- Olivier Costa
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 15 minutes
L'arrivée au pouvoir de Donald Trump donnait l’espoir aux leaders des principales formations de la droite radicale européenne de bénéficier de son soutien et d’accéder au statut d’interlocuteurs privilégiés de la première puissance économique et militaire. Mais il est vite devenu un allié encombrant, en raison de ses outrances, de sa brutalité et de son inconstance.

Les liens de l’extrême-droite européenne avec la droite américaine
Ces dernières années, l’extrême-droite européenne a entretenu une proximité croissante avec la droite américaine. Ces liens sont complexes, notamment dans les pays où l’on aime dénoncer l’impérialisme américain, mais les agendas politiques convergent à bien des égards. Ces liens se sont affermis dans le contexte de l’émergence du néo-conservatisme américain à la fin du XX° siècle et de la montée en puissance du Tea Party après la crise financière de 2008. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a été vécu comme un succès par procuration par la droite dure européenne, d'autant plus que les premiers mois de son mandat ont indiqué une radicalisation de M. Trump, loin de l'héritage du parti Républicain. Son administration arbore en effet tous les stigmates d’une dérive fasciste : culte de la « tradition » ; nationalisme débridé et haine pour le reste du monde ; rejet de l’immigration et refus de la diversité ; détestation des journalistes, des savants et de toute pensée critique ; rapport élastique à la vérité et recours à une Novlangue modifiant le réel ; volonté de réécrire l’histoire et d’épurer la culture ; primat de l’action sur la réflexion ; glorification des hommes providentiels et des leaders autoritaires ; dédain pour l’État de droit, le pluralisme et les règles du jeu démocratique…
Fédérer la droite radicale en Europe, au service des Etats-Unis
Les Etats-Unis ne sont pas étrangers à la montée en puissance de la droite radicale en Europe. On se souvient que Steve Bannon avait effectué une longue mission en Europe pour tenter d'en coaliser les leaders en vue des élections européennes de 2019. A l’issue de celles de 2024, cette famille politique reste divisée, mais le groupe des « Patriotes pour l’Europe » accueille aujourd’hui les meilleurs amis de M. Trump – issus du FPÖ autrichien, du Vlaams Belang belge, du Parti populaire danois, du RN français, de la Ligue italienne et du PVV néerlandais. Ce groupe, fort de 86 membres, est devenu la troisième force politique au Parlement européen, et son influence est sensible.

Donald Trump assume vouloir aider ces partis à conquérir le pouvoir dans leurs États membres respectifs, afin de disposer d’alliés en Europe. C’est à ce titre qu’Elon Musk a fait campagne en faveur de l’AfD en Allemagne et de Reform UK au Royaume-Uni. Marine Le Pen, après sa condamnation dans l’affaire des assistants parlementaires fictifs du RN, a eu droit à un soutien appuyé de Donald Trump. Celui-ci a aussi vertement remis en cause la décision d’annuler le premier tour de l’élection présidentielle en Roumanie, qui avait été gravement perturbé par des ingérences extérieures.
Make Europe Great Again ?
Ces convergences ont des conséquences concrètes sur les partis d’extrême-droite dans l’Union. A l’occasion des élections européennes de 2024, ils ont ainsi focalisé leur programme sur trois items centraux de la campagne de Donald Trump : la restriction de l’immigration, le protectionnisme économique et la lutte contre le « wokisme » et l’écologie. Les membres du groupe Les Patriotes pour l’Europe au Parlement européen ont singé le sigle MAGA, se réunissant sous la bannière « Make Europe Great Again ». La bienveillance inattendue du Président américain vis-à-vis du Kremlin a achevé de faciliter le processus de rapprochement des conservateurs radicaux sur les deux rives de l'Atlantique, et a décomplexé les partis européens qui entendaient adopter une vision pro-russe de la guerre en Ukraine. Les objectifs de M. Trump rejoignent ainsi ceux de M. Poutine, qui n’a jamais ménagé son soutien médiatique et financier aux formations de la droite radicale européenne – comme l’ont clairement établi les deux commissions spéciales du Parlement européen consacrées aux ingérences étrangères (2020 et 2022).

L’enthousiasme initial…
Dans un premier temps, les leaders de la droite radicale se sont bruyamment réjouis du succès de Donald Trump et de son action. A les entendre, ses décisions brouillonnes étaient des coups de poker géniaux, ses reculades des mouvements tactiques astucieux, ses outrances la preuve de sa détermination, ses dérapages verbaux un refus de la langue de bois. Ils ont aussi loué sa volonté de démanteler l’Union européenne, décrite par le Président américain comme un projet destiné à nuire aux intérêts de son pays.
Matteo Salvini, le leader de la Ligue, a affirmé – sans s’en expliquer – que les droits de douane imposés par Donald Trump à l’Europe étaient une opportunité pour l’économie italienne. Viktor Orban a lui aussi approuvé chaque initiative du président américain, et rejeté sur la Commission la responsabilité de la crise commerciale. Plusieurs leaders issus de la droite extrême ont pensé pouvoir négocier avec les Etats-Unis des arrangements plus favorables pour leur pays, oubliant que la politique douanière et commerciale est du ressort exclusif de l’Union.
… a cédé le pas à la prudence
Mais, aujourd’hui, la droite radicale européenne peine à définir sa stratégie vis-à-vis de Donald Trump. De même qu’elle pouvait difficilement approuver la décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine en février 2022, elle ne peut pas se réjouir des décisions du Président américain s’agissant de la sécurité européenne et des droits de douane. Pour des leaders qui se prétendent les champions de leurs intérêts nationaux, comment approuver une ligne de conduite américaine résolument hostile à ceux-ci ?
L’extrême-droite est désormais tiraillée entre le narratif de la « vassalisation heureuse », qu’elle souhaite porter, et celui de l’instrumentalisation par des forces étrangères, dont elle risque de faire les frais. D’un côté, les leaders nationalistes moquent la prétention de l’Union européenne à s’imposer comme une puissance globale, estimant que ce rôle droit être endossé par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, et que la souveraineté des États européens doit être préservée. Mais, ce faisant, ils risquent de passer pour les agents de puissances étrangères inamicales et impérialistes.
Les leaders de la droite radicale européenne ont aussi dû ravaler leur fierté, après que Donald Trump s’est vanté publiquement de contraindre ses partenaires à venir, un-par-un, « kiss my ass » – pour reprendre ses termes délicats. Certains se montrent prudents, tel Jordan Bardella, le président du RN et président du groupe des Patriotes pour l’Europe au Parlement européen. Il s’est gardé d’approuver trop bruyamment l’action du Président américain et a annulé son intervention lors de la conférence du CPAC – l’internationale des conservateurs radicaux – aux Etats-Unis, après que Steve Bannon a fait un salut nazi à la tribune.

L’impossible soutien à Trump
Les leaders de la droite radicale qui exercent le pouvoir ou entendent le faire ne peuvent pas donner l’impression de brader les intérêts de leur pays et ne veulent pas être assimilés aux outrances des responsables américains. Si les militants historiques de l’extrême-droite ont peu de chance de s’en émouvoir, il n’en va pas de même des citoyens plus modérés, qui détiennent la clé des élections. Depuis quelques semaines, les décisions brutales de Donald Trump agissent comme celles des artisans du Brexit en 2016 : elles constituent un repoussoir pour une partie de l’électorat et contraignent les leaders de la droite radicale à réajuster leurs positions. Alors qu’avant le Brexit il existait un ou plusieurs partis politiques bien établis réclamant la sortie de leur pays de l’Union dans 17 des 27 États membres, il n'y en avait plus un seul quelques mois plus tard. De même, les leaders européens de la droite radicale en quête de respectabilité doivent à présent prendre leurs distances avec le mouvement MAGA, qui donne une piètre idée de ce que fait l’extrême-droite une fois arrivée au pouvoir. La cote de popularité de Donald Trump s’érode en effet rapidement aux Etats-Unis et son action est jugée durement partout dans le monde.

Giorgia Meloni sur la corde raide
La position de Giorgia Meloni illustre bien cette difficulté. Historiquement proche de Donald Trump, elle doit désormais assumer les décisions de ce dernier. La cheffe du gouvernement italien a essayé de surmonter cette contradiction en s’inventant un rôle d’émissaire de l’Union auprès du Président américain. Elle entendait tirer profit du refus de ce dernier de dialoguer avec les responsables de l’Union, et tout particulièrement avec Mme von der Leyen, et capitaliser sur sa position d’éternelle avocate de la désescalade, ayant plaidé pour que l'Union n’adopte pas de mesures de rétorsion vis-à-vis des Etats-Unis. Plus prosaïquement, il s’agissait aussi pour Mme Meloni de faire oublier la manière dont elle a contesté ces derniers mois les intentions que l’on prêtait à Donald Trump en Europe (déclenchement d’une guerre commerciale, désengagement de l’Ukraine, remise en cause du rôle de l’OTAN, dérive illibérale…). Ayant eu tort sur tous les points, elle doit rebondir. Elle doit enfin laver l’affront fait par le Président américain, qui considère Emmanuel Macron et Keir Starmer comme ses seuls interlocuteurs pour ce qui concerne les questions de sécurité et de défense.
Mme Meloni a ainsi eu le privilège rare d’être reçue à la Maison Blanche le 17 avril. Elle a essayé de mettre à profit ses convergences idéologiques avec M. Trump pour amorcer un dialogue transatlantique au nom de la défense de « l’Occident », qu’elle présente comme un « espace de civilisation ». Mais sa stratégie a tourné court. De retour de Washington, elle n’a pu annoncer qu’une possible visite du Président américain en Italie, destinée à négocier un accord commercial transatlantique, ce que l’intéressé n’a même pas confirmé.

Les difficultés de Mme Meloni à trouver la bonne attitude vis-à-vis du Président américain sont révélatrices du marasme actuel de l’extrême-droite en Europe. Ses leaders, convaincus qu’ils pouvaient tirer un bénéfice considérable du retour de Donald Trump au pouvoir, en termes de ressources électorales, de légitimation et de crédibilité internationale, doivent désormais composer avec un allié imprévisible, brutal et déloyal. En outre, ils risquent de faire les frais de l’image désastreuse que le président américain et son équipe donnent de l’action de la droite radicale au pouvoir. Car l’administration Trump est un véritable épouvantail, à la fois pour les électeurs modérés, qui sont attachés au respect des institutions et de l’État de droit, et pour les acteurs économiques, qui sont soucieux de stabilité et de lisibilité.
Olivier Costa