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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Tribune publiée par La Croix, le 9 juin 2025


Le 9 juin 2024, au soir du résultat des élections européennes, Emmanuel Macron annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale. Un an plus tard, les citoyens français jugent durement cette décision, qu’ils n’ont pas comprise et qui n’a pas apporté de solution à la crise politique dont souffre le pays. L’insatisfaction règne, car les institutions françaises semblent frappées d’immobilisme. Pourtant, elles ont connu des évolutions importantes, qui constituent un début de solution à la fragmentation politique qui affecte le pays.


 

Un jeu politique à l’arrêt ?

 

La situation politique de la France reste délicate. Le gouvernement Bayrou doit batailler pour faire passer des textes de loi, au cas par cas, et prend peu d’initiatives. Le Premier ministre est très impopulaire, et se montre rarement sur le terrain, tandis que la plupart des ministres sont inconnus du grand public. Le Président a été contraint de se focaliser sur les questions internationales et européennes, et ses tentatives pour reprendre la main à l’échelle domestique ont échoué. Quant aux oppositions, elles sont focalisées sur les prochaines élections présidentielles et se déchirent dans cette perspective.

 

À tout moment, l’Assemblée nationale peut censurer le gouvernement, et faire un saut dans l’inconnu. Emmanuel Macron a en effet tenté l’option de la droite, avec Michel Barnier, puis celle du centre, avec Français Bayrou. Quelle serait la prochaine étape ? L’arithmétique laisserait peu de chances de survie à un Premier ministre issu du NFP ou du RN. Il resterait l’option d’un gouvernement « technique », composé de personnalités reconnues pour leur compétence et non pour leur engagement politique, mais il serait condamné à l’attentisme qui irrite tant les citoyens. Chacun attend des prochaines élections présidentielles qu’elles clarifient la situation politique, mais si elles obligent les citoyens à choisir, tel n’est pas le cas des législatives, qui ont peu de chance de faire émerger une majorité.

 

De profonds changements en cours

 

Malgré une situation en apparence bloquée, des évolutions importantes s’opèrent. Le Parlement a retrouvé des couleurs. Ses délibérations sont certes chaotiques, mais il domine désormais la fabrique de la loi : pour la première fois sous la V° République, une large majorité des textes sont d’origine parlementaire. Le système des « niches parlementaires », l’inflation du nombre d’amendements et la multiplication des commissions d’enquête donnent plus d’influence aux oppositions. Le Sénat se fait particulièrement entendre, et jouit d’un poids inédit. Le Président a accepté de laisser le Premier ministre gouverner, et de ne plus arbitrer chaque dossier.

 

Une réforme du mode de scrutin pour les législatives semble désormais possible. La proportionnelle ne permettrait pas de dégager une majorité claire, mais elle encouragerait les différents groupes parlementaires à négocier des coalitions. En effet, avec le scrutin majoritaire actuel, les partis s’entendent en amont, pour soutenir des candidats uniques ; après les élections, ils sont tenus par leurs alliances. Avec la proportionnelle, chaque parti présente ses propres candidats ; les négociations s’ouvrent au soir des élections, pour déterminer qui peut gouverner avec qui et sur la base de quel programme, ce qui rend plus facile l’émergence d’une majorité stable. La plupart des partis semblent prêts à ce changement. À l’Assemblée nationale, les choses évoluent déjà : le gouvernement Bayrou a fait adopter le budget et une trentaine de lois avec l’appui ponctuel d’élus qui n’appartiennent pas à son camp. Depuis un an, une autre conception du jeu parlementaire s’invente, plus respectueuse des oppositions et de la fragmentation de l’opinion.

 

La frustration des citoyens reste intacte

 

Cette approche de la démocratie pose toutefois le problème de son image et de son manque d’efficacité, à un moment où des enjeux pressants appellent des réponses fortes et rapides. Le « Baromètre de la confiance politique » du CEVIPOF (février 2025) montre que les citoyens sont profondément insatisfaits du fonctionnement démocratique du pays : 48 % des sondés estiment que « rien n'avance en démocratie, il faudrait moins de démocratie et plus d'efficacité », 41 % approuvent l’idée d’un « homme fort qui n’a pas besoin des élections ou du Parlement » et 73 % souhaitent « un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ».

 

C’est la quadrature du cercle : les citoyens aspirent à ce qu’une société de plus en plus fragmentée politiquement soit gouvernée par un leader puissant, capable de décider sans ciller. Cette situation paradoxale n’est pas propre à la France ; toutes les démocraties libérales souffrent de clivages politiques complexes, bousculés par la montée des forces populistes, qui engendrent un immobilisme mortifère alors que les citoyens aspirent à un pouvoir fort et efficace. Les adaptations qui s’opèrent depuis un an sont un début de réponse à la crise de la démocratie française, mais elles ne sont pas susceptibles de contenter les attentes des citoyens.


Olivier Costa



Dernière mise à jour : il y a 2 heures

Donald Trump's antics and United States protectionism are affecting the global economy. But they are also creating a potentially salutary crisis, calling on the major powers to reconsider their alliances and priorities, as well as the dependence in which many find themselves on the United States - from the point of view of security, trade or new technologies. Is this an opportunity for the European Union (EU) and China to reconsider their relationship, which began exactly 50 years ago? Is it possible to overcome the obstacles that led to a freeze in negotiations between the two blocs in 2021? Can their relations be balanced?





Social networks have widely circulated a letter, supposedly from Mexican President Claudia Sheinbaum to Donald Trump, arguing that the 7 billion people on the planet who are not US citizens can find ways to trade and dialogue with each other, and do without US services and products.


Claudia Sheinbaum's supposed letter to Donald Trump
Claudia Sheinbaum's supposed letter to Donald Trump

The letter is apocryphal, but its success has shown that the citizens of the countries targeted by the outbursts of the American President are ready to mobilise to boycott the United States and find alternatives. But the task is not a simple one. While one can decide overnight to prefer brands other than Tesla, Nike or Coca-Cola, or go on holiday to another country, one cannot easily reconfigure supply chains and revise a commercial and diplomatic strategy that has been established since the Second World War. What's more, given that the United States accounts for more than a quarter of the world's GDP and for the bulk of the EU's trade, it is difficult to imagine substituting other trading partners in the short term.

 




It was with this in mind, however, that the President of the European Commission Ursula von der Leyen signed the free trade agreement with Mercosur last December and relaunched negotiations with other powers (Malaysia, Mexico, Australia, Philippines, Indonesia, etc.). She also intends to diversify the EU's value and supply chains and develop its own capacities, for example in the field of rare earths. But what role can China play in these developments?

 

Complex and tense relations

 

From a strategic point of view, the EU sees China as a partner, an economic competitor and a systemic rival. It is a partner when it comes to global issues such as climate change, public health and nuclear non-proliferation, issues that are common to both blocs. It is also a feared economic competitor in areas such as new technologies, the green industry, cars and artificial intelligence. Finally, it is a systemic rival, because the EU and China have divergent conceptions of global governance, human rights and democratic values. Nevertheless, China is one of the EU's main trading partners: in 2023, bilateral trade exceeded 850 billion euros. And it is likely to intensify because, despite its current difficulties, the Chinese economy is developing rapidly and remains the engine of global growth.

 



But the leaders of the EU institutions feel that the relationship is not satisfactory: they criticise the limited access to certain Chinese markets, are concerned about the Union's dependence on strategic imports - such as rare earths and solar panels - and denounce Chinese state subsidies to certain sectors. Since 2023, the Commission has launched several investigations, notably into Chinese electric vehicles, which are suspected of benefiting from unfair state aid.

 

EU-China relations are also troubled by several sensitive issues. There is the long-standing issue of human rights, particularly the repression in Xinjiang. There is the situation in Hong Kong and Taiwan. Tensions are also arising from the measures taken by the EU against Chinese companies involved in 5G mobile telephony infrastructure, particularly Huawei. Finally, there is China's position on the war in Ukraine; Beijing maintains an official position of neutrality but is suspected in Europe of supporting its historic ally.

 

Freeze on the Comprehensive Agreement on Investment

 

These tensions have led to an impasse in the negotiations on the Comprehensive Agreement on Investment (CAI). This treaty was intended to facilitate reciprocal access to markets, improve the transparency of the rules that apply to Chinese companies in Europe and vice versa, and protect each other's investments. Negotiations were launched in 2013 and culminated in the signing of a text at the end of 2020, under pressure from the German Council Presidency, which was keen to bring this dossier to a close. However, the ratification process came up against the hostility of the European Parliament. In response, the Chinese authorities banned 10 MEPs, academics and representatives of European institutions from visiting China. As a result, the EP suspended all official dialogue with Beijing.

 

Formally, the CAI still exists, but it is no longer considered viable. As a result, the 2025 map of EU trade agreements produced by the Commission does not refer to it anymore, and China is no longer in the (yellow) category of countries with which negotiations are underway.

 

Source: European Commission 2025
Source: European Commission 2025

Opinions on this agreement are very divided. The same is true of the EU's free trade strategy in general, and there is no less controversy over relations with Canada and Mercosur. Supporters of the CAI praise the increased access for European companies to certain Chinese sectors (automotive, health, financial services, cloud), whether they are investing in the Chinese domestic market or producing in China for the rest of the world. They emphasise China's commitments on the transparency of subsidies and respect for labour law, as well as the legal protection of foreign investment. Opponents of the agreement, on the other hand, believe that it provides more advantages for China in the short term, that the guarantees are insufficient in terms of human rights and trade union freedoms, and that the overall context of relations between China and the EU no longer lends itself to an agreement. They believe that priority should now be given to economic "de-risking", i.e. limiting dependence on particular partners, and that mechanisms for controlling inward and outward investment should be strengthened.

 

Deep divisions about the EU-China relations

 

The possibility of relaunching negotiations with China depends on the emergence of a consensus within the European Council and the European Parliament (EP). For the time being, Member States and political groups are divided, advocating three distinct approaches.

 

Firstly, there are the hardliners (France, Lithuania, Czech Republic) who are calling for a firmer stance on Beijing. This is also the case at the EP with the Greens/EFA group, which is particularly tough on human rights and the environment, and is calling for strong measures to prevent the Union becoming strategically dependent and to safeguard the security of computer data. The Left (GUE/NGL group) shares this critical point of view, but also denounces the Union's foreign policy, which is judged to be neo-colonial, and rejects the very concept of free trade in favour of a multipolar conception of the world.

 

Other countries (Germany, Hungary) favour commercial stability and pragmatic cooperation, and are more concerned about commercial issues (exports to China, Chinese investment on their soil). In the European Parliament, this line is defended by the EPP group (Christian Democrats): while it criticises the infringement of human rights and is concerned about Chinese interference, it remains in favour of free trade, subject to fairer rules and greater reciprocity.

 

A final group includes supporters of "de-risking", who want the EU to reduce its dependence on China and ensure its strategic autonomy, without breaking economic ties with Beijing. In the EP, this line is taken by the S&D (Socialists) and Renew (centrists and liberals) groups. They are concerned about rights and freedoms and, in economic matters, are critical of dumping and forced labour practices. As such, they played a key role in blocking the CAI in the European Parliament in 2021. This is also broadly the position of the radical right and eurosceptic groups, who nonetheless - on this issue as on many others - have complex and fragmented positions. They have little concern for human rights, but see China as a strategic threat. Economically, they favour protectionism. Finally, they tend to align themselves with the hostility of the United States towards China - particularly since the return of Donald Trump to the White House. Some parties, however, such as the Rassemblement National in France and Fidesz in Hungary, are particularly conciliatory towards the Chinese authorities. 

 

What are the prospects for relations between China and Europe?

 

Despite the persistent stalemate over the CAI dossier, there are several reasons to believe that developments are conceivable in the short to medium term.

 

Firstly, in the context of growing tensions with the United States, both the EU and China need new partnerships. These are economies whose prosperity is based on exports, and which depend on imports for certain goods and services. It is impossible for them to achieve self-sufficiency in many areas in the medium term, and their domestic market cannot absorb all their production. What's more, in negotiations with the United States, invoking a third party (the EU for China, and vice versa) can prove invaluable. For the EU, re-engaging with Beijing means signifying to the Trump administration that a real negotiation is needed and that it is not in a position to impose its conditions unilaterally. This would be particularly the case if the EU and China were to align their positions on a given issue. This analysis also applies to the Chinese negotiators, who will no doubt take advantage of their contacts with the European Union in their exchanges with the US administration.

 

Secondly, there has been a weakening of the political forces most hostile to China, particularly following the European elections in June 2024, which saw a marked decline in the numbers of the Greens and the Liberals and, to a lesser extent, the Socialists. Conversely, parties in favour of closer ties with China and greater economic pragmatism have the wind in their sails, both in the EP and in the European Council. Several national leaders of the radical right - notably Viktor Orban - are very committed to bilateral relations with China.

 

Thirdly, there has been a degree of de-escalation. On 8 April 2025, President von der Leyen spoke on the phone with Chinese Premier Li Qiang. On 6 May 2025, the spokesman for the Chinese Ministry of Foreign Affairs announced that China and the European Parliament had agreed to simultaneously lift restrictions on contacts and agreed on the importance of strengthening dialogue and cooperation between China and the EU. EU leaders are expected in Beijing at the end of July for a summit with President Xi Jinping to mark the 50th anniversary of diplomatic relations between the two blocs.

 

Finally, public opinion is changing. China's image is mechanically improving as that of the United States and Russia deteriorates. People, even those with little knowledge of current geopolitical issues, understand that the EU's economic prosperity depends on its ability to trade on a global scale, and that new partnerships need to be developed in this direction. The map below shows how this is changing. In red are the countries whose citizens have a better image of China than of the United States. We can see that Atlanticism is in sharp decline in Europe, which creates a positive context for the resumption of negotiations with China.





A form of political realism is emerging, both in the European institutions and in public opinion. There is a tendency to consider that the Union cannot claim to be in dialogue only with countries whose regimes are fully democratic, because their number is shrinking every year... Faced with the political drift underway in the United States and the aggressiveness of Russia, as well as the situation in Gaza, the sharp tensions between India and Pakistan, and the growing hostility of many African countries towards the Union, Europeans may have to revise their position on China.


Olivier Costa - olivier.costa@cnrs.fr



Xi Jinping reading Trump's book (AI)
Xi Jinping reading Trump's book (AI)

Dernière mise à jour : il y a 2 heures

Les foucades de Donald Trump et le protectionnisme américain affectent l’économie mondiale. Mais ils engendrent aussi une crise, possiblement salutaire, qui appelle les grandes puissances à reconsidérer leurs alliances et leurs priorités, ainsi que la dépendance dans laquelle beaucoup se trouvent vis-à-vis des Etats-Unis – du point de vue la sécurité, du commerce ou des nouvelles technologies. Est-ce l’occasion pour l’Union et la Chine de raviver leurs liens, amorcés il y a exactement 50 ans ? Est-il possible de surmonter les obstacles qui ont conduit en 2021 à un gel des négociations entre les deux blocs ? La relation entre les deux blocs peut-elle être équilibrée ?




Ces derniers mois, les réseaux sociaux ont largement fait circuler une lettre, supposément adressée par la Présidente du Mexique Claudia Sheinbaum à Donald Trump, faisant valoir que les 7 milliards d’habitants de la planète qui ne sont pas citoyens américains peuvent trouver les moyens de commercer et de dialoguer entre eux, et se passer des services et des produits des Etats-Unis.

 

Lettre apocryphe de Claudia Sheinbaum à Donald Trump
Lettre apocryphe de Claudia Sheinbaum à Donald Trump

La lettre est apocryphe, mais son succès a montré que les citoyens des pays visés par les emportements du Président américain sont prêts à se mobiliser pour boycotter les Etats-Unis et trouver des alternatives. Mais la tâche n’est pas simple. Si l’on peut décider du jour au lendemain de préférer d’autres marques que Tesla, Nike ou Coca-Cola, ou aller en vacances dans un autre pays, on ne peut pas reconfigurer facilement les chaînes d’approvisionnement et réviser une stratégie commerciale et diplomatique établie depuis la seconde guerre mondiale. En outre, dans la mesure où les Etats-Unis comptent pour plus du quart du PIB mondial et pour la majeure partie du commerce de l’Union, il est difficile de prétendre y substituer à court terme d’autres partenaires commerciaux.

 


 

C’est pourtant dans cet esprit que la Présidente de la Commission européenne a signé le traité de libre-échange avec le Mercosur en décembre dernier et relancé les négociations avec d’autres puissances (Malaisie, Mexique, Australie, Philippines, Indonésie…). Elle entend aussi diversifier les chaines de valeur et d’approvisionnement de l’Union, et développer ses capacités propres, par exemple dans le domaine des terres rares. Mais quelle peut être la place de la Chine dans ces évolutions ?

 

Des relations complexes et tendues

 

D’un point de vue stratégique, l’Union européenne considère la Chine tout à la fois comme un partenaire, un concurrent économique et un rival systémique. C’est un partenaire sur des enjeux globaux comme le climat, la santé publique ou la non-prolifération nucléaire, problématiques communes aux deux blocs. C’est aussi un concurrent économique redouté, dans des domaines tels que les nouvelles technologies, l’industrie verte, l’automobile et l’intelligence artificielle. Enfin, c’est un rival systémique, car l’Union et la Chine ont des conceptions divergentes de la gouvernance mondiale, des droits humains et des valeurs démocratiques. La Chine est néanmoins l’un des principaux partenaires commerciaux de l’UE : en 2023, les échanges bilatéraux dépassaient 850 milliards d’euros. Et ils vont probablement s’intensifier car, malgré ses difficultés actuelles, l’économie chinoise est en plein développement et reste la locomotive de la croissance mondiale.

 

Principaux contributeurs à la croissance mondiale
Principaux contributeurs à la croissance mondiale

 

Mais les responsables des institutions européennes estiment que la relation n’est pas satisfaisante : ils critiquent l’accès limité à certains marchés chinois, se préoccupent de la dépendance de l’Union à des importations stratégiques – tels que les terres rares et les panneaux solaires – et dénoncent les subventions de l’État chinois à certains secteurs. Depuis 2023, la Commission européenne a ainsi lancé plusieurs enquêtes, notamment sur les véhicules électriques chinois, soupçonnés de bénéficier d’aides publiques déloyales.

 

Les relations UE-Chine sont aussi perturbées par quelques dossiers sensibles. Il y a celui, ancien, des droits humains, et notamment de la répression au Xinjiang. Il y a la situation de Hong Kong et celle de Taiwan. Des tensions découlent aussi des mesures prises par l’Union à l’égard des entreprises chinoises impliquées dans les infrastructures de téléphonie mobile 5G, en particulier vis-à-vis de Huawei. Enfin, il y a le positionnement de la Chine face à la guerre en Ukraine ; Pékin maintient une position officielle de neutralité, mais est soupçonné en Europe de soutenir son allié historique.

 

Le gel de l’Accord global sur les investissements

 

Ces tensions ont conduit les négociations de l’Accord global sur les investissement (CAI : Comprehensive Agreement on Investment) dans l’impasse. Ce traité visait à faciliter l’accès réciproque aux marchés, à améliorer la transparence des règles qui s’imposent aux entreprises chinoises en Europe et inversement, et à protéger les investissements des uns et des autres. Les négociations, lancées en 2013, ont abouti à la signature d’un texte fin 2020, sous la pression de la présidence du Conseil allemande, qui tenait à boucler ce dossier. Le processus de ratification s’est toutefois heurté à l’hostilité du Parlement européen. Celui-ci a en effet formulé de vives critiques quant à la violation des droits humains au Xinjiang, critiques auxquelles les autorités chinoises ont répliqué en interdisant de séjour en Chine 10 députés européens, universitaires et représentants des institutions européennes. En conséquence, le Parlement européen a suspendu tout dialogue officiel avec Pékin.

 

Formellement, le CAI existe toujours, mais il n’est plus considéré comme viable. Ainsi, la carte des accords commerciaux de l’Union produite par les services de la Commission n’y fait plus référence depuis cette année ; la Chine n’appartient plus à la catégorie (jaune) des pays avec lesquels des négociations sont en cours.

 


Carte des accords commerciaux de l'UE (source: Commission européenne 2025)
Carte des accords commerciaux de l'UE (source: Commission européenne 2025)

 

Les avis sur cet accord sont très partagés. Ils le sont, plus largement, sur la stratégie de libre-échange de l’Union en général, et les controverses ne sont pas moindres sur les relations avec le Canada et le Mercosur. Les partisans du CAI vantent l’accès accru pour les entreprises européennes à certains secteurs chinois (automobile, santé, services financiers, cloud), qu’il s’agisse d’investir le marché domestique chinois ou de produire en Chine à destination du reste du monde. Ils soulignent les engagements chinois sur la transparence des subventions et le respect du droit du travail, et la protection juridique des investissements étrangers. Les opposants à l’accord estiment pour leur part qu’il procure plus d’avantages pour la Chine à court terme, que les garanties sont insuffisantes s’agissant des droits de l’homme et des libertés syndicales, et que le contexte global des relations entre la Chine et l’UE ne se prête plus à un accord. Ils estiment que la priorité doit être désormais au « dé-risking » économique, c’est-à-dire à la limitation de la dépendance vis-à-vis de partenaires donnés, et qu’il faut renforcer les mécanismes de contrôle des investissements entrants et sortants.

 

De profondes divisions d’approche

 

La possibilité d’une relance des négociations avec la Chine est dépendante de l’émergence d’un consensus au sein du Conseil européen et du Parlement européen (PE). Pour l’heure, les États membres comme les groupes politiques sont divisés, et prônent trois approches distinctes.

 

Il y a d’abord les tenants d’une ligne dure (France, Lituanie, Tchéquie) qui plaident pour plus de fermeté vis-à-vis de Pékin. C’est aussi le cas au PE du groupe des Verts/ALE, qui est particulièrement sévère sur les droits humains et l’environnement, et demande des mesures fortes pour éviter la dépendance stratégique de l’Union et préserver la sécurité des données informatiques. La gauche (groupe GUE/NGL) partage ce point de vue critique, mais éreinte aussi la politique extérieure de l’Union, jugée néocoloniale, et rejette le concept même de libre-échange au bénéfice d’une conception multipolaire du monde.

 

D’autres pays (Allemagne, Hongrie) privilégient la stabilité commerciale et la coopération pragmatique, et se préoccupent davantage d’enjeux commerciaux (exportations en Chine, investissement chinois sur leur sol). Au PE, cette ligne est défendue par le groupe PPE (démocrates-chrétiens) : il critique certes les entorses faites aux droits humains et se soucie des ingérences chinoises, mais reste favorable au libre-échange, à la condition de règles plus équitables et de davantage de réciprocité.

 

Un dernier groupe comprend les partisans du « dé-risking », qui entendent que l’Union réduise sa dépendance vis-à-vis de la Chine et veille à son autonomie stratégique, sans pour autant rompre les liens économiques avec Pékin. Au PE, cette ligne est celle des groupes S&D (socialistes) et Renew (centristes et libéraux). Ils sont préoccupés par le dossier des droits et libertés et, en matière économique, sont critiques des pratiques de dumping et de travail forcé. A ce titre, ils ont joué un rôle-clé dans le blocage du CAI au Parlement européen en 2021. C’est, dans l’ensemble, la position des groupes de la droite radicale et eurosceptique, qui ont toutefois – en cette matière comme en bien d’autres – des positions complexes et fragmentées. Ils se préoccupent peu de la question des droits humains, mais voient la Chine comme une menace stratégique. D’un point de vue économique, ils sont favorables au protectionnisme. Enfin, ils tendent à s’aligner sur l’hostilité des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine – notamment depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Certains partis, comme le RN en France ou Fidesz en Hongrie sont néanmoins particulièrement conciliants avec les autorités chinoises. 

 

Quelles perspectives pour les relations entre Chine et Europe ?

 

Malgré le blocage persistant du dossier CAI, plusieurs raisons laissent penser qu’une évolution est envisageable à court ou moyen terme.

 

D’abord, dans le contexte des tensions croissantes avec les Etats-Unis, l’Union et la Chine ont toutes deux besoin de nouveaux partenariats. Ce sont des économies dont la prospérité repose sur les exportations, et qui dépendent des importations pour certains biens et services. Il leur est impossible d’atteindre à moyen terme une forme d’autosuffisance dans nombre de domaines, et leur marché intérieur ne peut absorber toute leur production. En outre, dans les négociations avec les Etats-Unis l’invocation d’un tierce partie (l’Union pour la Chine, et inversement) peut s’avérer précieux. Pour l’Union, renouer avec Pékin, c’est signifier à l’administration Trump qu’elle n’est pas incontournable et qu’elle n’est pas en situation d’imposer unilatéralement ses conditions. Ce serait tout particulièrement le cas si l’Union et la Chine alignaient leurs positions sur un dossier donné. L’analyse vaut aussi pour les négociateurs chinois, qui chercheront sans doute à s’appuyer sur l’Union européenne dans leurs contacts avec l’administration américaine.



Xi Jinping lisant le livre de Donald Trump "The art of the deal" (IA)
Xi Jinping lisant le livre de Donald Trump "The art of the deal" (IA)

En deuxième lieu, on note un affaiblissement des forces politiques les plus hostiles à la Chine, notamment à l’issue des élections européennes de juin 2024, qui se sont traduites par un net recul des Verts et des Libéraux et, dans une moindre mesure, des socialistes. A l’inverse, les partis favorables à un renforcement des liens avec la Chine et à plus de pragmatisme économique ont le vent en poupe, au PE comme au Conseil européen. Plusieurs leaders nationaux de la droite radicale – notamment Viktor Orban – sont en effet très investis dans des relations bilatérales avec la Chine.

 

Il faut, en troisième lieu, noter une certaine désescalade. Le 8 avril 2025, la présidente von der Leyen s'est entretenue au téléphone avec le Premier ministre chinois Li Qiang. Le 6 mai, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a annoncé que la Chine et le Parlement européen avaient convenu de lever simultanément les restrictions sur leurs échanges, et s’accordaient sur l’importance de renforcer le dialogue et la coopération entre la Chine et l’Union. Les dirigeants de l’UE sont d’ailleurs attendus à Pékin fin juillet pour un sommet avec le président Xi Jinping, à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux blocs.

 

On note enfin une évolution des opinions publiques. L’image de la Chine s’améliore mécaniquement à mesure que celle des Etats-Unis et de la Russie se dégradent. Les citoyens, même peu au fait des enjeux géopolitiques du moment, comprennent que la prospérité économique de l’Union dépend de sa capacité à commercer à l’échelle globale, et qu’il convient de développer de nouveaux partenariats en ce sens. La carte ci-dessous atteste de l’évolution en cours. En rouge figurent les pays dont les citoyens ont une meilleure image de la Chine que des Etats-Unis. On voit que l’atlantisme régresse fortement en Europe, ce qui crée un contexte positif pour la reprise des négociations avec la Chine.

 

Popularité relative Chine - Etats-Unis à travers le monde (2025)
Popularité relative Chine - Etats-Unis à travers le monde (2025)

Une forme de réalisme politique émerge, dans les institutions européennes comme dans l’opinion. Elle tend à considérer que l’Union ne peut pas prétendre dialoguer uniquement avec des pays dont le régime est pleinement démocratique, car leur nombre se réduit chaque année... Face à la dérive politique en cours aux Etats-Unis et à l’agressivité de la Russie, face aussi à la situation à Gaza, aux vives tensions entre l’Inde et le Pakistan, et à l’hostilité croissante de nombreux pays africains à l’égard de l’Union, les Européens pourraient être amenés à réviser leur position sur la Chine.


Olivier Costa - olivier.costa@cnrs.fr

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