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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Bien qu’elles fassent partie de mon métier, je n’ai jamais apprécié les soirées électorales. Je trouve agaçant le défilé des responsables politiques qui expliquent, avec la foi du charbonnier et des airs pénétrés, qu’en dépit des résultats, le scrutin est une grande victoire pour eux ou une défaite majeure pour leurs adversaires, avancent toutes sortes de calculs pour démontrer qu’ils auraient mérité de gagner ou que d’autres auraient dû perdre, et exigent des choses fantaisistes. Les élections législatives de 2024 resteront un mètre-étalon en la matière, avec un Jean-Luc Mélenchon, élu à rien, qui exige Matignon alors que son propre parti n’a pas progressé et n’obtient que 12% des sièges, des responsables de la majorité présidentielle qui crient victoire après avoir perdu près de 100 députés, et un Jordan Bardella qui remet en cause le mode de scrutin et le droit des citoyens de faire barrage à ses candidats. Les éditorialistes, eux, soulignent la victoire de la gauche. Elle est certes inattendue, mais il convient de la relativiser et de considérer avec précautions l'idée que le prochain Premier ministre doit nécessairement être issu des rangs de LFI.


Une victoire-surprise du NFP à relativiser

 

Le NFP a « gagné » ces élections, en remportant le plus grand nombre de sièges (182 sur 577), dans un paysage politique plus fragmenté que jamais. Il est d’autant plus fondé à le prétendre qu’aucun sondage ne laissait entrevoir cette possibilité, et qu’il a bénéficié d’une belle mobilisation de son électorat au second tour et de reports de voix massifs. Il reste cependant très loin de la majorité absolue (289) qui signifie une victoire aux législatives, et son score reste médiocre par voie de comparaison avec la plupart des élections législatives sous la V° République.


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Source: France Info

 

Certes, le NFP progresse en nombre de sièges par rapport à la NUPES : 182 contre 150.

LFI emporte la plus grosse part du gâteau (74 sièges), pour avoir obtenu le plus grand nombre d’investitures, malgré son mauvais score aux européennes (9,89% des voix). Mais il ne fait pas mieux que dans l’Assemblée nationale sortante (74 contre 75 en 2022), alors que le PS double le nombre de ses élus (59 contre 27) et qu’EELV progresse également (28 contre 16).

 

Le RN reste majoritaire en voix

 

Les élections législatives sont un cuisant échec pour le RN, qui voit s’envoler la perspective de gouverner. C’est une défaite si l’on se réfère aux résultats des sondages qui donnaient, invariablement, une majorité absolue ou relative au RN. Hier soir encore, certains instituts anticipaient plus de 220 députés du RN : les résultats définitifs (143, en ce compris les 17 LR ralliés) sont une douche froide. C’est aussi une défaite car il n’y a pas eu de dynamique autour du RN après les européennes du 9 juin dernier, et que les reports de voix ont été mauvais. Concrètement, les électeurs LR et Ensemble ont préféré voter pour d’autres candidats que ceux du RN, et montré que le barrage républicain existe toujours. C’est enfin une défaite si l’on examine la prestation de Jordan Bardella durant la campagne du second tour, incapable d’expliquer son programme et de défendre des propositions – telles que l’interdiction des emplois « sensibles » aux citoyens binationaux – qui semblent avoir été conçues sur un coin de table en fin de banquet.


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Source: Ministère de l'Intérieur


Il faut toutefois souligner la progression du RN. Il gagne 54 sièges par rapport à l’Assemblée sortante (89 députés) – si l'on compte les 17 ralliés LR. Il réunit par ailleurs 32,05% des suffrages exprimés au second tour, loin devant le NFP (25,68%) et la majorité présidentielle (23,15%) : le RN est, clairement, le premier parti de France, et il double son score de 2022 (17,30%). Enfin, il se maintient par rapport aux européennes du 9 juin dernier (31,37% des suffrages exprimés), malgré une campagne ratée. Il est surtout « victime » du mode de scrutin uninominal à deux tours et du front républicain – même si les électeurs sont en droit de reporter leurs voix sur le candidat qui leur déplaît le moins au second tour. De toute évidence, ceux du RN continuent de rebuter une large partie de l’électorat et il n’est donc pas contraire à la logique démocratique qu’ils aient été écartés au profit de candidats plus consensuels.

 

Comment constituer une coalition ?

 

Jean-Luc Mélenchon exige de gouverner pour appliquer le programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme, au besoin « par décret », pour contourner les éventuelles oppositions de l’Assemblée nationale. Mais les choses ne peuvent pas se passer ainsi.


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Il faut à présent que les différents partis négocient les uns avec les autres pour déterminer qui peut réunir 289 députés – pour pouvoir adopter des textes de loi et éviter la censure – et sur la base de quel programme. Autrement dit : si le NFP veut gouverner, il doit trouver un accord politique avec d’autres forces politiques, pour réunir les 107 sièges qui lui manquent afin d’atteindre la majorité absolue. Qui peuvent être ces élus ? Vont-ils accepter de se rallier au programme du NFP et en accepter les éléments les plus controversés ? Cela semble exclu.


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Composition de la nouvelle Assemblée nationale, et de la sortante (Le Monde)


La solution la plus évidente serait une coalition avec les 168 députés de la majorité présidentielle. Mais on voit mal certains Insoumis accepter cela, compte tenu des premières déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches. Il faut donc imaginer une coalition impliquant une partie seulement du NFP (sans LFI) ; mais, dans ce cas, la majorité absolue serait hors d’atteinte. Il faudrait alors mobiliser certains élus Républicains et divers droite, qui totalisent 60 sièges. Sachant qu’ils ont refusé depuis 2022 de gouverner avec Renaissance, accepteraient-ils de le faire avec le NFP ? Ce serait surprenant.


Vers une coalition de droite?

 

D’un point de vue comptable, une autre coalition reste alors possible, si les Républicains et leurs alliés acceptent, enfin, de gouverner avec Ensemble. Les premiers comptent en effet 60 députés et les seconds 168, ce qui fait un total largement supérieur au NFP (228 contre 182). Gérald Darmanin faisait remarquer hier soir que « le pays est à droite » – ce qui est une vérité objective si l’on considère que « Ensemble » est à droite – et qu’il faut donc gouverner à droite. Mais il resterait 61 sièges à trouver, ce qui n’est pas une mince affaire. Et, surtout, il serait paradoxal que la majorité présidentielle, qui a été clairement désavouée hier soir, reste au gouvernement…

Dernière mise à jour : 8 juil. 2024

En sciences sociales, on ne peut bien prédire que le passé. Au-delà de la blague, cette idée renvoie à deux vérités objectives : d’abord, personne ne pouvait anticiper les dynamiques de la campagne électorale ; ensuite, tout phénomène social a des causes qu’il convient d’identifier.

Premières analyses (à 20h20) de résultats qui confirment les tendances des sondages les plus récents, mais les excèdent largement.

 

Une campagne imprévisible

 

La raison officielle de la dissolution, était la volonté du Président de « redonner la parole au peuple », pour qu’il opère une « clarification ». En somme, de dégager une majorité claire à l’Assemblée nationale – ce qui n’avait pas été le cas en 2022, et qui a contraint les gouvernements Borne et Attal à batailler pour faire passer leurs textes, et à user de l’article 49.3 autant qu’il était possible. L’idée d’une « clarification » n’avait pas vraiment de sens, car 50 millions d’électeurs agissant séparément ne peuvent pas se mettre d’accord sur une solution politique : chacun analyse les choses à sa manière, et il y avait au moins trois clarifications possibles (à gauche, au centre et à l’extrême-droite). Personne n’a eu la possibilité de se mettre d’accord sur le scénario préférable, car il n’y a pas eu de délibération ou de négociations à cet égard. La campagne a néanmoins réservé son lot de surprises – dont la première est la composition de la nouvelle Assemblée nationale.



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Une stratégie à trois bandes

 

Au-delà du narratif de la « clarification », Emmanuel Macron a dissous pour deux raisons principales.

La première, était la volonté de prendre les partis d’opposition de court : le Président a parié sur les divisions de la gauche et sur celles de la droite. Les différentes composantes de la gauche s’étaient, en effet, livrées une campagne très dure à l’occasion des élections européennes, et l'on voyait mal comment, quelques jours seulement après le 9 juin, elles pourraient trouver un terrain d’entente. A droite, il était manifeste que Les Républicains seraient divisés entre les partisans d’une alliance de circonstances avec le RN – selon des modalités qui se généralisent en Europe – et les tenants du refus de toute compromission, qui a été la constante des leaders du parti depuis l’émergence du FN.

Le second objectif de la dissolution était l’idée, en cas de victoire du RN, de le laisser gouverner pour que les citoyens constatent qu’il n’a pas de solution magique aux problèmes du pays, et pour éviter ainsi l’élection de Marine Le Pen en 2027.

 

Des paris ratés

 

Mais rien ne s’est passé comme prévu. S’agissant de la gauche, Emmanuel Macron a perdu son pari, puisque quasiment toutes ses composantes se sont rapidement entendues pour créer le « Nouveau Front Populaire » (NFP) et présenter des candidats uniques partout en France. Pour la droite, il est parvenu à créer une profonde division au sein des Républicains (LR), mais le mouvement de collaboration avec le RN a été d’une ampleur limitée. LR sort en fâcheuse posture de ces élections, mais ce n’est pas une surprise, si l’on se réfère aux scores du parti aux européennes et aux présidentielles.

Au terme du processus, il semble que la gauche sera amenée à gouverner avec une partie des députés Renaissance – ce qui n’était sans doute pas le résultat espéré par E. Macron. Comment l’expliquer ?

 

Une campagne qui a permis quelques clarifications

 

La campagne, bien que très brève, a permis quelques clarifications.

 

S’agissant de la gauche, elle a révélé les profondes divisions qui existent au sein du NFP et qui, paradoxalement, ont permis son succès. Il est apparu que seuls certains Insoumis étaient encore favorables à ce que Jean-Luc Mélenchon soit Premier ministre en cas de victoire (chose qu’ils vont sans doute revendiquer bruyamment à l'issue du scrutin), et soutiennent sa ligne politique radicale, fondée sur le communautarisme, l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien et le refus de tout dialogue avec les forces politiques modérées. Les leaders des Verts et du PS ont ouvertement pris leurs distances avec celle ligne, de même que les Insoumis dissidents et certains acteurs majeurs du mouvement – comme François Ruffin. Les électeurs n’ont pas été dupes de la stratégie de diabolisation de la gauche conduite par Renaissance et le RN, assimilant tous les candidats du NFP à La France Insoumise (LFI), et ils ont compris que voter pour un candidat socialiste ne revenait pas nécessairement à porter Louis Boyard au ministère de l’éducation.


S’agissant de Renaissance, il est apparu que le Président était désormais bien seul, et qu’il se trouvait peu de candidats et cadres du parti pour soutenir sa décision de dissoudre et approuver sa façon de gouverner. Les candidats ont pris soin de ne pas revendiquer leur soutien à Emmanuel Macron ou le soutien de celui-ci, voire de prendre leurs distances avec Gabriel Attal. Les électeurs modérés ont pu leur apporter leurs suffrages sans avoir l’impression de faire un nouveau chèque en blanc à un Président qui n’en fait qu’à sa tête. Au soir du scrutin, ils limitent donc les dégâts.

 


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Côté RN, enfin, la sanction est sévère. Trois facteurs expliquent la relative déconfiture du parti – par voie de comparaison avec ses résultats du 9 juin et avec son espoir de majorité absolue.

D’abord, les élections européennes ont toujours été propices au vote protestataire, en raison du mode de scrutin (proportionnelle) et de leur impact incertain et lointain. Il était logique que le score du RN se tasse lors des élections législatives, qui ont des enjeux autrement plus importants et précis, surtout après une dissolution. Il s’agissait, en effet, de choisir le nouveau Premier ministre et son gouvernement, et la ligne politique qui serait la leur pour les trois années à venir.

En deuxième lieu, la campagne, bien que courte, a permis de mettre à jour les défaillances et les carences du programme du RN. Jordan Bardella a été contraint de faire machine-arrière sur nombre de promesses, qui avaient été conçues pour séduire les électeurs, et non pour gouverner. Plus la perspective de l’emporter se précisait, et plus M. Bardella se montrait prudent, indiquant même son souhait de n’aller à Matignon qu'en cas de majorité absolue.

Enfin, dans les derniers jours de la campagne, il est apparu que nombre de candidats du RN n’étaient aucunement qualifiés pour devenir députés. Jour après jour, les internautes ont partagé sur les réseaux sociaux des éléments relatifs aux déclarations racistes ou antisémites de certains, au casier judiciaire d’autres ou à l’incapacité des troisièmes à expliquer le moindre aspect du programme du parti. On sait que le vote RN est un vote de protestation, qui est largement indexé sur la « colère » des électeurs. Mais ceux-ci ne sont pas masochistes pour autant, et les plus modérés d'entre eux n’avaient sans doute pas envie d’être représentés par des sympathisants du III° Reich, des repris de justice ou des idiots.

 

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Le Monde, 20h00



"Les Peuples, bien qu'ignorants, sont capables de vérités" (Machiavel)

 

L’avenir du pays reste très incertain. Mais ces élections ont fait la preuve, s’il en était besoin, des vertus de la démocratie. Les électeurs ne sont pas tous très au fait des subtilités de la vie politique, ni très informés des détails de la campagne et des programmes des partis en présence, mais l’électorat est collectivement « sage » : les informations et les arguments circulent, les électeurs échangent et débattent, et ils mesurent l’importance et les enjeux de leur vote. Gérard Duprat avait magnifiquement démontré les risques que l'on court à dénoncer trop facilement "l'ignorance du peuple" (PUF, 1998). Car, quelle est l'alternative? Le gouvernement des savants? Celui de ceux qui crient le plus fort? Celui de la Femme ou de l'Homme providentiel, sûr de savoir ce que veut le peuple?

La campagne s’est conclue par un taux de participation remarquable et par des résultats qui montrent que les Français ne sont pas (encore ?) prêts à se lancer dans l’aventure d’un gouvernement d’extrême-droite, conduit par des gens dont le principal talent est de faire des promesses intenables. Aujourd'hui, la France a vécu un sursaut démocratique historique. Il reste à espérer que les responsables politiques seront à la hauteur des enjeux, et abandonneront un temps leurs obsessions présidentielles.

 

Olivier Costa

Dernière mise à jour : 4 juil. 2024


La dissolution de l’Assemblée nationale semble être l’occasion d’une profonde évolution de nos institutions. Les élections législatives ne sont en effet plus destinées à confirmer le choix fait par les électeurs aux présidentielles, pour donner au Chef de l’Etat les moyens de gouverner, mais à choisir une nouvelle majorité. Mais il n’y aura probablement pas de majorité absolue dimanche prochain, ni pour le Rassemblement national (RN), ni pour le Nouveau Front Populaire (NFP). Il est donc nécessaire de trouver des alternatives, de négocier un accord de coalition comme on le fait dans les régimes parlementaires. On pourrait se réjouir de cette évolution de nos institutions, considérer que c’est une façon d’en finir avec un régime « semi-présidentiel » qui a vécu et montré ses limites. Toutefois, ces négociations sont précisément empêchées par l’obsession des principaux responsables politiques pour les élections présidentielles. Car le régime français a ceci de particulier qu’il les pousse à ne penser qu’à cela et à ne concevoir la vie politique qu’à cette aune.


Un régime parlementaire empêché par les ambitions présidentielles

 

Un régime parlementaire requiert une capacité à trouver des majorités. Cela peut être par le choix d’un mode de scrutin spécifique : le scrutin majoritaire à un tour des Britanniques ou le scrutin majoritaire à deux tours pratiqué en France ou aux USA qui induit une bipolarisation de la vie politique - du moins, en ce qui concerne la France, jusqu’à ce que la « tripartition » ne s’impose en 2022. L’obtention d’une majorité peut aussi découler de la capacité des partis à s’entendre et à forger des coalitions. Dans nombre de pays européens, on est en effet habitué aux longues négociations d’après élections entre les représentants des différentes forces politiques. Ils se mettent d’accord sur un contrat de coalition et sur la répartition des portefeuilles ministériels, et gouvernent ensuite ensemble. C’est le cœur de l’intrigue de la série télé « Borgen », qui évoque la vie politique au Danemark ; ce n’est pas différent en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Belgique. Quand aucune combinaison ne permet d’atteindre la majorité, on opte pour un gouvernement « technique » : on confie alors les ministères controversés à des experts ou des sages, et on limite les réformes aux dossiers qui font l’objet d’un consensus.



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Sidse Babett Knudsen, Borgen

 

La France est loin de prendre ce chemin. Dans un paysage politique organisé autour de trois blocs, le mode de scrutin ne permet plus d’assurer l’émergence d’une majorité claire, mais les partis sont incapables de dégager les moyens d’une large coalition. Si le RN n’a pas de majorité absolue le 7 juillet, il faudra pourtant le faire. Le gouvernement ne pourra sans doute pas compter sur le soutien inconditionnel de 289 députés pour faire passer des réformes ambitieuses, mais il devra être assuré qu’au moins 289 députés ne voteront pas de motion de censure sans raison valable.

 

L’exercice, inédit sous la V° République, est des plus difficiles. Même si le RN n’a que 240 députés, estimation basse des instituts de sondage, il sera difficile de trouver une majorité stable de 289 députés parmi les 337 élus restants, compte tenu des divergences de vues abyssales qui existent entre les différents groupes – des Insoumis aux Républicains (LR). Une autre option serait que le RN gouverne avec LR, mais là encore, il faudrait que les responsables des deux partis trouvent un terrain d’entente, ce qui semble improbable compte tenu des tensions générées par la décision d’Eric Ciotti de faire alliance avec le RN.

 

Des négociations sabotées par les présidentiables

 

Le problème est que les principaux responsables politiques français se soucient assez peu de savoir si la France sera gouvernable ou pas dimanche soir, et ne se préoccupent que des présidentielles de 2027.

 

A l’extrême-gauche, la raison voudrait que Jean-Luc Mélenchon et ses amis fassent profil bas en attendant le second tour. En effet, si le soutien des électeurs les plus à gauche est acquis au NFP, il doit convaincre les modérés de voter pour ses candidats plutôt que pour ceux de Renaissance ou du RN. Mais, en affirmant encore et encore que le poste de Premier ministre reviendra à M. Mélenchon ou à un autre élu insoumis en cas de victoire du NFP, comme l’a fait encore récemment Sophia Chikirou, ils poussent une partie des électeurs à voter pour les autres candidats. En somme, les mélenchonistes savent que le NFP n’a aucune chance d’emporter une majorité absolue dimanche soir et n’ont aucune envie de gouverner avec une majorité relative ou dans le cadre d’une large coalition. Seule importe la candidature de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles de 2027, et ses chances de succès seront meilleures s’il est dans l’opposition qu’aux affaires.


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Quelques possibles candidats à la présidentielle de 2027


A l’extrême-droite, le raisonnement n’est pas différent. Jordan Bardella affirme ne pas vouloir aller à Matignon s’il n’a pas de majorité absolue. Trois raisons le poussent à cela. Il s’agit, d’abord, d’appeler les électeurs à la « clarification » évoquée par Emmanuel Macron, les presser de donner à son parti une majorité claire. En deuxième lieu, M. Bardella n’a pas envie de gouverner avec une majorité relative, car il sait l’exercice difficile, et qu’il n’a ni les compétences, ni l’expérience requises. Le média training permet de gagner des élections, mais est de peu de secours pour concevoir des réformes viables, négocier avec les groupes parlementaires ou défendre les intérêts du pays à l’échelle internationale. Enfin, Marine le Pen n’a aucun intérêt à voir Jordan Bardella arriver à Matignon. Si le RN reste dans l’opposition, elle pourra user et abuser du registre victimaire (« Les citoyens n’ont pas été entendus ! On nous a volé l'élection! ») et pourra continuer à faire ce qu’elle fait le mieux : critiquer l’action du gouvernement. Au contraire, si le RN exerce le pouvoir, les électeurs auront trois ans pour juger de sa capacité à tenir ses promesses. Et l’on voit mal comment il pourrait le faire – qu’il s’agisse des contraintes budgétaires, économiques ou européennes. En somme, pour Marine le Pen, siéger dans l'opposition est la meilleure stratégie en vue des prochaines présidentielles.

 

Emmanuel Macron est dans une position similaire. Évidemment, il ne pourra pas se représenter aux présidentielles en 2027, et même s’il démissionnait, l’idée que l’intérim de Gérard Larcher remettrait les compteurs à zéro ne tient pas. En revanche, il veut peser dans le choix de son successeur. En refusant de négocier réellement avec les partis d’opposition depuis 2022, puis en décidant de convoquer des élections anticipées dans un délai très réduit, il participe de cette obsession française pour l’élection présidentielle. M. Macron a sans doute considéré que laisser le RN gouverner le pays pendant trois ans ou créer une situation politique inextricable maximiserait les chances pour un candidat centriste de l'emporter en 2027. Quant à son appel à la clarification, il n’a pas de sens, car près de 50 millions d’électeurs agissant séparément ne peuvent pas se mettre d’accord sur une solution politique : chacun analyse les choses à sa manière. Une clarification réclame une délibération et des négociations, et elles n’ont pas eu lieu. Pour cela, le Président aurait dû laisser le temps aux partis de penser des alliances suffisamment vastes pour être en état de gouverner, en annonçant par exemple des élections législatives pour septembre et en laissant le débat se développer durant l’été.

 

D’autres responsables jouent le même jeu. On peut penser à Edouard Philippe, dont les louvoiements semblent plus motivés par une stratégie à trois bandes en vue des présidentielles que par la volonté de favoriser les discussions entre les principaux partis. On songe aussi à François Hollande, de retour sur la scène politique, qui se voit sans doute en recours en 2027, quand la vie publique française ne sera plus qu’un champ de ruines.

 

En finir avec le régime semi-présidentiel

 

Le régime français, bricolé dans le contexte particulier de la fin des années 1950, n’est plus viable. Créé pour doter le pays d’un président fort, disposant d’une majorité stable, il a accouché d’un régime hybride, dont la logique est obscure, qui n’est plus capable de dégager une majorité claire et dont la vie politique est focalisée, jusqu’à la névrose, sur les élections présidentielles. Les partis politiques ne sont que des écuries en vue de cette échéance, et tous les scrutins sont le prétexte à la préparer, à tester la popularité des présidentiables ou à sanctionner le Président en place. Quant à ce dernier, il est désormais un général sans armée, incapable de tenir les promesses mirobolantes qu’il doit faire pour être élu, et dont la cote de popularité plonge inéluctablement après quelques mois.

 


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Les 12 candidats de la présidentielle 2022


Aujourd’hui, la France est en passe de devenir ingouvernable, car les principaux responsables politiques ne se soucient pas de favoriser l'émergence d'une majorité parlementaire, mais uniquement de préparer les présidentielles de 2027. Et la plupart d'entre eux semblent prêts à la politique du pire à cet endroit. Dans un régime parlementaire classique, où les élections législatives sont les seules qui comptent, les responsables des différents partis ne se préoccuperaient que d’une seule question : avec qui gouverner et sur la base de quel accord. Ils consacreraient toute leur énergie à dialoguer avec leurs homologues pour identifier des possibles points de convergence et réfléchir à un programme. En France, ils sont déchirés entre des injonctions contradictoires : faire le meilleur score possible dimanche soir, pour préparer les prochaines échéances dans les meilleures conditions, mais ne pas être en situation de gouverner. Car l’expérience montre qu’il est plus facile pour un parti de gagner une élection présidentielle quand il siège dans l’opposition parlementaire. Chacun se souvient que la première et la troisième cohabitations ont permis au Président sortant d’être réélu contre le leader du parti qui était au gouvernement: François Mitterrand contre Jacques Chirac en 1988 et Jacques Chirac contre Lionel Jospin en 2002.

 

Des responsables politiques français obsédés par leur destin présidentiel

 

Le problème est que nos leaders sont drogués à la présidentielle, ne sont souvent entrées en politique qu’avec un rêve élyséen, et sont donc peu désireux de favoriser l’émergence d’une logique parlementaire. Ainsi, jamais aucun Président n’a fait quoi que ce soit d’efficace pour mettre fin à la centralité de l’élection présidentielle ou pour faire évoluer la culture politique de notre pays. Et toutes les réformes constitutionnelles entreprises ont contribué à renforcer un peu plus encore le rôle du Président. Il y a aujourd’hui peu de d’espoir de sortir de cette obsession française. Les éditorialistes nous expliquent désormais qu’il faudra attendre 2027 pour que la clarification s’opère, à l’occasion de la prochaine élection présidentielle. Mais, compte tenu des défis immenses qui attendent la France et l’Union européenne, trois ans est une éternité.

 

Olivier Costa

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