top of page

Blog

Rechercher

Le 16 janvier 2025, la plupart de députés socialistes ont refusé de voter la motion de censure déposée par les élus Insoumis contre le gouvernement. Les Insoumis les avaient pourtant menacés des pires représailles. Ce revirement est le symptôme d’un ras-le-bol côté PS des outrances de leurs encombrants partenaires, mais s’explique aussi par les concessions faites par François Bayrou. Si son gouvernement reste à la merci d’une censure, un premier pas vers un régime parlementaire à la française a sans doute été franchi.

 

Jean-Luc Mélenchon, dans les tribunes de l’Assemblée nationale

 

L’union aux législatives, un vieil impératif électoral

 

Les alliances politiques doivent souvent moins à des enjeux idéologiques qu’à des intérêts électoraux et partisans. Il en va ainsi dans toute démocratie représentative. Pour les élections régies par un scrutin majoritaire, les partis de gauche comme ceux de droite doivent trouver les moyens de s’entendre afin de ménager leurs intérêts électoraux. En France, c’est surtout le cas pour les législatives. La multiplication des candidatures d’un camp est en effet néfaste à ses chances de succès puisqu’il lui faut d’abord accéder au second tour, et donc éviter la dispersion des voix au premier, puis, le cas échéant, rallier toutes les forces disponibles sur le candidat restant. En cas triangulaire ou de quadrangulaire, possibles si d’autres candidats que les deux arrivés en tête obtiennent les voix d'au moins 12,5% des électeurs inscrits, il convient aussi d’imposer des désistements.

 


Robert Fabre (Radicaux de gauche), François Mitterrand (PS) et Georges Marchais (PCF), artisans du Programme commun de la gauche.

Les enjeux sont similaires aux présidentielles : plusieurs candidatures d’un camp sont envisageables au premier tour, mais point trop n’en faut, et il faut ensuite se mobiliser pour faire battre l’autre finaliste. L’union est devenue particulièrement cruciale dans un contexte politique où dominent trois grandes forces politiques (gauche, centre et droite, et extrême-droite), car accéder au second tour n’a plus rien d’automatique. Ainsi, par trois fois déjà depuis le début du siècle (2002, 2017, 2022), la gauche a été privée de sa place en finale par le RN.

 

Des négociations toujours délicates

 

Depuis les années 1970, les différents partis français de gauche, d’un côté, et de droite, de l’autre (exception faite du FN/RN), ont veillé à trouver un terrain d’entente. Ils se sont notamment partagé les circonscriptions aux élections législatives, ont négocié des accords de désistement et un socle programmatique. Ces ententes n’ont jamais eu de caractère général : elles n’empêchaient pas chaque parti de concourir sous ses propres couleurs aux scrutins régis par la proportionnelle – élections européennes, municipales ou régionales, et législatives de 1986. Ces négociations n’ont jamais été aisées, car elles exigeaient de gros sacrifices, à la fois sur le programme et sur les candidatures. Qu’il s’agisse de l’union de la gauche (PS, PCF, Verts et radicaux de gauche) ou celle de la droite (RPR, UDF et divers-droite – et leurs épigones), cela prenait du temps et il n’était pas rare que des candidats dissidents viennent perturber le jeu, en rejetant les arbitrages nationaux ou les parachutages.

 

La NUPES, le NFP et le diktat des Insoumis

 

Les conditions de négociation de la NUPES (2022) et du NFP (2024) se distinguent des précédents accords de bloc par le caractère déséquilibré des accords obtenus. Pour sceller celui de la NUPES, en 2022, puis celui du NFP, en 2024, J.-L. Mélenchon a en effet adopté les techniques de négociation des acheteurs de la grande distribution. Fondées sur la théorie des jeux, elles prescrivent une attitude brutale et maximaliste : le vainqueur est celui qui persiste dans une démarche non-coopérative, menaçant de faire capoter l’accord si sa demande n’est pas acceptée dans son entièreté.

 

Ainsi, lors des tractations de la NUPES en 2022, M. Mélenchon a brandi ses résultats au premier tour des présidentielles de 2022 (où il avait obtenu 21,95% des voix, contre 4,63% à Yannick Jadot, 2,28% à Fabien Roussel et 1,75% à Anne Hidalgo, arrivée dixième) et exigé que la répartition des circonscriptions s'opère sur ces bases. Mais son succès relatif était le résultat d’un vote utile des électeurs de gauche : jamais LFI n’a pesé 22% dans l’opinion, ni le PS 1,75%. En 2024, les négociations en vue du NFP ont été conduites sur la base de la composition de l’Assemblée sortante, où LFI était surreprésenté, compte tenu de l'accord de 2022 : 75 sièges, contre 31 au PS, 23 aux Ecologistes et 22 aux communistes.


En 2022, d’autres indicateurs auraient pu être pris en compte, comme les scores du PS aux élections territoriales, ou son poids historique dans la vie politique française. De même, en 2024, les résultats des européennes auraient pu constituer le point de départ des discussions : la liste du PS avait obtenu 13,83% des voix le 9 juin, contre 9,89% pour celle des Insoumis. Ces résultats étaient un parfait indicateur du poids relatif des deux formations politiques, quelques jours avant les négociations. Mais, dans les deux cas, les Insoumis n'ont pas plié et obtenu une écrasante majorité des circonscriptions : 360 contre 70 au PS en 2022, et 229 contre 175 au PS en 2024. Les leaders du PS ont préféré la sauvegarde de leurs intérêts personnels – l’obtention de « bonnes » circonscriptions pour eux et leurs proches – à ceux du parti et de sa ligne politique.

 

Présentation du NFP par Manuel Bompard (LFI) en juin 2024

Six mois après la création du NFP, le PS a néanmoins choisi de négocier avec le gouvernement de François Bayrou, et n’a pas voté la censure initiée par LFI le 16 janvier 2025 – à l'exception du 8 députés socialistes. Trois raisons expliquent ce revirement stratégique : le rejet de la politique du chaos orchestrée par les Insoumis ; l’attitude excessivement autoritaire de J.L. Mélenchon et de ses amis ; et les talents de négociateur du Premier ministre.

 

Le rejet de la stratégie du chaos

 

La première raison qui explique le changement de pied du PS est sans doute un ras-le-bol vis-à-vis du chaos orchestré par LFI à l’Assemblée nationale depuis 2022. Il est devenu difficile à assumer pour de nombreux élus et militants du PS, qui sont attachés au bon fonctionnement des institutions, sensibles aux risques induits par l’absence de budget, et conscients que tout cela ne profite qu’au RN. Sans rien faire ni rien proposer, Mme Le Pen s’est en effet construit une image de présidentiable, par simple contraste avec les outrances des Insoumis et la faiblesse des leaders du centre et de la droite de gouvernement.


La déclaration de politique générale de François Bayrou, le 14 janvier, a sans doute constitué la goutte de trop pour une partie des élus du PS. La séance a en effet été marquée par une agitation extrême des députés insoumis, qui visait à empêcher le Premier ministre de s’exprimer. Ces élus affirment qu’ils ne font que remplir leur rôle d’opposants politiques, et protester contre le refus de M. Macron de nommer Lucie Castets à Matignon. Mais le caractère systématique et récurrent de leurs vociférations et interpellations est sans précédent sous la V° République. Il y a toujours eu des moments de grande agitation à l’Assemblée nationale, mais la qualité moyenne des débats a connu une dégradation spectaculaire depuis 10 ans à l’initiative des partis extrémistes, peu désireux de contribuer à une délibération fondée sur des échanges argumentés.

 

Une récente étude de Yann Algan, Thomas Renault et Hugo Subtil pour le CEPREMAP démontre ainsi qu’un nombre croissant de députés ont abandonné tout discours rationnel pour se focaliser sur l’expression de leurs émotions et de leur colère, dans des interventions toujours plus courtes et frustes, destinées à complaire aux standards des réseaux sociaux. Cela conduit à créer des clivages irréconciliables sur quasiment tous les sujets et à installer une bronca permanente. Le phénomène n'est pas qu'une réaction à la dissolution de juin dernier : il est sensible depuis longtemps, et résulte de la volonté délibérée de certains leaders de « conflictualiser » tout ce qui peut l’être, afin de rendre le pays ingouvernable.

 

Source: Algan et al., 2025

Cette attitude radicale a un coût. Les sondages d’opinion montrent que M. Mélenchon est désormais la personnalité politique française qui fait l’objet du rejet le plus fort. Si certains au PS le voyaient comme le leader charismatique qui permettrait à la gauche de l’emporter, ils considèrent désormais son impopularité comme un handicap majeur.

 

Baromètre politique Ipsos-CESI École d'ingénieurs pour La Tribune Dimanche, 11 janvier 2025

Les excès de l’humiliation publique

 

En deuxième lieu, la décision du PS de ne plus suivre la ligne politique du NFP tient à l'attitude des leaders insoumis. Même si l’on est dur en négociation, il importe de ne pas faire perdre la face publiquement à ses interlocuteurs. Afin de contraindre les élus PS à voter la censure, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Mathilde Panot les ont pourtant menacés ouvertement de les faire échouer aux prochaines législatives. Cette perspective structure les négociations depuis les prémisses de la NUPES, mais la clamer sur les réseaux sociaux est maladroit. Certes, les cadre du PS n’ont pas brillé par leur courage depuis 2022, mais ils doivent pouvoir s’abriter derrière un narratif : celui de la nécessité pour les partis de gauche de serrer les rangs pour reprendre le pouvoir. Tant que les menaces restaient circonscrites à des réunions à huis clos, il était possible pour M. Faure et ses amis de présenter une reculade comme un compromis avantageux. Mais les diktats des Insoumis sont désormais publics. Le 19 janvier 2025 (Grand Jury RTL-Le Monde), M. Mélenchon les a réitérés avec la verve qu'on lui connaît, en annonçant que, lors de prochaines élections législatives, « il y aura des candidats de la gauche de rupture dans toutes les circonscriptions » – sous-entendu, y compris dans celles détenues par le PS. Face à ces ultimatums répétés, il n’était plus possible pour les responsables socialistes d’obtempérer sans reconnaître que le NFP n’est ni un mariage d’amour, ni une union de raison, mais une relation BDSM.

 

L’habileté de François Bayrou

 

La troisième raison du refus des socialistes de voter la censure le 16 janvier est l’habileté de François Bayrou et de son entourage, notamment son conseiller Eric Thiers qui a conduit les négociations avec le PS. D’abord, le Premier ministre s’est montré modeste et ouvert au dialogue. Ce n’est pas un champion de la rhétorique et de l’éloquence : il parle de manière simple et accessible, avec même des maladresses qui l’humanisent. Il ne part pas du principe qu’il a la solution à tous les problèmes et que toute discussion n’est qu’une perte de temps. Ensuite, M. Bayrou a pris ostensiblement ses distances avec M. Macron, et obtenu de négocier avec les oppositions sans ingérence de sa part. Pour finir, le Premier ministre était prêt à des concessions. Sur ce point, son attitude diffère de son prédécesseur : Michel Barnier avait lui aussi opté pour le dialogue, mais il entendait trouver son salut dans le soutien passif du RN, et non dans celui du PS.

 

Enfin, le Premier ministre s’est prononcé dans son discours de politique générale du 14 janvier en faveur de l’introduction de la proportionnelle pour les élections législatives. Or, ce mode de scrutin, quelles que soient ses modalités précises, permettrait au PS de reprendre son indépendance vis-à-vis de ses partenaires du NFP, comme ce fut le cas pour les élections européennes de juin 2024. Dans un scrutin proportionnel, les négociations entre les partis ont en effet lieu après les élections – pour définir les contours et le programme d’une majorité – et non avant – pour s’entendre sur des candidatures uniques, comme ce fut le cas en 2022 et 2024.

 


Dessin de Lefèvre, Le Canard Enchaîné, 15 janvier 2025

Le divorce entre le PS et LFI est consommé

 

François Bayrou a donc provoqué le divorce entre le PS et LFI, qui semblait inévitable depuis quelques mois, compte-tenu du refroidissement des relations entre les deux partis, des divergences de vues sur la conduite à tenir vis-à-vis du gouvernement, et de l’impopularité croissante de M. Mélenchon – y compris chez les électeurs socialistes et écologistes. Personne au PS ne semblait plus se réjouir de la perspective que celui-ci soit l'unique candidat de la gauche lors des prochaines présidentielles, anticipées ou non. Or, toute l’action du leader de LFI était motivée par cela : empêcher d’autres candidatures de gauche par le chantage aux législatives, accéder ainsi au second tour, et l’emporter face à Mme Le Pen par la vertu du front républicain. Un autre scénario se profile désormais.

 


Sondage CSA réalisé du 31 octobre au 2 novembre par questionnaire auto-administré en ligne sur un échantillon national représentatif de 1.013 personnes âgées de plus de 18 ans.

 

Quel avenir pour le gouvernement Bayrou ?

 

Nul ne sait si le gouvernement Bayrou tiendra, et ce pour deux raisons au moins. La première est l'arithmétique : si le RN et l’UDR (les amis d’Eric Ciotti) joignent leurs voix à celle de LFI, des Verts, des communistes et du groupe LIOT, dont le positionnement politique reste incertain, ils totalisent 289 voix et peuvent faire tomber le gouvernement - sans les socialistes.


Composition de l’Assemblée nationale, janvier 2025

 

En second lieu, la position du PS sur la censure pourrait évoluer. S’il existe une forme d’accord sur le budget, le PS souhaitera peut-être sanctionner le gouvernement quand il sera question d’immigration – sujet sur lequel les Républicains demanderont tôt ou tard des gages – ou de la réforme des retraites – pour laquelle, au-delà de la « pause », les positions de la gauche semblent difficilement compatibles avec celles du bloc central. C’est ce phénomène qui faisait chuter à répétition les gouvernements sous la III° et la IV° Républiques : ils étaient adossés à une coalition de partis, qui avaient accordé leurs positions sur les dossiers-clés du moment, et étaient poussés à la démission sitôt qu’un autre sujet important, sur lequel il n’existait pas d’entente, arrivait à l’agenda de l'Assemblée.

 

Néanmoins, le PS semble durablement acquis à l'idée de négocier avec le gouvernement. On voit mal les députés et les responsables du parti revenir au NFP pour s’y faire gronder en public par M. Mélenchon et ses lieutenants ; car le sort des dissidents insoumis a montré qu’ils ont la rancune tenace.





Surtout, il existe une divergence de fond entre les deux ex-partenaires sur l’agenda politique, et donc des orientations stratégiques inverses. Jean-Luc Mélenchon – tout comme Marine Le Pen, mais pour d’autres raisons – veut pousser Emmanuel Macron à la démission et provoquer des élections présidentielles anticipées. Il est pressé d’en découdre, car il avance en âge (73 ans) et ne veut pas laisser le temps à un candidat de centre-gauche d’émerger – François Hollande, Raphaël Glucksmann, Bernard Cazeneuve ou un autre. Côté PS, on est beaucoup moins pressé, et pour cette même raison : comme les Républicains, les socialistes n’ont pas de candidat naturel à présenter. Deux ans ne seront pas de trop pour le choisir et lui permettre de se faire connaître des électeurs et de mûrir son programme. Le PS, comme LR, est donc désireux de laisser M. Bayrou gouverner, et de tirer profit de l’usure qui affectera sans aucun doute sa famille politique d’ici 2027.

 

Deux premiers-pas vers un régime parlementaire ?

 

En survivant à la censure du 16 janvier, M. Bayrou, a franchi deux pas en direction d’un régime parlementaire à la française.


D’abord, il a gagné son indépendance vis-à-vis du Président de la République. Celui-ci n’intervient plus dans la gestion des questions de politique intérieure et dans les négociations entre le gouvernement et les partis d’opposition, et s’est replié sur les enjeux de politique étrangère, les questions européennes et les activités protocolaires. Le pays vit aujourd’hui en situation de cohabitation, même si M. Bayrou est un soutien historique d’Emmanuel Macron. Ce dernier s’est imposé un dry January médiatique et s’est mis en surplomb des affaires du gouvernement et du jeu des partis – à l’image de ses homologues présidents en Pologne, au Portugal, en Roumanie ou en Finlande.


En second lieu, en provocant l’explosion de fait du NFP, le Premier ministre a permis d'avancer en direction de la logique parlementaire qui seule permettra de sortir de la crise induite par la tripartition de la vie politique française. En effet, ni la gauche, ni l’extrême-droite n’ont les moyens de gouverner, faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, et il est improbable que de nouvelles élections législatives changent la donne. Rien ne garantit non plus qu’en cas d’élections présidentielles anticipées le nouveau locataire de l’Élysée obtienne une confirmation de sa victoire aux législatives. Il (ou elle) sera élu, comme M. Macron en 2022, par défaut, et il y a fort à parier qu’il devra composer à son tour avec une Assemblée fragmentée. Le pays doit donc apprendre à trouver des compromis parmi les 11 groupes politiques qui forment désormais la représentation nationale. Le fait que le PS et M. Bayrou aient choisi de négocier montre que la possibilité d'un régime parlementaire à la française se dessine.

 

Olivier Costa

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Lors de ses vœux, mardi soir, Emmanuel Macron a fait une référence énigmatique à sa volonté de consulter les Français en 2025 pour trancher certains sujets déterminants. Il n’en a pas dit plus. Quelles sont ses options en la matière ? Pourquoi a-t-il abattu cette nouvelle carte ? Pourra-t-il rester le maître du jeu politique en s’appuyant sur les citoyens ? Sera-t-il au contraire poussé à la démission ?

 



Emmanuel Macron est un personnage politique clivant. Dès sa première élection, en 2017, il a suscité des réactions épidermiques auprès d’une partie des citoyens et des commentateurs de la vie politique. Il déplaît, évidemment, à ceux dont il a provoqué le naufrage électoral, mais aussi à ceux qui ne supportent pas son style – mélange d’arrogance et de candeur. Le Président se distingue en particulier par sa croyance, apparemment inextinguible, en sa capacité à renverser l’opinion publique par le verbe. Certes, c'est un bon orateur, et il sait écrire. Mais il n’est pas démontré que ses nombreuses interventions télévisées – que ce soit à l’époque de la crise des gilets jaunes, des confinements liés au Covid ou de la séquence politique ouverte par les législatives de 2022 – aient convaincu qui que ce soit de la justesse de sa politique, et rallié les foules à son panache. Ces discours constituent plutôt un exercice de style un peu vain, qui flatte son orgueil, réjouit ses inconditionnels, irrite ses adversaires et laisse les autres indifférents. Il en va de même de ses vœux du 31 décembre, qui ont toujours suscité des réactions globalement négatives, que ce soit sur le fond – jugé partial et détaché de la réalité – ou la forme – considérée comme péremptoire et pédante.

 

Un discours doublement problématique

 

Le discours du 31 décembre 2024 ne fait pas exception. Certes, il a été nettement plus court que d’ordinaire, et moins emphatique. Il a aussi laissé la place, en prélude, à une vidéo retraçant les grands événements de l’année – néanmoins commentés par le Président. En s’abstenant de disserter sur les perspectives pour l’action gouvernementale, et en se focalisant sur les enjeux européens et de long terme, Emmanuel Macron a aussi implicitement reconnu qu’il n’a plus vocation à trancher tous les débats, selon l’approche « jupitérienne » qu’il revendiquait jusqu'alors sans détour. Pour finir, il a reconnu les effets délétères de la dissolution et a admis sa responsabilité en la matière ; c’est un acte de contrition inédit de la part d’un Président qui ne doute pas démesurément de sa clairvoyance et de la pertinence de ses décisions.

 

Ce discours pose néanmoins deux problèmes, et montre qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas pleinement pris acte de la situation politique induite par sa réélection poussive en 2022, son refus de négocier avec les partis hors-majorité à l’issue des législatives qui ont suivi, et son choix de dissoudre l’Assemblée en juin dernier.

 

Un Président qui veut garder la main

 

D’abord, le Président n’a pas renoncé au rôle de maître du jeu. En annonçant, avec une dose de mystère, que les Français seraient consultés en 2025, il s’accroche à l’idée qu’il est l’acteur central de la vie politique française, et qu’il est la solution à la crise actuelle, et non pas sa cause. Il conserve la posture d’un joueur de belote qui choisit d’abattre tel ou tel atout au moment qu’il jugera opportun, dans l'espoir d'emporter la partie.



Il a usé de la dissolution de cette façon ; non pas pour sortir d’une impasse politique, en tant que gardien des institutions, mais pour tenter de prendre de court ses adversaires. Il a agi de manière similaire en nommant à Matignon Michel Barnier, puis François Bayrou, tous deux issus de partis très minoritaires à l’Assemblée nationale. Pour ce faire, il a pris tout son temps, ne laissant à personne le loisir de le presser. Durant cette séquence, il a adopté ses décisions en toute indépendance et n’a accepté de consulter les responsables des principaux partis qu’à la marge. En définitive, il a nommé deux gouvernements qui reprennent les fondamentaux du macronisme : un positionnement au centre-droit, avec quelques débauchages sur les franges ; une ligne droitière sur les questions de sécurité, libérale sur l’économie, progressiste sur les enjeux de société, et pro-européenne. Michel Barnier et François Bayrou ont cherché à imposer leurs vues pour le choix des ministres, mais Emmanuel Macron a approuvé chaque nomination – comme l’exige l’article 8 de la Constitution. On peine, ainsi, à trouver dans ces équipes des personnes que l’on pourrait qualifier d’opposants politiques au Président.

 

En somme, alors que le parti présidentiel a été sévèrement défait lors des dernières élections législatives, le pays ne connaît pas une situation de véritable cohabitation mais simplement la recherche par le Premier ministre d’une certaine indépendance. On pourrait objecter que c’est la conséquence d’un paysage politique fragmenté : dans la mesure ou ni le Nouveau front populaire (NFP) ni le Rassemblement national (RN) ne peut prétendre échapper à une motion de censure, il y a une logique politique à gouverner au centre, en essayant d’obtenir le soutien au moins passif – c’est-à-dire l’absence de censure – de députés situés à la gauche et à la droite du bloc présidentiel. Mais le résultat n’en reste pas moins paradoxal : les alliés de M. Macron gouvernent.



Consulter les Français, mais comment ?

 

Le second problème du discours de vœux du Président tient à l’idée même d’une nouvelle consultation des Français. Comme à son habitude, Emmanuel Macron a voulu créer un effet de surprise et s’est gardé de la moindre précision quant à ses intentions, en formulant les choses de manière sibylline : « En 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai aussi de trancher certains de ces sujets déterminants. Car chacun d’entre vous aura un rôle à jouer. » 

 

A priori, le Président a fait référence à la possibilité de référendums sur des sujets controversés. Il avait déjà évoqué cette option par le passé, mais n’en a jamais pris le risque. La situation a changé : s’il refuse d’être cantonné jusqu’en 2027 aux voyages officiels, aux sommets européens et aux inaugurations, il doit pouvoir compter sur de nouveaux alliés. Il n’en trouvera ni à l’Assemblée nationale, ni dans les partis politiques extérieurs au bloc central. Il entend donc s’appuyer sur les citoyens – avec la conviction que ceux-ci oublieront bientôt la séquence chaotique du semestre dernier, et accepteront de s’en remettre une fois encore à lui. Compte tenu de la situation politique et de ses pouvoirs désormais restreints, comment peut-il impliquer les Français ? Trois options s’offrent à lui.


Une nouvelle dissolution 

 

Il peut, d’abord, provoquer une nouvelle dissolution, dès l’été prochain – pour respecter le délai de 12 mois prévu par la Constitution. Le Président n’a pas directement évoqué cette option, mais elle reste un atout dans son jeu. Elle n'est toutefois pas de nature à mettre un terme à la crise politique que la France connaît, car elle aboutira très probablement au même résultat qu’en juillet dernier. Le RN est désormais solidement implanté dans le paysage politique, et le vote pour ce parti ne peut plus être ramené à une forme de protestation conjoncturelle et volatile ; c’est en large partie un vote d’adhésion à des idées et à des leaders. Les partis de gauche restent quant à eux prisonniers, au sein du NFP, du bon vouloir et des ambitions présidentielles de Jean-Luc Mélenchon. Compte tenu du mode de scrutin en vigueur pour les législatives (scrutin majoritaire uninominal à deux tours), si le PCF, les Verts et le PS veulent conserver un nombre décent de sièges à l’Assemblée nationale, ils doivent demeurer dans le NFP – et soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon aux prochaines présidentielles. A défaut, les Insoumis présenteraient un candidat dans chaque circonscription aux législatives, ruinant ainsi les chances d’un grand nombre de sortants du NFP d’accéder au second tour du scrutin. Il est donc improbable que les lignes bougent à gauche. Du côté de la majorité présidentielle, la situation n’est pas meilleure, avec un risque de candidatures multiples au centre et à droite, et une possible réticence générale à renouveler le Front républicain qui avait permis aux alliés du Président de limiter les dégâts l'été dernier. Dans un paysage partisan inchangé, les mêmes causes conduiront aux mêmes conséquences : une Assemblée dépourvue de majorité et des perspectives de survie réduites pour le gouvernement, quel qu’il soit.


Des référendums

 

Le projet de consultation des Français peut, en deuxième lieu, renvoyer à un ou plusieurs référendums – et c’est l’idée qui vient le plus spontanément à l’esprit quand on écoute Emmanuel Macron. L’histoire a toutefois montré que l’instrument est d’un maniement délicat, surtout en France. Si le Président est à l’origine de la consultation – ce qui a été le cas pour les 9 référendums organisés depuis l’entrée en vigueur de la V° République – celle-ci a tôt fait de se transformer en plébiscite. Les citoyens ne répondent plus seulement à la question posée, mais manifestent aussi leur soutien ou leur hostilité au Chef de l’État. Sa popularité a donc une incidence directe sur les résultats du scrutin. En outre, l’on voit mal les leaders de l’opposition donner une réponse objective à la question posée par le Président. Quelle qu’elle soit, il est improbable que Marine le Pen ou Jean-Luc Mélenchon appellent à voter dans le sens qu’il suggère. Au contraire, leur ambition sera sans doute de le voir désavoué et poussé à la démission – comme ce fut le cas pour Charles de Gaulle en 1969, après le référendum perdu sur la réforme du Sénat et la création de régions.



Enfin, un référendum est peu susceptible de contribuer à la réconciliation des Français que le Président appelle de ses vœux, puisqu’il conduit à réduire un débat souvent complexe à deux options simplistes – « oui » ou « non » – et à diviser le corps électoral en deux camps antagonistes.


Une nouvelle Convention citoyenne

 

En troisième lieu, l’idée d’une consultation des citoyens peut impliquer le recours à des dispositifs délibératifs ou participatifs, tels que la Convention citoyenne pour le climat, organisée de fait à l’initiative d’Emmanuel Macron en 2019. Ces exercices sont certes louables dans leur principe, mais ils comportent de nombreuses limites quant à leur capacité à légitimer l’action publique.



D’abord, il importe qu’ils soient suivis d’effets, ce qui n'est pas toujours le cas. Ces instruments sont en effet aussi utilisés pour des besoins de communication, pour satisfaire les attentes de certains groupes ou pour calmer les esprits, et non pour orienter réellement l’action publique. La mise en œuvre de leurs conclusions est d’ailleurs souvent problématique : les participants à une convention citoyenne tendent à adopter des positions maximalistes, en net décalage avec l’état de l’opinion publique et les attentes des différentes composantes de la société – associations, acteurs économiques, élus locaux, technostructure, partis, groupes d’intérêts… Un citoyen qui s’implique dans un débat donné sera tenté d’appuyer des demandes ambitieuses, qui feront abstraction d’autres enjeux et de certains obstacles – juridiques, techniques, politiques, budgétaires… Par ailleurs, si l’existence d’une telle consultation peut contribuer à ramener la paix sociale en temps de crise, elle n’est pas susceptible de rétablir durablement la confiance des citoyens dans les institutions ou de raviver la concorde nationale. Enfin, certains citoyens peuvent, à juste titre, considérer que les participants à ces dispositifs, qu’ils soient volontaires ou tirés au sort, ne disposent d’aucune légitimité pour adopter des décisions collectives, et que cette tâche appartient aux élus.

 

L'hypothèse de la démission

 

Il reste une quatrième option, celle que réclament bruyamment Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ils sont en effet tous deux désireux de hâter le calendrier électoral, l'une pour prendre de vitesse les juges et éviter une possible peine d'inéligibilité, l'autre pour anticiper l'inévitable implosion du NFP. Cette hypothèse implique une démission d’Emmanuel Macron et l’organisation d’élections présidentielles sans attendre 2027. Le Président paraît exclure cette option : il l’a indiqué à plusieurs reprises depuis l’été et a inscrit son action dans la durée lors de son récent discours de vœux. Il reste que si l’Assemblée nationale fait tomber les gouvernements de manière répétée, y compris à l’issue de possibles nouvelles législatives cet automne, le Président y sera politiquement contraint afin de débloquer la situation.

 

Des élections présidentielles anticipées ne semblent toutefois pas susceptibles d'effacer la crise politique actuelle, car elles conforteraient la tripartition de la vie politique française que l’on connaît, et ruineraient les efforts entrepris depuis juillet dernier pour appeler les partis politiques à dialoguer de manière constructive. En effet, ce scrutin induit mécaniquement des divisions : les différents partis se rangent derrière leurs candidats respectifs et récusent par principe toute forme de coopération avec leurs adversaires. Si les élections avaient lieu en 2025, elles prendraient la forme d’une compétition entre les leaders des trois blocs qui structurent aujourd’hui la vie politique française : le NFP, le centre allié à la droite, et l’extrême-droite. Le vainqueur serait majoritaire dans les urnes, par la force d’un second tour limité à deux protagonistes, mais sans doute minoritaire dans l’opinion. En outre, rien n’indique qu’il ou elle serait capable de trouver une majorité stable à l’issue des élections législatives qui suivraient. Les institutions de la V° République ont certes été pensées et réformées dans cet objectif, mais le précédent de 2022 montre que la validation du résultat des présidentielles par les législatives n’a rien d’automatique quand la bipolarisation n'est plus la norme.

 

Une annonce pour se venger de François Bayrou ?


En somme, l’idée d’une consultation des citoyens en 2025, sous quelque forme que ce soit, n’est la garantie de rien. Elle est au contraire de nature à affaiblir le gouvernement de François Bayrou au moment où il prend ses marques. La promesse d’Emmanuel Macron semble en effet partir du principe qu’il échouera à trouver les majorités requises et à s’inscrire dans le temps, et qu’il faudra vite consulter à nouveau les Français pour surmonter une situation de blocage ou une nouvelle censure. Il est vrai qu’une analyse objective des choses n’incite pas à miser sur un succès du gouvernement Bayrou, mais le Président est censé donner le change et soutenir son Premier ministre, pas faire des pronostics à destination des parieurs.



Le fait que François Bayrou ait contraint Emmanuel Macron à le nommer à Matignon, en menaçant de quitter le bloc central avec les 36 députés du MoDem, n’est sans doute pas étranger à la référence du Président à la consultation des Français... On ne tord pas impunément le bras d’un homme qui entend, contre vents et marées, rester le maître du jeu politique français.

 

Olivier Costa

Dernière mise à jour : 8 déc. 2024



La dissolution de l’Assemblée nationale a accouché d’une fragmentation accrue de l’hémicycle, qui n’a laissé aucune chance au gouvernement Barnier. Il a été renversé le 4 décembre à une large majorité (331 voix, pour 288 nécessaires), au terme d’une alliance de circonstance entre le NFP et le RN. Trois mois après sa nomination, Michel Barnier s’en va, sans avoir pu faire adopter les lois de finance dont le pays a urgemment besoin. Emmanuel Macron a pris la parole à la télévision, le lendemain de la censure, pour annoncer avec pompe sa décision de nommer un Premier ministre de consensus. Reste à trouver cette perle rare. De cette séquence confuse, on peut tirer trois enseignements, malheureusement inquiétants.

 

 

1.     Les ambitions des présidentiables sont un poison pour la démocratie

 

Comme on a déjà eu l’occasion de le souligner, la vie politique française est malade, depuis longtemps déjà, des ambitions présidentielles des leaders des partis. Elles ont toujours pollué le fonctionnement des institutions du pays, en induisant une polarisation artificielle des camps et en faisant primer les enjeux personnels sur les enjeux politiques. Alors qu’un social-démocrate et un centriste sont idéologiquement plus proches l'un de l'autre que le premier d’un communiste et le second d’un conservateur, la logique électorale nie ce fait. Depuis 1958, la France a été structurée en deux camps – gauche et droite – et la frontière devait rester imperméable. Rares sont ceux qui l’on franchie. Quant à l’extrême-droite, elle pesait peu à l’Assemblée, de sorte qu’il s’y trouvait (presque) toujours une majorité nette pour l’un des deux camps. Mais, depuis 2022, ce n’est plus le cas. La vie politique s’organise désormais autour de trois blocs – NFP, centre et droite modérée, extrême-droite – qui sont tous loin de la majorité requise pour gouverner sereinement, et sont incapables de s’entendre entre eux.

 

Dans un régime parlementaire classique, les partis seraient poussés à coopérer et à surmonter leurs divergences. L’ambition de tous est en effet de gouverner plutôt que de siéger dans l’opposition, et cela mérite quelques concessions. En Belgique, en Allemagne, en Italie ou au Danemark, les leaders des partis sont rompus à ces négociations d’après-élections, d'où émergent les coalitions gouvernementales. Elles sont plus ou moins baroques et stables, mais elles permettent au pays d’aller de l’avant.

 

En France, l’obsession présidentielle s’y oppose. En effet, les leaders des principaux partis ne tiennent pas vraiment à participer à une coalition de gouvernement, tout accaparés qu’ils sont par leur destin élyséen.


Les candidats aux présidentielles de 2022


Dans cette logique, Jean-Luc Mélenchon orchestre le chaos dans les institutions, et l’unité dans son camp. Il entend empêcher les autres partis de gouverner et rendre impossible l’accès au pouvoir du NFP, afin de ne pas subir l’impopularité des sortants lors des présidentielles. Dans le même temps, il veut s’assurer d’une candidature unique de la gauche à l'Elysée, de préférence la sienne, condition d’un accès au second tour. Marine Le Pen joue une autre partition : elle ne veut pas gouverner non plus, mais incarner la modération. Comme Jean-Luc Mélenchon, elle ne fait rien pour que son parti puisse accéder à Matignon. En revanche, elle soigne sa respectabilité et laisse le rôle de trublion aux insoumis afin de séduire l’électorat modéré, dont elle a besoin pour l’emporter au second tour. Jusqu’au bout, Michel Barnier a cru pouvoir compter sur le soutien passif du RN : pas sur ses voix, mais sur son refus de voter une motion de censure de la gauche. Mais la perspective d’une peine d’inéligibilité pour Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires du RN est venue changer la donne : désormais, elle entend pousser Emmanuel Macron à la démission pour être élue avant la fin des procédures judiciaires qui la visent. Accessoirement, la chute du gouvernement Barnier était le plus sûr moyen de faire oublier ses ennuis, et d’empêcher Bruno Retailleau, le vibrionnant ministre de l’Intérieur, de braconner sur ses terres électorales. Au centre et à droite, ce n’est guère différent : les différents candidats putatifs ont soufflé le chaud et le froid depuis les élections, soutenant mollement le gouvernement Barnier pour ne pas être comptables de son impopularité et pour ménager différentes « offres politiques » en vue, une fois encore, des présidentielles.

 

Du côté des parlementaires ordinaires, ce n’est pas mieux. Socialistes, communistes et écologistes n’osent pas prendre leurs distances avec LFI, de peur de devoir affronter des candidats insoumis lors des prochaines législatives – anticipées ou non. Au centre et à droite, l'appui au gouvernement a été timide : les députés de l’ex-majorité ont appris à leurs dépens ce qu’il en coûtait de soutenir des responsables impopulaires. A l’extrême-droite, personne n’ose contester le leadership de Marine Le Pen, de peur de ne pas être réinvesti lors des prochaines élections. Les objections à son choix de censurer le gouvernement – qui contrevient à la stratégie de « modération » adoptée par le parti depuis longtemps – ont été prudentes. Les parlementaires français étant dans leur majorité des professionnels de la politique, qui n’ont jamais exercé d’autre métier que celui de collaborateur d’élu ou d’élu, ils privilégient les options qui leur offrent la plus grande chance de conserver leur mandat. C’est le syndrome Olivier Faure.

 

En somme, les partis qui ont dénoncé depuis 2017 le présidentialisme excessif qui mine la France, ont paradoxalement pour seule boussole les aspirations présidentielles de leur leaders respectifs. En outre, alors que depuis le 7 juillet dernier ils revendiquent la souveraineté et la légitimité de la nouvelle Assemblée nationale, ils agissent de sorte que le pays finira sans doute avec un gouvernement d’experts, qui privera les élus de leur rôle et de leur influence. Tout ça pour ça.

 

 

2.     Les vrais sujets ne sont pas à l’agenda

 

L’hystérie présidentielle qui mine la vie politique française a une autre conséquence : la surenchère dans les propositions démagogiques et le refus de débattre des vrais sujets, ceux qui fâchent. Une analyse objective de la situation du pays – et de la plupart des autres pays de l’Union – aboutit à deux constats fondamentaux, justement mis en exergue par les rapports Letta et Draghi.

 

D’abord, on note depuis une vingtaine d’années un très net décrochage de la productivité des pays européens par rapport à celle des Etats-Unis, qui se traduit par une baisse marquée du PIB de l’Union vis-à-vis de celui des Américains. Depuis la crise financière, les Etats-Unis se sont considérablement enrichis et ont tiré parti des grandes avancées du numérique, tandis que l’Europe stagnait et manquait cette révolution.

 



Ensuite, on remarque un déclin démographique rapide dans les pays européens – que ne connaissent pas, une fois encore, les Etats-Unis, le Canada et la plupart des puissances émergences. Alors qu’il faut 3 actifs pour 1 retraité afin de maintenir le système de protection sociale en vigueur en Europe, ce rapport va passer rapidement à 2.




Que faut-il en conclure ? Si l’objectif pour la France est de préserver son niveau de développement économique et social, il est impératif d’accroître la productivité du travail, d’investir dans l’innovation et de trouver des solutions à la crise démographique. Cela implique, pêle-mêle, d’augmenter la durée du travail, de repousser l’âge de la retraite, de privilégier l'innovation sur le social, et d’accueillir massivement une immigration de travail. Or, que proposent aujourd’hui LFI et le RN ? De travailler moins et moins longtemps, d’accroître les dépenses sociales et, dans le cas du RN, de stopper l’immigration.

 

Le débat s’est amorcé autour des enjeux budgétaires, sous la pression des agences de notation qui menacent de dégrader la note de la France et, par conséquent, de la contraindre à dépenser toujours plus pour financer les intérêts de sa dette. Mais la démagogie et le chacun-pour-soi l’ont vite emporté : à l'Assemblée, il n’y a eu d'accord ni pour réduire les dépenses ni pour augmenter les recettes. Chaque parti a défendu les intérêts de ses clientèles électorales, et Michel Barnier a été congédié.

 

 

3.     Un retour à la raison sera difficile

 

Il n’est pas surprenant que les partis français peinent à troquer la logique d’un régime semi-présidentiel pour celle d’un régime parlementaire – que la V° République est devenue après la dissolution ratée du 9 juin dernier. On pourrait espérer que la censure du gouvernement Barnier les rappelle à la réalité suivante : aucun des trois pôles ne pourra gouverner seul, et le pôle au gouvernement devra négocier le soutien d’autres partis pour faire adopter des lois ou, à tout le moins, échapper à la censure. Comme le disait Jean Monnet dans ses Mémoires, « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». La question est de savoir si la crise est suffisamment grave aujourd’hui pour que des élus aient le courage de sortir des routines, des dogmes et des schémas, et de s’abstraire de la tutelle de leurs leaders, tous monomaniaques des élections présidentielles.

 

Mais la voie est étroite, pour les raisons évoquées au premier point. Les insoumis ont déjà annoncé leur volonté de censurer tout gouvernement qui ne serait pas issu des rangs du NFP : seule compte l’orchestration du chaos, considérée comme favorable au destin élyséen de Jean-Luc Mélenchon. Leurs alliés socialistes, écologistes et communistes rivalisent de circonlocutions pour suggérer, la peur au ventre, qu’ils ne sont pas tout à fait d’accord avec les insoumis ; mais tous, sauf une, ont voté la censure. Au centre et à droite, rares sont ceux qui proposent ouvertement une alliance avec les socialistes ; au mieux, certains semblent prêts à faire cesser la cacophonie qui règne au sein du « socle commun ». Mais ils craignent qu’un gouvernement d’union nationale ne donne du grain à moudre à Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen, qui excellent dans la dénonciation de l’alliance de la carpe et du lapin, de « l’UMPS » et de la pensée unique. Quant au RN, il n’a aucun intérêt à gouverner et personne ne veut négocier avec lui, hormis les Républicains ralliés au forcené de la place du Palais Bourbon, Eric Ciotti.


En France, personne ne semble donc pressé de gouverner, et l’expérience malheureuse de Michel Barnier a refroidi les plus téméraires. En outre, beaucoup s’imaginent qu’un blocage durable des institutions poussera Emmanuel Macron à la démission, et occasionnera les élections présidentielles anticipées dont ils rêvent. Les uns et les autres s’emploient à minorer l’importance historique de cette censure, et les risques qu’elle fait courir au pays, distillant l’idée que l’ordre émergera du chaos. Or, rien n’est moins sûr, car il est peu probable que le successeur de Michel Barnier trouve subitement une majorité, et que de nouvelles élections législatives – avant ou après l’élection d’un nouveau Président – permettent de clarifier les choses.

 

La plupart des observateurs reconnaissent que cette situation politique intenable est le produit des paris manqués d’Emmanuel Macron et de son obstination à penser qu’il peut renverser l’opinion d’un nième discours, pétri de méthode Coué et de formules ronflantes. Mais c'est ironiquement à lui qu'il revient de nommer un nouveau Premier ministre. Diverses options sont envisageables, mais aucune ne permettra de surmonter sans douleur la fragmentation de l’Assemblée et l’hostilité des extrêmes. La droite ayant échoué, le Président a annoncé choisir un Premier ministre capable de rassembler largement les députés. Sera-t-il issu de la gauche (Hollande), du centre-gauche (Cazeneuve), du centre (Bayrou) ou du centre-droit (Lecornu, Baroin) ? Est-ce que le Président va plutôt opter pour un technocrate, sage et expérimenté, afin de créer un « gouvernement technique » capable, par la modestie de ses ambitions et l’absence de ses réformes, d’échapper durablement à la censure ?

 

Rien n’indique que les censures ne vont pas se multiplier, comme c’était le cas sous la III° et la IV° République, alors même qu’elles échappaient aux effets perturbateurs de l’élection présidentielle au suffrage universel. Aujourd’hui comme hier, la capacité des élus et des candidats à faire primer l’intérêt général sur leur intérêt propre est limitée, et rares sont ceux qui s’emploient à ce que les institutions françaises retrouvent un peu de stabilité. Au NFP comme au RN, on a fait le choix de la politique du pire, pour acculer le Président à la démission. Plus au centre, ce n'est pas une perspective que l’on souhaite, mais est-on vraiment prêt au dialogue avec les autres forces ?

 


La V° République a vécu

 

Une clarification institutionnelle s’impose.

 

Une option serait d'aller vers un véritable régime parlementaire, via deux évolutions. Il faudrait, d’abord, que le Président accepte de se mettre en retrait ; il ne devrait plus être le chef d'un parti, laisser le gouvernement gérer les affaires du pays, et renoncer à s’exprimer chaque semaine. Il faudrait, ensuite, introduire le scrutin proportionnel pour les élections législatives : cela libérerait les partis des alliances subies (au hasard, le PS de la tutelle de LFI), et leur permettrait de participer de manière constructive à l’élaboration d’une coalition majoritaire à l’issue des élections.


L’autre option serait de s’orienter vers un régime présidentiel véritable. Elle impliquerait la fin de la responsabilité du gouvernement devant le parlement et, inversement, la fin du droit de dissolution. Les majorités présidentielle et parlementaire ne coïncideraient pas forcément, comme c’est fréquemment le cas aux Etats-Unis, mais elles seraient contraintes de négocier, et le gouvernement ne serait pas à la merci des jeux politiques qui se déploient à l’Assemblée nationale.


Hors de ces deux options, on voit mal où pourrait être le salut du pays.


Olivier Costa

bottom of page