A la surprise générale, Emmanuel Macron a annoncé dimanche soir sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, en conséquence des piètres résultats de la liste de son parti aux élections européennes (14,9%) et du succès inédit de celle du RN (31,7%), dans un contexte de participation très honorable (52,5%, contre 46,9% pour les élections législatives de 2022). L’article 12 de la Constitution dispose en effet que « le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. » Mais pour quelles raisons Emmanuel Macron a-t-il pris cette décision inattendue et subite ? Avançons trois hypothèses.
Première hypothèse : l’ego. Le Président, qui ne voulait pas se mêler des européennes et avait fait le choix d’une liste composée d’un grand nombre de députés européens sortants, ayant fait leurs preuves au Parlement européen et parlant exclusivement de questions européennes, y a été néanmoins contraint par le manque d’allant de la campagne de Valérie Hayer. Au soir de l’élection, il est évidemment affecté par le mauvais résultat de la liste Renaissance, qu’il a lourdement parrainée. Emmanuel Macron, qui a construit sa carrière sur une série de coups politiques, persiste et signe : il ne veut pas présider jusqu’en 2027 en portant la responsabilité de ce résultat désastreux et prend donc l’initiative de dissoudre l’Assemblée nationale. Il entend montrer qu’il reste seul maître à bord, qu’il décide du cap et du rythme, et qu’il ne craint pas les défis.
Deuxième hypothèse : le calcul. Ayant changé de Premier ministre et de gouvernement en janvier 2024, il n’avait pas de réponse à apporter au coup de semonce des européennes et redoutait le ralliement des Républicains aux députés de la Nupes et du RN pour voter la censure. La seule réaction à celle-ci, compte tenu de l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, aurait été la dissolution. Pour prendre de court les oppositions, il choisit de dissoudre sans attendre. En optant pour un calendrier très serré, il sème la zizanie dans la Nupes : en vue de la répartition des circonscriptions, LFI fera sans doute valoir le score de J.L. Mélenchon en 2022, tandis que le PS se targuera du sien aux européennes ; et tous deux seront impitoyables avec les Écologistes. Dans ce contexte, on peut anticiper des candidatures multiples à gauche. En outre, là où il n’y a pas de député Renaissance sortant, le Président a laissé entendre qu’il appellerait à voter pour le candidat de « l’arc républicain » le mieux placé, ce qui est évidemment une invitation à la politesse inverse. Emmanuel Macron fait le pari d’un grand nombre de seconds tours Renaissance-RN, et compte sur un report des voix des forces républicaines sur ses candidats. Il y a certes le risque de triangulaires entre la gauche, Renaissance et le RN, mais il faut pour cela réunir 12% des inscrits, ce qui représente 24% des votants avec une participation à 50%. Sauf à présenter des candidats uniques, il est peu probable que la gauche puisse accéder massivement au second tour.
Troisième hypothèse : la politique du pire. Le Président prend le risque d’aboutir à une majorité d’extrême-droite le 7 juillet. Dans ce cas, il se trouverait en situation de cohabitation avec un gouvernement dominé par le RN, et quelques possibles alliés à la droite de l’échiquier politique. Il pourrait trouver cela acceptable personnellement, en se repliant sur les questions européennes et internationales comme l’avaient fait François Mitterrand et Jacques Chirac en leur temps. Il pourrait aussi juger cela stratégique, pour laisser aux citoyens le temps d’apprécier les renoncements et les défaillances de l’extrême-droite au pouvoir, et démontrer que, somme toute, un gouvernement modéré est préférable. Car, même si Emmanuel Macron ne pourra pas être candidat à sa succession en 2027, il souhaite évidemment l’élection d’un allié, et se souvient que la cohabitation avait permis la réélection de François Mitterrand en 1988 et celle de Jacques Chirac en 2002.
Dans tous les cas, le Président est seul à contrôler le calendrier et à ne pas prendre de risque dans cette aventure : les députés de la majorité vont remettre en jeu leur mandat, trois ans avant son terme ; le gouvernement sera, dans tous les cas, amené à démissionner ; mais le Président restera à l’Élysée jusqu’en 2027. Il peut, en outre, s’abriter derrière une double justification. Celle, d’abord, d’être à l’écoute des citoyens : la majorité présidentielle a été désavouée ? Qu’à cela ne tienne, il redonne la parole aux citoyens en convoquant des élections législatives. Le calendrier est très serré ? Compte tenu de la difficulté d’organiser un scrutin le jour de la fête nationale, et de l’obligation faite par l’article 12 de la Constitution de tenir les élections dans un délai de 20 à 40 jours après la dissolution, les dates du 30 juin et du 7 juillet s’imposent à lui.
A l’issue des élections européennes, le RN est sans conteste le premier parti de France, avec un score plus de deux fois supérieur à celui de Renaissance, alors que les deux formations étaient au coude-à-coude en 2019 (23,30% pour le RN contre 22,40% pour Renaissance). Mais les élections européennes ont toujours été propices au vote sanction et au succès des partis protestataires. Emmanuel Macron compte sans doute sur la prudence des électeurs, qui ne voient pas de risque à expédier des bataillons de députés du RN siéger à Strasbourg, mais réfléchiront peut-être à deux fois avant d’envoyer à Matignon un responsable politique aussi inexpérimenté que Jordan Bardella. Le Président a d’ailleurs insisté sur le désordre qui règne à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de 2022, et sur la nécessité de disposer d’une majorité claire à l’appui de son action. En somme, il parie une fois de plus sur l’attachement des électeurs français à l’ordre plutôt qu’à l’aventure. Mais, cette fois-ci, cela va-t-il suffire ?
Olivier Costa
Post repris sous forme de tribune par La Croix (12 juin 2024)