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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Interview au Journal Spécial des Sociétés, 7 octobre 2025, par Jonathan Baudoin

 


La démission du Premier ministre, lundi 6 octobre, accentue une crise politique latente en France depuis les élections législatives de 2024, estime le politologue Olivier Costa. Au cœur de cette crise : l’obsession pour l’élection présidentielle et une inadaptation des institutions de la Vème République à la fragmentation de la vie politique, analyse le directeur de recherches au CNRS.

 

Sébastien Lecornu - Crédits: ArnoD27, licence Creative Commons
Sébastien Lecornu - Crédits: ArnoD27, licence Creative Commons


Journal Spécial des Sociétés : En quoi la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu et de son gouvernement est inédite sous la Vème République ?

 

Sébastien Lecornu a battu le record du monde du gouvernement le plus court. Il n’a même pas eu le temps de présenter son équipe au complet. Moins de 24 heures après l’annonce des premiers arbitrages, il a été poussé à la démission par les dissensions au sein de l’équipe formée.

Cela, à mon sens, est inédit en France. J’aurais même du mal à trouver des exemples similaires dans des pays étrangers. Normalement, soit il y a un accord de gouvernement, soit il n’y en a pas. Mais le fait qu’on présente un gouvernement comme s’il y avait un accord et qu’un des principaux ministres fasse tout de suite part de ses états d’âme quant à la composition de ce gouvernement, je ne vois pas de précédent.

 

JSS : Pour quelles raisons cette démission ouvre une crise politique majeure dans l’histoire de la France contemporaine ?

 

En réalité, cela acte ce que bien des personnes, moi y compris, disent depuis longtemps. À savoir que ce qui empêche le fonctionnement des institutions françaises selon une logique parlementaire, c’est cette obsession pour l’élection présidentielle. On en a la démonstration par l’absurde.

En théorie, rien ne s’oppose à ce que les institutions françaises fonctionnent comme un régime parlementaire : on procède à des élections législatives et ensuite, on essaye de trouver une majorité pour gouverner. Il peut y avoir une majorité claire, comme on en a eu l’habitude en France jusqu’en 2022. Ou bien il n’y a pas de majorité d’emblée, parce que le paysage politique est plus fragmenté, comme en Belgique, en Italie, en Allemagne. Et dans ce cas-là, il faut qu’un certain nombre de partis s’entendent pour trouver une majorité et gouverner.

Or, dans un régime parlementaire classique, soit il n’y a pas d’élection présidentielle au suffrage universel, soit c’est une élection de moindre importance. Dans les deux cas, le but premier des partis politiques est d’entrer au gouvernement. Chacun va faire des compromis pour cela. En France, ce n’est pas possible, car le but ultime des partis politiques et de leurs leaders est de faire triompher un candidat à l’Élysée.

 

JSS : L’échéance prochaine de l’élection présidentielle explique donc en partie l’impasse politique dans laquelle s’est trouvé Sébastien Lecornu, selon vous…

 

Oui, car pour préparer l’élection présidentielle de 2027, il est plus confortable d’être dans l’opposition et de tirer à boulets rouges sur le gouvernement que de prendre ses responsabilités et d’y participer.

La démission de Monsieur Lecornu vient démontrer ce vice de conception de la Vème République, qui fonctionne très bien tant qu’on a des majorités claires à l’Assemblée nationale, que ce soit avec le président ou contre lui, quand il y a cohabitation.

 

JSS : Pouvez-vous expliquer pourquoi ce modèle institutionnel ne fonctionne plus aujourd’hui ?

 

La Vème République a été pensée dans une logique de bipolarisation, pour en finir avec la IIIème et la IVème Républiques, qui étaient des régimes avec une grande fragmentation partisane et une grande instabilité gouvernementale. Ce qu’ont voulu Michel Debré et Charles De Gaulle, c’était un régime qui favorise la stabilité au profit de l’exécutif. L’élection présidentielle au suffrage universel direct et le scrutin majoritaire à deux tours étaient censés renforcer cette bipolarisation, puisqu’au second tour s’affrontent deux candidats, en principe ceux des deux blocs, gauche et droite. Tout le monde a donc intérêt à se placer dans leur sillage, à s’unir. Cela a été le cas pendant très longtemps : à gauche sous Mitterrand, à droite avec l’UDF et le RPR.

Aujourd’hui, à gauche, c’est la débandade. Les socialistes et les communistes ont refusé de se rendre à l’invitation de Marine Tondelier qui voulait réunir les partenaires du NFP. À droite, il y a des divisions profondes entre ceux qui pourraient envisager de travailler avec les centristes et la gauche, et ceux qui évoquent une alliance avec le Rassemblement national. On est de fait dans une configuration à cinq blocs…

Les institutions n’ont pas été faites pour fonctionner avec une telle fragmentation politique. L’élection présidentielle, qui reste centrale dans le jeu, entre en contradiction totale avec cette configuration, car elle repose sur l’idée d’une vie politique bipolarisée : la gauche contre la droite.

 

JSS: Quelles conséquences cette crise pourrait-elle avoir sur la démocratie et sur l’avenir de la Vème République ?

 

Cette crise accentue la perte de confiance des citoyens dans nos institutions et dans la classe politique, qui semble incapable de remédier aux problèmes du pays. Cela prépare l’avènement du Rassemblement national (RN), car on se trouve dans un nouveau cycle dégagiste qui peut bénéficier à l’extrême-droite. Et, on a un peu le sentiment que tous les responsables politiques français se mobilisent pour faire en sorte que le ou la prochain président.e soit issu de ce parti, qui prône un discours de rupture avec « le vieux monde ».

Cela prépare l’avènement du Rassemblement national. On a un peu le sentiment que tous les responsables politiques français se mobilisent pour faire en sorte que le prochain président, la prochaine présidente, soit issu du RN. 

Quant à la fin de la Vème République, on est face à un problème insondable. Pour envisager une réforme des institutions, il faudrait un consensus très large. On ne l’a pas, ne serait-ce que pour adopter un budget…

 

JSS : Quelles perspectives de sortie de crise compte tenu de la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Élysée, selon vous ?

 

Je pense qu’Emmanuel Macron ne démissionnera pas. On sait qu’Édouard Philippe l’a appelé à le faire, mais ce n’est pas dans le tempérament du président d’accepter cette idée. Partant de là, il n’y a que deux scénarios. Le premier, c’est un nouveau Premier ministre. On voit des appels à un gouvernement de cohabitation à gauche comme à droite. Le problème reste qu’aucun bloc n’est capable de trouver une majorité à l’Assemblée.

Une autre solution serait de nommer un gouvernement technique. C’est ce qu’a également proposé Édouard Philippe. Un Premier ministre qui ferait consensus, gérerait les affaires courantes, se débrouillerait pour faire voter un budget et pour qu’on puisse attendre les présidentielles. Mais la notion de gouvernement technique ne fait pas partie de la culture politique française. Quelle que soit la personne qui serait nommée, je pense qu’elle serait l’objet de manœuvres politiques des partis qui auraient envie d’en découdre.

Le deuxième scénario, c’est une dissolution. Avec deux déclinaisons possibles. Soit une Assemblée semblable à celle qu’on connaît actuellement. Soit un RN avec 250 sièges, ce qui correspond aux intentions de vote actuelles. Et donc la tentation pour 40 à 50 députés de la droite classique de gouverner avec le RN. On aurait pu éviter tout cela si on avait proposé, juste après les élections législatives l’an passé, un changement de mode scrutin en passant à la proportionnelle. Celle-ci n’aurait pas changé grand-chose à la composition de l’Assemblée, mais elle aurait réorienté les jeux stratégiques. En France, notre mode de scrutin encourage les partis politiques à faire des alliances avant les élections et ne leur permet pas de s’en défaire après.

Avec la proportionnelle, chaque parti irait aux élections sous ses propres couleurs, comme pour les élections européennes ; ensuite, ils seraient libres de négocier entre eux pour trouver une majorité. Un changement de mode de scrutin permettrait de faire entrer le pays dans une logique parlementaire en facilitant le dialogue entre les forces politiques, qui est la norme dans les régimes parlementaires.

 

Avec la démission de Sébastien Lecornu moins de 24 heures après l’annonce de la composition de son gouvernement, l’heure est grave. Pourtant, Emmanuel Macron fait comme si tout était normal, comme s’il n’avait jamais failli et comme s’il n’avait pas été réélu par défaut. A sa demande, le Premier ministre démissionnaire persiste à tenter de discuter avec des gens qui ne veulent pas lui parler. Le NFP se réunit sans les socialistes et les communistes, et continue d'analyser les résultats des législatives comme un appel désespéré du peuple à un règne des Insoumis. Le PS et le PCF, désormais isolés, réclament un gouvernement de cohabitation, forts de leurs 83 sièges à l'Assemblée. Chez Les Républicains, les durs exigent la même chose, au nom d’une fraction de leurs 47 députés. Le RN boit du petit lait, refuse de rencontrer Lecornu et réclame une nouvelle dissolution, espérant doubler le nombre de ses députés.

 

Le majorité des électeurs, ceux qui n’ouvrent jamais un journal et ne s’informent que sur CNews, RMC et les réseaux sociaux, se préoccupent peu de comprendre pourquoi il est si difficile de trouver un gouvernement et une majorité. Les subtilités de la Constitution de 1958, de la culture politique française et des stratégies politiques et inimitiés personnelles des uns et des autres ne les intéressent pas. Ils refusent d’écouter ces leaders qui, plus d’un an après les législatives, en sont encore à nous expliquer, l’un après l’autre avec le même air habité, qu’ils sont tous les grands vainqueurs du scrutin et que seul leur programme doit s'appliquer.

 

Ces citoyens ne retiennent qu’une chose de cette séquence pathétique : les partis traditionnels sont incapables de gouverner le pays, et il faut désormais s’en remettre à un leader fort, évidemment issu du RN. Il est clair qu’avec des Trump, Poutine et Orban, les controverses politiques et les pesanteurs du pluralisme ne constituent pas des problèmes durables. Si, à mon sens, ces électeurs se trompent quant au remède, leur irritation est légitime : l’attitude des principaux responsables politiques français, ces candidats putatifs aux présidentielles qui ont pris en otage les partis français depuis les années 1960, est indigne. Alors que le pays est au bord du chaos – politique, financier, économique et social – ils se focalisent sur leurs microscopiques calculs électoraux, leurs promesses intenables et leurs problèmes d'égo.

 

J’ai toujours considéré que la Cinquième République, qui fait de la conquête de l’Élysée la finalité de tout engagement, engendrait une classe politique nationale intrinsèquement toxique, car animée d’un délire bonapartiste, maoïste ou christique, sourde à l’intérêt général et incapable de douter de la justesse de ses idées et de son action. Nos institutions conduisent aussi à réduire au silence celles et ceux qui se soucient davantage du sort du pays que de leur destin personnel, et se rendent coupables de modération, de modestie et de prudence. La Cinquième République, c’est le régime où les Pierre Mendès-France et les Robert Boulin se font piétiner par les François Mitterrand et les Jacques Chirac. En politique – comme dans bien d'autres milieux – la prime va aux hypocrites, aux manipulateurs, aux tribuns, aux impitoyables. Seuls celles et ceux qui ont un égo hypertrophié peuvent croire en leur destin présidentiel et être mus par l’idée que la fin justifie toujours les moyens.

 

La crise actuelle le démontre plus qu’il n’est nécessaire. Mais on voit mal les principaux responsables politiques français, dont les nuits sont peuplées de fantasmes élyséens, scier la branche sur laquelle ils rêvent de pouvoir se jucher.


Olivier Costa


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Crédits: Assemblée nationale

Article publié dans le mensuel "L'Europe", septembre 2025, n° 4, p. 2

Crédits: Fred Guerdin / European Union, 2025 / EC - Audiovisual Service
Crédits: Fred Guerdin / European Union, 2025 / EC - Audiovisual Service

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison blanche, les Européens attendent avec fébrilité le résultat des négociations commerciales transatlantiques. Un accord a été conclu le 27 juillet 2025 par le Président américain et la Présidente de la Commission. Celle-ci a été largement accusée d’avoir cédé aux exigences américaines afin de mettre un terme à l’incertitude qui taraude les acteurs de l’économie européenne.


Trump pavoise et la Commission tente de se justifier. Mais cet accord est-il vraiment aussi désastreux qu’on le dit ?

 


Un accord objectivement déséquilibré

 

Le contenu même de l’accord diffère selon les sources : déclaration de la Présidente de la Commission du 27 juillet, « fact sheet » de la Maison Blanche du 28 juillet, « explication » de la Commission du 29 juillet... Les points suivants font cependant consensus : taux « maximal unique et global » de 15 % pour les droits de douane perçus par les États-Unis sur les marchandises de l'Union ; absence de droits de douane pour les importations depuis les Etats-Unis ; accès au marché européen de quantités limitées de produits de pêche et agricoles américains ; réduction de certains obstacles non tarifaires (normes automobiles, mesures sanitaires et phytosanitaires) ; « intention » de l’Union d’acheter aux États-Unis de l’énergie pour 750 milliards de dollars dans les 3 ans ; « manifestation d’intérêt » des entreprises de l'Union pour investir au moins 600 milliards de dollars aux Etats-Unis d’ici 2029.

 

L’accord est objectivement défavorable aux Européens. Les Eurosceptiques, qui sont pourtant prompts à récuser la prétention de l’Union à agir au nom des 27, stigmatisent sa faiblesse et estiment que la Présidente de la Commission n’était pas légitime pour conclure cet accord. Les fédéralistes sont déçus par son manque d’audace et son incapacité à surmonter les divisions des leaders européens. Les éditorialistes se désolent de l’image que cet accord donne de l’Union, à l’échelle internationale comme à l’échelle domestique.

 

Depuis les premières menaces de Donald Trump, l’Union annonce pourtant de possibles mesures de rétorsion. Les institutions ont longuement discuté de la possibilité de taxer certaines importations américaines et d’activer l’instrument « anti-coercition » qui permet d’appliquer diverses sanctions à un État tiers inamical. Les négociations avec les Etats-Unis avaient, plus largement, valeur de test pour les déclarations faites ces dernières années au sujet de l’Europe « géopolitique », « puissance » ou « souveraine », capable de défendre ses intérêts, d’assurer son « autonomie stratégique », d’organiser sa réindustrialisation et de prendre soin de sa défense. Rien de tout cela ne s’est concrétisé : la Commission a négocié un accord qu’elle défend avec modestie en indiquant que cela aurait pu être pire.

 

Une négociation délicate

 

De nombreux commentateurs estiment que cette reculade est imputable à la Présidente de la Commission et moquent ses piètres qualités de négociatrice. Ils lui reprochent aussi son atlantisme et sa soumission à sa famille politique, le Parti populaire européen (PPE), qui réunit les démocrates-chrétiens et les conservateurs, et se préoccupe plus de clarifier les règles du jeu auxquelles sont soumises les entreprises exportatrices de l’Union que d’affirmer la « puissance » de celle-ci. Il faut toutefois rappeler le contexte très difficile de la négociation : l’attitude du Président américain, les divisions entre les États-membres, la proximité de certains leaders avec la Maison blanche, les pressions de l’industrie… En l’espace d’un semestre, Donald Trump a bouleversé tous les codes des négociations internationales, laissant ses partenaires – en Europe comme dans le reste du monde – sonnés et perplexes. Il semble prêt à une escalade sans fin des sanctions si ses intérêts politiques l’exigent, et ne se préoccupe pas des conséquences économiques, sociales et géopolitiques des « tariffs » qu’il annonce au gré de ses humeurs. La négociation est fondamentalement asymétrique, car Trump n’est pas accessible aux arguments de droit et de raison, et fait un usage immodéré de la menace et de l’ultimatum. Que son comportement soit guidé par une stratégie précise ou par des lubies, il est aussi difficile de négocier avec lui qu’avec un preneur d’otages. D’ailleurs, aucun pays n’a obtenu un accord satisfaisant, et l’invocation par les eurosceptiques de celui avec le Royaume-Uni fait peu de cas de sa substance.

 

Il faut aussi rappeler qu’Ursula von der Leyen n’a pas décidé unilatéralement du contenu de l’accord : en matière commerciale, la Commission agit sur mandat des États membres, adopté à la « majorité qualifiée » (55% des Etats représentants 65% de la population). Seules la Hongrie et la France étaient hostiles à la ligne proposée ; la Belgique, la Grèce et l’Estonie étaient réservées ; les 22 autres pays la soutenaient. La Hongrie contestait le principe même d’un accord conclu au nom des 27 ; les quatre autres Etats étaient préoccupés par son impact sur leurs filières exportatrices respectives, estimant qu’un bras de fer aurait permis d’obtenir de meilleurs conditions. Dans les 22 pays dont les diplomates avaient approuvé l’accord, des critiques virulentes se sont aussi fait entendre. Mais la Présidente de la Commission bénéficiait de la majorité requise pour négocier au nom des Etats membres.

 

On note aussi que les contempteurs de Mme von der Leyen ont rarement expliqué ce qu’ils auraient fait à sa place et ne se sont pas appesantis sur les conséquences économiques et géopolitiques d’une éventuelle rupture des négociations. Car Donald Trump n'a pas fait mystère, lors du sommet de l’OTAN des 24 et 25 juin 2025, de sa volonté de lier commerce et sécurité : pas d’appui militaire sans accord commercial. En outre, si les négociations commerciales avaient échoué, quelles auraient été les conséquences de taxes douanières de 30% ou plus ?

 

Une Union européenne « puissance », qui peine à s’affirmer

 

La situation de l’Union est paradoxale. Elle est critiquée de toute part, mais un nombre croissant de citoyens appellent de leurs vœux une Europe plus unie, plus ambitieuse et plus forte. En effet, les relations entre les blocs se tendent, et la logique du multilatéralisme, du respect de la chose signée et de la coopération loyale entre les nations est en berne. Les négociations avec Donald Trump auraient pu être l’occasion pour l’Union de s’affirmer davantage à l’échelle globale, mais l’intendance aurait-elle suivi les postures ? Comment s’accommoder de la présence, autour de la table du Conseil européen, de plusieurs responsables politiques inféodés au Président Trump, d’autres qui paniquent à l’idée de perdre le parapluie nucléaire américain, et d’autres encore qui sont obnubilés par leurs exportations ?

 

Il faut aussi rappeler que Mme von der Leyen et M. Trump n’ont échangé qu’une poignée de main, et n’ont rien signé : c’est un accord politique, un engagement non contraignant des deux parties à prendre un certain nombre de décisions unilatérales. Il pourrait revêtir la forme d’un traité, mais dans ce cas, il devrait être négocié en détail, avec un mandat précis du Conseil, ratifié par celui-ci à la majorité qualifiée, et approuvé par le Parlement européen. Si l’accord intégrait des éléments qui relèvent des compétences des États, il réclamerait même un vote à l’unanimité du Conseil et la ratification par les 27 parlements nationaux : le risque d’échec serait alors considérable. Pour l’heure, l’accord repose donc sur de nombreuses formules vagues et promesses verbales. Sur les questions d’achat d’énergie ou d’armes, et d’investissements, Mme von der Leyen n’avait ni mandat, ni capacité juridique à s’engager. En somme, elle s’est prononcée sur des enjeux qui ne relèvent pas de ses compétences afin de complaire aux demandes de M. Trump.

 

Un bon calcul à moyen terme ?

 

Dans un océan de commentaires sceptiques, sarcastiques ou défaitistes, il y a donc des raisons d’espérer que cet accord se révèle moins mauvais qu’il ne paraît. D’abord, on peut penser qu’Ursula von der Leyen a pris Donald Trump à son propre piège, le laissant célébrer une victoire qui repose en large partie sur de vagues promesses. Ensuite, si certains considèrent que ce deal symbolise l’absence d’Europe politique, il démontre aussi sa nécessité et donne du temps aux 27 pour l’organiser. Ces négociations atypiques prouvent qu'en effet l’Union ne peut plus compter sur les Etats-Unis – du moins tant que D. Trump ou J.D. Vance sera à la Maison-Blanche –, que les intérêts et conceptions des Américains et des Européens ne coïncident plus, et que la Maison-Blanche considère l’Union comme une organisation ennemie.

 

Les institutions de l’Union et les États membres doivent donc déployer des stratégies à moyen et long terme pour limiter leur dépendance vis-à-vis des Etats-Unis – qu’il s’agisse de commerce, d’énergie ou de sécurité – et défendre des valeurs et objectifs auxquelles le Président américain ne souscrit plus. L’Union pourrait profiter de ce tournant dans les relations internationales pour prendre la tête d’une coalition d’États désireux de préserver et promouvoir les principes du multilatéralisme, à rebours des conceptions qui dominent désormais aujourd’hui à Washington, à Moscou et à Pékin. Olivier Costa olivier.costa@cnrs.fr

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