Chacun guette la composition du gouvernement Barnier pour essayer d’en saisir la ligne politique. Quels seront les équilibres entre partis ? Y aura-t-il des ministres venus de la gauche ? Ou de l’extrême-droite ? Va-t-il créer des portefeuilles aux intitulés droitiers ? Ou progressistes ? En attendant, les leaders du NFP estiment que l’élection leur a été volée et veulent mobiliser citoyens, syndicats et étudiants autour de ce narratif. Ils affirment que Lucie Castets aurait dû gouverner, au nom de la « victoire » du NFP, et qu’elle en avait les moyens. Mais est-ce bien vrai ?
Lucie Castets n’a jamais été majoritaire
Il y a deux semaines, je faisais valoir, sans réelle ironie, qu’Emmanuel Macron aurait dû nommer Lucie Castets à Matignon pour clarifier la situation. Elle aurait composé son gouvernement, fait un discours de politique générale, et été rapidement censurée par l’Assemblée nationale. Le NFP aurait crié au coup de force, arguant une fois de plus de sa « victoire » du 7 juillet, mais la démonstration aurait été faite que l’exercice du pouvoir requiert, au minimum, qu’une majorité absolue de députés s’engage à ne pas voter la censure. Or, comme cela a été clairement établi lors de l’élection de la Présidente de l’Assemblée nationale, le NFP ne peut compter, au mieux, que sur 200 députés sur 577. En outre, les leaders des principaux groupes politiques hors-NFP avaient annoncé que, même sans ministres insoumis, ils voteraient la censure contre un gouvernement Castets. Les choses auraient sans doute été différentes si celle-ci avait réellement négocié avec les autres partis, mais elle ne l’a pas fait. Bernard Cazeneuve aurait pu, lui aussi, essayer de construire une majorité à gauche et au centre, mais Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure ont torpillé cette perspective.
Composition de l'Assemblée nationale, 9 septembre 2024
Une coalition minoritaire ne peut gouverner seule
Contrairement à ce que laissent entendre chaque jour les caciques du NFP, qui ont dû rater quelques cours, il n’existe aucune disposition dans la constitution, ni aucune coutume politique qui permette au parti arrivé en tête aux législatives d’appliquer son programme sans disposer d’une majorité absolue. Et, à l'inverse de ce que certains ont curieusement suggéré, Emmanuel Macron n’avait pas les moyens constitutionnels ou politiques d’interdire aux élus de son camp de censurer Lucie Castets pour la laisser appliquer le programme du NFP, au nom de sa « victoire ». Il faut rappeler que, dans aucun régime réellement démocratique, une majorité relative ne vaut une majorité absolue. Si un lecteur connaît un contre-exemple, je le prie de m’en faire part. Partout dans le monde, quand aucun parti ou aucune coalition ne dispose d’une majorité absolue à l’issue des élections, leurs leaders doivent négocier un accord majoritaire avant de prétendre gouverner. Parfois, il est impossible de réunir une majorité absolue sur un programme de gouvernement, mais il existe au moins un engagement de partis disposant d’une telle majorité à ne pas voter une censure immédiate. Il arrive aussi que le parti arrivé en tête des élections ne soit pas dans la coalition gagnante, faute d’avoir trouvé des alliés ; il siège alors dans l’opposition, car une majorité composée d’autres partis a émergé.
Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol. En 2023, la droite (Parti populaire) emporte les élections législatives anticipées. Après l'échec de son leader, Alberto Núñez Feijóo, à obtenir l'investiture du Congrès des députés, le Roi charge Pedro Sánchez, le Premier ministre socialiste sortant, de former le nouvel exécutif. Il conclut un accord de coalition avec un mouvement de gauche radicale, trouve une majorité et conserve le pouvoir.
Le RN pèsera sans doute sur le gouvernement Barnier…
On verra comment le gouvernement Barnier s’en sortira. Pour l’heure, il semble à l’abri d’une censure – qui n’est promise que par les députés du NFP. D’aucuns diront qu’Emmanuel Macron ou Michel Barnier a pactisé avec l’extrême-droite pour cela. C’est une possibilité, et la composition du gouvernement et sa ligne politique éclaireront ce point. Il reste que, ce n’est pas parce que l’on trouve le programme du RN politiquement ou moralement condamnable, que l’on peut faire abstraction des résultats des élections : le RN dispose du plus grand groupe à l’Assemblée nationale (126 députés), est le premier parti de France et a obtenu près du tiers des suffrages aux législatives (29,26% des voix au premier tour et 32,05% au second). A titre personnel, cela ne me réjouit pas, mais c’est le résultat d’élections dont personne ne conteste la sincérité. Plus globalement, la représentation nationale penche aujourd’hui fortement à droite : la gauche est arrivée en tête des élections législatives, mais elle n’a qu’un tiers des sièges. Il n’est donc pas illogique, démocratiquement parlant, que le gouvernement incline à droite. On peut certes craindre que Michel Barnier ne subisse les pressions du RN et qu’il ne conduise une politique très droitière en matière de sécurité et d’immigration pour échapper à la censure. On peut aussi déplorer que certains à droite – comme l’ont déjà fait M. Ciotti et ses amis – envisagent de remettre en question le « cordon sanitaire » qui isolait jusqu’à présent le RN. Mais c’est ainsi que fonctionnent les démocraties parlementaires, par le jeu des négociations entre partis. Et le fait que quelques beaux esprits entendent démontrer que les Français sont fondamentalement animés par des idées et valeurs de gauche, y compris les électeurs du RN, n’y changera rien.
Michel Barnier dans la cour de l'Elysée
Une nomination paradoxale qui a une logique
Il est désolant d’entendre aujourd’hui les responsables du NFP affirmer que Matignon leur a été volé et que Lucie Castets disposait des moyens de gouverner. Elle aurait pu les obtenir, mais n’a rien fait pour cela. Les citoyens peuvent avoir divers motifs de ne pas être satisfaits de la nomination de Michel Barnier. Ils peuvent s’étonner que Les Républicains récupèrent le poste de Premier ministre après être arrivés bons cinquièmes des législatives, et avoir refusé de participer au front républicain – dont ils ont tiré profit. Ils peuvent s’indigner de ce que le Premier ministre s’inscrive dans la continuité de l’action menée par Emmanuel Macron depuis 2022, malgré le double désaveu des élections européennes et législatives. Ils peuvent considérer qu’il aurait été logique, faute de majorité, de gouverner au centre, en conciliant les idées des deux camps, et en renvoyant LFI et le RN à leurs outrances respectives. Ils peuvent regretter que le Premier ministre soit un homme du passé, peu susceptible d’incarner le renouveau ou le changement espéré.
Lucie Castets dans la cour de l'Elysée (au centre)
Mais il faut prendre acte des réalités politiques et électorales, et de la fragmentation inédite de la représentation nationale. M. Barnier semble pouvoir échapper à une censure immédiate, ce qui n’était pas le cas de Mme Castets. Celle-ci s’est contentée de dire qu’elle entendait appliquer le programme du NFP au nom de la « victoire » de celui-ci, de la volonté du « peuple » et de la préservation de l’union de la gauche, mais elle n’était soutenue que par un tiers des députés. Oui, vraiment, Emmanuel Macron aurait dû la nommer à Matignon afin que ces réalités soient clairement établies.
Olivier Costa