aux législatives de 2017 et 2022, mais le PE reste une sinécure pour les cadres et les obligés du RN.

 

Ils ne se sont pas contentés d’émarger pendant des décennies au PE en y déployant une activité des plus modestes, et en consacrant l’essentiel de leur temps à des enjeux de politique nationale ou locale. Ils voyaient dans l’assemblée européenne la pourvoyeuse d’une indemnité confortable, de moyens de travail importants, d’une tribune médiatique et d’une immunité parlementaire appréciable. Avec la croissance des ressources allouées aux députés européens dans les années 2000 et les difficultés financières du RN, plombé par les dettes, le PE est apparu comme un bailleur de main d’œuvre gratuite. Certes, l’emploi de collaborateurs parlementaires à des tâches non spécifiquement liées au mandat n’est pas nouvelle ; les députés, européens ou nationaux, ont toujours su tirer profit d’un certain flou juridique et de l’incapacité des institutions à contrôler la nature précise des activités des assistants. Mais, à partir de 2004, le RN a mis le PE en coupe réglée en créant un système consistant à faire salarier massivement par celui-ci des agents et cadres du parti, ou des assistants personnels de ses responsables.

 

 

Le précédent de François Bayrou

 

Les responsables du RN ne sont pas les seuls à avoir eu pareille idée. Ils ont ainsi suivi très attentivement les démêlés du MoDem avec le PE. Ce parti, ses responsables et ses élus ont eux aussi été mis en cause pour avoir employé des assistants parlementaires européens à des tâches strictement politiques, sans lien avec les activités du PE. Ce précédent sera, sans doute, un argument de la défense. Elle soulignera l’impunité dont François Bayrou aurait bénéficié et la différence de traitement dont le RN fait l’objet. Il convient toutefois de relativiser ce narratif à trois endroits.


D’abord, les faits reprochés au MoDem sont d’une moindre gravité, qu’il s’agisse des sommes concernées (moins de 300.000 Euros) ou du degré d’organisation des détournements. Ensuite, François Bayrou, le Président du Modem, a été relaxé au bénéfice du doute, car les juges n’ont pas pu établir qu’il était le chef d’orchestre de ces pratiques, ni même qu’il en avait connaissance ; le parquet a toutefois fait appel du jugement. En troisième lieu, il faut rappeler que huit cadres du MoDem ont été condamnés ; Michel Mercier, son trésorier, a ainsi écopé de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 20.000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité avec sursis. L’UDF et le MoDem ont également été condamnés à 150.000 et 350.000 euros d’amende. Il n’y a donc pas eu d’impunité.

 

 

Un statut qui précise les activités des assistants parlementaires

 

Dès l’ouverture du procès ce matin, Mme Le Pen et ses conseils ont fait valoir que le RN n’avait rien fait d’illégal, et que les députés européens étaient libres d’organiser le travail de leurs assistants comme ils l’entendaient, au nom, sans doute, du mandat qu’ils tirent de leur élection. C’est oublier que le PE a depuis longtemps fixé des règles précises quant aux missions des assistants. Dès 2004, il était formellement exclu qu’ils travaillent pour le bénéfice des groupes politiques du PE ou des partis politiques nationaux. Le règlement adopté en 2009 pour clarifier le statut des députés européens et de leurs collaborateurs va plus loin. Il précise que « seuls doivent être pris en charge les frais correspondants à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat de parlementaire des députés », et proscrit la rémunération des agents des partis.

 


Le Parlement européen, à Strasbourg. Crédits: PE
Le Parlement européen, à Strasbourg. Crédits: PE


Les députés européens disposent aujourd’hui d’une enveloppe mensuelle de près de 30.000 Euros pour recruter une équipe de collaborateurs, chargés de les aider dans l’exercice de leur mandat. Il en existe deux types. Les assistants « accrédités », qui travaillent dans les locaux du PE, ont un statut proche de celui des fonctionnaires européens. Ils sont directement payés par l’assemblée, selon un barème précis, et doivent obligatoirement résider près de l’un des trois lieux de travail du PE – Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. Les assistants « locaux », qui aident ou représentent le député sur le terrain, ont un statut moins normé. Leur contrat de travail est régi par les règles propres à chaque pays, et ils sont payés par un mandataire financier – et non par le PE. Mais, comme les « accrédités », le rôle des « locaux » est d’aider le député à exercer son mandat, et non pas d’être au service d’un parti ou des cadres de celui-ci.

 

 

Une attitude offensive de Marine Le Pen, qui pourrait se retourner contre elle

 

La ligne de défense de Marine Le Pen est périlleuse. Faute de pouvoir nier la matérialité des faits qui sont reprochés à son parti, compte tenu des éléments dont dispose la justice au terme de 10 ans d’enquête et des révélations de plusieurs transfuges du RN, elle monte au créneau. Elle était présente lors de l’ouverture du procès et a donné une conférence de presse pour expliquer que rien ne pouvait être reproché à son parti. Elle assume avoir fait travailler des personnes salariées par le PE pour les besoins du RN et de ses cadres, mais conteste que cela soit illégal. Elle sous-entend aussi que la procédure est un règlement de comptes politique nourri par la haine des hiérarques du PE et des juges pour le RN.

 

Mme Le Pen argue qu’il s’agit d’un double malentendu. Le procès serait, d’abord, le résultat d’une divergence de vues entre le monde judiciaire et le monde politique, le premier ne comprenant pas les fonctions des assistants parlementaires, et refusant de faire droit à la complexité des missions d’un élu. C’est, en somme, le discours qu’avait tenu – sans succès – Pénélope Fillon pour justifier son absence de travail tangible en tant que collaboratrice parlementaire de son époux : il appartiendrait à chaque élu de décider, sans rendre de comptes à personne, de la manière dont il organise son travail et celui de ses collaborateurs. Le second malentendu opposerait les responsables du PE, supposés pétris d’une culture « allemande », qui considère les assistants comme des agents du Parlement, et les élus du RN, nourris d’une culture « française », où les assistants auraient la charge d’un travail proprement politique. Mais, comme on l’a indiqué, les textes du PE sont clairs et étaient connus des élus du RN. Et les décisions de la justice sur le cas de Mme Fillon feront jurisprudence : préparer à diner à un député, assurer sa sécurité, faire la comptabilité de son parti ou s’occuper à tout autre chose encore ne fait pas partie des missions que la collectivité a prévu de financer pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie.

 

 

Une peine d’inéligibilité pour la candidate du RN ?  

 

Certains commentateurs font valoir que le MoDem s’en est tiré sans trop de dégâts. Mais ils oublient que les faits reprochés au RN sont d’une toute autre ampleur (près de 7 millions d’Euros contre moins de 300.000 Euros), et que plusieurs témoins et documents désignent Mme Le Pen comme la grande ordonnatrice du détournement. Elle ne peut, comme M. Bayrou, prétendre n’avoir été au courant de rien. Rappelons aussi que Mme Le Pen a déjà remboursé 300.000 Euros au PE, correspondant aux salaires de son assistante accréditée – qui devait théoriquement résider près d'un des lieux de travail du PE, mais s’occupait en fait des affaires du parti et de sa présidente à Paris.

 

Le pire scénario pour Mme Le Pen serait une condamnation à une peine d’inéligibilité, qui l’empêcherait de se présenter aux présidentielles de 2027 – ou à des présidentielles anticipées, en cas de démission d'Emmanuel Macron. Elle ferait évidemment appel, puis irait en cassation, mais la cour pourrait décider que le recours n’est pas suspensif. Le verdict final pourrait aussi intervenir avant le scrutin. Certes, les juges se montrent toujours prudents quand il s’agit d’interférer avec la vie politique, au nom de la séparation des pouvoirs. Il n’est, en effet, pas anodin de priver la représentante du premier parti de France d’une candidature aux présidentielles. Mais une peine d’inéligibilité reste dans l’ordre du possible, notamment si Mme Le Pen revendique trop crânement le droit de faire abstraction des règles qui régissent l’emploi de l’argent public.

 

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Même si elle échappait à l’inéligibilité, ou si elle obtenait du sursis en la matière, une condamnation écornerait son image. Elle ne perturberait sans doute pas les électeurs historiques du parti : tout comme les fervents supporteurs de Donald Trump, qui resserrent les rangs à chaque nouvelle mise en cause de leur leader, ils interprèteraient une sanction de Mme Le Pen comme la preuve que le « système » veut la faire taire. A cet égard, son implication personnelle dans le procès sera payante. En revanche, une condamnation serait moins du goût des électeurs les plus récemment acquis à la candidate du RN, notamment de ceux qui ont été séduits par son discours sécuritaire et ses appels à l’intransigeance de la justice. Une mise en cause personnelle la priverait d’un des registres favoris de l’extrême-droite, celui du "tous pourris" et de la dénonciation des turpitudes du "système". Quand on monte au mât de cocagne, il faut avoir les braies propres.


Olivier Costa


Post repris (remanié et actualisé) par la revue en ligne La Grande Conversation (5 novembre 2024)

Dernière mise à jour : 29 sept.


Samedi soir, 21 septembre 2024, les citoyens français ont découvert la composition du gouvernement Barnier – onze semaines après les résultats du second tour des législatives qui avaient ouvert une crise politique sans précédent sous la V° République. L’annonce, qui devait soulager tous ceux qui doutaient de la possibilité d’un accord, n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme. Le gouvernement Barnier souffre en effet d’un triple handicap : il réunit des perdants, il traduit les tensions entre le Président et le Premier ministre, et il fait la part belle aux seconds couteaux.

 

 

1.     Un gouvernement dominé par les perdants des législatives

 

J’ai longuement expliqué dans les colonnes de ce blog pourquoi le Nouveau Front Populaire (NFP) ne pouvait pas prétendre gouverner sans prouver sa capacité à réunir une majorité, ou du moins, à ne pas être immédiatement censuré par l’Assemblée nationale. Dans aucun régime démocratique au monde le fait pour un parti ou une coalition d’être arrivé premier à une élection législative ne l’autorise à gouverner s'il ne dispose pas d’une majorité absolue. Cela lui donne simplement une priorité dans la négociation d’une coalition destinée à trouver une telle majorité. Si cette force politique n’y parvient pas, il appartient à une autre d’essayer. C’est ce qui s’est, par exemple, passé en Espagne l’an passé, où la droite, arrivée en tête aux élections législatives, a échoué à former une coalition ; la tâche a donc été confiée aux socialistes, qui sont au gouvernement aujourd'hui.

 

Le NFP est arrivé, en tant que coalition, premier des élections législatives, mais il n’a pas prouvé sa capacité à trouver une majorité ou, du moins, à pouvoir échapper à une censure rapide. En effet, l'Assemblée nationale est aujourd'hui découpée en trois tiers: un pour la gauche, un pour le centre-droit et la droite de gouvernement, et un pour l'extrême-droite. Un bloc ne peut gouverner que si un autre s'engage à ne pas le censurer immédiatement.


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Certes, Emmanuel Macron aurait dû charger officiellement Lucie Castets de la mission de composer un gouvernement : cela lui aurait donné plus de poids dans ses négociations avec les autres forces politiques et aurait clarifié la situation politique. Cela étant, dans la mesure où tous les autres partis, de Renaissance au RN, avaient annoncé qu’ils refuseraient de soutenir un gouvernement impliquant des ministres LFI ou prétendant appliquer le programme du NFP, c’était perdu d'avance. Il aurait fallu pour cela que Mme Castets rompe avec M. Mélenchon, ce à quoi elle s’est refusée. La gauche n’étant pas en situation de gouverner, Emmanuel Macron a testé diverses hypothèses, et a fini par arrêter son choix sur Michel Barnier. S’il semblait également impossible à celui-ci de trouver une majorité active, il paraissait pouvoir échapper à la censure, fort du soutien des partis de droite, du centre et de Renaissance, et de la décision des leaders du RN de ne pas se joindre à la motion de censure que le NFP promettait de déposer immédiatement.


Assez tôt, il est apparu que Michel Barnier ne parviendrait pas à trouver des ministres à gauche, le NFP ayant menacé ceux qui se laisseraient tenter. Il n’a sans doute pas déployé une énergie excessive à cette tâche, sachant que l’inclusion dans son gouvernement de quelques personnalités venues de la gauche ne changerait rien à l'hostilité du NFP. C’était aussi le plus sûr moyen de créer des tensions avec Les Républicains (LR), voire de s’aliéner le RN. La présence de la gauche se limite donc à Didier Migaud, Garde des sceaux ; toutefois, il s’était retiré de la vie politique depuis 2010 pour présider la Cour des comptes puis la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


A l’arrivée, le gouvernement est presque exclusivement composé de membres issus du camp présidentiel et de LR – qui ont pourtant tous deux connu une sérieuse déconvenue aux législatives. Le groupe « Ensemble ! » compte en effet 96 députés (en recul de 82) et le groupe « Droite républicaine » 47 (en recul de 9) ; même avec « Les Démocrates » (36 députés), « Horizons » (33) et « LIOT » (22) – qui a toujours pris ses distances avec Michel Barnier – le gouvernement peut, au mieux, compter sur 234 voix, très loin de la majorité absolue (289). L'équipe reflète ces soutiens : elle compte 12 membres Renaissance, 10 Les Républicains, 4 divers droite, 3 Modem, 2 Horizons, 2 UDI, 2 LIOT, 1 Parti radical, 1 divers gauche et 2 sans étiquette. Le gouvernement penche donc clairement à droite, avec quelques membres au profil très conservateur – tels que Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur ou Laurence Garnier au secrétariat d’État à la consommation. On remarque aussi que sept ministres sortants, et non des moindres (Rachida Dati à la Culture, Sébastien Lecornu aux Armées), sont reconduits, comme si le gouvernement Attal n’avait pas été désavoué par les électeurs. Il n’y a donc ni alternance, ni cohabitation.


La composition politique du gouvernement Barnier. Source: AFP
La composition politique du gouvernement Barnier. Source: AFP

 

2.     Un gouvernement qui révèle les tensions entre MM. Barnier et Macron

 

Dans un « vrai » régime parlementaire, un Président dont le parti aurait été doublement désavoué (européennes et législatives) aurait confié la tâche à M. Barnier de former un gouvernement et se serait abstenu d’interférer dans le processus pour se placer au-dessus de la mêlée. Il aurait simplement veillé à ce que le gouvernement puisse durer un peu – on ne nomme pas une équipe promise à une censure immédiate – et, éventuellement, aurait demandé discrètement le retrait de tel ou tel nom, s’il estimait leur nomination contraire aux intérêts ou aux valeurs du pays. En France, compte tenu de la tradition du « domaine réservé », il était aussi logique que le Président valide le choix des ministres des affaires étrangères, des affaires européennes et de la défense – comme ce fut le cas lors des trois cohabitations de 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002.


Une telle attitude de retrait aurait été d’autant plus logique que M. Macron est à l’origine de la pagaille actuelle : c’est largement lui qui a été désavoué à travers le piteux score de la liste Renaissance aux élections européennes ; il a décidé de dissoudre sans consulter qui que ce soit et sans écouter les mises en garde ; les mauvais résultats des candidats « Ensemble ! » aux législatives lui sont aussi largement imputables. Et pourtant, M. Macron se comporte comme un chien qui, ayant consciencieusement démoli un canapé pour tromper son ennui, prend un air étonné à l’arrivée de son maître, et se propose d'aller pourchasser le vandale.

 

En effet, depuis le résultat des élections européennes, Emmanuel Macron se pose en sauveur de la République : en prononçant la dissolution ; en se mêlant de la campagne pour les législatives ; en décidant unilatéralement que ni Mme Castets ni M. Cazeneuve ne trouverait de majorité ; en choisissant Michel Barnier ; et en s'immisçant dans les difficiles négociations entre celui-ci, Renaissance et les Républicains.

 

Le Président aurait pu prendre acte de son impopularité. Se mettre au vert, ne plus s'adresser au pays pendant tout l'été, et laisser M. Barnier négocier. Il aurait pu, aussi, appeler de ses vœux un changement de mode de scrutin aux élections législatives avant le prochain scrutin, de façon à tirer le PS, les Verts et le PC des griffes de M. Mélenchon, ou les amis de M. Ciotti de celles du RN. Le mode de scrutin proportionnel permet en effet à chaque parti de concourir seul aux élections législatives – comme c'était le cas aux dernières européennes, où toutes les composantes du NFP ont présenté leur propre liste. Dans cette configuration, les négociations en vue de la composition d'un gouvernement s’ouvrent une fois les résultats des législatives connus, en fonction des scores de chacun, dans le but de trouver une majorité et de définir un programme de coalition.


Avec le mode de scrutin actuel, LFI peut faire survivre artificiellement le NFP en menaçant ses partenaires de présenter des candidats contre les leurs lors des prochaines législatives, ce qui réduirait considérablement leur chance de succès. L’unité reste donc la norme, afin de satisfaire les intérêts électoraux de chacun et les ambitions de M. Mélenchon – qui entend être le seul candidat de gauche aux prochaines présidentielles. Mais elle interdit aux autres composantes du NFP de dialoguer avec les forces politiques situées plus à droite qu’elles. Avec la perspective d’un passage à la proportionnelle, le PS et les Verts auraient pu dialoguer avec Renaissance, le Modem et l’UDI pour envisager une coalition au centre – comme cela se fait dans la plupart des démocraties européennes. Mais ni M. Macron, ni M. Barnier n’a proposé cette réforme, qui aurait déverrouillé la situation.


A l’arrivée, le gouvernement reflète avant tout la bataille d’influence entre le Premier ministre et le Président. Le premier estime être en « cohabitation », ce qui suppose une totale liberté d’action, tandis que le second évoque une « coexistence exigeante », qui préserve son influence. Le Premier ministre, loin d'avoir pu construire un gouvernement d’union, en piochant dans les différentes familles politiques et dans la société civile, a été soumis à un double tir de barrage de la part des Républicains – dont tous les cadres se voyaient ministre et qui exigeaient les postes régaliens pour leur parti – et de Renaissance – dont les responsables entendaient que certains ministres soient reconduits et menaçaient de quitter le navire si des « lignes étaient franchies ». Le gouvernement présente donc un équilibre entre les partis des deux leaders de l'exécutif. Le principe du « domaine réservé » du Président a été respecté, puisque tous les ministres concernés sont des proches d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre s’est alloué quant à lui un droit de regard sur des ministères-clés – budget, Outre-Mer, Europe.

 

Contrairement à ce qui prévaut dans les régimes parlementaires, le gouvernement Barnier n’est pas assis sur un pacte de coalition : il n’y a pas de programme législatif ou même d’accord sur des objectifs et valeurs. Il y a juste de vagues engagements et un rapport de force entre LR et Renaissance, via MM. Barnier et Macron. Il est donc clair qu’il n’y a pas eu d’alternance, malgré la déroute de Renaissance et de LR aux législatives, mais juste un profond remaniement et l’entrée en masse des Républicains au gouvernement – perspective qu’ils avaient refusée depuis 2022.

 

 

3.     Un gouvernement de poids légers

 

Un troisième trait remarquable du gouvernement Barnier est l’absence de poids lourds et de figures centrales de la vie politique française. Tous les candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle (prévue en 2027 ou avant, en cas de démission d’Emmanuel Macron) ont été écartés : Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Edouard Philippe, François Bayrou, Ségolène Royal, Bernard Cazeneuve… On note aussi qu’aucun chef de parti n’est ministre.

 

Le but était, sans doute, de limiter les tensions partisanes au sein du gouvernement et d’éviter que certains ministres ne se désolidarisent de M. Barnier à l’approche des élections présidentielles. De fait, ce gouvernement pléthorique (39 membres) est composé d’un grand nombre d’inconnus. On note aussi beaucoup de ministres particulièrement jeunes, le pompon allant à Antoine Armand, le ministre des Finances, qui n'est âgé que de 33 ans. Certes, aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, mais pour exercer des fonctions de premier plan, avoir un peu d’expérience et d’autorité ne saurait nuire... Il y a aussi des nominations étonnantes, comme celle d"Anne Genetet au ministère de l’Éducation nationale ; elle présente en effet un profil rigoureusement étranger à l'enseignement et n'a, en tant qu’élue, jamais évoqué la question. Evidemment, il n’est pas nécessaire d’être agriculteur ou ingénieur agronome pour devenir ministre de l’Agriculture, mais on peut néanmoins espérer un peu d’intérêt du responsable pour le sujet.


 

Quel destin pour le gouvernement Barnier ?

 

Les réactions à la composition du gouvernement Barnier ont été sévères. Il a été jugé inacceptable par la gauche, en raison d’un évident manque d’ouverture politique, de la présence de quelques ministres très conservateurs, et de la domination des vaincus des législatives. Le gouvernement n’a pas non plus séduit les organisations de la société civile – syndicats, monde associatif, ONG... –, car les ministres ont presque tous un profil politique. Il n’a pas davantage rassuré les experts et les éditorialistes, nombre de ministres n’ayant pas d’expérience probante. Enfin, il n’est pas certain qu’il bénéficie longtemps du soutien passif du RN, compte tenu des positions très critiques prises par ses leaders. Il est fort probable que le NFP déposera une motion de censure à chaque fois que cela sera possible : le RN pourra s’y joindre à n’importe quel moment, et exercer ainsi une pression constante sur le gouvernement, notamment sur ses sujets de prédilection – immigration et sécurité.

 


The fall of Icarus, Jacob Peter Gowy, 1636
The fall of Icarus, Jacob Peter Gowy, 1636

On peut toutefois penser que le gouvernement Barnier ne tombera pas immédiatement, en raison de la stratégie électorale de Marine Le Pen. Celle-ci n’a aucun intérêt à gouverner, et se trouve bien mieux dans l’opposition, où elle se contente – comme elle le fait depuis le début de sa quête présidentielle – de critiquer l’action du gouvernement et du Président sans rien proposer. Un soutien passif lui permet aussi de cultiver sa stature de femme d’État, soucieuse des intérêts du pays, par contraste avec l’attitude destructrice d’un Jean-Luc Mélenchon, qui fera déposer par ses ouailles autant de motions de censure qu'il sera possible de le faire. C’est, pour la candidate du RN, la meilleure stratégie en vue des prochaines élections présidentielles.


Du côté des partis impliqués dans le gouvernement, la gravité de la situation politique, économique, sociale et financière du pays les poussera sans doute à faire preuve de raison – aucun n’ayant intérêt à ce qu'il sombre dans le chaos et perde la confiance des marchés et de ses partenaires. L’insuccès des manifestations organisées par le NFP juste avant la présentation du gouvernement Barnier samedi dernier laisse penser qu’un sentiment similaire règne désormais dans la population. En somme, personne ne se réjouit de la composition du gouvernement, personne ne se fait d'illusion sur sa capacité à répondre aux attentes des citoyens, mais chacun comprend que sa chute n’ouvrirait aucune perspective enthousiasmante.

 

Olivier Costa

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