- Olivier Costa
- il y a 24 heures
- 3 min de lecture
Tribune publiée par La Croix, le 9 juin 2025
Le 9 juin 2024, au soir du résultat des élections européennes, Emmanuel Macron annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale. Un an plus tard, les citoyens français jugent durement cette décision, qu’ils n’ont pas comprise et qui n’a pas apporté de solution à la crise politique dont souffre le pays. L’insatisfaction règne, car les institutions françaises semblent frappées d’immobilisme. Pourtant, elles ont connu des évolutions importantes, qui constituent un début de solution à la fragmentation politique qui affecte le pays.

Un jeu politique à l’arrêt ?
La situation politique de la France reste délicate. Le gouvernement Bayrou doit batailler pour faire passer des textes de loi, au cas par cas, et prend peu d’initiatives. Le Premier ministre est très impopulaire, et se montre rarement sur le terrain, tandis que la plupart des ministres sont inconnus du grand public. Le Président a été contraint de se focaliser sur les questions internationales et européennes, et ses tentatives pour reprendre la main à l’échelle domestique ont échoué. Quant aux oppositions, elles sont focalisées sur les prochaines élections présidentielles et se déchirent dans cette perspective.
À tout moment, l’Assemblée nationale peut censurer le gouvernement, et faire un saut dans l’inconnu. Emmanuel Macron a en effet tenté l’option de la droite, avec Michel Barnier, puis celle du centre, avec Français Bayrou. Quelle serait la prochaine étape ? L’arithmétique laisserait peu de chances de survie à un Premier ministre issu du NFP ou du RN. Il resterait l’option d’un gouvernement « technique », composé de personnalités reconnues pour leur compétence et non pour leur engagement politique, mais il serait condamné à l’attentisme qui irrite tant les citoyens. Chacun attend des prochaines élections présidentielles qu’elles clarifient la situation politique, mais si elles obligent les citoyens à choisir, tel n’est pas le cas des législatives, qui ont peu de chance de faire émerger une majorité.
De profonds changements en cours
Malgré une situation en apparence bloquée, des évolutions importantes s’opèrent. Le Parlement a retrouvé des couleurs. Ses délibérations sont certes chaotiques, mais il domine désormais la fabrique de la loi : pour la première fois sous la V° République, une large majorité des textes sont d’origine parlementaire. Le système des « niches parlementaires », l’inflation du nombre d’amendements et la multiplication des commissions d’enquête donnent plus d’influence aux oppositions. Le Sénat se fait particulièrement entendre, et jouit d’un poids inédit. Le Président a accepté de laisser le Premier ministre gouverner, et de ne plus arbitrer chaque dossier.
Une réforme du mode de scrutin pour les législatives semble désormais possible. La proportionnelle ne permettrait pas de dégager une majorité claire, mais elle encouragerait les différents groupes parlementaires à négocier des coalitions. En effet, avec le scrutin majoritaire actuel, les partis s’entendent en amont, pour soutenir des candidats uniques ; après les élections, ils sont tenus par leurs alliances. Avec la proportionnelle, chaque parti présente ses propres candidats ; les négociations s’ouvrent au soir des élections, pour déterminer qui peut gouverner avec qui et sur la base de quel programme, ce qui rend plus facile l’émergence d’une majorité stable. La plupart des partis semblent prêts à ce changement. À l’Assemblée nationale, les choses évoluent déjà : le gouvernement Bayrou a fait adopter le budget et une trentaine de lois avec l’appui ponctuel d’élus qui n’appartiennent pas à son camp. Depuis un an, une autre conception du jeu parlementaire s’invente, plus respectueuse des oppositions et de la fragmentation de l’opinion.
La frustration des citoyens reste intacte
Cette approche de la démocratie pose toutefois le problème de son image et de son manque d’efficacité, à un moment où des enjeux pressants appellent des réponses fortes et rapides. Le « Baromètre de la confiance politique » du CEVIPOF (février 2025) montre que les citoyens sont profondément insatisfaits du fonctionnement démocratique du pays : 48 % des sondés estiment que « rien n'avance en démocratie, il faudrait moins de démocratie et plus d'efficacité », 41 % approuvent l’idée d’un « homme fort qui n’a pas besoin des élections ou du Parlement » et 73 % souhaitent « un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ».
C’est la quadrature du cercle : les citoyens aspirent à ce qu’une société de plus en plus fragmentée politiquement soit gouvernée par un leader puissant, capable de décider sans ciller. Cette situation paradoxale n’est pas propre à la France ; toutes les démocraties libérales souffrent de clivages politiques complexes, bousculés par la montée des forces populistes, qui engendrent un immobilisme mortifère alors que les citoyens aspirent à un pouvoir fort et efficace. Les adaptations qui s’opèrent depuis un an sont un début de réponse à la crise de la démocratie française, mais elles ne sont pas susceptibles de contenter les attentes des citoyens.
Olivier Costa