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Dernière mise à jour : 5 nov.

A la surprise générale, Emmanuel Macron a annoncé dimanche soir sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, en conséquence des piètres résultats de la liste de son parti aux élections européennes (14,9%) et du succès inédit de celle du RN (31,7%), dans un contexte de participation très honorable (52,5%, contre 46,9% pour les élections législatives de 2022). L’article 12 de la Constitution dispose en effet que « le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. » Mais pour quelles raisons Emmanuel Macron a-t-il pris cette décision inattendue et subite ? Avançons trois hypothèses.



Première hypothèse : l’ego. Le Président, qui ne voulait pas se mêler des européennes et avait fait le choix d’une liste composée d’un grand nombre de députés européens sortants, ayant fait leurs preuves au Parlement européen et parlant exclusivement de questions européennes, y a été néanmoins contraint par le manque d’allant de la campagne de Valérie Hayer. Au soir de l’élection, il est évidemment affecté par le mauvais résultat de la liste Renaissance, qu’il a lourdement parrainée. Emmanuel Macron, qui a construit sa carrière sur une série de coups politiques, persiste et signe : il ne veut pas présider jusqu’en 2027 en portant la responsabilité de ce résultat désastreux et prend donc l’initiative de dissoudre l’Assemblée nationale. Il entend montrer qu’il reste seul maître à bord, qu’il décide du cap et du rythme, et qu’il ne craint pas les défis.

 



Deuxième hypothèse : le calcul. Ayant changé de Premier ministre et de gouvernement en janvier 2024, il n’avait pas de réponse à apporter au coup de semonce des européennes et redoutait le ralliement des Républicains aux députés de la Nupes et du RN pour voter la censure. La seule réaction à celle-ci, compte tenu de l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, aurait été la dissolution. Pour prendre de court les oppositions, il choisit de dissoudre sans attendre. En optant pour un calendrier très serré, il sème la zizanie dans la Nupes : en vue de la répartition des circonscriptions, LFI fera sans doute valoir le score de J.L. Mélenchon en 2022, tandis que le PS se targuera du sien aux européennes ; et tous deux seront impitoyables avec les Écologistes. Dans ce contexte, on peut anticiper des candidatures multiples à gauche. En outre, là où il n’y a pas de député Renaissance sortant, le Président a laissé entendre qu’il appellerait à voter pour le candidat de « l’arc républicain » le mieux placé, ce qui est évidemment une invitation à la politesse inverse. Emmanuel Macron fait le pari d’un grand nombre de seconds tours Renaissance-RN, et compte sur un report des voix des forces républicaines sur ses candidats. Il y a certes le risque de triangulaires entre la gauche, Renaissance et le RN, mais il faut pour cela réunir 12% des inscrits, ce qui représente 24% des votants avec une participation à 50%. Sauf à présenter des candidats uniques, il est peu probable que la gauche puisse accéder massivement au second tour.

 


Troisième hypothèse : la politique du pire. Le Président prend le risque d’aboutir à une majorité d’extrême-droite le 7 juillet. Dans ce cas, il se trouverait en situation de cohabitation avec un gouvernement dominé par le RN, et quelques possibles alliés à la droite de l’échiquier politique. Il pourrait trouver cela acceptable personnellement, en se repliant sur les questions européennes et internationales comme l’avaient fait François Mitterrand et Jacques Chirac en leur temps. Il pourrait aussi juger cela stratégique, pour laisser aux citoyens le temps d’apprécier les renoncements et les défaillances de l’extrême-droite au pouvoir, et démontrer que, somme toute, un gouvernement modéré est préférable. Car, même si Emmanuel Macron ne pourra pas être candidat à sa succession en 2027, il souhaite évidemment l’élection d’un allié, et se souvient que la cohabitation avait permis la réélection de François Mitterrand en 1988 et celle de Jacques Chirac en 2002.

Dans tous les cas, le Président est seul à contrôler le calendrier et à ne pas prendre de risque dans cette aventure : les députés de la majorité vont remettre en jeu leur mandat, trois ans avant son terme ; le gouvernement sera, dans tous les cas, amené à démissionner ; mais le Président restera à l’Élysée jusqu’en 2027. Il peut, en outre, s’abriter derrière une double justification. Celle, d’abord, d’être à l’écoute des citoyens : la majorité présidentielle a été désavouée ? Qu’à cela ne tienne, il redonne la parole aux citoyens en convoquant des élections législatives. Le calendrier est très serré ? Compte tenu de la difficulté d’organiser un scrutin le jour de la fête nationale, et de l’obligation faite par l’article 12 de la Constitution de tenir les élections dans un délai de 20 à 40 jours après la dissolution, les dates du 30 juin et du 7 juillet s’imposent à lui.

 


A l’issue des élections européennes, le RN est sans conteste le premier parti de France, avec un score plus de deux fois supérieur à celui de Renaissance, alors que les deux formations étaient au coude-à-coude en 2019 (23,30% pour le RN contre 22,40% pour Renaissance). Mais les élections européennes ont toujours été propices au vote sanction et au succès des partis protestataires. Emmanuel Macron compte sans doute sur la prudence des électeurs, qui ne voient pas de risque à expédier des bataillons de députés du RN siéger à Strasbourg, mais réfléchiront peut-être à deux fois avant d’envoyer à Matignon un responsable politique aussi inexpérimenté que Jordan Bardella. Le Président a d’ailleurs insisté sur le désordre qui règne à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de 2022, et sur la nécessité de disposer d’une majorité claire à l’appui de son action. En somme, il parie une fois de plus sur l’attachement des électeurs français à l’ordre plutôt qu’à l’aventure. Mais, cette fois-ci, cela va-t-il suffire ?


Olivier Costa


Post repris sous forme de tribune par La Croix (12 juin 2024)

 

Dernière mise à jour : 12 juin

Les citoyens européens s’apprêtent à voter pour les dixièmes élections européennes. Elles mêlent des problématiques nationales et européennes, et chacun a hâte de connaître les résultats, pays par pays, et agrégés à l’échelle du Parlement européen (PE). Mais, au-delà du test que les européennes constituent toujours pour les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres, et des rééquilibrages entre les différents groupes politiques au sein du PE, deux enjeux fondamentaux se dessinent : la nature des majorités qui domineront le PE dans les cinq prochaines années et l’identité du futur président de la Commission européenne.

 


Siège du Parlement européen à Strasbourg



  1. L’enjeu des majorités au Parlement européen

 

A la différence de nombre de parlements nationaux, le PE n’est pas dominé par une coalition stable. Il y a eu une coalition formelle, unissant socialistes, libéraux et démocrates-chrétiens, de juillet 2014 à décembre 2016, mais cette séquence a fait exception dans l’histoire de l’assemblée. Depuis les années 1980, il existe un accord « technique » entre les deux principaux groupes – les socialistes du groupe S&D et les démocrates-chrétiens du groupe PPE – pour se partager à l’amiable un certain nombre de ressources de l’assemblée, notamment la présidence, les vice-présidences et les présidences des commissions parlementaires et des délégations interparlementaires. Mais il n’est pas fondé sur un accord politique et ne constitue pas un programme de gouvernement. Ces deux groupes ont certes l’habitude de négocier en amont des votes, de façon à réunir les majorités nécessaires, et se prononcent le plus souvent dans le même sens, mais cela n'a rien d’automatique. De nombreux textes et amendements sont adoptés grâce à des majorités alternatives. De fait, tous les groupes (à l’exception du groupe d’extrême-droite Identité et Démocratie, qui est tenu à l’écart) participent plus ou moins fréquemment aux négociations. Il existe différentes routines de vote, qui varient notamment selon les sujets.

 

Le grand enjeu des élections est donc de savoir si l’alliance objective entre les trois grands groupes du centre, qui joue aujourd’hui un rôle central dans le fonctionnement du PE, sera remis en cause. Le PE comptera 720 sièges le 9 juin au soir, et il faudra réunir 361 voix pour « élire » le futur président de la Commission et adopter certaines décisions-clés – notamment les amendements législatifs en seconde lecture et les amendements budgétaires. A mesure que les sondages s’affinent, chacun dans la sphère européenne additionne les sièges pour déterminer les configurations possibles.

Les derniers sondages donnent le groupe démocrate-chrétien (PPE) en tête, avec entre 180 et 183 députés (contre 176 actuellement, sur un total de 705). Il serait suivi par le groupe socialiste (S&D), avec entre 131 et 138 (contre 139), et le groupe centriste et libéral (Renew), entre 83 et 86 (contre 102). Le groupe conservateur et nationaliste (ECR) obtiendrait entre 74 et 78 députés (contre 69). Le groupe d’extrême-droite (ID) progresserait, avec entre 66 et 72 députés (contre 49). Les Verts déclineraient, avec entre 54 et 58 sièges (contre 72), et le groupe de la Gauche (GUE/NGL), qui siège à l’extrême-gauche, fermerait la marche avec entre 41 et 46 députés (contre 37). Pour l’heure, entre 73 et 78 députés seraient non-inscrits (61 actuellement), mais une partie d’entre eux pourraient rejoindre un groupe, compte tenu des fortes sollicitations dont ils feront sans doute l’objet.


Composition du PE sortant (mai 2024)


Dans la sphère européenne et autour de la table du Conseil européen, la reconduction de l’alliance entre les groupes S&D, Renew et PPE a la préférence de la plupart des leaders. Mais, compte tenu de la progression de la droite conservatrice et extrême, et des rapprochements qui s’opèrent avec le PPE dans nombre d’Etats membres, une alternative est envisageable.

 

Comme en 2019 déjà, certains rêvent en effet d’une alliance stable entre toutes les composantes de l’aile droite du PE (PPE, ECR, ID) et de la création d’un groupe unique à la droite du PPE. C’est le cas, notamment, du premier ministre hongrois Viktor Orban, dont le parti pourrait ainsi quitter le purgatoire des non-inscrits. Giorgia Meloni, la présidente du conseil italienne, et Manfred Weber, le président allemand du groupe PPE, rêvent eux aussi d’une alliance des droites qui renverrait les socialistes dans l’opposition. Mme Meloni voudrait renouveler à l’échelle européenne l’expérience italienne, où le parti de la droite de gouvernement Forza Italia, membre du PPE, a fait alliance avec la droite extrême de la Lega, qui siège au groupe ID. Mais il reste une difficulté : si un accord entre les groupes PPE et ECR serait acceptable pour la plupart de ses membres, il leur manquerait encore au moins 100 sièges pour atteindre les 361. Le groupe ID pourrait en apporter une partie, et l’examen des votes des groupes ECR et ID montre une réelle convergence sur nombre de sujets. Mais il existe au PE une tradition de « cordon sanitaire » entre la droite de gouvernement et l’extrême-droite (ID), qui rend cette option délicate. Une alliance PPE-ECR-ID aurait sans doute pour prix le départ d’une partie des membres du PPE, et l’impossibilité de travailler avec le groupe Renew. En outre, les élus de la droite nationaliste et extrême n’ont jamais brillé par leur capacité à s’entendre ; l’existence de deux groupes (ECR et ID) reflète en effet la situation de concurrence objective dans laquelle leurs composantes se trouvent – tels Reconquête ! (ECR) et le Rassemblement national (ID) en France. Les différentes formations de la droite extrême ont aussi des positions contrastées sur le conflit ukrainien, une partie d’entre-elles ayant un tropisme pro-russe intolérable en Europe centrale et orientale.

 

Si la droite ne parvient pas à trouver les termes d’un accord, il est toutefois possible que le PE fonctionne à l’avenir avec deux majorités récurrentes : la traditionnelle, formée des groupes S&D, Renew et PPE, pour les questions institutionnelles, socio-économiques et internationales ; et une majorité PPE, ECR et ID, pour certaines questions de société, les enjeux environnementaux ou encore le budget.

 

  1. L’enjeu de la présidence de la Commission

 

Les élections ne conditionnent pas seulement les futures dynamiques au sein du PE : elles commandent aussi la désignation du futur président ou de la future présidente de la Commission européenne. En effet, les traités prévoient qu’à l’issue du scrutin, et en tenant compte de ses résultats, le Conseil européen propose un candidat à la présidence de la Commission. Cette personne doit présenter son programme au PE et être ensuite « élue » par celui-ci, à la majorité de ses membres, soit 361 voix. Mais ce n'est pas une mince affaire, pour deux raisons au moins.


D’abord, le Conseil européen et le PE ont une divergence de fond sur l’interprétation des traités. Les chefs d’Etat et de gouvernement considèrent qu’il leur revient de choisir librement le candidat à la présidence de la Commission, en prenant en considération toutes sortes de paramètres (résultat des élections, mais aussi profil, expérience, nationalité, genre, âge…) et en veillant à l’équilibre global des nominations (présidences de la Commission et du Conseil européen, haut représentant de l’Union pour les affaires extérieures, voire président du PE et de la Banque central européenne). Les grands groupes du PE sont, quant à eux, partisans du système des « candidats de tête », où chaque parti européen désigne son candidat à la présidence de la Commission, et où ces personnes orchestrent la campagne. Selon le PE, le candidat du parti vainqueur a vocation à être désigné par le Conseil européen – à la manière dont les choses se passent dans un régime parlementaire. La procédure avait été conduite ainsi en 2014, et J.C. Juncker, le candidat de tête du PPE, avait été choisi, puis confortablement élu. En revanche, elle a échoué en 2019, le candidat du PPE (Manfred Weber) n’ayant pas bénéficié des soutiens nécessaires au PE et n’ayant pas le profil requis – notamment pas d’expérience ministérielle. Cette année, la campagne a, à nouveau, été conduite selon ces modalités, les cinq principaux partis européens ayant désigné leurs candidats de tête (deux pour les Verts et trois pour Renew). Si le Conseil européen nommait un candidat en faisant abstraction de l’avis du PE, les voix pourraient lui manquer, ouvrant une grave crise institutionnelle.

 


Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen


Cette année, la procédure est compliquée par le fait que la Présidente actuelle de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, sollicite un second mandat. Elle a été désignée « candidate de tête » par le PPE – même si elle n’est pas tête de liste dans son pays, comme le sont ses homologues Nicolas Schmit (S&D, au Luxembourg) ou Walter Baier (GUE/NGL, en Autriche). Pour envisager d’être nommé à nouveau, Mme von der Leyen doit apporter la preuve au Conseil européen qu’elle dispose des 361 voix nécessaires à son « élection » par le PE. Or, ce n’est pas chose aisée. En 2019 déjà, elle n’avait obtenu que 9 voix de plus que la majorité requise : beaucoup lui avaient manqué au sein des trois groupes (S&D, Renew et PPE) qui étaient supposés la soutenir, et elle n’avait du son élection qu’aux votes de députés polonais du parti nationaliste Droit et Justice et italiens du Mouvement 5 Etoiles.

 

La situation semble plus complexe encore cette année, car le bilan de la présidente sortante est critiqué de toutes parts. Au sein du PE, les groupes socialiste et libéral, qui soutenaient globalement son action, dénoncent ses reculs sur les questions environnementales et sociales, et ses positions sur le Moyen-Orient. Mme von der Leyen est critiquée y compris dans son parti, le PPE, et ses relations avec le président du groupe, Manfred Weber, qui était le candidat de tête du PPE en 2019, sont très tendues. Celui-ci ne manque pas de critiquer son « Pacte Vert » et sa bienveillance à l’égard des socialistes – dont elle convoite les votes mais qu’il entend renvoyer dans l’opposition. Par ailleurs, plusieurs commissaires ont publiquement remis en cause la gestion de Mme von der Leyen et critiqué ses entorses au principe de collégialité. Certains chefs d’Etat ou de gouvernement se sont également émus de sa prétention à agir d’une manière trop « politique » ou « géopolitique » – pour reprendre son terme-fétiche. Plusieurs de ses initiatives ont déplu, notamment sa réaction à l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et son approbation, au nom de l’Union et sans disposer de mandat pour cela, de l’opération militaire lancée par Israël à Gaza. On lui reproche aussi sa complaisance vis-à-vis de la politique protectionniste des Etats-Unis, ses initiatives en direction de la Chine, sa volonté de poursuivre la négociation d’accords de libre-échange, et son manque de pugnacité face aux entorses à l’Etat de droit en Hongrie et en Pologne. Au Conseil européen, on souligne aussi son incapacité à s’entendre avec le président de l’institution, le libéral Charles Michel, et avec le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, le socialiste Josep Borrell. Certains critiquent enfin la politisation excessive de la fonction déclenchée par l’entrée en campagne de la présidente. Si le Conseil européen la reconduit, ce sera sans doute à la condition qu’elle respecte mieux les prérogatives de chaque institution, et qu’elle restaure la neutralité de la Commission.

 

Pour réunir les 361 voix nécessaires à sa réélection, Mme von der Leyen essaie de négocier le soutien de Giorgia Meloni, leader de fait du groupe ECR. Ses membres n’avaient pas voté son investiture en 2019 mais, comme on l’a vu, un rapprochement entre les groupes PPE et ECR a la faveur de la présidente du conseil italienne. Toutefois, ses amitiés politiques à l’extrême-droite embarrassent Mme von der Leyen, de sorte qu’elle a dû préciser sa pensée : elle est favorable à un accord avec certains partis situés à la droite du PPE, mais uniquement ceux qui sont pro-européens, soutiennent l’Ukraine et sont respectueux de l’Etat de droit, ce qui en réduit le nombre. En outre, il est probable que cet appel du pied aux nationalistes ne coûte à Mme von der Leyen plus de voix dans les rangs des socialistes, des libéraux et des verts qu’elles ne lui en rapporteront. Inquiets des démarches de la présidente de la Commission, les groupes S&D, Renew et des Verts ont en effet signé un manifeste excluant tout type de collaboration avec le groupe ECR – sans même parler du groupe ID.

 

Mario Draghi


Le Conseil européen, qui se réunira les 27 et 28 juin, ne prendra sans doute pas le risque de nommer Mme von der Leyen si elle ne justifie pas de sa capacité à trouver une majorité au sein du PE. D’autres noms circulent, dont celui de l’Italien Mario Draghi, qui aurait les faveurs d’Emmanuel Macron et de Donald Tusk. Il a la stature d’un sage et d’un homme de compromis, et pourrait rassembler largement, comme il l’avait fait en Italie lorsqu’il était président du conseil. Sans étiquette, il obtiendrait le poste au nom de Renew ; dans ce cas, le ministre des affaires étrangères polonais, le conservateur Radosław Sikorski, pourrait occuper le poste de haut représentant, et l'ancien premier ministre portugais, le socialiste Antonio Costa, celui de président du Conseil européen. Mais tout cela dépend, une fois encore, du résultat des élections européennes.


Olivier Costa


Photo du rédacteurOlivier Costa

Dernière mise à jour : 12 juin


Valéry Giscard d’Estaing aimait à affirmer, encore pendant la campagne électorale de 2019, que le Parlement européen (PE) n’est qu’une assemblée consultative dépourvue d’influence et que les élections européennes sont sans intérêt. C’est faux. Au gré de la modification répétée des traités, le PE est devenu un « vrai » parlement, doté de pouvoirs substantiels en matière législative, budgétaire et de contrôle, et les élections européennes sont désormais l’événement-clé de la vie politique de l’Union. Il reste que l’influence du PE est difficile à cerner. En vue des élections du 9 juin prochain, les médias commentent les activités individuelles des députés sortants (taux de présence, nombre de rapports ou d’amendements rédigés, sens de leur vote sur quelques textes-clés…) et font la liste des « grands dossiers » sur lesquels l’assemblée a pu faire entendre sa voix depuis 2019. Ils évoquent ainsi les multiples textes du « Pacte vert », la régulation de l’internet, le controversé Pacte « migration et asile », ou encore la réforme de la politique commerciale du l’Union. Mais, ce faisant, ils opèrent plus un bilan de l’activité de l’Union que de celle du PE, et l’on peine à savoir si celui-ci a réussi ou non à imposer sa marque sur ces textes. Alors, concrètement, quelle est l'influence du PE ? A quoi servent les élections européennes ?

 

Session plénière du PE à Strasbourg


A l’origine, une analyse du nombre d’amendements retenus


Depuis les années 1950, les relations entre les institutions européennes ne sont pas déterminées par une logique partisane et l’existence d’une coalition majoritaire, mais par une tension entre les intérêts des citoyens (incarnés par l’assemblée), ceux des Etats (représentés au sein du Conseil (ministres) et du Conseil européen (chefs d’Etats ou de gouvernement)), et un intérêt général européen abstrait (défendu par la Commission). Les députés sont donc incités à amender largement les propositions de directive et de règlement qui leur sont soumises pour faire valoir le point de vue des citoyens qu’ils représentent.


La procédure « de consultation » des origines ne laissait cependant au PE qu’une influence marginale. La procédure « de coopération », introduite en 1987, a permis au PE de l’accroître sensiblement : dès la fin des années 1980, son influence sur la fabrication des normes, telle que mesurée par le ratio d’amendements parlementaires acceptés par le Conseil, était ainsi très supérieure à celle de la plupart des parlements nationaux. Selon les services du PE, durant la période 1987-1997, 54% des amendements parlementaires de première lecture avaient été acceptés par la Commission et 41% par le Conseil ; en seconde lecture, ces chiffres s’établissaient respectivement à 43 et 21%.



Siège du PE à Strasbourg

 


Une généralisation progressive des accords entre le Parlement européen et le Conseil


Le traité de Maastricht a introduit en novembre 1993 une nouvelle procédure, dite de « codécision ». Basée sur un système de navette des textes entre le PE et le Conseil, qui prévoit jusqu’à trois lectures, elle renforçait la capacité du PE à créer un rapport de force avec la Commission et le Conseil, et donc à imposer ses amendements. Ainsi, entre 1993 et 1999, 63% des amendements adoptés par les institutions reflétaient les positions du PE.


L’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam s’accompagna en mai 1999 d’une extension du champ d’application de la codécision et d’une modification de la procédure, destinée à mettre le PE et le Conseil sur un pied d’égalité. Cette évolution s’accompagna d’une multiplication des contacts informels entre les institutions. Des « trilogues », impliquant des représentants des trois institutions, permirent l’adoption d’un nombre croissant de textes dès la première lecture, sur la base d’accords négociés en coulisses. Ce faisant, le Conseil et la Commission ont enfin accédé à une revendication ancienne du PE : adopter les textes législatifs dans le cadre d’un dialogue politique plutôt que d’une partie de ping-pong, où les différentes institutions se renvoient des amendements sans réelle négociation.


Dans les faits, la Commission a pris l’habitude d’adapter ses propositions législatives afin d’intégrer certains amendements du PE et du Conseil, ce qui a permis l’adoption des textes avec un minimum d’amendements. Les analyses basées sur le taux d’amendements parlementaires retenus ont ainsi perdu de leur pertinence, puisqu’une partie de ceux-ci étaient directement intégrés à la proposition de la Commission. Les statistiques ont aussi été affectées par l’habitude, prise par le Conseil dès la fin des années 1990, d’accepter un maximum d’amendements de détail, notamment la quasi-totalité de ceux relatifs à des questions de langue et de formulation, afin de gonfler artificiellement les statistiques et de soigner l’égo des députés européens. La pratique des trilogues s’est généralisée dans les années 2010, de sorte que la très grande majorité des textes sont désormais adoptés en première lecture, au cours d’une procédure qui ne laisse pas réellement apparaître les divergences entre les institutions.

 

Comment mesurer une influence informelle ?


En l’état actuel des choses, il est donc difficile d’établir un diagnostic de l’influence du PE. Son choix de négocier systématiquement sur les textes en marge et en amont du processus décisionnel ne lui permet pas de revendiquer des succès clairs, comme c’était le cas lorsque ses amendements étaient intégrés au texte final ou lorsqu’il rejetait une proposition estimée mauvaise. Par ailleurs, alors que la pratique des « navettes » aboutissait parfois à des conflits, et au rejet de textes par le PE, les « trilogues » sont propices à l’obtention d’accords : quasiment 100% des propositions de la Commission sont désormais adoptées. Les citoyens, qui ont naguère été déboussolés par la recherche quasi systématique de compromis entre les deux grands groupes de centre gauche et de centre droit au PE, le sont aujourd’hui par l’unanimisme apparent des institutions de l’Union. La généralisation des accords précoces donne l’impression que le PE n’est qu’un rouage d’une vaste technostructure bruxelloise, et qu’il est incapable de faire entendre les intérêts des citoyens. Or, c’est inexact : à la différence de nombre de leurs homologues nationaux, les députés européens ne sont pas prisonniers d’une logique majoritaire, et ne votent pas systématiquement pour (ou contre) les propositions de la Commission. Ils ne les approuvent généralement qu’après avoir obtenu des modifications substantielles pendant les négociations avec la Commission et le Conseil. Mais pour mesurer l’influence du PE, on ne peut plus s’en remettre à un taux d’approbation de ses amendements : il faudrait analyser les dossiers au cas par cas, sur un mode qualitatif, pour déterminer comment les propositions de la Commission ont été adaptées aux attentes des députés.


Programme de travail de la Commission pour 2024

 


Des élections européennes aux multiples conséquences


S’il est délicat de quantifier l’influence du PE, c’est paradoxalement parce qu’il occupe désormais une place centrale dans le régime politique de l’Union. Il n’est plus un organe qui peut imposer quelques amendements depuis une position extérieure au cœur du système, mais une institution dont la désignation constitue le moment central de la vie politique de l’Union. En votant aux élections européennes, comme les citoyens s’apprêtent à le faire le 9 juin, ils ne se contentent pas de définir les équilibres partisans de la nouvelle assemblée : ils conditionnent la marche de l’Union à quatre titres.


Discours d'Ursula von der Leyen devant le PE (juillet 2019)


En premier lieu, le Conseil européen est tenu de prendre en compte le résultat des élections européennes pour choisir son candidat (ou sa candidate) à la présidence de la Commission, qui doit être ensuite « élu » par le PE. Le traité prévoit que cette élection se fait « à la majorité des membres » : une fois désigné, le candidat devra recueillir 361 voix favorables sur 720 députés. Ce n’est pas une mince affaire, puisque tous les abstentionnistes et les absents seront considérés comme hostiles à son élection. Le résultat des européennes commande donc indirectement l’identité du président de la Commission. Or celui-ci exerce désormais un vrai leadership sur l’institution : choix des autres commissaires (en lien avec les représentants des Etats) ; distribution des portefeuilles et des vice-présidences ; définition de la ligne politique générale de la Commission…


C’est là une deuxième conséquence importante des élections européennes : elles conditionnent étroitement le programme de la Commission pour la nouvelle législature. Dans la mesure où son président doit trouver une majorité pour être « élu » et, ensuite, pour que le PE approuve la composition du collège des commissaires, il doit présenter aux députés un programme susceptible de les convaincre. Même si le président de la Commission doit aussi tenir compte des attentes des Etats membres, les équilibres politiques issus des élections européennes ont un impact sur son programme.


La Commission von der Leyen (2019-2024)


Troisièmement, la composition du PE pèse aussi sur celle de la Commission. Depuis 2004, les députés européens se font fort, à l’occasion des auditions des candidats-commissaires qui précèdent le vote d’investiture de la Commission dans son ensemble, d’exiger des aménagements. A chaque fois, le PE a demandé et obtenu le remplacement de certains candidats, jugés inaptes, ou une modification de la distribution des portefeuilles entre eux.


En quatrième et dernier lieu, le résultat des élections européennes influe sur la dynamique institutionnelle tout au long de la législature. En effet, la procédure de codécision s’applique désormais à 80% des textes législatifs. Le PE vote aussi le budget et approuve les accords internationaux, et il exerce un contrôle étroit sur la Commission. Même si la tendance naturelle de la Commission est d’être davantage à l’écoute des ministres que des députés, elle doit prendre en compte les équilibres partisans qui s’expriment au sein du PE quand elle rédige une proposition si elle veut obtenir son aval.

 

En somme, les élections européennes remplissent désormais un rôle similaire à celui que jouent les élections législatives dans les régimes parlementaires classiques – tels que l’Allemagne, l’Italie ou la Belgique. Elles ne visent pas seulement à renouveler l’assemblée qui représente les citoyens, mais constituent un événement central de la vie politique qui influe directement sur la composition de l’exécutif, sur son programme politique et sur son action au quotidien pendant toute la législature.


Olivier Costa


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