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Dernière mise à jour : 5 nov.


Aujourd’hui, lundi 30 septembre 2024, le procès du RN a débuté devant le tribunal correctionnel de Paris. Vingt-quatre personnes (Jean-Marie et Marine Le Pen, 11 députés européens du parti, 12 assistants parlementaires et 3 responsables de la formation) sont poursuivies pour divers chefs d’inculpation, dont « détournement de fonds publics ». Il leur est reproché d’avoir, entre 2004 et 2016, salarié des agents du parti avec les fonds destinés à rémunérer les assistants de députés européens. Le préjudice se monte à 6,8 millions d’Euros. La pratique aurait été systématisée dans les années 2000, pour aider le RN à faire face à des difficultés financières. Marine Le Pen, la présidente du parti à l’époque des faits, risque 10 ans d’emprisonnement, 150.000 euros d’amende et entre 5 et 10 ans d’inéligibilité. Ce procès, loin d’être anecdotique, révèle la relation très paradoxale que l’extrême-droite française entretient avec le PE. Il pourrait aussi bouleverser la vie politique française en empêchant Marine Le Pen de se présenter aux prochaines élections présidentielles.

 


Marine Le Pen, à l'ouverture du procès

 

Le rapport ambigu du RN avec le Parlement européen

 

Le FN, et son successeur le RN, ont toujours entretenu un rapport paradoxal avec le Parlement européen (PE). Jusqu’au Brexit, le parti d’extrême-droite français a milité pour une sortie de l’Union et a dénié toute légitimité à ses institutions – et notamment à son parlement. Cependant, les élections européennes, en raison du recours à la représentation proportionnelle, ont longtemps été un scrutin très prisé du RN. Ainsi, depuis le début des années 1980, tous les cadres du parti, à commencer par Jean-Marie et Marine Le Pen, ont longuement siégé au PE, faute de pouvoir le faire à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ou de parvenir à conquérir des collectivités locales de premier ordre. Les choses ont changé avec le succès du RN aux législatives de 2017 et 2022, mais le PE reste une sinécure pour les cadres et les obligés du RN.

 

Ils ne se sont pas contentés d’émarger pendant des décennies au PE en y déployant une activité des plus modestes, et en consacrant l’essentiel de leur temps à des enjeux de politique nationale ou locale. Ils voyaient dans l’assemblée européenne la pourvoyeuse d’une indemnité confortable, de moyens de travail importants, d’une tribune médiatique et d’une immunité parlementaire appréciable. Avec la croissance des ressources allouées aux députés européens dans les années 2000 et les difficultés financières du RN, plombé par les dettes, le PE est apparu comme un bailleur de main d’œuvre gratuite. Certes, l’emploi de collaborateurs parlementaires à des tâches non spécifiquement liées au mandat n’est pas nouvelle ; les députés, européens ou nationaux, ont toujours su tirer profit d’un certain flou juridique et de l’incapacité des institutions à contrôler la nature précise des activités des assistants. Mais, à partir de 2004, le RN a mis le PE en coupe réglée en créant un système consistant à faire salarier massivement par celui-ci des agents et cadres du parti, ou des assistants personnels de ses responsables.

 

 

Le précédent de François Bayrou

 

Les responsables du RN ne sont pas les seuls à avoir eu pareille idée. Ils ont ainsi suivi très attentivement les démêlés du MoDem avec le PE. Ce parti, ses responsables et ses élus ont eux aussi été mis en cause pour avoir employé des assistants parlementaires européens à des tâches strictement politiques, sans lien avec les activités du PE. Ce précédent sera, sans doute, un argument de la défense. Elle soulignera l’impunité dont François Bayrou aurait bénéficié et la différence de traitement dont le RN fait l’objet. Il convient toutefois de relativiser ce narratif à trois endroits.


François Bayrou, le jour de sa relaxe


D’abord, les faits reprochés au MoDem sont d’une moindre gravité, qu’il s’agisse des sommes concernées (moins de 300.000 Euros) ou du degré d’organisation des détournements. Ensuite, François Bayrou, le Président du Modem, a été relaxé au bénéfice du doute, car les juges n’ont pas pu établir qu’il était le chef d’orchestre de ces pratiques, ni même qu’il en avait connaissance ; le parquet a toutefois fait appel du jugement. En troisième lieu, il faut rappeler que huit cadres du MoDem ont été condamnés ; Michel Mercier, son trésorier, a ainsi écopé de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 20.000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité avec sursis. L’UDF et le MoDem ont également été condamnés à 150.000 et 350.000 euros d’amende. Il n’y a donc pas eu d’impunité.

 

 

Un statut qui précise les activités des assistants parlementaires

 

Dès l’ouverture du procès ce matin, Mme Le Pen et ses conseils ont fait valoir que le RN n’avait rien fait d’illégal, et que les députés européens étaient libres d’organiser le travail de leurs assistants comme ils l’entendaient, au nom, sans doute, du mandat qu’ils tirent de leur élection. C’est oublier que le PE a depuis longtemps fixé des règles précises quant aux missions des assistants. Dès 2004, il était formellement exclu qu’ils travaillent pour le bénéfice des groupes politiques du PE ou des partis politiques nationaux. Le règlement adopté en 2009 pour clarifier le statut des députés européens et de leurs collaborateurs va plus loin. Il précise que « seuls doivent être pris en charge les frais correspondants à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat de parlementaire des députés », et proscrit la rémunération des agents des partis.

 


Le Parlement européen, à Strasbourg


Les députés européens disposent aujourd’hui d’une enveloppe mensuelle de près de 30.000 Euros pour recruter une équipe de collaborateurs, chargés de les aider dans l’exercice de leur mandat. Il en existe deux types. Les assistants « accrédités », qui travaillent dans les locaux du PE, ont un statut proche de celui des fonctionnaires européens. Ils sont directement payés par l’assemblée, selon un barème précis, et doivent obligatoirement résider près de l’un des trois lieux de travail du PE – Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. Les assistants « locaux », qui aident ou représentent le député sur le terrain, ont un statut moins normé. Leur contrat de travail est régi par les règles propres à chaque pays, et ils sont payés par un mandataire financier – et non par le PE. Mais, comme les « accrédités », le rôle des « locaux » est d’aider le député à exercer son mandat, et non pas d’être au service d’un parti ou des cadres de celui-ci.

 

 

Une attitude offensive de Marine Le Pen, qui pourrait se retourner contre elle

 

La ligne de défense de Marine Le Pen est périlleuse. Faute de pouvoir nier la matérialité des faits qui sont reprochés à son parti, compte tenu des éléments dont dispose la justice au terme de 10 ans d’enquête et des révélations de plusieurs transfuges du RN, elle monte au créneau. Elle était présente lors de l’ouverture du procès et a donné une conférence de presse pour expliquer que rien ne pouvait être reproché à son parti. Elle assume avoir fait travailler des personnes salariées par le PE pour les besoins du RN et de ses cadres, mais conteste que cela soit illégal. Elle sous-entend aussi que la procédure est un règlement de comptes politique nourri par la haine des hiérarques du PE et des juges pour le RN.

 

Mme Le Pen argue qu’il s’agit d’un double malentendu. Le procès serait, d’abord, le résultat d’une divergence de vues entre le monde judiciaire et le monde politique, le premier ne comprenant pas les fonctions des assistants parlementaires, et refusant de faire droit à la complexité des missions d’un élu. C’est, en somme, le discours qu’avait tenu – sans succès – Pénélope Fillon pour justifier son absence de travail tangible en tant que collaboratrice parlementaire de son époux : il appartiendrait à chaque élu de décider, sans rendre de comptes à personne, de la manière dont il organise son travail et celui de ses collaborateurs. Le second malentendu opposerait les responsables du PE, supposés pétris d’une culture « allemande », qui considère les assistants comme des agents du Parlement, et les élus du RN, nourris d’une culture « française », où les assistants auraient la charge d’un travail proprement politique. Mais, comme on l’a indiqué, les textes du PE sont clairs et étaient connus des élus du RN. Et les décisions de la justice sur le cas de Mme Fillon feront jurisprudence : préparer à diner à un député, assurer sa sécurité, faire la comptabilité de son parti ou s’occuper à tout autre chose encore ne fait pas partie des missions que la collectivité a prévu de financer pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie.

 

 

Une peine d’inéligibilité pour la candidate du RN ?  

 

Certains commentateurs font valoir que le MoDem s’en est tiré sans trop de dégâts. Mais ils oublient que les faits reprochés au RN sont d’une toute autre ampleur (près de 7 millions d’Euros contre moins de 300.000 Euros), et que plusieurs témoins et documents désignent Mme Le Pen comme la grande ordonnatrice du détournement. Elle ne peut, comme M. Bayrou, prétendre n’avoir été au courant de rien. Rappelons aussi que Mme Le Pen a déjà remboursé 300.000 Euros au PE, correspondant aux salaires de son assistante accréditée – qui devait théoriquement résider près d'un des lieux de travail du PE, mais s’occupait en fait des affaires du parti et de sa présidente à Paris.

 

Le pire scénario pour Mme Le Pen serait une condamnation à une peine d’inéligibilité, qui l’empêcherait de se présenter aux présidentielles de 2027 – ou à des présidentielles anticipées, en cas de démission d'Emmanuel Macron. Elle ferait évidemment appel, puis irait en cassation, mais la cour pourrait décider que le recours n’est pas suspensif. Le verdict final pourrait aussi intervenir avant le scrutin. Certes, les juges se montrent toujours prudents quand il s’agit d’interférer avec la vie politique, au nom de la séparation des pouvoirs. Il n’est, en effet, pas anodin de priver la représentante du premier parti de France d’une candidature aux présidentielles. Mais une peine d’inéligibilité reste dans l’ordre du possible, notamment si Mme Le Pen revendique trop crânement le droit de faire abstraction des règles qui régissent l’emploi de l’argent public.

 


Même si elle échappait à l’inéligibilité, ou si elle obtenait du sursis en la matière, une condamnation écornerait son image. Elle ne perturberait sans doute pas les électeurs historiques du parti : tout comme les fervents supporteurs de Donald Trump, qui resserrent les rangs à chaque nouvelle mise en cause de leur leader, ils interprèteraient une sanction de Mme Le Pen comme la preuve que le « système » veut la faire taire. A cet égard, son implication personnelle dans le procès sera payante. En revanche, une condamnation serait moins du goût des électeurs les plus récemment acquis à la candidate du RN, notamment de ceux qui ont été séduits par son discours sécuritaire et ses appels à l’intransigeance de la justice. Une mise en cause personnelle la priverait d’un des registres favoris de l’extrême-droite, celui du "tous pourris" et de la dénonciation des turpitudes du "système". Quand on monte au mât de cocagne, il faut avoir les braies propres.


Olivier Costa


Post repris (remanié et actualisé) par la revue en ligne La Grande Conversation (5 novembre 2024)

Photo du rédacteurOlivier Costa

Dernière mise à jour : 24 sept.


Samedi soir, 21 septembre 2024, les citoyens français ont découvert la composition du gouvernement Barnier – onze semaines après les résultats du second tour des législatives qui avaient ouvert une crise politique sans précédent sous la V° République. L’annonce, qui devait soulager tous ceux qui doutaient de la possibilité d’un accord, n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme. Le gouvernement Barnier souffre en effet d’un triple handicap : il réunit des perdants, il traduit les tensions entre le Président et le Premier ministre, et il fait la part belle aux seconds couteaux.

 

 

1.     Un gouvernement dominé par les perdants des législatives

 

J’ai longuement expliqué dans les colonnes de ce blog pourquoi le Nouveau Front Populaire (NFP) ne pouvait pas prétendre gouverner sans prouver sa capacité à réunir une majorité, ou du moins, à ne pas être immédiatement censuré par l’Assemblée nationale. Dans aucun régime démocratique au monde le fait pour un parti ou une coalition d’être arrivé premier à une élection législative ne l’autorise à gouverner s'il ne dispose pas d’une majorité absolue. Cela lui donne simplement une priorité dans la négociation d’une coalition destinée à trouver une telle majorité. Si cette force politique n’y parvient pas, il appartient à une autre d’essayer. C’est ce qui s’est, par exemple, passé en Espagne l’an passé, où la droite, arrivée en tête aux élections législatives, a échoué à former une coalition ; la tâche a donc été confiée aux socialistes, qui sont au gouvernement aujourd'hui.

 

Le NFP est arrivé, en tant que coalition, premier des élections législatives, mais il n’a pas prouvé sa capacité à trouver une majorité ou, du moins, à pouvoir échapper à une censure rapide. En effet, l'Assemblée nationale est aujourd'hui découpée en trois tiers: un pour la gauche, un pour le centre-droit et la droite de gouvernement, et un pour l'extrême-droite. Un bloc ne peut gouverner que si un autre s'engage à ne pas le censurer immédiatement.



Certes, Emmanuel Macron aurait dû charger officiellement Lucie Castets de la mission de composer un gouvernement : cela lui aurait donné plus de poids dans ses négociations avec les autres forces politiques et aurait clarifié la situation politique. Cela étant, dans la mesure où tous les autres partis, de Renaissance au RN, avaient annoncé qu’ils refuseraient de soutenir un gouvernement impliquant des ministres LFI ou prétendant appliquer le programme du NFP, c’était perdu d'avance. Il aurait fallu pour cela que Mme Castets rompe avec M. Mélenchon, ce à quoi elle s’est refusée. La gauche n’étant pas en situation de gouverner, Emmanuel Macron a testé diverses hypothèses, et a fini par arrêter son choix sur Michel Barnier. S’il semblait également impossible à celui-ci de trouver une majorité active, il paraissait pouvoir échapper à la censure, fort du soutien des partis de droite, du centre et de Renaissance, et de la décision des leaders du RN de ne pas se joindre à la motion de censure que le NFP promettait de déposer immédiatement.


Assez tôt, il est apparu que Michel Barnier ne parviendrait pas à trouver des ministres à gauche, le NFP ayant menacé ceux qui se laisseraient tenter. Il n’a sans doute pas déployé une énergie excessive à cette tâche, sachant que l’inclusion dans son gouvernement de quelques personnalités venues de la gauche ne changerait rien à l'hostilité du NFP. C’était aussi le plus sûr moyen de créer des tensions avec Les Républicains (LR), voire de s’aliéner le RN. La présence de la gauche se limite donc à Didier Migaud, Garde des sceaux ; toutefois, il s’était retiré de la vie politique depuis 2010 pour présider la Cour des comptes puis la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.



A l’arrivée, le gouvernement est presque exclusivement composé de membres issus du camp présidentiel et de LR – qui ont pourtant tous deux connu une sérieuse déconvenue aux législatives. Le groupe « Ensemble ! » compte en effet 96 députés (en recul de 82) et le groupe « Droite républicaine » 47 (en recul de 9) ; même avec « Les Démocrates » (36 députés), « Horizons » (33) et « LIOT » (22) – qui a toujours pris ses distances avec Michel Barnier – le gouvernement peut, au mieux, compter sur 234 voix, très loin de la majorité absolue (289). L'équipe reflète ces soutiens : elle compte 12 membres Renaissance, 10 Les Républicains, 4 divers droite, 3 Modem, 2 Horizons, 2 UDI, 2 LIOT, 1 Parti radical, 1 divers gauche et 2 sans étiquette. Le gouvernement penche donc clairement à droite, avec quelques membres au profil très conservateur – tels que Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur ou Laurence Garnier au secrétariat d’État à la consommation. On remarque aussi que sept ministres sortants, et non des moindres (Rachida Dati à la Culture, Sébastien Lecornu aux Armées), sont reconduits, comme si le gouvernement Attal n’avait pas été désavoué par les électeurs. Il n’y a donc ni alternance, ni cohabitation.


La composition politique du gouvernement Barnier

 

 

2.     Un gouvernement qui révèle les tensions entre MM. Barnier et Macron

 

Dans un « vrai » régime parlementaire, un Président dont le parti aurait été doublement désavoué (européennes et législatives) aurait confié la tâche à M. Barnier de former un gouvernement et se serait abstenu d’interférer dans le processus pour se placer au-dessus de la mêlée. Il aurait simplement veillé à ce que le gouvernement puisse durer un peu – on ne nomme pas une équipe promise à une censure immédiate – et, éventuellement, aurait demandé discrètement le retrait de tel ou tel nom, s’il estimait leur nomination contraire aux intérêts ou aux valeurs du pays. En France, compte tenu de la tradition du « domaine réservé », il était aussi logique que le Président valide le choix des ministres des affaires étrangères, des affaires européennes et de la défense – comme ce fut le cas lors des trois cohabitations de 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002.


Une telle attitude de retrait aurait été d’autant plus logique que M. Macron est à l’origine de la pagaille actuelle : c’est largement lui qui a été désavoué à travers le piteux score de la liste Renaissance aux élections européennes ; il a décidé de dissoudre sans consulter qui que ce soit et sans écouter les mises en garde ; les mauvais résultats des candidats « Ensemble ! » aux législatives lui sont aussi largement imputables. Et pourtant, M. Macron se comporte comme un chien qui, ayant consciencieusement démoli un canapé pour tromper son ennui, prend un air étonné à l’arrivée de son maître, et se propose d'aller pourchasser le vandale.

 


 

En effet, depuis le résultat des élections européennes, Emmanuel Macron se pose en sauveur de la République : en prononçant la dissolution ; en se mêlant de la campagne pour les législatives ; en décidant unilatéralement que ni Mme Castets ni M. Cazeneuve ne trouverait de majorité ; en choisissant Michel Barnier ; et en s'immisçant dans les difficiles négociations entre celui-ci, Renaissance et les Républicains.

 

Le Président aurait pu prendre acte de son impopularité. Se mettre au vert, ne plus s'adresser au pays pendant tout l'été, et laisser M. Barnier négocier. Il aurait pu, aussi, appeler de ses vœux un changement de mode de scrutin aux élections législatives avant le prochain scrutin, de façon à tirer le PS, les Verts et le PC des griffes de M. Mélenchon, ou les amis de M. Ciotti de celles du RN. Le mode de scrutin proportionnel permet en effet à chaque parti de concourir seul aux élections législatives – comme c'était le cas aux dernières européennes, où toutes les composantes du NFP ont présenté leur propre liste. Dans cette configuration, les négociations en vue de la composition d'un gouvernement s’ouvrent une fois les résultats des législatives connus, en fonction des scores de chacun, dans le but de trouver une majorité et de définir un programme de coalition.


Avec le mode de scrutin actuel, LFI peut faire survivre artificiellement le NFP en menaçant ses partenaires de présenter des candidats contre les leurs lors des prochaines législatives, ce qui réduirait considérablement leur chance de succès. L’unité reste donc la norme, afin de satisfaire les intérêts électoraux de chacun et les ambitions de M. Mélenchon – qui entend être le seul candidat de gauche aux prochaines présidentielles. Mais elle interdit aux autres composantes du NFP de dialoguer avec les forces politiques situées plus à droite qu’elles. Avec la perspective d’un passage à la proportionnelle, le PS et les Verts auraient pu dialoguer avec Renaissance, le Modem et l’UDI pour envisager une coalition au centre – comme cela se fait dans la plupart des démocraties européennes. Mais ni M. Macron, ni M. Barnier n’a proposé cette réforme, qui aurait déverrouillé la situation.



A l’arrivée, le gouvernement reflète avant tout la bataille d’influence entre le Premier ministre et le Président. Le premier estime être en « cohabitation », ce qui suppose une totale liberté d’action, tandis que le second évoque une « coexistence exigeante », qui préserve son influence. Le Premier ministre, loin d'avoir pu construire un gouvernement d’union, en piochant dans les différentes familles politiques et dans la société civile, a été soumis à un double tir de barrage de la part des Républicains – dont tous les cadres se voyaient ministre et qui exigeaient les postes régaliens pour leur parti – et de Renaissance – dont les responsables entendaient que certains ministres soient reconduits et menaçaient de quitter le navire si des « lignes étaient franchies ». Le gouvernement présente donc un équilibre entre les partis des deux leaders de l'exécutif. Le principe du « domaine réservé » du Président a été respecté, puisque tous les ministres concernés sont des proches d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre s’est alloué quant à lui un droit de regard sur des ministères-clés – budget, Outre-Mer, Europe.

 

Contrairement à ce qui prévaut dans les régimes parlementaires, le gouvernement Barnier n’est pas assis sur un pacte de coalition : il n’y a pas de programme législatif ou même d’accord sur des objectifs et valeurs. Il y a juste de vagues engagements et un rapport de force entre LR et Renaissance, via MM. Barnier et Macron. Il est donc clair qu’il n’y a pas eu d’alternance, malgré la déroute de Renaissance et de LR aux législatives, mais juste un profond remaniement et l’entrée en masse des Républicains au gouvernement – perspective qu’ils avaient refusée depuis 2022.

 

 

3.     Un gouvernement de poids légers

 

Un troisième trait remarquable du gouvernement Barnier est l’absence de poids lourds et de figures centrales de la vie politique française. Tous les candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle (prévue en 2027 ou avant, en cas de démission d’Emmanuel Macron) ont été écartés : Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Edouard Philippe, François Bayrou, Ségolène Royal, Bernard Cazeneuve… On note aussi qu’aucun chef de parti n’est ministre.

 

Le but était, sans doute, de limiter les tensions partisanes au sein du gouvernement et d’éviter que certains ministres ne se désolidarisent de M. Barnier à l’approche des élections présidentielles. De fait, ce gouvernement pléthorique (39 membres) est composé d’un grand nombre d’inconnus. On note aussi beaucoup de ministres particulièrement jeunes, le pompon allant à Antoine Armand, le ministre des Finances, qui n'est âgé que de 33 ans. Certes, aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, mais pour exercer des fonctions de premier plan, avoir un peu d’expérience et d’autorité ne saurait nuire... Il y a aussi des nominations étonnantes, comme celle d"Anne Genetet au ministère de l’Éducation nationale ; elle présente en effet un profil rigoureusement étranger à l'enseignement et n'a, en tant qu’élue, jamais évoqué la question. Evidemment, il n’est pas nécessaire d’être agriculteur ou ingénieur agronome pour devenir ministre de l’Agriculture, mais on peut néanmoins espérer un peu d’intérêt du responsable pour le sujet.


 

Quel destin pour le gouvernement Barnier ?

 

Les réactions à la composition du gouvernement Barnier ont été sévères. Il a été jugé inacceptable par la gauche, en raison d’un évident manque d’ouverture politique, de la présence de quelques ministres très conservateurs, et de la domination des vaincus des législatives. Le gouvernement n’a pas non plus séduit les organisations de la société civile – syndicats, monde associatif, ONG... –, car les ministres ont presque tous un profil politique. Il n’a pas davantage rassuré les experts et les éditorialistes, nombre de ministres n’ayant pas d’expérience probante. Enfin, il n’est pas certain qu’il bénéficie longtemps du soutien passif du RN, compte tenu des positions très critiques prises par ses leaders. Il est fort probable que le NFP déposera une motion de censure à chaque fois que cela sera possible : le RN pourra s’y joindre à n’importe quel moment, et exercer ainsi une pression constante sur le gouvernement, notamment sur ses sujets de prédilection – immigration et sécurité.

 


The fall of Icarus, Jacob Peter Gowy, 1636


On peut toutefois penser que le gouvernement Barnier ne tombera pas immédiatement, en raison de la stratégie électorale de Marine Le Pen. Celle-ci n’a aucun intérêt à gouverner, et se trouve bien mieux dans l’opposition, où elle se contente – comme elle le fait depuis le début de sa quête présidentielle – de critiquer l’action du gouvernement et du Président sans rien proposer. Un soutien passif lui permet aussi de cultiver sa stature de femme d’État, soucieuse des intérêts du pays, par contraste avec l’attitude destructrice d’un Jean-Luc Mélenchon, qui fera déposer par ses ouailles autant de motions de censure qu'il sera possible de le faire. C’est, pour la candidate du RN, la meilleure stratégie en vue des prochaines élections présidentielles.


Manifestation à Rennes contre le gouvernement Barnier (21 septembre 2024)


Du côté des partis impliqués dans le gouvernement, la gravité de la situation politique, économique, sociale et financière du pays les poussera sans doute à faire preuve de raison – aucun n’ayant intérêt à ce qu'il sombre dans le chaos et perde la confiance des marchés et de ses partenaires. L’insuccès des manifestations organisées par le NFP juste avant la présentation du gouvernement Barnier samedi dernier laisse penser qu’un sentiment similaire règne désormais dans la population. En somme, personne ne se réjouit de la composition du gouvernement, personne ne se fait d'illusion sur sa capacité à répondre aux attentes des citoyens, mais chacun comprend que sa chute n’ouvrirait aucune perspective enthousiasmante.

 

Olivier Costa

Photo du rédacteurOlivier Costa

Dernière mise à jour : 18 sept.


Aujourd’hui (mardi 17 septembre 2024), Ursula von der Leyen a présenté au Parlement européen la composition de la nouvelle Commission. Elle a confirmé les noms des différents candidats proposés par les Etats membres – à l’exception de la candidate slovène, dont le pays est empêtré dans une crise politique déclenchée par le remplacement du candidat initialement proposé par une femme, à la demande de la Présidente... Celle-ci a annoncé les portefeuilles et responsabilités des différents commissaires. A présent, le Parlement européen va procéder à l’audition des 26 candidats devant les commissions parlementaires compétentes. Il décidera ensuite d’accorder ou non l’investiture à la nouvelle Commission. A chaque fois, les députés ont refusé certains candidats ou demandé des aménagements de leur portefeuille, arguant de leur manque de maîtrise des dossiers, de leur attitude pendant l’audition ou d'ombres sur leur cv. Cet exercice permet au Parlement de s’immiscer dans la composition de la Commission et de rappeler que la confiance du Parlement ne lui est pas due, et qu’elle se mérite. Il y a fort à parier que certains candidats se feront une fois encore étriller, et que des ajustements de l’équipe seront nécessaires. Sans attendre de connaître la composition définitive de la nouvelle Commission, on peut d’ores et déjà tirer trois enseignements des choix opérés par Ursula von der Leyen.

 


1.     Une Commission aux ordres de la Présidente

 

La Présidente sortante a connu une fin de mandat difficile et s’est fait admonester par des membres du Conseil européen pour certaines de ses initiatives ou prises de positions. Elle a dû faire profil bas pour être réinvestie : reconnaître qu'elle n'est pas un Premier Ministre européen, et admettre que certaines compétences – notamment en matière de relations internationales – ne sont pas de son ressort. De même, Mme von der Leyen a dû déployer des trésors de diplomatie pour obtenir l’aval du Parlement européen. Les traités prévoient en effet qu’il doit « élire » le Président ou la Présidente de la Commission, et ce à la majorité de ses membres, ce qui implique que les absents et les abstentionnistes s’opposent à sa nomination. La tâche est donc ardue. Elle l’est d’autant plus que le scrutin a lieu à bulletins secrets, et que les groupes politiques ne peuvent donc pas faire pression sur leurs élus. En 2019, Mme von der Leyen ne l’avait ainsi emporté que de 9 voix, alors même qu’elle était soutenue par les trois plus grands groupes politiques, qui bénéficiaient en théorie d'une nette majorité. Dans un Parlement encore plus fragmenté, le résultat du vote était très incertain. La Présidente a néanmoins pu bénéficier de la mobilisation des députés pro-européens, paniqués par l’idée d’une crise institutionnelle, et a été réélue le 18 juillet dernier avec une avance plus confortable de 41 voix.

 

La nouvelle Commission


On pouvait penser que Mme von der Leyen continuerait à faire profil bas, afin de se ménager les bonnes grâces du Conseil européen et du Parlement, mais il n’en est rien. Elle a en effet choisi d’exercer un leadership fort sur la nouvelle Commission, en se débarrassant de tous les commissaires qui lui avaient tenu tête pendant son premier mandat : la danoise libérale Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive sortante ; le luxembourgeois Nicolas Schmit, qui était pourtant le candidat des socialistes à la Présidence de la Commission lors des dernières élections européennes ; et le Français Thierry Breton, qui a été poussé vers la sortie au dernier moment. Un autre poids-lourd du précédent collège, le socialiste néerlandais Franz Timmermans, est lui aussi absent, car revenu à la vie politique nationale. La Commission von der Leyen 2 se compose donc de personnalités peu connues et l’on ne voit pas qui pourrait contester l’autorité de la Présidente.

 

2.     Une Commission dominée par la droite

 

La nouvelle Commission se caractérise aussi par une domination sans faille du Parti populaire européen (PPE), le parti de la droite modérée. Depuis 1999, il constitue la première force politique au Parlement européen, et les présidents de la Commission sont issus de ses rangs sans discontinuer depuis vingt ans. Le précédent collège des commissaires présentait toutefois un certain équilibre entre le PPE, le Parti socialiste européen (PSE) et la famille libérale (Renew). Cet équilibre avait notamment commandé la création des postes de vice-présidents « exécutifs », qui étaient allés en priorité aux candidats malheureux du PSE et de Renew au poste de Président de la Commission.


La Commission von der Leyen 2 présente un tout autre visage : elle est largement dominée par le PPE, qui obtient 15 sièges sur 27, contre seulement 4 aux socialistes. Elle ne reflète plus les équilibres politiques au Parlement européen, où le PPE est certes le premier groupe, mais ne peut rien faire sans ses partenaires du PSE et de Renew. Puisque, légalement parlant, la Commission prend toutes ses décisions à la majorité, la Présidente pourra désormais imposer ses vues en mobilisant les commissaires du PPE. En pratique, la règle est la recherche du consensus, mais ce nouveau déséquilibre politique permettra à Ursula von der Leyen de renforcer son autorité.

 

La domination du PPE en cache une autre : celle de la CDU. En effet, l'Allemagne a toujours joué un rôle prépondérant au PPE parce qu'elle envoie d’importants contingents de députés au Parlement européen. A l’heure actuelle, le groupe compte 188 députés dont 31 Allemands – la plus forte délégation de l’hémicycle. Le France n’y compte que 6 députés et l’Italie 9. Dans la perspective du retour au pouvoir de la CDU l’an prochain en Allemagne, la domination de la Commission par le PPE, notamment grâce à sa Présidente, est préoccupante.

 


 

3.     Une Présidente qui affirme son leadership vis-à-vis des Etats

 

Le dernier enseignement de la composition de la nouvelle Commission tient aux rapports de force entre la Présidente et les leaders nationaux. Le remplacement, au dernier instant, de Thierry Breton par Stéphane Séjourné est à ce titre emblématique. Breton, qui n’avait pas fait mystère de son envie de rempiler, avait été confirmé comme candidat français par l’Élysée le 25 juillet. Mais ses relations avec Ursula von der Leyen étaient exécrables. Il avait plusieurs fois critiqué ses décisions et dénoncé une gouvernance trop personnelle. Il avait aussi publiquement moqué le faible soutien du PPE à son second mandat. Il existait enfin d’importantes divergences entre Thierry Breton et Ursula von der Leyen, notamment quant aux rapports avec les Etats-Unis. Breton a ainsi mené une croisade contre les GAFAM que la Présidente, très atlantiste, n’a pas appréciée. Mme von der Leyen, profitant de la mauvaise passe du Président français, a donc demandé le retrait de Breton, en faisant miroiter en échange un portefeuille élargi et une vice-présidence exécutive. Emmanuel Macron ayant accepté cet arrangement, Breton a claqué la porte.

 

Stéphane Séjourné et Thierry Breton


La nomination très tardive de Stéphane Séjourné a été interprétée par beaucoup comme un camouflet à la France, désormais traitée comme un « petit » pays. En effet, jamais par le passé un des plus grands Etats de l’Union n’avait été contraint de retirer son candidat – si ce n’est sous la pression du Parlement européen. Le nom de Mme von der Leyen avait été proposé par Emmanuel Macron en 2019 pour débloquer les négociations sur les "top jobs", et on la décrivait alors comme faible et redevable au Président français. Cinq ans plus tard, elle a su lui imposer le retrait de son candidat, sans même brandir l’excuse du respect de la parité. La séquence est aussi interprétée comme le signe d’une nouvelle dégradation des relations franco-allemandes : Mme von der Leyen ne représente certes pas son pays, mais elle n’a pu exiger ce changement sans l’aval des autorités allemandes ni celui de son parti, la CDU, qui est sans doute appelé à gouverner l’an prochain. Si le couple franco-allemand n’était pas en crise, jamais telle demande n’aurait été formulée.

 

Il ne faut cependant pas voir dans la décision d’Emmanuel Macron qu’une reculade. Elle a également été motivée par la défense de ses intérêts personnels. Quelle que soit la composition du gouvernement Barnier, le Président ne pourra en effet plus s’immiscer dans la gestion des affaires courantes comme il le fait depuis 2017. Il devra, comme y avaient été contraints François Mitterrand et Jacques Chirac en temps de cohabitation, se replier sur les questions internationales, européennes et de défense. Pour ce faire, le Président a besoin d’un homme de confiance à la Commission. Il a certes dit le plus grand bien du Commissaire français sortant, et les deux hommes avaient des préoccupations communes: la mise au pas des GAFAM, la régulation du marché, le développement d’une politique industrielle européenne, notamment dans le domaine de la défense… Mais Breton n’est pas un proche du Président et n’a jamais pris ses instructions à l’Élysée. En revanche, Stéphane Séjourné est un macroniste de la première heure et un fidèle parmi les fidèles, qui doit toute sa carrière au Président. C’est aussi un représentant de la famille libérale, puisque Séjourné a été président du groupe Renew pendant la précédente législature ; Breton était quant à lui considéré comme sans étiquette, même s'il était membre du RPR et de l’UMP à l’époque où il était ministre. Emmanuel Macron ne s’est donc pas contenté de céder au chantage d’Ursula von der Leyen : il a aussi soigné ses intérêts politiques du moment. Cela inclut évidemment la composition du gouvernement; Michel Barnier exigeant que les Affaires étrangères reviennent à un Républicain, il convenait de trouver un point de chute à Stéphane Séjourné.

 

 

Une séquence qui va alimenter les fantasmes eurosceptiques

 

Les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 dévoilent une évolution des rapports de force à Bruxelles. Lors de l’investiture du précédent collège, en 2019, un duel avait eu lieu entre le Parlement européen – qui voulait écarter certains candidats, dont la Française Sylvie Goulard – et le Conseil européen – qui entendait décider seul de la composition de la Commission. Désormais, c’est un duel à trois, entre le Parlement, le Conseil européen, et la Présidente de la Commission.



En effet, Mme von der Leyen entend faire mieux respecter les prérogatives que lui octroient les traités quant à la composition de son équipe et à l’attribution des portefeuilles. Plus largement, elle promeut une interprétation des traités qui renforce sa fonction présidentielle. Sur ce point, les textes sont ambigus : les décisions de la Commission se prennent de manière collégiale, par un vote des 27 commissaires à la majorité. La Présidente n'a pas de voix prépondérante et ne peut prendre aucune décision importante de son propre chef. Cependant, les traités lui reconnaissent aussi un leadership politique, un rôle actif dans le choix des commissaires et la distribution des portefeuilles et des fonctions, et le droit de limoger les commissaires individuellement. Mme von der Leyen bataille donc pour obtenir une interprétation maximaliste de son pouvoir, et imposer l’idée qu’elle peut prendre des décisions unilatérales au nom de la légitimité tirée de son « élection » par le Parlement européen.

 

Il reste que les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 donnent une bien piètre image de l’institution. Elles viennent alimenter les fantasmes qu’elle véhicule depuis longtemps : celui d'une bulle où règnent le népotisme, le copinage et les batailles d’égo, et celui d’une institution capable d’imposer ses désidératas à des États membres pourtant réputés souverains.


Olivier Costa

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