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Jordan Bardella, qui se voyait déjà à Matignon, fort de s’être façonné une image de gendre idéal, devra patienter encore un peu. Pour se consoler, au soir même du second tour des législatives, il a été élu président du nouveau groupe des « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen. Cette formation, qui est désormais la troisième de l’assemblée par les effectifs, rassemble tout ce qu’on y trouve d’élus radicalement d’extrême-droite – avec bon nombre de fascistes, racistes et homophobes – et affiche une volonté décomplexée de servir les intérêts de Vladimir Poutine.



La stratégie du gendre idéal

 

Les élections européennes ont été un succès sans précédent pour le RN, qui a obtenu 30 des 81 sièges dévolus à la France. Les élus du RN constituent désormais la première délégation nationale du Parlement européen (PE), devant la CDU allemande (29 députés). Ce succès est à mettre au crédit de Jordan Bardella, la tête de liste. Il vient récompenser une habile stratégie de « normalisation » du parti : normalisation de son discours, qui ne comporte plus les outrances racistes ou antisémites de l’époque de Jean-Marie Le Pen, et normalisation de ses candidats, dont Jordan Bardella est la meilleure illustration – allure soignée, ton posé, bonnes manières.

 

Fort de ce succès, Jordan Bardella a également conduit la campagne pour les législatives. Ce scrutin a été à la fois un échec et un succès pour le RN. Le parti n’obtient que 143 sièges (en ce compris les LR ralliés), alors qu’il en envisageait plus du double au soir du premier tour, et ne constitue que le troisième groupe à l’Assemblée nationale ; la perspective de voir Jordan Bardella entrer à Matignon s’est envolée. Néanmoins, le RN recueille 32% des suffrages exprimés, très loin devant le Nouveau Front Populaire et Renaissance, et confirme qu’il est, de loin, le premier parti de France.

 

Bardella n’a pas crevé le plafond de verre


Le bilan contrasté des législatives pour le RN est largement à mettre au crédit et au débit de Jordan Bardella. A son crédit, il y a la stratégie de banalisation, le profil policé, la capacité – relative – à participer à des interviews et à des débats, à force de « media training » et de sourires appris. A son débit, il y a un manque évident de compétence sur les dossiers et un défaut de crédibilité ; Bardella, qui n’a que 28 ans, le bac pour seul diplôme et aucune expérience professionnelle, n’a pas la carrure pour devenir Premier ministre et pas la capacité à répondre aux questions des journalistes s'il n'a pas des fiches ou une oreillette. Au débit de Bardella, il faut aussi mettre la sélection chaotique des candidats du RN aux législatives : au fil de la campagne, de nombreux représentants du parti se sont révélés embarrassants par leur absence totale de connaissances, leurs déclarations racistes, homophobes ou antisémites, leur casier judiciaire, ou encore leur comportement loufoque.

 

En raison du manque de sérieux de son Président et de ses candidats, le RN s’est heurté à un plafond de verre au second tour des législatives : les électeurs des autres partis ont largement joué le jeu du « barrage républicain » et reporté leurs voix sur les candidats non-RN les mieux placés. Il reste que Jordan Bardella a fait évoluer l’image du parti, avec son air convenable, ses propos maîtrisés et son art de ne jamais se prononcer sur autre chose que l’immigration. Le RN apparaît désormais comme un recours pour nombre de citoyens, puisqu’il recueille avec régularité un tiers des suffrages. Forte de cette assise électorale, Marine Le Pen attend patiemment son heure pour entrer à l’Élysée.

 


Bardella, Président du groupe pro-Poutine au Parlement européen


Le 8 juillet, le soir même du second tour, Jordan Bardella a montré un tout autre visage, en se faisant élire – alors qu'il était retenu à Paris pour une fête qui n'a pas eu lieu – Président du groupe des « Patriotes pour l'Europe » au PE.


Cette nouvelle formation a été créée fin juin à l’initiative de Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, dont les élus du parti Fidesz siégeaient au PE chez les non-inscrits depuis leur départ du groupe démocrate-chrétien (PPE). Il s’est allié pour cela aux responsables du FPÖ autrichien et du ANO tchèque. Ce trio a été rejoint par tout ce que l’Union compte de partis radicaux : le PVV (Pays-Bas), Chega (Portugal), Vox (Espagne), le Parti populaire (Danemark), le Vlaams Belang (Belgique) et la Lega (Italie). Le RN a aussi rallié les rangs de ce nouveau groupe, qui reprend l’essentiel des délégations de la formation « Identité et démocratie » (ID) que Marine Le Pen avait créé en 2019, et qui disparaît de fait. Dans l’opération, le parti français a été privé de son leadership, faute de s’être investi suffisamment tôt dans les discussions : Mme Le Pen ne siège en effet plus au PE, tandis que Jordan Bardella était accaparé par la campagne des législatives et la perspective de devenir Premier ministre. Son élection comme Président du groupe vient prendre acte de l’importance numérique de la délégation du RN.

 

Avec 84 députés de 13 nationalités, le groupe des Patriotes est désormais la troisième force au PE, après les démocrates-chrétiens (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D), et devant le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) et les libéraux de Renew. C’est un succès sans précédent pour l’extrême-droite, qui traduit son irrésistible montée en puissance, élection après élection.


Source: Parlement européen



Un groupe ouvertement pro-russe

 

Le groupe des Patriotes résulte des efforts de Vladimir Poutine pour peser davantage sur le fonctionnement du PE ; un des engagements fondamentaux de la nouvelle formation est en effet l’arrêt du soutien militaire à l’Ukraine. Lors de la conférence de presse de lancement du groupe, la question de la visite de M. Orban à M. Poutine a été longuement évoquée. En effet, M. Orban, dont le pays exerce depuis le 1er juillet la présidence tournante du Conseil, multiplie les provocations pro-russes. Dans les institutions européennes et les chancelleries, on espérait que la Hongrie se contente d’assurer un service minimum, en laissant à quelques bureaucrates hongrois chevronnés et au Secrétariat général du Conseil le soin d’organiser la présidence. Mais sitôt en poste, le 5 juillet, M. Orban est allé présenter ses hommages à Vladimir Poutine et lui « parler de paix », en contradiction avec la ligne politique de l’Union européenne. Pire, les médias russes et chinois ont affirmé qu’il s'exprimait au nom du Conseil, alors qu’il ne disposait d’aucun mandat pour ce faire.

 

L’échec de la dédiabolisation ?

 

Mme Le Pen envisageait depuis longtemps de recentrer son groupe au PE, comme elle l’avait fait pour son parti en France. Les différents groupes d’extrême-droite, qui ont accueilli les députés FN puis RN, ont en effet subi une politique constante de « cordon sanitaire » de la part des autres formations, qui ont toujours refusé de collaborer en quelque manière avec eux. L’ambition de Mme Le Pen était de mettre un terme à cette situation, en nouant des alliances avec d’autres groupes, notamment ECR, voire en créant un groupe unique de la droite conservatrice, nationaliste et eurosceptique, réunissant les groupes ID et ECR. Celui-ci aurait pu devenir la première formation du PE et peser lourdement sur ses activités et votes. Mais les tensions entre les deux groupes sur certains sujets (notamment le rapport à la Russie) et les guerres d’égos entre les leaders des différents partis de la droite extrême ne l’ont pas permis.

 

La création du groupe des Patriotes semblait aller en ce sens, d’autant que certains au PPE envisageaient depuis un an ou deux de collaborer avec le groupe ECR, et même avec des députés plus à droite encore, pour l’adoption de certains textes. Les groupes ECR et ID, sans avoir négocié d’alliance formelle, partagent d’ailleurs beaucoup de conceptions – sur l’immigration, le budget, l’intégration européenne, les questions de société et l’environnement – et votent fréquemment de concert. Mme Le Pen estimait qu’il ne suffisait pas de faire croître les effectifs de l’extrême-droite, mais qu’il fallait aussi la placer au cœur des délibérations du PE. D'où la nécessité d'une "dédiabolisation".

 

Las, le groupe des Patriotes est loin d’amorcer le tournant espéré par Marine Le Pen. Il s’affiche au contraire comme ouvertement pro-Russe et anti-européen, et l’on trouve parmi ses vice-présidents des élus qui sont coutumiers des déclarations xénophobes, antisémites, homophobes et misogynes. Il est donc peu probable que le « cordon sanitaire » soit remis en cause pendant la nouvelle législature. Le groupe des Patriotes sera sans doute marginalisé, comme l’était le groupe ID avant lui, dépourvu de représentants à des postes-clés (vice-présidences du PE, présidences de commissions parlementaires et délégations interparlementaires) et privé de responsabilités notables (rapports sur des textes législatifs importants ou sur le budget).



Les deux visages de Jordan Bardella

 

Jordan Bardella, la coqueluche des médias et le héraut d’un tiers de l’électorat français, se retrouve ainsi à la tête d’un groupe politique qui promeut au PE des idées et positions que le RN a pris soin d’effacer de son vocabulaire et de son programme. Le Bardella de Paris préside un parti qui conteste l’étiquette « extrême-droite », entend élargir sa base électorale et veut nouer des alliances avec la droite de gouvernement. Le Bardella de Bruxelles préside un groupe qui rassemble des racistes, des antisémites et des admirateurs décomplexés du fascisme, et qui entend servir sans vergogne les intérêts de Vladimir Poutine. Qui connaît l’histoire du RN est en droit de penser que le vrai visage du Janus de Seine-Saint-Denis est probablement le second.

 


Bien qu’elles fassent partie de mon métier, je n’ai jamais apprécié les soirées électorales. Je trouve agaçant le défilé des responsables politiques qui expliquent, avec la foi du charbonnier et des airs pénétrés, qu’en dépit des résultats, le scrutin est une grande victoire pour eux ou une défaite majeure pour leurs adversaires, avancent toutes sortes de calculs pour démontrer qu’ils auraient mérité de gagner ou que d’autres auraient dû perdre, et exigent des choses fantaisistes. Les élections législatives de 2024 resteront un mètre-étalon en la matière, avec un Jean-Luc Mélenchon, élu à rien, qui exige Matignon alors que son propre parti n’a pas progressé et n’obtient que 12% des sièges, des responsables de la majorité présidentielle qui crient victoire après avoir perdu près de 100 députés, et un Jordan Bardella qui remet en cause le mode de scrutin et le droit des citoyens de faire barrage à ses candidats. Les éditorialistes, eux, soulignent la victoire de la gauche. Elle est certes inattendue, mais il convient de la relativiser et de considérer avec précautions l'idée que le prochain Premier ministre doit nécessairement être issu des rangs de LFI.


Une victoire-surprise du NFP à relativiser

 

Le NFP a « gagné » ces élections, en remportant le plus grand nombre de sièges (182 sur 577), dans un paysage politique plus fragmenté que jamais. Il est d’autant plus fondé à le prétendre qu’aucun sondage ne laissait entrevoir cette possibilité, et qu’il a bénéficié d’une belle mobilisation de son électorat au second tour et de reports de voix massifs. Il reste cependant très loin de la majorité absolue (289) qui signifie une victoire aux législatives, et son score reste médiocre par voie de comparaison avec la plupart des élections législatives sous la V° République.


Source: France Info

 

Certes, le NFP progresse en nombre de sièges par rapport à la NUPES : 182 contre 150.

LFI emporte la plus grosse part du gâteau (74 sièges), pour avoir obtenu le plus grand nombre d’investitures, malgré son mauvais score aux européennes (9,89% des voix). Mais il ne fait pas mieux que dans l’Assemblée nationale sortante (74 contre 75 en 2022), alors que le PS double le nombre de ses élus (59 contre 27) et qu’EELV progresse également (28 contre 16).

 

Le RN reste majoritaire en voix

 

Les élections législatives sont un cuisant échec pour le RN, qui voit s’envoler la perspective de gouverner. C’est une défaite si l’on se réfère aux résultats des sondages qui donnaient, invariablement, une majorité absolue ou relative au RN. Hier soir encore, certains instituts anticipaient plus de 220 députés du RN : les résultats définitifs (143, en ce compris les 17 LR ralliés) sont une douche froide. C’est aussi une défaite car il n’y a pas eu de dynamique autour du RN après les européennes du 9 juin dernier, et que les reports de voix ont été mauvais. Concrètement, les électeurs LR et Ensemble ont préféré voter pour d’autres candidats que ceux du RN, et montré que le barrage républicain existe toujours. C’est enfin une défaite si l’on examine la prestation de Jordan Bardella durant la campagne du second tour, incapable d’expliquer son programme et de défendre des propositions – telles que l’interdiction des emplois « sensibles » aux citoyens binationaux – qui semblent avoir été conçues sur un coin de table en fin de banquet.


Source: Ministère de l'Intérieur


Il faut toutefois souligner la progression du RN. Il gagne 54 sièges par rapport à l’Assemblée sortante (89 députés) – si l'on compte les 17 ralliés LR. Il réunit par ailleurs 32,05% des suffrages exprimés au second tour, loin devant le NFP (25,68%) et la majorité présidentielle (23,15%) : le RN est, clairement, le premier parti de France, et il double son score de 2022 (17,30%). Enfin, il se maintient par rapport aux européennes du 9 juin dernier (31,37% des suffrages exprimés), malgré une campagne ratée. Il est surtout « victime » du mode de scrutin uninominal à deux tours et du front républicain – même si les électeurs sont en droit de reporter leurs voix sur le candidat qui leur déplaît le moins au second tour. De toute évidence, ceux du RN continuent de rebuter une large partie de l’électorat et il n’est donc pas contraire à la logique démocratique qu’ils aient été écartés au profit de candidats plus consensuels.

 

Comment constituer une coalition ?

 

Jean-Luc Mélenchon exige de gouverner pour appliquer le programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme, au besoin « par décret », pour contourner les éventuelles oppositions de l’Assemblée nationale. Mais les choses ne peuvent pas se passer ainsi.



Il faut à présent que les différents partis négocient les uns avec les autres pour déterminer qui peut réunir 289 députés – pour pouvoir adopter des textes de loi et éviter la censure – et sur la base de quel programme. Autrement dit : si le NFP veut gouverner, il doit trouver un accord politique avec d’autres forces politiques, pour réunir les 107 sièges qui lui manquent afin d’atteindre la majorité absolue. Qui peuvent être ces élus ? Vont-ils accepter de se rallier au programme du NFP et en accepter les éléments les plus controversés ? Cela semble exclu.


Composition de la nouvelle Assemblée nationale, et de la sortante (Le Monde)


La solution la plus évidente serait une coalition avec les 168 députés de la majorité présidentielle. Mais on voit mal certains Insoumis accepter cela, compte tenu des premières déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches. Il faut donc imaginer une coalition impliquant une partie seulement du NFP (sans LFI) ; mais, dans ce cas, la majorité absolue serait hors d’atteinte. Il faudrait alors mobiliser certains élus Républicains et divers droite, qui totalisent 60 sièges. Sachant qu’ils ont refusé depuis 2022 de gouverner avec Renaissance, accepteraient-ils de le faire avec le NFP ? Ce serait surprenant.


Vers une coalition de droite?

 

D’un point de vue comptable, une autre coalition reste alors possible, si les Républicains et leurs alliés acceptent, enfin, de gouverner avec Ensemble. Les premiers comptent en effet 60 députés et les seconds 168, ce qui fait un total largement supérieur au NFP (228 contre 182). Gérald Darmanin faisait remarquer hier soir que « le pays est à droite » – ce qui est une vérité objective si l’on considère que « Ensemble » est à droite – et qu’il faut donc gouverner à droite. Mais il resterait 61 sièges à trouver, ce qui n’est pas une mince affaire. Et, surtout, il serait paradoxal que la majorité présidentielle, qui a été clairement désavouée hier soir, reste au gouvernement…

Dernière mise à jour : 8 juil. 2024

En sciences sociales, on ne peut bien prédire que le passé. Au-delà de la blague, cette idée renvoie à deux vérités objectives : d’abord, personne ne pouvait anticiper les dynamiques de la campagne électorale ; ensuite, tout phénomène social a des causes qu’il convient d’identifier.

Premières analyses (à 20h20) de résultats qui confirment les tendances des sondages les plus récents, mais les excèdent largement.

 

Une campagne imprévisible

 

La raison officielle de la dissolution, était la volonté du Président de « redonner la parole au peuple », pour qu’il opère une « clarification ». En somme, de dégager une majorité claire à l’Assemblée nationale – ce qui n’avait pas été le cas en 2022, et qui a contraint les gouvernements Borne et Attal à batailler pour faire passer leurs textes, et à user de l’article 49.3 autant qu’il était possible. L’idée d’une « clarification » n’avait pas vraiment de sens, car 50 millions d’électeurs agissant séparément ne peuvent pas se mettre d’accord sur une solution politique : chacun analyse les choses à sa manière, et il y avait au moins trois clarifications possibles (à gauche, au centre et à l’extrême-droite). Personne n’a eu la possibilité de se mettre d’accord sur le scénario préférable, car il n’y a pas eu de délibération ou de négociations à cet égard. La campagne a néanmoins réservé son lot de surprises – dont la première est la composition de la nouvelle Assemblée nationale.





Une stratégie à trois bandes

 

Au-delà du narratif de la « clarification », Emmanuel Macron a dissous pour deux raisons principales.

La première, était la volonté de prendre les partis d’opposition de court : le Président a parié sur les divisions de la gauche et sur celles de la droite. Les différentes composantes de la gauche s’étaient, en effet, livrées une campagne très dure à l’occasion des élections européennes, et l'on voyait mal comment, quelques jours seulement après le 9 juin, elles pourraient trouver un terrain d’entente. A droite, il était manifeste que Les Républicains seraient divisés entre les partisans d’une alliance de circonstances avec le RN – selon des modalités qui se généralisent en Europe – et les tenants du refus de toute compromission, qui a été la constante des leaders du parti depuis l’émergence du FN.

Le second objectif de la dissolution était l’idée, en cas de victoire du RN, de le laisser gouverner pour que les citoyens constatent qu’il n’a pas de solution magique aux problèmes du pays, et pour éviter ainsi l’élection de Marine Le Pen en 2027.

 

Des paris ratés

 

Mais rien ne s’est passé comme prévu. S’agissant de la gauche, Emmanuel Macron a perdu son pari, puisque quasiment toutes ses composantes se sont rapidement entendues pour créer le « Nouveau Front Populaire » (NFP) et présenter des candidats uniques partout en France. Pour la droite, il est parvenu à créer une profonde division au sein des Républicains (LR), mais le mouvement de collaboration avec le RN a été d’une ampleur limitée. LR sort en fâcheuse posture de ces élections, mais ce n’est pas une surprise, si l’on se réfère aux scores du parti aux européennes et aux présidentielles.

Au terme du processus, il semble que la gauche sera amenée à gouverner avec une partie des députés Renaissance – ce qui n’était sans doute pas le résultat espéré par E. Macron. Comment l’expliquer ?

 

Une campagne qui a permis quelques clarifications

 

La campagne, bien que très brève, a permis quelques clarifications.

 

S’agissant de la gauche, elle a révélé les profondes divisions qui existent au sein du NFP et qui, paradoxalement, ont permis son succès. Il est apparu que seuls certains Insoumis étaient encore favorables à ce que Jean-Luc Mélenchon soit Premier ministre en cas de victoire (chose qu’ils vont sans doute revendiquer bruyamment à l'issue du scrutin), et soutiennent sa ligne politique radicale, fondée sur le communautarisme, l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien et le refus de tout dialogue avec les forces politiques modérées. Les leaders des Verts et du PS ont ouvertement pris leurs distances avec celle ligne, de même que les Insoumis dissidents et certains acteurs majeurs du mouvement – comme François Ruffin. Les électeurs n’ont pas été dupes de la stratégie de diabolisation de la gauche conduite par Renaissance et le RN, assimilant tous les candidats du NFP à La France Insoumise (LFI), et ils ont compris que voter pour un candidat socialiste ne revenait pas nécessairement à porter Louis Boyard au ministère de l’éducation.


S’agissant de Renaissance, il est apparu que le Président était désormais bien seul, et qu’il se trouvait peu de candidats et cadres du parti pour soutenir sa décision de dissoudre et approuver sa façon de gouverner. Les candidats ont pris soin de ne pas revendiquer leur soutien à Emmanuel Macron ou le soutien de celui-ci, voire de prendre leurs distances avec Gabriel Attal. Les électeurs modérés ont pu leur apporter leurs suffrages sans avoir l’impression de faire un nouveau chèque en blanc à un Président qui n’en fait qu’à sa tête. Au soir du scrutin, ils limitent donc les dégâts.

 



Côté RN, enfin, la sanction est sévère. Trois facteurs expliquent la relative déconfiture du parti – par voie de comparaison avec ses résultats du 9 juin et avec son espoir de majorité absolue.

D’abord, les élections européennes ont toujours été propices au vote protestataire, en raison du mode de scrutin (proportionnelle) et de leur impact incertain et lointain. Il était logique que le score du RN se tasse lors des élections législatives, qui ont des enjeux autrement plus importants et précis, surtout après une dissolution. Il s’agissait, en effet, de choisir le nouveau Premier ministre et son gouvernement, et la ligne politique qui serait la leur pour les trois années à venir.

En deuxième lieu, la campagne, bien que courte, a permis de mettre à jour les défaillances et les carences du programme du RN. Jordan Bardella a été contraint de faire machine-arrière sur nombre de promesses, qui avaient été conçues pour séduire les électeurs, et non pour gouverner. Plus la perspective de l’emporter se précisait, et plus M. Bardella se montrait prudent, indiquant même son souhait de n’aller à Matignon qu'en cas de majorité absolue.

Enfin, dans les derniers jours de la campagne, il est apparu que nombre de candidats du RN n’étaient aucunement qualifiés pour devenir députés. Jour après jour, les internautes ont partagé sur les réseaux sociaux des éléments relatifs aux déclarations racistes ou antisémites de certains, au casier judiciaire d’autres ou à l’incapacité des troisièmes à expliquer le moindre aspect du programme du parti. On sait que le vote RN est un vote de protestation, qui est largement indexé sur la « colère » des électeurs. Mais ceux-ci ne sont pas masochistes pour autant, et les plus modérés d'entre eux n’avaient sans doute pas envie d’être représentés par des sympathisants du III° Reich, des repris de justice ou des idiots.

 

Le Monde, 20h00



"Les Peuples, bien qu'ignorants, sont capables de vérités" (Machiavel)

 

L’avenir du pays reste très incertain. Mais ces élections ont fait la preuve, s’il en était besoin, des vertus de la démocratie. Les électeurs ne sont pas tous très au fait des subtilités de la vie politique, ni très informés des détails de la campagne et des programmes des partis en présence, mais l’électorat est collectivement « sage » : les informations et les arguments circulent, les électeurs échangent et débattent, et ils mesurent l’importance et les enjeux de leur vote. Gérard Duprat avait magnifiquement démontré les risques que l'on court à dénoncer trop facilement "l'ignorance du peuple" (PUF, 1998). Car, quelle est l'alternative? Le gouvernement des savants? Celui de ceux qui crient le plus fort? Celui de la Femme ou de l'Homme providentiel, sûr de savoir ce que veut le peuple?

La campagne s’est conclue par un taux de participation remarquable et par des résultats qui montrent que les Français ne sont pas (encore ?) prêts à se lancer dans l’aventure d’un gouvernement d’extrême-droite, conduit par des gens dont le principal talent est de faire des promesses intenables. Aujourd'hui, la France a vécu un sursaut démocratique historique. Il reste à espérer que les responsables politiques seront à la hauteur des enjeux, et abandonneront un temps leurs obsessions présidentielles.

 

Olivier Costa

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