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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Article publié par « Conférence », un site internet de Sciences Po destiné à éclairer le débat public, le 22 septembre 2025

 

Nommé à Matignon, Sébastien Lecornu se heurte à une impasse politique : il doit construire une coalition alors que la plupart des partis semblent réticents à participer au gouvernement. Comment comprendre ce désintérêt pour l’exercice du pouvoir ? Olivier Costa, chercheur au CEVIPOF, éclaire cette situation à travers les spécificités institutionnelles du parlementarisme à la française.

 

Sébastien Lecornu a pour mission de faire fonctionner les institutions de la Cinquième République comme un régime parlementaire. Michel Barnier et François Bayrou ne s’y sont pas vraiment essayés : ils ont imposé leur équipe et leur programme, et se sont contentés de se dire ouverts au dialogue avec les autres forces politiques. Le nouveau Premier ministre s’emploie pour sa part à construire une coalition majoritaire ou, a minima, à s’engager formellement à ne pas le censurer. Pour cela, il parle à tout le monde, se montre ouvert sur son programme et prend le temps de négocier. Il bénéficie du changement de configuration à gauche ; la crise qui affecte le Nouveau Front Populaire rend en effet le PS, le PCF et les Verts moins dépendants de LFI et plus à même de négocier avec le Premier ministre. Cependant, rien n’indique pour l’instant qu’un parti extérieur à la coalition du centre et de la droite soit prêt à participer au gouvernement ou, à tout le moins, à s’engager formellement à ne pas le censurer. 

 

Les partis sont-ils prêts à jouer le jeu du parlementarisme ?

 

Pour évaluer les chances de Sébastien Lecornu d’élargir son assise à l’Assemblée nationale, il faut revenir à ce qui motive les élus en général, et les parlementaires en particulier. On peut distinguer trois objectifs principaux.

 

Le premier est la carrière : l’ambition de la grande majorité des députés est de conserver leur mandat ou de conquérir une autre fonction politique prestigieuse. De nombreux citoyens s’en désolent, et critiquent le phénomène de « professionnalisation » de la vie politique qui affecte les démocraties contemporaines. Il faut toutefois rappeler que les parlementaires doivent, pour la plupart, interrompre leur carrière pour exercer leur mandat, et qu’il n’est pas forcément aisé pour eux d’y revenir. Beaucoup d’élus sont donc en quelque sorte prisonniers de leur choix de s’engager en politique, et font le nécessaire pour y durer.

 

Le deuxième objectif d’un élu est de promouvoir ses idées, ses propositions et ses valeurs, et donc d’être en situation de les mettre en œuvre. De même, les partis sont des organisations qui ont, en principe, pour objectif la conquête du pouvoir ; seuls les mouvements radicaux n’y aspirent pas nécessairement, car ils s’inscrivent dans un rejet radical du système politique ou refusent de faire les concessions qu’exige la participation à une coalition gouvernementale.

 

Le troisième objectif de la plupart des élus est de veiller aux intérêts de la collectivité dont ils sont les représentants – ville, département, région ou pays. Si cet aspect est souvent moqué ou tourné en dérision, il reste malgré tout un motif majeur de l’engagement en politique.

 

Les élus arbitrent différemment entre ces trois objectifs : certains renieraient leurs idées pour un poste, tandis que d’autres sont prêts à rester d’éternels opposants pour défendre leurs idées, et d’autres encore sont disposés à se retirer d’une élection pour empêcher le succès de leurs adversaires politiques. 

 

Dans des circonstances normales, l’ambition des élus devrait néanmoins être de gouverner, quelle que soit l’élection à laquelle ils participent. En effet, les trois objectifs mentionnés les y poussent : accéder au pouvoir, c’est tout à la fois disposer de davantage de ressources pour poursuivre sa carrière politique, mettre en œuvre ses idées et servir une certaine conception de l’intérêt général. Dans un régime parlementaire classique – comme l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie – le graal pour un parti est d’appartenir à la coalition gouvernementale. Ils ne l’excluent que si son centre de gravité est trop éloigné de leurs orientations politiques, si leurs partenaires exigent des concessions déraisonnables, ou s’ils sont dans une démarche d’opposition frontale au régime.

 

Les spécificités du régime semi-présidentiel français

 

En France, la situation est différente. Les spécificités du régime semi-présidentiel impliquent que l’objectif central des partis et de leurs membres n’est pas de participer au gouvernement mais de conquérir l’Élysée. C’est en effet le lieu cardinal du pouvoir, réel et symbolique, de sorte que les principaux partis sont devenus des organisations au service des ambitions présidentielles d’un homme ou d’une femme. En somme, les institutions de la Cinquième République ont amené les députés et les partis à analyser leurs priorités autrement que dans les régimes parlementaires.

 

 Les responsables politiques français sont ainsi tous animés par la volonté d’accéder à l’Élysée et par la conviction qu’il est nuisible pour cela d’entrer au gouvernement en cours de mandat présidentiel. En effet, sous la Ve République, aucun Premier ministre sortant n’a jamais été élu Président. Plus spécifiquement, les situations de cohabitation ont toutes été préjudiciables au Premier ministre. La première (1986-1988) a vu Jacques Chirac perdre contre le Président sortant François Mitterrand. La deuxième (1993-1995) s’est conclue par l’échec d’Edouard Balladur au premier tour de la présidentielle, et par la victoire de son rival Jacques Chirac. La troisième (1997-2002) a vu le premier ministre Lionel Jospin échouer lui aussi au premier tour de la présidentielle, et a abouti à la réélection de Jacques Chirac. En somme, sous la Cinquième République, les présidents n’ont été réélus qu’à l’issue d’une période de cohabitation (Mitterrand en 1988 et Chirac en 2002) et/ou d’un duel au second tour avec un candidat d’extrême-droite (Chirac en 2002 et Macron en 2022). 

 

L’ombre des prochaines élections présidentielles

 

Plus largement, dans le contexte difficile que connaissent les démocraties libérales, il existe une prime aux partis d’opposition. Ces derniers peuvent axer leur campagne sur la critique du bilan des sortants, dans un registre plus ou moins populiste, et sans devoir préciser leurs propres propositions et solutions. Face au « dégagisme » et à l’érosion de plus en plus rapide de la popularité des têtes de l’exécutif, les responsables politiques considèrent qu’il est peu avantageux de se présenter aux élections en étant aux responsabilités. La règle est valable pour toutes les élections : les présidentielles, mais aussi les municipales, les départementales, les régionales et les européennes. Elles sont en effet l’occasion pour une partie de l’électorat de désavouer l’action du gouvernement et du Président. Cela vaut également pour les élections législatives qui interviennent en cours de mandat présidentiel (1986, 1993, 1997, 2024), et même, par une sorte de dérèglement des institutions de la Cinquième République, pour celles qui suivent directement la présidentielle (2022).

On pourrait penser que l’ampleur de la crise politique et sociale que traverse la France aujourd’hui donne à Sébastien Lecornu les meilleures chances de succès. Après les échecs des gouvernements Barnier et Bayrou, et face à l’urgence d’adopter un budget pour 2026, de calmer la colère sociale et de redresser l’image du pays vis-à-vis de ses partenaires européens et des agences de notation, les partis concernés par le sort du pays devraient se montrer conciliants. S’ils refusent d’entrer au gouvernement, ils pourraient négocier les conditions de l’absence de censure. Mais rien n’est moins sûr. La manière dont les responsables politiques analysent leurs intérêts – carrière, promotion de leurs idées, poursuite du bien commun – les incite à rester dans l’opposition, pour se donner les meilleures chances de l’emporter en 2027. 


 

L'Elysée. Crédit: Elysée
L'Elysée. Crédit: Elysée


Une ressource paradoxale pour Sébastien Lecornu ? 

 

Est-ce à dire que la mission de Sébastien Lecornu est vouée à l’échec ? Paradoxalement non, là encore en raison des obsessions élyséennes des uns et des autres. Si le Premier ministre va sans doute se heurter au faible enthousiasme de ses interlocuteurs pour s’entendre avec lui, il pourrait aussi tirer profit de leur peu d’entrain à gouverner. En effet, une fois son équipe constituée, les leaders de l’opposition n’auront pas d’intérêt immédiat à sa chute et préfèreront sans doute le laisser en poste jusqu’en 2027. Cela leur permettra de faire des élections municipales un test de popularité pour le gouvernement, puis d’aborder la présidentielle dans la position la plus favorable, celle d’opposants à l’exécutif sortant. La passion des responsables politiques français pour l’élection présidentielle est donc tout à la fois la principale difficulté que doit affronter le Premier ministre pour former son équipe, et sa meilleure ressource pour durer à Matignon.


Olivier Costa

 


Dernière mise à jour : 29 sept.




Emmanuel Macron n’a pas tardé à trouver un successeur à François Bayrou. Ce sera Sébastien Lecornu, ministre de la Défense, homme de droite et fidèle du Président. A gauche comme au RN, on crie au scandale. Au PS, on cite Albert Einstein : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à des résultats différents ». Du côté de Renaissance, on adopte les mantras des gourous en développement personnel, estimant que chaque échec est un pas de plus vers le succès… Concrètement, Sébastien Lecornu a-t-il une chance de durer plus que Michel Barnier et François Bayrou, et de trouver une majorité pour faire voter le budget 2026 ? La tâche sera délicate, mais il bénéficie pour ce faire de trois atouts.

  


1.     Un changement de méthode

 

Le Communiqué de l’Elysée annonçant qu’Emmanuel Macron a nommé Sébastien Lecornu à Matignon diffère des précédents. Il est en effet chargé par le Président de « consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois (...) A la suite de ces discussions, il appartiendra au nouveau premier ministre de proposer un gouvernement au président de la République ». Pareilles instructions n’avaient pas été données à MM. Barnier et Bayrou, qui ont choisi leur équipe sans procéder à des consultations politiques élargies et ont imposé leur programme de gouvernement.

 

La méthode suggérée par le Président à M. Lecornu est inspirée de la manière dont on construit les coalitions dans les « vrais » régimes parlementaires. Pour mémoire : après les élections législatives, qui donnent rarement une majorité claire en raison du recours fréquent à la proportionnelle, s’ouvre une séquence de construction d’une coalition majoritaire. L’initiative est généralement laissée au parti qui a emporté le plus grand nombre de sièges ; s’il échoue, le parti suivant est sollicité pour conduire les discussions. C’est un processus complexe et long – souvent plusieurs mois, jusqu’à un an-et-demi dans le cas de la Belgique.

 

Pour l’heure, Sébastien Lecornu bénéficie de la confiance du bloc central et de son parti, les Républicains. Mais cela ne suffit pas. Il va devoir rallier d’autres forces à sa cause, en obtenant soit un soutien explicite – en échange d’éléments dans le programme et de portefeuilles ministériels – soit un simple engagement à ne pas voter la censure – contre la définition de lignes rouges. Le sceptique estimera que c’est impossible : pourquoi ce qui n’a pas fonctionné hier fonctionnerait aujourd’hui ? La principale raison est que les différents acteurs du régime français ont « appris » ce qu’est un régime parlementaire depuis les dernières élections législatives. La France fonctionne depuis 1958 avec un régime « semi-présidentiel » dans lequel le Président domine et dispose normalement d’une majorité à l’Assemblée nationale – bloc de droite ou bloc de gauche. Le gouvernement s’appuie sur celle-ci pour appliquer le programme du Président, ou celui de la majorité en cas de cohabitation.


Mais, depuis 2022, la belle mécanique de la Cinquième République s’est enrayée : la bipolarisation de la vie politique n’est plus, et l’Assemblée nationale est divisée en trois blocs (gauche, centre et droite, et extrême-droite) qui refusent de travailler l’un avec l’autre. Il convient, dans ce contexte, de faire fonctionner les institutions sur un mode parlementaire. Cela implique une certaine mise en retrait du Président et la conduite de véritables négociations pour former un gouvernement.



Coalitions possibles en Allemagne, 2021. Crédits: AFP
Coalitions possibles en Allemagne, 2021. Crédits: AFP

  

Il semble qu’Emmanuel Macron ait (enfin) accepté l’idée de ne pas arbitrer tous les dossiers de politique intérieure, comme il en avait pris l’habitude depuis 2017, et de se concentrer sur les questions internationales. Il convient à présent que Sébastien Lecornu ouvre de vraies négociations en vue de la formation d’un gouvernement, et ne se contente pas de dire, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, que « sa porte est ouverte ». Cela implique – comme l’a justement rappelé Olivier Rozenberg dans une récente tribune au Monde – de respecter quelques principes fondamentaux qui commandent la formation des gouvernements dans les régimes parlementaires :

-       il faut négocier à la fois sur le programme et sur la composition de l’équipe, qui ne doit être annoncée que lorsqu’un accord de gouvernement est signé par toutes les parties ;

-       les négociations doivent être conduites en secret, et non pas sous le regard des médias et en prenant l’opinion publique à témoin ;

-       le Président ne doit pas interférer, sauf pour ce qui concerne son « domaine réservé » (défense et politique étrangère) ;

-       les discussions doivent se fonder sur le poids de chaque formation à l’Assemblée, et non les prétentions ou l’égo de leur leader ;

-       il faut que les tractations portent sur les éléments fondamentaux (par exemple, les contours du budget ou la réforme des retraites) et que le premier ministre accepte de faire des concessions substantielles ;

-       la négociation doit inclure la méthode de gouvernement et les institutions, notamment le mode de scrutin ;

-       enfin, il faut prendre le temps ; aujourd'hui, la nécessité de présenter rapidement un projet de budget vient interférer avec cette exigence, mais un accord sur ce point pourrait être une étape dans la construction d’une coalition majoritaire.

 

Le débat sur ces questions a beaucoup progressé en France depuis un an. Après juin 2024, on se sentait bien seul à expliquer comment les choses devraient se passer pour surmonter la fragmentation de l’Assemblée nationale. Désormais, la plupart des éditorialistes ont accepté l’idée qu’il faut en passer par une négociation ouverte, et le PS n’affirme plus qu’il ne participera qu’à un gouvernement appliquant rien que le programme du NFP et tout le programme du NFP.

 

Cette séquence d’apprentissage est fondamentale, car il est fort probable que l’Assemblée nationale sera durablement fragmentée, même après le départ d’Emmanuel Macron. Cette évolution sera d’autant plus indispensable si le mode de scrutin est modifié pour la proportionnelle, qui privera structurellement l’Assemblée d’une majorité claire.

 

 

2.    Un profil différent

 

La nomination de Sébastien Lecornu reflète la volonté d’Emmanuel Macron de persister dans la politique économique dite « de l’offre » qu’il met en œuvre depuis 2017 et de rassurer les marchés. Du côté de l’Elysée, on justifie ce choix, estimant qu’il n’y en a pas d’autre possible : la gauche n’a pas assez de députés pour prétendre gouverner, d’autant que LFI et LR ont annoncé qu’ils refuseraient de soutenir un premier ministre socialiste ; le RN et LFI affichent une hostilité frontale, pressés de pousser le Président à dissoudre à nouveau ou à démissionner ; la dissolution de juin 2024 n’a pas permis de clarifier la situation politique, et il est improbable que de nouvelles élections accouchent d’une majorité ; la démission n’est pas une option pour le Président, et rien ne dit que son successeur pourrait bénéficier d’une majorité à l’Assemblée.

 

Cela dit, les partis d’opposition voient dans la nomination de Sébastien Lecornu une provocation. D’abord, il est, comme Michel Barnier et François Bayrou, un vrai homme de droite : engagé à l’UMP depuis ses 16 ans et ayant fait toute sa carrière dans ce parti, comme collaborateur, élu ou ministre. Ensuite, s’il n’est pas un macroniste historique, de ceux qui entouraient le candidat dès 2016, il est le seul ministre qui soit resté au gouvernement depuis la première élection d’Emmanuel Macron, et il est aujourd’hui un membre de sa garde rapprochée. C’est une sorte de double du Président, qui suscitera sans aucun doute un rejet épidermique de la part de ses adversaires les plus farouches et des mouvements sociaux.

 




Mais Sébastien Lecornu dispose de quelques ressources pour mener à bien sa tâche. D’abord, c’est un homme discret, peu présent dans les médias, qui ne s’est pas impliqué dans des polémiques inutiles et n’a, a priori, ni casseroles, ni ennemi-juré. Ce n’est pas un homme du sérail : il ne sort pas des grandes écoles, et n'appartient ni à un grand corps de l’Etat, ni à une dynastie d’élus. Titulaire d’une simple licence en droit, il est entré dans la vie active – comme assistant parlementaire d’un député UMP – à 19 ans. Il connaît bien les rouages de l’Assemblée nationale, du gouvernement et du monde politique, et est apprécié des autres ministres. En somme, on lui fera sans doute davantage crédit de sa bonne volonté qu’à François Bayrou, dont le tempérament était trop connu pour susciter l’espoir d’une véritable ouverture.

 

 

3.    Une gauche plus ouverte au dialogue

 

Le dernier élément sur lequel Sébastien Lecornu pourra compter est le changement de configuration à gauche. Si LFI a déjà annoncé vouloir déposer une motion de censure contre le futur gouvernement, tel n’est pas le cas des autres partis de gauche – PS, Verts, PCF. Leur situation a en effet évolué à trois titres.



Résultats des élections législatives 2024
Résultats des élections législatives 2024

 

D’abord, tous ont pris acte du décès du Nouveau Front Populaire. Cette alliance s’est montrée efficace pour gagner des sièges aux dernières législatives, permettant à la gauche un succès inespéré. Toutefois, le NFP ne disposait pas d’un nombre de députés suffisant pour prétendre gouverner, et le jusqu’au-boutisme imposé par Jean-Luc Mélenchon à ses partenaires n’aurait laissé aucune chance de survie à un gouvernement de gauche. Depuis juin 2024, son attitude et ses outrances ont fini de disloquer le NFP. Socialistes, communistes et écologistes ont longtemps fait profil bas, craignant que LFI ne présente des candidats contre eux en cas de nouvelles élections législatives, voire aux municipales. Mais c’est désormais très probable : les représentants de la gauche non insoumise peuvent donc envisager de discuter avec M. Lecornu, puisque LFI a déjà usé de son principal moyen de pression.

 

En deuxième lieu, les députés de la gauche non insoumise craignent plus que les autres de perdre leur siège. En cas de nouvelles élections législatives, la gauche se présentera très certainement en ordre dispersé, et nombre de ses députés sortants (17 communistes, 38 écologistes et 66 socialistes) ne seront pas réélus. Ils ne sont donc pas pressés d’acculer le Président à une nouvelle dissolution, et craignent un score retentissant pour le RN, qui pourrait doubler ses effectifs et frôler la majorité absolue (289 sièges).



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Enfin, le PS et les Verts n’ont pas hâte – à l’inverse de LFI et du RN – de voir Emmanuel Macron quitter l’Élysée. Ils sont divisés à la fois sur l’identité de leur(s) candidat(s) et sur leur programme. Ils ont donc un certain intérêt à ce que le gouvernement Lecornu ne chute pas trop vite.

 

 

Une inflexion politique indispensable

 

Le scepticisme est la disposition d’esprit la plus confortable. Les éditorialistes, les experts et les commentateurs de la vie politique française sont prompts à adopter ce point de vue, qui exige peu d’efforts intellectuels et minimise les risques de se tromper. Il séduit aussi une large part de l’opinion publique française, pétrie d’une sorte d’héritage cartésien mal compris qui les porte au pessimisme en toute chose. Face à la nomination de Sébastien Lecornu, cette rhétorique est tentante, car c’est peu de dire que sa tâche sera ardue. La composition de l’Assemblée nationale n’a pas changé, pas plus que l’obsession des principaux responsables politiques pour les élections présidentielles, qui viendra perturber toute tentative de négociation.


Une chose est sûre : Sébastien Lecornu ne pourra former un gouvernement et durer un minimum à Matignon que s’il parvient à imposer au Président et à ses amis centristes, macronistes et républicains de vraies négociations avec les autres partis, et s’il accepte d’opérer des concessions effectives. Pour rallier une partie de la gauche à sa cause, il devra infléchir la politique économique et fiscale conduite par Emmanuel Macron depuis 2017, et en finir avec le discours d’un François Bayrou qui affirmait – contre toute évidence – qu’il n’y avait qu’une seule manière de réduire le déficit budgétaire du pays, la sienne.


Olivier Costa



Tribune publiée par Le Monde (papier et web), le 29 août 2025



En juin 2024 Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale et appelé les citoyens à « clarifier » la situation politique du pays. Ce fut un échec, car la nouvelle chambre était encore plus fragmentée que la précédente. Depuis, le pays se heurte à l’existence de trois forces politiques (gauche, centre et droite, extrême-droite) dont aucune n’a la majorité et qui refusent de coopérer entre elles. Aujourd’hui, de nombreux responsables politiques et de commentateurs estiment que si le gouvernement Bayrou tombe le 8 septembre, il faudra dissoudre à nouveau pour opérer la « clarification » nécessaire.

 

Pourtant, il n’y aucune raison pour que les citoyens donnent une majorité à l’un des trois camps, car ils ne délibèrent pas pour se mettre d’accord. Les membres d’une assemblée ou les leaders des partis peuvent clarifier une situation politique en négociant un compromis, mais les citoyens n’ont aucun moyen de définir une stratégie collective en vue d’une élection. On peut les forcer à faire des choix, comme pour l’élection présidentielle : il n’y a qu’un poste à pourvoir, et on limite même le nombre de candidats à deux au second tour, afin que le vainqueur ait une majorité absolue. Il en va de même lors d’un référendum : on oblige les citoyens à se prononcer pour ou contre une mesure, de sorte qu’une majorité s’exprime. On peut également donner à la liste arrivée en tête d’une élection une « prime majoritaire », pour qu’elle ait les moyens de gouverner, comme on le fait pour les municipales et les régionales.

 

En revanche, il est improbable qu’une majorité émerge aux législatives dans le contexte politique actuel et avec le mode de scrutin en vigueur. Dans une élection, il n’y a jamais d’épiphanie, de moment de grâce où des électeurs très divisés décident que, tout bien considéré au terme de la campagne, tel parti mérite une large majorité. Quand il existe deux forces politiques principales, comme ce fut longtemps le cas en France, la majorité peut basculer au terme de la campagne électorale, mais c’est inenvisageable lorsque le paysage politique est plus fragmenté. En Espagne, en Grèce, en Italie et en Bulgarie, les citoyens sont souvent appelés aux urnes de manière répétée quand il est impossible de former un gouvernement. Mais ces scrutins n’opèrent jamais de clarification radicale : au mieux, ils poussent les partis à se montrer plus conciliants dans la conduite des négociations pour surmonter la crise.

 

Si le gouvernement chute, Emmanuel Macron sera tenté de dissoudre à nouveau et d’adopter le narratif de François Bayrou : celui d’un centre et d’une droite désireux d’éviter la faillite au pays, aux prises avec une gauche et une extrême-droite insensibles à cet enjeu, et d’un appel aux électeurs à clarifier la situation. Mais on voit mal les citoyens considérer que seul le camp présidentiel se soucie des finances de la France, et lui donner en conséquence une majorité. Pour sortir de la crise, certains exigent une démission du Président, avec l’idée que son successeur obtiendrait une majorité à l’Assemblée. En 2002, les tenants de l’inversion du calendrier électoral considéraient en effet que les résultats des présidentielles seraient mécaniquement confirmés lors des législatives, en raison de la dynamique politique. Mais rien n’est moins sûr, comme on a pu le constater en 2022, et aucun candidat à l’Élysée ne semble aujourd’hui capable de susciter l’élan nécessaire.

 

La solution est le passage à la proportionnelle. En effet, si les citoyens sont incapables de faire émerger spontanément une majorité, les partis peuvent en négocier les termes. Pour l’heure, le scrutin uninominal les pousse à forger des alliances avant les élections, afin de limiter le nombre de candidats ; mais une fois le scrutin passé, ils en sont prisonniers et ne peuvent négocier avec les autres camps. Avec la proportionnelle, chaque parti pourra concourir sous ses propres couleurs – comme c’est déjà le cas pour les élections européennes. Les négociations s’ouvriront au soir du scrutin pour déterminer quelles formations seront susceptibles de s’entendre pour gouverner. On constate en Belgique, en Allemagne ou au Danemark que ces tractations sont souvent complexes, mais la dramatisation des enjeux et la volonté d’accéder au pouvoir permettent aux négociateurs de s’entendre.

 

Une dissolution, sans évolution du mode de scrutin, aboutirait à répliquer les grands équilibres actuels de l’Assemblée. Les citoyens seraient fondés à penser que les élections ne servent à rien, que les institutions et les partis sont incapables de les représenter, et que le pays est structurellement ingouvernable. Il est grand temps d’abandonner la pensée magique de la « clarification » dans les urnes pour opérer la réforme électorale qui permettra aux partis de négocier pour gouverner.


Olivier Costa

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