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Dernière mise à jour : 10 sept.

Chacun guette la composition du gouvernement Barnier pour essayer d’en saisir la ligne politique. Quels seront les équilibres entre partis ? Y aura-t-il des ministres venus de la gauche ? Ou de l’extrême-droite ? Va-t-il créer des portefeuilles aux intitulés droitiers ? Ou progressistes ? En attendant, les leaders du NFP estiment que l’élection leur a été volée et veulent mobiliser citoyens, syndicats et étudiants autour de ce narratif. Ils affirment que Lucie Castets aurait dû gouverner, au nom de la « victoire » du NFP, et qu’elle en avait les moyens. Mais est-ce bien vrai ?

 

 

Lucie Castets n’a jamais été majoritaire

 

Il y a deux semaines, je faisais valoir, sans réelle ironie, qu’Emmanuel Macron aurait dû nommer Lucie Castets à Matignon pour clarifier la situation. Elle aurait composé son gouvernement, fait un discours de politique générale, et été rapidement censurée par l’Assemblée nationale. Le NFP aurait crié au coup de force, arguant une fois de plus de sa « victoire » du 7 juillet, mais la démonstration aurait été faite que l’exercice du pouvoir requiert, au minimum, qu’une majorité absolue de députés s’engage à ne pas voter la censure. Or, comme cela a été clairement établi lors de l’élection de la Présidente de l’Assemblée nationale, le NFP ne peut compter, au mieux, que sur 200 députés sur 577. En outre, les leaders des principaux groupes politiques hors-NFP avaient annoncé que, même sans ministres insoumis, ils voteraient la censure contre un gouvernement Castets. Les choses auraient sans doute été différentes si celle-ci avait réellement négocié avec les autres partis, mais elle ne l’a pas fait. Bernard Cazeneuve aurait pu, lui aussi, essayer de construire une majorité à gauche et au centre, mais Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure ont torpillé cette perspective.

 

Composition de l'Assemblée nationale, 9 septembre 2024

 


Une coalition minoritaire ne peut gouverner seule

 

Contrairement à ce que laissent entendre chaque jour les caciques du NFP, qui ont dû rater quelques cours, il n’existe aucune disposition dans la constitution, ni aucune coutume politique qui permette au parti arrivé en tête aux législatives d’appliquer son programme sans disposer d’une majorité absolue. Et, à l'inverse de ce que certains ont curieusement suggéré, Emmanuel Macron n’avait pas les moyens constitutionnels ou politiques d’interdire aux élus de son camp de censurer Lucie Castets pour la laisser appliquer le programme du NFP, au nom de sa « victoire ». Il faut rappeler que, dans aucun régime réellement démocratique, une majorité relative ne vaut une majorité absolue. Si un lecteur connaît un contre-exemple, je le prie de m’en faire part. Partout dans le monde, quand aucun parti ou aucune coalition ne dispose d’une majorité absolue à l’issue des élections, leurs leaders doivent négocier un accord majoritaire avant de prétendre gouverner. Parfois, il est impossible de réunir une majorité absolue sur un programme de gouvernement, mais il existe au moins un engagement de partis disposant d’une telle majorité à ne pas voter une censure immédiate. Il arrive aussi que le parti arrivé en tête des élections ne soit pas dans la coalition gagnante, faute d’avoir trouvé des alliés ; il siège alors dans l’opposition, car une majorité composée d’autres partis a émergé.

 

Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol. En 2023, la droite (Parti populaire) emporte les élections législatives anticipées. Après l'échec de son leader, Alberto Núñez Feijóo, à obtenir l'investiture du Congrès des députés, le Roi charge Pedro Sánchez, le Premier ministre socialiste sortant, de former le nouvel exécutif. Il conclut un accord de coalition avec un mouvement de gauche radicale, trouve une majorité et conserve le pouvoir.


 

Le RN pèsera sans doute sur le gouvernement Barnier…

 

On verra comment le gouvernement Barnier s’en sortira. Pour l’heure, il semble à l’abri d’une censure – qui n’est promise que par les députés du NFP. D’aucuns diront qu’Emmanuel Macron ou Michel Barnier a pactisé avec l’extrême-droite pour cela. C’est une possibilité, et la composition du gouvernement et sa ligne politique éclaireront ce point. Il reste que, ce n’est pas parce que l’on trouve le programme du RN politiquement ou moralement condamnable, que l’on peut faire abstraction des résultats des élections : le RN dispose du plus grand groupe à l’Assemblée nationale (126 députés), est le premier parti de France et a obtenu près du tiers des suffrages aux législatives (29,26% des voix au premier tour et 32,05% au second). A titre personnel, cela ne me réjouit pas, mais c’est le résultat d’élections dont personne ne conteste la sincérité. Plus globalement, la représentation nationale penche aujourd’hui fortement à droite : la gauche est arrivée en tête des élections législatives, mais elle n’a qu’un tiers des sièges. Il n’est donc pas illogique, démocratiquement parlant, que le gouvernement incline à droite. On peut certes craindre que Michel Barnier ne subisse les pressions du RN et qu’il ne conduise une politique très droitière en matière de sécurité et d’immigration pour échapper à la censure. On peut aussi déplorer que certains à droite – comme l’ont déjà fait M. Ciotti et ses amis – envisagent de remettre en question le « cordon sanitaire » qui isolait jusqu’à présent le RN. Mais c’est ainsi que fonctionnent les démocraties parlementaires, par le jeu des négociations entre partis. Et le fait que quelques beaux esprits entendent démontrer que les Français sont fondamentalement animés par des idées et valeurs de gauche, y compris les électeurs du RN, n’y changera rien.

 

Michel Barnier dans la cour de l'Elysée

 


Une nomination paradoxale qui a une logique

 

Il est désolant d’entendre aujourd’hui les responsables du NFP affirmer que Matignon leur a été volé et que Lucie Castets disposait des moyens de gouverner. Elle aurait pu les obtenir, mais n’a rien fait pour cela. Les citoyens peuvent avoir divers motifs de ne pas être satisfaits de la nomination de Michel Barnier. Ils peuvent s’étonner que Les Républicains récupèrent le poste de Premier ministre après être arrivés bons cinquièmes des législatives, et avoir refusé de participer au front républicain – dont ils ont tiré profit. Ils peuvent s’indigner de ce que le Premier ministre s’inscrive dans la continuité de l’action menée par Emmanuel Macron depuis 2022, malgré le double désaveu des élections européennes et législatives. Ils peuvent considérer qu’il aurait été logique, faute de majorité, de gouverner au centre, en conciliant les idées des deux camps, et en renvoyant LFI et le RN à leurs outrances respectives. Ils peuvent regretter que le Premier ministre soit un homme du passé, peu susceptible d’incarner le renouveau ou le changement espéré.

 

Lucie Castets dans la cour de l'Elysée (au centre)


Mais il faut prendre acte des réalités politiques et électorales, et de la fragmentation inédite de la représentation nationale. M. Barnier semble pouvoir échapper à une censure immédiate, ce qui n’était pas le cas de Mme Castets. Celle-ci s’est contentée de dire qu’elle entendait appliquer le programme du NFP au nom de la « victoire » de celui-ci, de la volonté du « peuple » et de la préservation de l’union de la gauche, mais elle n’était soutenue que par un tiers des députés. Oui, vraiment, Emmanuel Macron aurait dû la nommer à Matignon afin que ces réalités soient clairement établies.


Olivier Costa

Photo du rédacteurOlivier Costa

Après une longue séquence de consultations, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier à Matignon. Du côté de l’Élysée, ce choix est justifié par l’expérience et le profil de l’ancien négociateur du Brexit, et par le fait qu’il devrait échapper à une censure immédiate, à défaut de pouvoir lancer de grandes réformes. Il bénéficie en effet du soutien du parti présidentiel et de ses alliés, ainsi que de la droite républicaine, et le RN s’est engagé à ne pas voter la censure avec le NFP – auquel il manque 100 voix pour l’obtenir. S’il est trop tôt pour savoir sur quelles forces Michel Barnier pourra compter, on peut dresser un bilan de la partie de poker-menteur qui a conduit à sa nomination. On distingue quatre gagnants et un grand perdant.

 


Emmanuel Macron : « c’est qui le patron ? »



Le premier gagnant est Emmanuel Macron. Le Président s’est mis dans une situation intenable en prenant l’initiative de la dissolution : elle a en effet abouti à une forte réduction des effectifs de sa « majorité », a permis à la gauche de retrouver des couleurs et a confirmé la tripartition de la vie politique française, et donc l’impossibilité de trouver une majorité parlementaire. Avec la nomination de Michel Barnier, il a toutefois obtenu trois choses. D’abord, il a rappelé, jusqu’au grotesque, qu’il ne se laissait dicter ses choix, sa conduite ou son agenda par personne. On peut s’interroger sur la pertinence de cette attitude martiale et sur les motivations du Président, mais il a réussi à préserver son autorité. Ensuite, alors que les résultats des élections annonçaient une cohabitation, le Président a choisi un premier ministre qui n’est pas un adversaire politique, et avec lequel il pourra travailler. C’est d’autant plus probable que Michel Barnier ne sera sans doute pas candidat aux prochaines élections présidentielles, et ne cherchera donc pas à échapper à tout prix à la tutelle du Président. Enfin, en choisissant Barnier, Emmanuel Macron maintient le cap de son quinquennat. Il n’est en effet pas nécessaire d’attendre la déclaration de politique générale du nouveau premier ministre pour imaginer que les grandes options du gouvernement Attal ne seront pas remises en cause.

 

Marine Le Pen : l’arbitre

 

La deuxième gagnante de cette nomination est Marine Le Pen. Les élections législatives ont été une grande déception pour le RN : arrivé largement en tête des européennes, donné vainqueur des législatives par les instituts de sondages, ayant bénéficié du plus grand nombre d’électeurs, le RN a été privé par le front républicain d’une victoire attendue.



Avec 126 députés, le groupe du RN à l’Assemblée nationale est le plus important, mais il est très isolé. La campagne pour les législatives a aussi démontré que le RN n’est pas prêt à gouverner, avec un candidat premier ministre qui ne maîtrisait pas les dossiers, un programme qui se limitait à la dénonciation de l’immigration et du wokisme, et un grand nombre de candidats aux profils fantaisistes ou inquiétants. Depuis le 7 juillet, le RN est inaudible et tenu en marge des négociations. La nomination de Michel Barnier le remet au centre du jeu. Il ne s’agit pas de dire, comme certains, qu’il est le candidat du RN : il faudra juger sur pièces, voir s’il s’aligne sur les positions du RN sur les questions migratoires et sécuritaires, ou s'il accueille des ministres très droitiers. En revanche, Marine Le Pen est faiseuse de roi, car la nomination de Michel Barnier a été conditionnée par son engagement à ne pas le censurer a priori. Et le gouvernement sera à sa merci, puisqu’elle pourra arguer du moindre motif pour le priver de ce soutien passif.

 

Laurent Wauquiez : le cancre récompensé

 

Le troisième gagnant de la nomination de Michel Barnier est Laurent Wauquiez. Les Républicains traversent une très mauvaise passe, pris en tenaille par un parti présidentiel qui se droitise et un RN qui se « normalise ». LR a fait un score piteux aux législatives (47 sièges) et le parti s'est fracturé, avec le ralliement d’Eric Ciotti au RN.



Wauquiez, qui a dit et répété depuis le 7 juillet que LR n’avait pas vocation à soutenir un premier ministre d’union nationale, et encore moins un candidat issu du NFP, emporte la mise. Le premier ministre appartient en effet à sa famille politique – rappelons que Michel Barnier était candidat à la primaire des Républicains pour les présidentielles de 2022 – et son gouvernement devrait accueillir de nombreux ministres de droite. En outre, comme on l'a indiqué, Barnier ne sera a priori pas un concurrent pour les prochaines élections présidentielles. C’est tout le paradoxe de cette nomination : porter à Matignon un représentant du parti arrivé bon dernier aux législatives et qui a refusé de participer au front républicain.

 

Jean-Luc Mélenchon : le stratège infatigable


Le quatrième gagnant de la séquence est Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci n’est motivé que par une perspective : accéder au second tour de l’élection présidentielle, et l’emporter face à Marine Le Pen en bénéficiant du front républicain. A cette fin, il entend maintenir l’union de la gauche et y conserver sa position centrale, pour être le seul candidat du NFP lors des prochaines présidentielles. Il n’a sans doute jamais envisagé sérieusement d’aller à Matignon – même si la perspective était séduisante pour un responsable politique dont l’expérience gouvernementale se limite à un poste de ministre délégué – ni désiré qu’un représentant du NFP y soit nommé.



Le choix d’une parfaite inconnue et l’exigence répétée par les Insoumis qu’elle applique strictement le programme du NFP rendait sa nomination improbable. Jean-Luc Mélenchon n’a en effet aucun intérêt à ce que son parti gouverne, car c’est le plus sûr moyen de créer des tensions irréconciliables avec le PS, qui se traduiraient par une candidature socialiste aux prochaines présidentielles. En outre, chacun sait qu’il est plus facile de gagner une élection quand on siège dans l’opposition que lorsqu'il faut assumer le bilan des sortants. Il n’était, de même, pas question pour Jean-Luc Mélenchon de soutenir Bernard Cazeneuve, qui aurait pu nourrir des ambitions présidentielles. La nomination de Michel Barnier est en somme idéale : elle permettra à LFI de rester dans son rôle d’opposition virulente, dénonçant chaque jour un déni de démocratie et une politique antisociale et islamophobe, et d’apparaître comme le seul rempart contre l’accès du RN au pouvoir.  

 

Les électeurs socialistes : les dindons de la farce


Le grand perdant de l’opération est le PS. Non pas ses responsables, mais ses militants, sympathisants et électeurs. Les huiles du parti ne perdent rien avec la nomination de Michel Barnier, puisque leurs ambitions semblent se limiter à la préservation de leurs sièges à travers l’union de la gauche. Pour les responsables du PS, gouverner avec Lucie Castets ou soutenir Bernard Cazeneuve était la garantie d’engendrer un divorce avec LFI, qui aurait eu des conséquences désastreuses pour eux : la fin de la politique du candidat unique pour les prochaines législatives – 2025 ou 2027 – et les élections locales de 2026 et 2028, et la perte par le PS de la plupart de ses sièges à l'Assemblée et de nombre de villes, départements et régions. Les grands perdants sont les électeurs de la gauche modérée, car le PS a raté le coche. Les résultats de la liste Glucksmann aux européennes étaient prometteurs : après le désastre des présidentielles de 2022 (les 1,69% d’Anne Hidalgo), le PS retrouvait une partie de ses électeurs, un temps séduits par un vote Renaissance ou LFI.



Le PS s’affirmait comme la première force politique de gauche grâce à un discours modéré, républicain et pro-européen – loin des outrances, du populisme et de l’euroscepticisme des Insoumis. Il aurait pu sérieusement prétendre à Matignon, mais il aurait fallu pour cela négocier avec les partis du centre et de la droite, et accepter la rupture avec LFI. Le PS aurait aussi pu soutenir la candidature de Bernard Cazeneuve, mais il a préféré s’en tenir à la ligne imposée par Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, Olivier Faure annonce « qu’aucune personnalité du PS ne rentrera dans le gouvernement Barnier ». Le PS s’est donc méthodiquement privé de toute influence politique et de la possibilité de faire émerger un candidat crédible en vue des prochaines présidentielles. Or l’espace politique existe : si Emmanuel Macron a su séduire l’électorat social-démocrate en 2017 et, dans une moindre mesure, en 2022, son successeur n’y parviendra pas, car il sera sans doute issu des rangs de la droite.

 

Vers un retour des sociaux-démocrates ?

 

Une large partie des électeurs de gauche sont donc orphelins. Alors que Macron et Mélenchon constituaient des alternatives acceptables en 2022, ce n’est plus le cas. La droitisation de Renaissance et la radicalisation des Insoumis créent un espace politique pour un candidat social-démocrate, défendant des positions comparables à celles des socialistes ailleurs en Europe – qui sont très éloignées du programme du NFP. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont jusqu’ici, chacun à leur manière, empêché l’émergence d’un candidat de centre-gauche, mais le vent tourne. Le premier est désormais le responsable politique le plus rejeté : selon une récente enquête Ipsos pour Le Monde et le CEVIPOF, Jean-Luc Mélenchon enregistre 83 % de jugements défavorables dont 68 % de « très défavorables », des niveaux jamais atteints par aucun leader politique. Il peinera donc à mobiliser à nouveau l’électorat modéré. Quant à Emmanuel Macron, il sera contraint de quitter la vie politique au plus tard en 2027, et n’a rien fait pour organiser sa succession.


La tripartition de la vie politique française entre gauche, centre/droite et extrême-droite est probablement durable, mais le leadership dans les différents blocs pourrait évoluer : il est possible qu’un candidat social-démocrate s’affirme au sein de la gauche, et il est probable que la droite républicaine referme la parenthèse du macronisme.


Olivier Costa


Après quelques jours de consultations, Emmanuel Macron a déclaré qu’il n’avait pas encore de solution : il écarte l’hypothèse Lucie Castets, et veut poursuivre les échanges avec les responsables des partis – à l’exception du RN et de ses alliés, et de LFI. Les leaders du NFP ont toutefois annoncé qu’ils refusaient d’y participer, et exigent une nouvelle fois la nomination de Lucie Castets, au nom de leur victoire du 7 juillet. On peine toutefois à comprendre de quels soutiens elle pourrait se prévaloir pour gouverner et échapper à la censure. Alors, comment sortir de l’imbroglio ? Mais en nommant Lucie Castets!

 

 

Composition de l'Assemblée nationale (27 août 2024)



Toute réflexion sur la situation politique actuelle doit être structurée par 5 constats objectifs :

 

1.     Aucun parti n’a gagné les élections. Le NFP a une majorité relative, mais c’est la plus faible sous la V° République et il lui manque près de 100 députés pour appliquer son programme et échapper à la censure de l’Assemblée nationale. Il est en effet impossible pour un parti qui compte seulement un tiers des sièges au Palais Bourbon de gouverner sans négocier avec personne. L’idée, notamment, que la réforme des retraites pourrait être abrogée par décret – comme l’a encore affirmé récemment Sandrine Rousseau – vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année en fac de droit. Quant à l’article 49.3 de la Constitution, dont la gauche a si bien dénoncé le caractère attentatoire à la démocratie, il ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire, en sus des lois de finance. Rappelons enfin qu’il suffit de 289 députés pour renverser le gouvernement ; or, 384 députés ne siègent pas au NFP.

 


Tweet de Sandrine Rousseau (26 août 2024)



2.     L’article 8 de la Constitution laisse entière liberté au Président quant au choix du Premier ministre : il nomme qui il veut, quand il veut. Ni le parlement ni les partis ne sont supposés intervenir dans ce processus, même si le Chef de l’Etat est libre – comme il le fait depuis vendredi dernier – de les consulter, et si, politiquement, il lui revient de nommer un Premier ministre capable de gouverner et d'échapper à la censure.

 

3.     Dans les régimes parlementaires classiques, le parti arrivé en tête des élections a toujours la priorité pour essayer de constituer une majorité. Mais, en aucun cas, il ne peut gouverner en refusant de négocier un programme de coalition avec d’autres partis. Il appartient à son leader de prouver au Chef de l’Etat qu’il dispose d’une majorité, faute de quoi, la mission de constituer un gouvernement est confiée au représentant d’un autre parti. C’est la raison pour laquelle la constitution d’un gouvernement en régime parlementaire est souvent très longue ; à plusieurs reprises, elle a pris plus d’un an chez nos voisins belges.

 

4.     Jean-Luc Mélenchon a proposé que le gouvernement soit dépourvu de ministres Insoumis, afin d’échapper aux menaces de censure que brandissent les autres partis. En échange de cette concession, il exige que ce gouvernement applique exclusivement le programme du NFP et que les leaders des autres formations s’engagent à ne pas déposer de motion de censure. Cette double revendication a été unanimement rejetée et moquée. Rappelons que LFI a déposé pas moins de 26 motions de censure contre les gouvernements Borne et Attal, qui disposaient d’une majorité relative bien plus large que celle du NFP…

 

5.     La représentation parlementaire penche aujourd’hui très à droite. Avec 193 sièges, le NFP est arrivé en tête, mais la droite au sens large (majorité présidentielle, Républicains et RN) compte 339 députés. Il est donc exagéré de dire que les électeurs ont massivement appelé à un coup de barre à gauche : seuls 25,7% se sont prononcés pour des candidats du NFP le 7 juillet dernier – bien moins que pour le RN (32%).

 


 Résultats du second tour des élections législatives, 7 juillet 2024



La seule solution? Nommer Lucie Castets!


Compte tenu de ces 5 éléments, il apparaît que la seule solution raisonnable pour faire avancer les choses serait… la nomination de Lucie Castets à Matignon. Cela peut sembler paradoxal, mais on voit mal comment il sera possible de surmonter la crise politique actuelle sans en passer par là. Ce choix présenterait en effet deux avantages. D’abord, il permettrait d’éviter le blocage du pays que les partis du NFP, les syndicats et certaines organisations de la société civile préparent pour la rentrée. Les appels à manifester le 7 septembre se multiplient. La petite musique de la « dérive illibérale » du Président, entonnée notamment par Marine Tondelier, trouvera en effet un fort écho, compte tenu du degré d’impopularité du Président et d’impatience de nombre de citoyens, et aboutira sans doute à une situation très conflictuelle. En outre, le gouvernement, démissionnaire depuis 42 jours, ne peut éternellement expédier les affaires courantes et, surtout, opérer les arbitrages fondamentaux que réclame la préparation du budget 2025 – alors que la majorité présidentielle a clairement perdu les élections législatives. Il faut nommer un nouveau gouvernement, et vite.



La délégation du NFP à l'Elysée vendredi dernier

 

Le second avantage de la nomination de Mme Castets serait la clarification. En effet, elle n’aurait que deux options.


La première serait le pragmatisme. Elle impliquerait de récuser la ligne politique maximaliste de Jean-Luc Mélenchon, et d’ouvrir de vraies négociations avec les partis politiques du centre et de la droite modérée, pour trouver un accord de coalition. Il inclurait une liste de réformes et une répartition des portefeuilles ministériels. C’est le prix à payer pour obtenir le soutien des autres partis ou, au moins, leur engagement à ne pas censurer immédiatement le gouvernement. Le NFP pourrait avoir satisfaction sur certains points de son programme (réforme des retraites, hausse du Smic, rétablissement de l’ISF ?), mais devrait faire des concessions sur d’autres. A ce compte, un gouvernement dominé par la gauche pourrait gérer le pays et échapper à la censure, en attendant les prochaines élections législatives ou présidentielles.


Si Lucie Castets choisissait de s’en tenir au programme du NFP, même en écartant les Insoumis de son gouvernement et en impliquant des ministres sans étiquette, le vote d’une censure serait inévitable. Les leaders de tous les autres groupes parlementaires ont en effet clairement annoncé leurs intentions à ce propos : la censure immédiate d’un gouvernement prétendant appliquer le programme du NFP. Tout serait à refaire.



La censure, indispensable rappel à la réalité politique et institutionnelle


La première hypothèse semble improbable. Compte tenu des rapports de force au sein du NFP et des dispositions des leaders des autres partis, on voit mal comment un gouvernement Castets pourrait échapper durablement à la censure. Alors, pourquoi la nommer ? Cette censure ajouterait une crise à la crise, et génèrerait la confusion, voire le chaos.

 

Elle présenterait toutefois l’avantage essentiel de ramener l'ensemble des responsables politiques à la réalité. Les leaders du NFP ne pourraient plus prétendre qu’ils ont gagné les élections, qu’ils disposent d’une majorité pour gouverner, qu’ils peuvent appliquer leur programme à coup de décrets ou de 49.3, et que seul Emmanuel Macron les en empêche. Ils seraient confrontés à la réalité constitutionnelle et politique qu’ils nient depuis le 7 juillet. La méthode Coué et la dénonciation de l’arrogance présidentielle engendrent de beaux éditoriaux, des tweets savoureux et des discours enflammés, qui permettent de galvaniser les militants et de convaincre certains citoyens, mais elles n'influent ni sur la constitution ni sur le résultat des élections.


Le rappel à la réalité ne concernerait pas que les leaders du NFP, mais tous les responsables politiques. Aujourd’hui, ils ne pensent qu’aux élections présidentielles de 2027 et à l’éventualité d’une nouvelle dissolution à l’été 2025, et peaufinent leurs stratégies en fonction de ces deux échéances, sans égard pour la situation du pays. C’est notamment le cas de Jean-Luc Mélenchon qui fait pression sur ses partenaires du NFP en vue de possibles élections législatives l’an prochain (sans union, socialistes, communistes et écologistes disparaîtraient quasiment des bancs de l’Assemblée nationale) pour faire perdurer le NFP. Ce faisant, il veut empêcher l’émergence d’une autre candidature que la sienne à gauche, dans l’espoir de l’emporter sur Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2027. Mais le leader insoumis n’est pas le seul à jouer au billard à trois bandes : ses homologues du centre, de la droite et de l’extrême-droite sont eux aussi obnubilés par la bataille pour le leadership dans leur parti, la préservation de son poids à l’Assemblée nationale et les perspectives de l’après-Macron.

 

Une motion de censure les obligerait tous à se focaliser sur les problèmes du moment : la négociation d’un accord de coalition et la nomination d’un gouvernement capable de gérer durablement les affaires du pays. Certes, la culture politique française est étrangère à ce type de négociations d’après élections, car jamais la représentation parlementaire n’a été aussi fragmentée sous la V° République. Mais la situation politique a changé, et il faut en prendre acte, plutôt que de le déplorer ou de le nier. Un électrochoc semble aujourd'hui indispensable pour faire évoluer les comportements et les stratégies.



Olivier Costa

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