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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Dernière mise à jour : 29 sept.

Dimanche soir, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a occulté en France les résultats des élections européennes. Pourtant le scrutin est riche d’enseignements et aura un impact sur les activités de l’Union pour les cinq prochaines années.

Voici les six éléments à retenir.



1.     UNE PARTICIPATION EN HAUSSE

 

Les élections européennes confirment d’abord l’intérêt qu’elles suscitent auprès des citoyens. La participation s’élève, à l’échelle de l’Union, à 51% en moyenne, en légère hausse par rapport à 2019, avec toujours d’importants écarts nationaux : de 21,3% en Croatie à 89,8% en Belgique – où le vote est obligatoire et où d’autres élections avaient lieu le même jour. En France, elle atteint 51,49 %, là encore en hausse par rapport aux précédentes échéances : 40,6 % en 2009, 42,4 % en 2014 et 50,1 % en 2019. Comme on l’a déjà écrit, il est temps d’en finir avec l’idée que les citoyens ne s’intéressent pas aux élections européennes : elles se sont installées dans le paysage politique et constituent dans nombre d’Etats membres un événement politique majeur. Le fait qu’Emmanuel Macron ait décidé de dissoudre l’Assemblée nationale à la vue des résultats en est la meilleure preuve. Qui aurait imaginé pareille conséquence d’un scrutin européen il y a 20 ans ?


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2.     UN PARLEMENT PLUS A DROITE

 

Le Parlement européen (PE) poursuit l’évolution entamée lors des précédents scrutins, et penche toujours plus à droite, mais il n’y a pas eu de lame de fond. Dans certains pays – comme la France, l’Autriche, les Pays-Bas ou l’Allemagne – les partis d’extrême-droite ont réalisé des scores historiques, mais ce n’est pas le cas partout. En Italie, le total des députés d’extrême-droite décline (40, contre 43 en 2019), malgré le succès du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. En Pologne, le PiS recule aussi, de 26 à 20 députés. Le reflux est également net au Danemark, en Suède et en Finlande. Ainsi, alors que le PE a gagné 15 sièges, passant de 705 and 720 membres, le groupe ECR (nationalistes eurosceptiques, qui siègent à la droite du PPE, le groupe démocrate-chrétien) ne progresse que de 4 sièges (73) et le groupe ID (extrême-droite) de 9 (58). Ce n’est pas le raz-de-marée que l’on a décrit un peu vite, notamment en France, à la vue des seuls résultats nationaux.



3.     UNE MAJORITE PRO-EUROPEENNE PRESERVEE

 

Les principaux groupes pro-européens – socialistes (S&D), libéraux et centristes (Renew) et démocrates-chrétiens (PPE) – continuent à dominer le PE, avec environ 400 sièges. Le groupe PPE, avec 186 députés, progresse de 10 sièges, ce qui est assez inattendu. Le groupe S&D, qui compte 135 membres, en perd 5, et limite les dégâts. Les groupes S&D et PPE, qui ont longtemps dominé l’assemblée et assuré une forme de cogestion de ses activités, reculent toutefois à nouveau quant à leur poids global au sein du PE : ils comptaient en effet 67% des sièges en 1999, 63% en 2004, 61% en 2009, 55% en 2014, 47% en 2019 (avec les députés britanniques) et un peu moins de 45% désormais.

Le groupe Renew connaît un net recul, notamment en France du fait de la déconvenue de la liste Renaissance. Il passe de 102 à 79 sièges, mais conserve la troisième place au sein du PE. Il ne pourra plus jouer le rôle pivot de « faiseur de majorités » qui était le sien en 2019 ; son influence sera plus réduite encore si le VVD, qui a choisi de gouverner avec le PVV de Gert Wilders aux Pays-Bas, quitte le groupe, comme l’avait exigé Valérie Hayer.

Ces résultats laissent penser que la coalition informelle entre S&D, Renew et PPE, qui dominait le précédent PE, va perdurer. Un temps, les responsables du PPE – notamment le président du groupe, Manfred Weber, et la candidate du PPE à la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen – ont envisagé la possibilité de gouverner avec le groupe ECR, ou une partie de celui-ci. Du côté du groupe ID (extrême-droite, dominé par les élus du RN) on entendait aussi en finir avec le « cordon sanitaire » qui le tient à l’écart de toutes les négociations politiques depuis les années 1980. Mais la majorité préservée de l’alliance S&D, Renew et PPE rend le scénario d’une coalition formelle à droite improbable.

 

Source: PE
Source: PE

4.        UN RECUL DES VERTS

 

Les Verts ont perdu 18 sièges, et n’ont désormais que 53 députés, conséquence d’un déclin particulièrement fort en Allemagne et en France. Ils ont été victimes d’un certain nombre de décisions européennes ou nationales motivées par la lutte contre le dérèglement climatique (prix de l’énergie, fin des moteurs thermiques, remplacement des chaudières fonctionnant avec des énergies fossiles en Allemagne…) et d’une campagne virulente de la part de l’extrême-droite et d’une partie du PPE. Ce dernier, qui avait intégré les préoccupations environnementales en 2019, a fait campagne en présentant les écologistes comme des ennemis politiques. Dans ces conditions, la coopération du PPE avec les Verts, notamment pour l’investiture de la présidente ou du président de la Commission, va être rendue très difficile.

 

5.        QUELLE MAJORITE POUR ELIRE LE PRESIDENT DE LA COMMISSION ?

 

C’est désormais le principal enjeu de la vie politique de l’Union : quel candidat sera capable de trouver 361 voix (la majorité des membres du PE) pour être élu à la présidence de la Commission européenne ? D’un point de vue arithmétique, les groupes S&D, Renew et PPE disposent d’assez de voix pour investir un candidat (autour de 400) mais, en 2014 et en 2019, environ 13% des députés n’avaient pas suivi les consignes de vote de leur groupe, et des surprises sont possibles. Ce scrutin est en effet secret, ce qui permet aux élus d’échapper aux pressions de leur groupe. Ainsi, en 2019, Mme von der Leyen n’avait obtenu que 9 voix de majorité, bien moins qu’espéré.


C’est la raison pour laquelle elle s’est rapprochée de Mme Meloni, qui pourrait lui apporter les 24 voix de Fratelli d’Italia (ECR) en vue d’un second mandat. Mais les groupes S&D, Renew et Verts ont adopté une motion pour affirmer leur refus de collaborer avec le groupe ECR, et certaines délégations du PPE ont exprimé des réticences similaires. C’est le cas des députés de la Coalition civique polonaise, désormais au pouvoir, pour lesquels il est inacceptable de travailler avec le PiS (ECR). Le contexte politique en France rend aussi impossible une coopération entre Renew et le groupe ECR – où les députés Reconquête ! iront siéger. Enfin, le parti Fidesz de Viktor Orban, qui siège pour l’heure chez les non-inscrits après avoir quitté le PPE, pourrait rejoindre les rangs du groupe ECR ; en pareille hypothèse, une collaboration entre PPE et ECR pourrait coûter à Mme von der Leyen plus de voix qu’elle ne lui en rapporterait.

 

6.     DES MAJORITES PLUS DIFFICILES A TROUVER

 

Le problème est plus global, car le PE est plus fragmenté qu’en 2019. Le nombre de groupes n’augmente pas (7, plus les non-inscrits), mais les écarts de taille entre eux se réduisent, ce qui signifie que l’obtention de majorités devient plus complexe. Avant 2014, il suffisait en effet aux groupes S&D et PPE de s’entendre ; depuis 2019, ils sont contraints de négocier avec d’autres groupes pour assurer leurs arrières (Renew, Verts, GUE). A présent, les configurations seront encore plus instables. Au PE, les textes ont toujours été adoptés à l’issue de négociations au cas par cas, avec des dynamiques variables selon les sujets. Toutefois certaines configurations étaient récurrentes, ce qui accélérait l’obtention de majorités. Par exemple, les groupes pro-européens s’entendaient aisément pour unir leurs voix sur les questions socio-économiques, institutionnelles et internationales, mais d’autres majorités émergeaient souvent sur les questions de société, le budget ou la protection de l’environnement. Les choses seront encore plus complexes à l’avenir. On peut s’attendre à ce que les députés de droite (PPE, ECR, ID), qui ont déjà voté en commun sur certains textes dans le précédent PE, unissent leurs forces sur des sujets pour lesquels leurs vues sont proches, tels que l’immigration, la politique environnementale ou les questions de société. Les lobbies de l’industrie et de l’énergie seront sans doute à la manœuvre pour tirer parti de cette situation, et notamment pour rogner les ailes du Green Deal.

 

LES PROCHAINES ETAPES...

Les choses vont se clarifier assez rapidement. Du 13 au 15 juin, les chefs d’Etat ou de gouvernement français, allemand et italien, de même que les présidents de la Commission et du Conseil européen, se retrouveront pour le G7, et pourront commencer à évoquer la question des « top jobs » : présidences de la Commission et du Conseil européen, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, et, possiblement, vice-présidences exécutives de la Commission. Il s’agira de trouver un équilibre politique et géographique. Le Conseil européen se réunira de manière informelle le 17 juin, pour analyser les résultats des élections, définir son « Agenda stratégique » – document destiné à influencer le programme de la future Commission – et réfléchir aux nominations. Le nom des candidats pourrait être annoncé à l’issue du Conseil européen des 27 et 28 juin ; dans ce cas, le PE pourra se prononcer sur le nouveau leader de la Commission dès sa session constitutive, le 15 juillet. Dans le cas contraire, les nominations pourraient attendre la rentrée, afin de trouver un accord global pendant l’été et de s’assurer de l’existence d’une majorité au PE.


Olivier Costa




Dernière mise à jour : 29 sept.

A la surprise générale, Emmanuel Macron a annoncé dimanche soir sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, en conséquence des piètres résultats de la liste de son parti aux élections européennes (14,9%) et du succès inédit de celle du RN (31,7%), dans un contexte de participation très honorable (52,5%, contre 46,9% pour les élections législatives de 2022). L’article 12 de la Constitution dispose en effet que « le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. » Mais pour quelles raisons Emmanuel Macron a-t-il pris cette décision inattendue et subite ? Avançons trois hypothèses.


Première hypothèse : l’ego. Le Président, qui ne voulait pas se mêler des européennes et avait fait le choix d’une liste composée d’un grand nombre de députés européens sortants, ayant fait leurs preuves au Parlement européen et parlant exclusivement de questions européennes, y a été néanmoins contraint par le manque d’allant de la campagne de Valérie Hayer. Au soir de l’élection, il est évidemment affecté par le mauvais résultat de la liste Renaissance, qu’il a lourdement parrainée. Emmanuel Macron, qui a construit sa carrière sur une série de coups politiques, persiste et signe : il ne veut pas présider jusqu’en 2027 en portant la responsabilité de ce résultat désastreux et prend donc l’initiative de dissoudre l’Assemblée nationale. Il entend montrer qu’il reste seul maître à bord, qu’il décide du cap et du rythme, et qu’il ne craint pas les défis.

 


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Deuxième hypothèse : le calcul. Ayant changé de Premier ministre et de gouvernement en janvier 2024, il n’avait pas de réponse à apporter au coup de semonce des européennes et redoutait le ralliement des Républicains aux députés de la Nupes et du RN pour voter la censure. La seule réaction à celle-ci, compte tenu de l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, aurait été la dissolution. Pour prendre de court les oppositions, il choisit de dissoudre sans attendre. En optant pour un calendrier très serré, il sème la zizanie dans la Nupes : en vue de la répartition des circonscriptions, LFI fera sans doute valoir le score de J.L. Mélenchon en 2022, tandis que le PS se targuera du sien aux européennes ; et tous deux seront impitoyables avec les Écologistes. Dans ce contexte, on peut anticiper des candidatures multiples à gauche. En outre, là où il n’y a pas de député Renaissance sortant, le Président a laissé entendre qu’il appellerait à voter pour le candidat de « l’arc républicain » le mieux placé, ce qui est évidemment une invitation à la politesse inverse. Emmanuel Macron fait le pari d’un grand nombre de seconds tours Renaissance-RN, et compte sur un report des voix des forces républicaines sur ses candidats. Il y a certes le risque de triangulaires entre la gauche, Renaissance et le RN, mais il faut pour cela réunir 12% des inscrits, ce qui représente 24% des votants avec une participation à 50%. Sauf à présenter des candidats uniques, il est peu probable que la gauche puisse accéder massivement au second tour.

 

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Troisième hypothèse : la politique du pire. Le Président prend le risque d’aboutir à une majorité d’extrême-droite le 7 juillet. Dans ce cas, il se trouverait en situation de cohabitation avec un gouvernement dominé par le RN, et quelques possibles alliés à la droite de l’échiquier politique. Il pourrait trouver cela acceptable personnellement, en se repliant sur les questions européennes et internationales comme l’avaient fait François Mitterrand et Jacques Chirac en leur temps. Il pourrait aussi juger cela stratégique, pour laisser aux citoyens le temps d’apprécier les renoncements et les défaillances de l’extrême-droite au pouvoir, et démontrer que, somme toute, un gouvernement modéré est préférable. Car, même si Emmanuel Macron ne pourra pas être candidat à sa succession en 2027, il souhaite évidemment l’élection d’un allié, et se souvient que la cohabitation avait permis la réélection de François Mitterrand en 1988 et celle de Jacques Chirac en 2002.

Dans tous les cas, le Président est seul à contrôler le calendrier et à ne pas prendre de risque dans cette aventure : les députés de la majorité vont remettre en jeu leur mandat, trois ans avant son terme ; le gouvernement sera, dans tous les cas, amené à démissionner ; mais le Président restera à l’Élysée jusqu’en 2027. Il peut, en outre, s’abriter derrière une double justification. Celle, d’abord, d’être à l’écoute des citoyens : la majorité présidentielle a été désavouée ? Qu’à cela ne tienne, il redonne la parole aux citoyens en convoquant des élections législatives. Le calendrier est très serré ? Compte tenu de la difficulté d’organiser un scrutin le jour de la fête nationale, et de l’obligation faite par l’article 12 de la Constitution de tenir les élections dans un délai de 20 à 40 jours après la dissolution, les dates du 30 juin et du 7 juillet s’imposent à lui.

 

A l’issue des élections européennes, le RN est sans conteste le premier parti de France, avec un score plus de deux fois supérieur à celui de Renaissance, alors que les deux formations étaient au coude-à-coude en 2019 (23,30% pour le RN contre 22,40% pour Renaissance). Mais les élections européennes ont toujours été propices au vote sanction et au succès des partis protestataires. Emmanuel Macron compte sans doute sur la prudence des électeurs, qui ne voient pas de risque à expédier des bataillons de députés du RN siéger à Strasbourg, mais réfléchiront peut-être à deux fois avant d’envoyer à Matignon un responsable politique aussi inexpérimenté que Jordan Bardella. Le Président a d’ailleurs insisté sur le désordre qui règne à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de 2022, et sur la nécessité de disposer d’une majorité claire à l’appui de son action. En somme, il parie une fois de plus sur l’attachement des électeurs français à l’ordre plutôt qu’à l’aventure. Mais, cette fois-ci, cela va-t-il suffire ?


Olivier Costa


Post repris sous forme de tribune par La Croix (12 juin 2024)

 

Dernière mise à jour : 29 sept.

Les citoyens européens s’apprêtent à voter pour les dixièmes élections européennes. Elles mêlent des problématiques nationales et européennes, et chacun a hâte de connaître les résultats, pays par pays, et agrégés à l’échelle du Parlement européen (PE). Mais, au-delà du test que les européennes constituent toujours pour les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres, et des rééquilibrages entre les différents groupes politiques au sein du PE, deux enjeux fondamentaux se dessinent : la nature des majorités qui domineront le PE dans les cinq prochaines années et l’identité du futur président de la Commission européenne.

 


Siège du Parlement européen à Strasbourg. Crédits: PE
Siège du Parlement européen à Strasbourg. Crédits: PE


  1. L’enjeu des majorités au Parlement européen

 

A la différence de nombre de parlements nationaux, le PE n’est pas dominé par une coalition stable. Il y a eu une coalition formelle, unissant socialistes, libéraux et démocrates-chrétiens, de juillet 2014 à décembre 2016, mais cette séquence a fait exception dans l’histoire de l’assemblée. Depuis les années 1980, il existe un accord « technique » entre les deux principaux groupes – les socialistes du groupe S&D et les démocrates-chrétiens du groupe PPE – pour se partager à l’amiable un certain nombre de ressources de l’assemblée, notamment la présidence, les vice-présidences et les présidences des commissions parlementaires et des délégations interparlementaires. Mais il n’est pas fondé sur un accord politique et ne constitue pas un programme de gouvernement. Ces deux groupes ont certes l’habitude de négocier en amont des votes, de façon à réunir les majorités nécessaires, et se prononcent le plus souvent dans le même sens, mais cela n'a rien d’automatique. De nombreux textes et amendements sont adoptés grâce à des majorités alternatives. De fait, tous les groupes (à l’exception du groupe d’extrême-droite Identité et Démocratie, qui est tenu à l’écart) participent plus ou moins fréquemment aux négociations. Il existe différentes routines de vote, qui varient notamment selon les sujets.

 

Le grand enjeu des élections est donc de savoir si l’alliance objective entre les trois grands groupes du centre, qui joue aujourd’hui un rôle central dans le fonctionnement du PE, sera remis en cause. Le PE comptera 720 sièges le 9 juin au soir, et il faudra réunir 361 voix pour « élire » le futur président de la Commission et adopter certaines décisions-clés – notamment les amendements législatifs en seconde lecture et les amendements budgétaires. A mesure que les sondages s’affinent, chacun dans la sphère européenne additionne les sièges pour déterminer les configurations possibles.

Les derniers sondages donnent le groupe démocrate-chrétien (PPE) en tête, avec entre 180 et 183 députés (contre 176 actuellement, sur un total de 705). Il serait suivi par le groupe socialiste (S&D), avec entre 131 et 138 (contre 139), et le groupe centriste et libéral (Renew), entre 83 et 86 (contre 102). Le groupe conservateur et nationaliste (ECR) obtiendrait entre 74 et 78 députés (contre 69). Le groupe d’extrême-droite (ID) progresserait, avec entre 66 et 72 députés (contre 49). Les Verts déclineraient, avec entre 54 et 58 sièges (contre 72), et le groupe de la Gauche (GUE/NGL), qui siège à l’extrême-gauche, fermerait la marche avec entre 41 et 46 députés (contre 37). Pour l’heure, entre 73 et 78 députés seraient non-inscrits (61 actuellement), mais une partie d’entre eux pourraient rejoindre un groupe, compte tenu des fortes sollicitations dont ils feront sans doute l’objet.


Composition du PE sortant (mai 2024). Source: PE
Composition du PE sortant (mai 2024). Source: PE


Dans la sphère européenne et autour de la table du Conseil européen, la reconduction de l’alliance entre les groupes S&D, Renew et PPE a la préférence de la plupart des leaders. Mais, compte tenu de la progression de la droite conservatrice et extrême, et des rapprochements qui s’opèrent avec le PPE dans nombre d’Etats membres, une alternative est envisageable.

 

Comme en 2019 déjà, certains rêvent en effet d’une alliance stable entre toutes les composantes de l’aile droite du PE (PPE, ECR, ID) et de la création d’un groupe unique à la droite du PPE. C’est le cas, notamment, du premier ministre hongrois Viktor Orban, dont le parti pourrait ainsi quitter le purgatoire des non-inscrits. Giorgia Meloni, la présidente du conseil italienne, et Manfred Weber, le président allemand du groupe PPE, rêvent eux aussi d’une alliance des droites qui renverrait les socialistes dans l’opposition. Mme Meloni voudrait renouveler à l’échelle européenne l’expérience italienne, où le parti de la droite de gouvernement Forza Italia, membre du PPE, a fait alliance avec la droite extrême de la Lega, qui siège au groupe ID. Mais il reste une difficulté : si un accord entre les groupes PPE et ECR serait acceptable pour la plupart de ses membres, il leur manquerait encore au moins 100 sièges pour atteindre les 361. Le groupe ID pourrait en apporter une partie, et l’examen des votes des groupes ECR et ID montre une réelle convergence sur nombre de sujets. Mais il existe au PE une tradition de « cordon sanitaire » entre la droite de gouvernement et l’extrême-droite (ID), qui rend cette option délicate. Une alliance PPE-ECR-ID aurait sans doute pour prix le départ d’une partie des membres du PPE, et l’impossibilité de travailler avec le groupe Renew. En outre, les élus de la droite nationaliste et extrême n’ont jamais brillé par leur capacité à s’entendre ; l’existence de deux groupes (ECR et ID) reflète en effet la situation de concurrence objective dans laquelle leurs composantes se trouvent – tels Reconquête ! (ECR) et le Rassemblement national (ID) en France. Les différentes formations de la droite extrême ont aussi des positions contrastées sur le conflit ukrainien, une partie d’entre-elles ayant un tropisme pro-russe intolérable en Europe centrale et orientale.

 

Si la droite ne parvient pas à trouver les termes d’un accord, il est toutefois possible que le PE fonctionne à l’avenir avec deux majorités récurrentes : la traditionnelle, formée des groupes S&D, Renew et PPE, pour les questions institutionnelles, socio-économiques et internationales ; et une majorité PPE, ECR et ID, pour certaines questions de société, les enjeux environnementaux ou encore le budget.

 

  1. L’enjeu de la présidence de la Commission

 

Les élections ne conditionnent pas seulement les futures dynamiques au sein du PE : elles commandent aussi la désignation du futur président ou de la future présidente de la Commission européenne. En effet, les traités prévoient qu’à l’issue du scrutin, et en tenant compte de ses résultats, le Conseil européen propose un candidat à la présidence de la Commission. Cette personne doit présenter son programme au PE et être ensuite « élue » par celui-ci, à la majorité de ses membres, soit 361 voix. Mais ce n'est pas une mince affaire, pour deux raisons au moins.


D’abord, le Conseil européen et le PE ont une divergence de fond sur l’interprétation des traités. Les chefs d’Etat et de gouvernement considèrent qu’il leur revient de choisir librement le candidat à la présidence de la Commission, en prenant en considération toutes sortes de paramètres (résultat des élections, mais aussi profil, expérience, nationalité, genre, âge…) et en veillant à l’équilibre global des nominations (présidences de la Commission et du Conseil européen, haut représentant de l’Union pour les affaires extérieures, voire président du PE et de la Banque central européenne). Les grands groupes du PE sont, quant à eux, partisans du système des « candidats de tête », où chaque parti européen désigne son candidat à la présidence de la Commission, et où ces personnes orchestrent la campagne. Selon le PE, le candidat du parti vainqueur a vocation à être désigné par le Conseil européen – à la manière dont les choses se passent dans un régime parlementaire. La procédure avait été conduite ainsi en 2014, et J.C. Juncker, le candidat de tête du PPE, avait été choisi, puis confortablement élu. En revanche, elle a échoué en 2019, le candidat du PPE (Manfred Weber) n’ayant pas bénéficié des soutiens nécessaires au PE et n’ayant pas le profil requis – notamment pas d’expérience ministérielle. Cette année, la campagne a, à nouveau, été conduite selon ces modalités, les cinq principaux partis européens ayant désigné leurs candidats de tête (deux pour les Verts et trois pour Renew). Si le Conseil européen nommait un candidat en faisant abstraction de l’avis du PE, les voix pourraient lui manquer, ouvrant une grave crise institutionnelle.

 

Cette année, la procédure est compliquée par le fait que la Présidente actuelle de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, sollicite un second mandat. Elle a été désignée « candidate de tête » par le PPE – même si elle n’est pas tête de liste dans son pays, comme le sont ses homologues Nicolas Schmit (S&D, au Luxembourg) ou Walter Baier (GUE/NGL, en Autriche). Pour envisager d’être nommé à nouveau, Mme von der Leyen doit apporter la preuve au Conseil européen qu’elle dispose des 361 voix nécessaires à son « élection » par le PE. Or, ce n’est pas chose aisée. En 2019 déjà, elle n’avait obtenu que 9 voix de plus que la majorité requise : beaucoup lui avaient manqué au sein des trois groupes (S&D, Renew et PPE) qui étaient supposés la soutenir, et elle n’avait du son élection qu’aux votes de députés polonais du parti nationaliste Droit et Justice et italiens du Mouvement 5 Etoiles.

 

La situation semble plus complexe encore cette année, car le bilan de la présidente sortante est critiqué de toutes parts. Au sein du PE, les groupes socialiste et libéral, qui soutenaient globalement son action, dénoncent ses reculs sur les questions environnementales et sociales, et ses positions sur le Moyen-Orient. Mme von der Leyen est critiquée y compris dans son parti, le PPE, et ses relations avec le président du groupe, Manfred Weber, qui était le candidat de tête du PPE en 2019, sont très tendues. Celui-ci ne manque pas de critiquer son « Pacte Vert » et sa bienveillance à l’égard des socialistes – dont elle convoite les votes mais qu’il entend renvoyer dans l’opposition. Par ailleurs, plusieurs commissaires ont publiquement remis en cause la gestion de Mme von der Leyen et critiqué ses entorses au principe de collégialité. Certains chefs d’Etat ou de gouvernement se sont également émus de sa prétention à agir d’une manière trop « politique » ou « géopolitique » – pour reprendre son terme-fétiche. Plusieurs de ses initiatives ont déplu, notamment sa réaction à l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et son approbation, au nom de l’Union et sans disposer de mandat pour cela, de l’opération militaire lancée par Israël à Gaza. On lui reproche aussi sa complaisance vis-à-vis de la politique protectionniste des Etats-Unis, ses initiatives en direction de la Chine, sa volonté de poursuivre la négociation d’accords de libre-échange, et son manque de pugnacité face aux entorses à l’Etat de droit en Hongrie et en Pologne. Au Conseil européen, on souligne aussi son incapacité à s’entendre avec le président de l’institution, le libéral Charles Michel, et avec le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, le socialiste Josep Borrell. Certains critiquent enfin la politisation excessive de la fonction déclenchée par l’entrée en campagne de la présidente. Si le Conseil européen la reconduit, ce sera sans doute à la condition qu’elle respecte mieux les prérogatives de chaque institution, et qu’elle restaure la neutralité de la Commission.

 

Pour réunir les 361 voix nécessaires à sa réélection, Mme von der Leyen essaie de négocier le soutien de Giorgia Meloni, leader de fait du groupe ECR. Ses membres n’avaient pas voté son investiture en 2019 mais, comme on l’a vu, un rapprochement entre les groupes PPE et ECR a la faveur de la présidente du conseil italienne. Toutefois, ses amitiés politiques à l’extrême-droite embarrassent Mme von der Leyen, de sorte qu’elle a dû préciser sa pensée : elle est favorable à un accord avec certains partis situés à la droite du PPE, mais uniquement ceux qui sont pro-européens, soutiennent l’Ukraine et sont respectueux de l’Etat de droit, ce qui en réduit le nombre. En outre, il est probable que cet appel du pied aux nationalistes ne coûte à Mme von der Leyen plus de voix dans les rangs des socialistes, des libéraux et des verts qu’elles ne lui en rapporteront. Inquiets des démarches de la présidente de la Commission, les groupes S&D, Renew et des Verts ont en effet signé un manifeste excluant tout type de collaboration avec le groupe ECR – sans même parler du groupe ID.

 

Le Conseil européen, qui se réunira les 27 et 28 juin, ne prendra sans doute pas le risque de nommer Mme von der Leyen si elle ne justifie pas de sa capacité à trouver une majorité au sein du PE. D’autres noms circulent, dont celui de l’Italien Mario Draghi, qui aurait les faveurs d’Emmanuel Macron et de Donald Tusk. Il a la stature d’un sage et d’un homme de compromis, et pourrait rassembler largement, comme il l’avait fait en Italie lorsqu’il était président du conseil. Sans étiquette, il obtiendrait le poste au nom de Renew ; dans ce cas, le ministre des affaires étrangères polonais, le conservateur Radosław Sikorski, pourrait occuper le poste de haut représentant, et l'ancien premier ministre portugais, le socialiste Antonio Costa, celui de président du Conseil européen. Mais tout cela dépend, une fois encore, du résultat des élections européennes.


Olivier Costa


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