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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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L’Union européenne et la France sont des systèmes politiques issus d’une accumulation de textes adoptés au fil du temps. Côté Union, les traités de Paris (1951) et Rome (1957) posent les bases, mais ils ont été amendés puis remplacés par six autres traités importants. Côté France, la Constitution de 1958 définit les choses, mais elle a été révisée pas moins de 25 fois. Dans les deux cas, des responsables politiques ont voulu, à diverses époques, faire évoluer le cadre institutionnel et son fonctionnement, pour en améliorer l’efficacité ou la légitimité, ou servir leurs propres intérêts. Mais ces changements n’ont pas toujours été heureux et peuvent aboutir à créer des situations inextricables. Que ce soit à Bruxelles ou à Paris, on en a aujourd’hui la cruelle démonstration.

 

 

Le poids croissant des élections européennes

 

En conséquence des multiples réformes des traités intervenues depuis le début des années 1990, les élections européennes sont désormais la première étape d’un processus long et complexe qui consiste à choisir les responsables des principales institutions de l’Union européenne et à définir le programme qu’ils mettront en œuvre. Ce processus est d’autant plus embrouillé que les différentes institutions en ont des approches divergentes, tout particulièrement pour ce qui concerne l’élection du Président de la Commission. Le Parlement européen (PE) estime en effet qu’il lui revient de choisir cette personne, alors que le Conseil européen considère que c’est son privilège. L’article 17.7 du traité sur l’Union européenne n’est en effet pas clair : « En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. (…) »



Deux interprétations divergentes du traité

 

Du côté du PE, on pense que la nécessité de tenir compte des élections et de procéder aux « consultations appropriées » pour choisir le candidat, couplée à son élection par les députés, implique qu’il revient à l’assemblée de proposer un nom. Du côté du Conseil européen on affirme au contraire que cette décision appartient aux représentants des Etats, qu’elle doit s’inscrire dans une négociation globale sur les « top jobs », et qu’ils n’ont pas à considérer les positions et propositions du PE ; le rôle de celui-ci doit se borner à valider un choix.

 

Cette année, la négociation a laissé peu de place au PE. Les 27 se sont mis d’accord sur une reconduction d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission. La présidence du Conseil européen doit revenir à Antonio Costa, l’ex-premier ministre socialiste du Portugal, et le poste de Haute représentante pour la politique étrangère à Kaja Kallas, la première ministre libérale de l'Estonie. La logique de l’article 17.7 a été respectée, puisqu’Ursula von der Leyen était la candidate officielle du PPE à la présidence de la Commission, et que ce parti a emporté le plus de sièges le 9 juin dernier.

 


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Le Conseil européen (2024). Crédits: Conseil européen.


La négociation a été heurtée, et Giorgia Meloni et Viktor Orban se sont opposés aux choix de leurs homologues. Les traités prévoient toutefois que ces nominations se font à la majorité qualifiée (55% des Etats, représentants 65% de la population), ce qui ne donne pas un droit de veto aux représentants italien et hongrois. Concrètement, l’accord a été préparé et soutenu par les trois groupes politiques qui « cogèrent » habituellement le PE – ceux du Parti populaire européen (PPE), du Parti socialiste européen (S&D) et des libéraux (Renew). Ils disposent d’une majorité au PE et d’une majorité qualifiée au sein du Conseil européen, ce qui leur donne les coudées franches pour négocier un accord sans se soucier outre mesure de l’avis des représentants des autres formations politiques.

 

Une élection très incertaine


Il reste l’inconnue de l’élection de Mme von der Leyen par le PE, prévue le 18 juillet prochain. Elle devra en effet réunir la majorité des membres de l’assemblée, soit 361 voix sur 720. Or, l’alliance des trois groupes (PPE, S&D et Renew) n’y suffira sans doute pas. Ils totalisent certes 399 sièges, mais il y a toujours quelques absents et quelques défections. Car, si le vote est électronique et non à main levée, de sorte à avoir des résultats précis, il est secret. Les groupes politiques ne peuvent donc pas contrôler le respect des consignes de vote par leurs membres. Rappelons qu’en 2019 Ursula von der Leyen n’avait obtenu que 9 voix de majorité, alors que les trois groupes qui la soutenaient avaient un plus grand nombre d’élus qu'aujourd'hui.

 

La solution à ce problème d’arithmétique se trouve de part et d’autre de la coalition : au sein du groupe des conservateurs eurosceptiques (ECR), qui siège à droite du PPE, et du groupe des Verts. Ainsi, Ursula von der Leyen ménage depuis quelques mois Mme Meloni, qui est de fait la cheffe de l'ECR. On note d’ailleurs que si la présidente du gouvernement italien a voté contre le choix d’Antonio Costa et de Kaja Kallas, elle s’est abstenue sur celui de la présidente sortante de la Commission, laissant la porte ouverte à des discussions. Mme Meloni a fait savoir qu’elle exigeait, en échange du soutien des députés européens de son parti, un portefeuille important ou une vice-présidence exécutive pour le commissaire italien.



La quadrature du cercle

 

Pour Mme von der Leyen, c’est la quadrature du cercle. Toute voix gagnée plus à droite que le PPE est susceptible de lui faire perdre des soutiens chez les socialistes et les libéraux, qui ont fait clairement savoir qu’ils excluaient de s’associer aux députés conservateurs ou d’extrême-droite, ou au sein même du PPE, où tout le monde n'apprécie pas le rapprochement avec la droite radicale. Une autre solution serait de solliciter le soutien de députés membres du groupe des Verts, mais si Mme von der Leyen leur fait des promesses, elle pourrait perdre des voix dans son propre groupe, parmi ceux qui ont peu goûté le « Pacte vert ».

 

L’affaire est plus complexe encore, car il ne s’agit pas seulement de rallier des députés, mais également des leaders nationaux, susceptibles de convaincre leurs troupes de voter pour la candidate. Cela implique des négociations autour de la distribution des rôles au sein de la Commission qui ne se limitent pas à Mme Meloni. Les leaders des autres « grands » pays (France, Espagne, Pologne), qui comptent les plus grandes délégations au PE, sont dans le même état d’esprit. En outre, ils entendent bien mettre Mme von der Leyen au pas, considérant qu’elle a trop fait abstraction du principe de collégialité de la Commission lors de son premier mandat, et qu’elle a une approche trop personnelle de sa fonction.

 

En 2019, Ursula von der Leyen souffrait d’être une inconnue, et d’apparaître comme la candidate d’Emmanuel Macron – même si elle n’appartenait pas à sa famille politique. En 2024, elle porte le poids des reproches faits par les uns et les autres pendant son premier mandat, et elle doit tenir compte des relations de plus en plus tendues entre les principaux groupes politiques au sein du PE. Manfred Weber, le président du groupe PPE, a notamment adopté une ligne très hostile vis-à-vis des socialistes, et n’a pas manqué de reprocher à U. von der Leyen d’être trop complaisante avec eux. A gauche et chez les Verts, on déplore les reculades de la Commission sur les questions environnementales et les menées du PPE pour détricoter les normes environnementales. Enfin, Mme von der Leyen apparaît désormais comme une incarnation de ce que certains, à gauche comme à droite, détestent à Bruxelles, ce qui rend difficile notamment le ralliement des députés du groupe ECR.

 

Vers un report de l’élection ?

 

Le traité ne prévoit pas de solution à ce casse-tête. L’article 17.7 dispose, dans sa dernière partie, que « si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d'un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure ». Donc, si Mme von der Leyen n’obtient pas la majorité des membres du PE, le Conseil européen devra proposer rapidement un autre nom, et il reviendra à cette personne de trouver à son tour la majorité nécessaire à son élection.

 

A Bruxelles, chacun fait ses comptes. S’ils ne sont pas bons, il est probable que le vote du PE sera repoussé à la session de septembre – comme cela avait déjà été le cas pour José Manuel Barroso en 2009 – de sorte à laisser plus de temps à Mme von der Leyen pour trouver des soutiens, et aux groupes politiques impliqués dans les négociations pour discipliner leurs troupes.

 

Les risques de la méthode Coué

 

La situation actuelle de l’Union est une bonne illustration des risques que l’on prend à triturer les institutions sans discernement, et en ne pensant qu’aux scénarios les plus favorables. La Convention sur l’avenir de l’Union (2002-2003) avait en effet proposé une nouvelle procédure « d’élection » du président de la Commission, et prévu qu’elle exige la majorité des membres du PE, et non des votants, de manière à accroître l’autorité et la légitimité de ce responsable-clé. Cette exigence est rare dans les systèmes politiques nationaux, où la règle de base est la majorité des suffrages exprimés – ce qui implique que les absents et les abstentionnistes ne s’opposent pas à l’élection, comme c’est le cas en l’occurrence.

 

Ces dispositions, introduites dans le traité de Lisbonne, s’appliquent depuis 2014. Elles étaient fondées sur l’idée, très imprudente, qu’il serait toujours possible de trouver une large majorité au PE et qu’il ne serait pas nécessaire, comme c’est prévu pour l’élection d’autres responsables politiques, de revoir à la baisse l’exigence de majorité ou de réduire le nombre de candidats au bout d’un certain nombre de tours de scrutin infructueux. C’est, par exemple, le cas pour l’élection du président du PE. L’article 16 du règlement intérieur prévoit que « si, après trois tours de scrutin, aucun candidat ne recueille la majorité absolue des suffrages exprimés, les deux députés qui ont obtenu le plus grand nombre de voix au troisième tour sont seuls candidats au quatrième tour (…) ». En somme, les règles institutionnelles permettent de trouver une majorité quand il n'y en a pas.

 

La France ingouvernable ?

 

On peut faire le parallèle avec certaines réformes constitutionnelles opérées en France depuis 2000, avec un manque de prudence qui interloque tout autant. En 2000, on a ainsi décidé de substituer le quinquennat au septennat, puis inversé le calendrier électoral l’année suivante, de sorte que les élections législatives soient une confirmation des élections présidentielles. L’objectif était que le président ait toujours les moyens de gouverner. Ensuite, pour revaloriser le rôle du parlement, on a limité en 2008 les possibilités de recours par le gouvernement à l’article 49-3 (question de confiance). Les concepteurs de ces différentes réformes sont partis de l’idée, parfaitement gratuite, que les résultats de l’élection présidentielle seraient toujours confirmés lors des élections législatives. Cet enchaînement de réformes était supposé rendre impossible une cohabitation et de favoriser l’existence d’une majorité claire à l’Assemblée nationale. Il était aussi censé rendre improbable une dissolution en cours de mandat présidentiel ; il n’y avait donc plus lieu de permettre au gouvernement d’user librement de la question de confiance.

 

Mais, à y réfléchir deux minutes, rien n’indiquait qu’un président obtiendrait nécessairement une majorité à l’Assemblée nationale, compte tenu des différences entre les deux modes de scrutin. En effet, l’élection présidentielle force les électeurs à trouver une majorité, en limitant l’accès au second tour aux deux candidats les mieux placés. Mais rien ne garantit l’émergence d’une majorité à l’Assemblée nationale – comme c’est le cas aux élections municipales et régionales, où une « prime majoritaire » assure la domination numérique de la liste arrivée en tête. Il n’était pas non plus exclu que le président décide de dissoudre l’Assemblée en cours de mandat, pour telle ou telle raison, et se retrouve alors sans majorité et sans possibilité de convoquer de nouvelles élections avant un an. On a vu, depuis, que ces réformes sont dysfonctionnelles. Emmanuel Macron n’a pas obtenu de majorité claire en 2022, et a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale en cours de mandat, même si l’hypothèse semblait exclue aux tenants de l’harmonisation des mandats du Président et de l’Assemblée nationale.


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L'Assemblée nationale. Crédits: Assemblée nationale

 


L’échec des apprentis sorciers

 

Dans un cas comme dans l’autre, les processus en cours pourraient donner tort aux apprentis sorciers de la réforme institutionnelle. En effet, l’Union risque d’être en peine de désigner le président de la Commission le 18 juillet, alors que ce serait une simple formalité si la majorité des suffrages exprimés avait été retenue. De même, la France pourrait se retrouver le 7 juillet soit en situation de cohabitation – ce qui était théoriquement exclu –, soit avec un gouvernement minoritaire réduit à la gestion des affaires courantes – faute de pouvoir utiliser l’article 49.3 autant que de besoin. Dans les deux cas, la difficulté est imputable au manque de clairvoyance des personnes qui ont réformé les institutions sans considérer tous les scénarios. Dans les deux cas, il n’y a pas de solution simple aux difficultés qui pourraient advenir, car on ne peut changer les règles en période de crise.


Olivier Costa



Dernière mise à jour : 29 sept.

Quelle ironie ! Alors qu’Emmanuel Macron a estimé le 9 juin que le résultat des élections européennes ne lui laissait pas d’autre choix que de dissoudre l’Assemblée nationale, son coup de sang ou de poker place l’avenir de l’Europe tout entière entre les mains des électeurs français. En effet, compte tenu de la composition actuelle du Conseil européen, si la France bascule à l’extrême, c’est l’ensemble du projet européen qui se trouverait entravé. Comment penser l’avenir de l’Union, son élargissement et une éventuelle réforme des traités avec des représentants français hostiles à l’intégration européenne ? Comment affirmer la place de l’Union à l’échelle internationale s’ils estiment que Vladimir Poutine a été provoqué par l’OTAN ? Comment développer une politique industrielle ambitieuse ou préparer la transition numérique si le gouvernement français refuse tout nouvel approfondissement de l’intégration européenne et se défie de ses partenaires ?

 


Le domaine réservé du Président ?

 

Le Président Macron fera sans doute valoir que les questions européennes appartiennent à son domaine réservé, qu’il reste le principal interlocuteur à l’échelle européenne et que sa ligne s’impose. Mais cette vision des choses relève plus d’une approche imposée par François Mitterrand à l’époque de la première cohabitation avec Jacques Chirac (1986-1988), que de la constitution. En outre, la pratique veut que, en cas de cohabitation, la France soit représentée au Conseil européen par son Président ET son Premier ministre. On a pu voir, à l’époque de la troisième cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002), pourtant qualifiée de « courtoise », que les tensions pouvaient être vives entre les deux représentants français lors des sommets européens. De plus, ce sont les ministres qui siègent au nom de la France au Conseil, notamment pour adopter les lois européennes, et la coordination de leurs activités s’opère largement au sein du Secrétariat général des affaires européennes, qui est placé sous l’autorité du Premier ministre. Plus largement, si le gouvernement français mène une politique hostile à l’Union, s’il prend des décisions qui créent des tensions avec le droit européen, le Président perdra tout crédit dans les instances européennes.

 

Quand Paris éternue, l’Europe s’enrhume

 

Les évolutions de la vie politique française auront des conséquences pour toute l’Union. En effet, depuis des décennies, rien d’important ne se fait à l’échelle européenne sans les initiatives du couple franco-allemand : élargissements, réforme des traités, nouvelles politiques, sanctions internationales, gestion des crises… On peut certes imaginer que d’autres leaders prennent le relais, et se substituent aux défaillances de la France et de l’Allemagne – dont le Chancelier est également dans une situation politique difficile, après les résultats désastreux de sa coalition aux élections européennes. Mais cela n’est jamais arrivé, et il est peu probable que cela advienne prochainement. Les leaders des pays les plus influents sont tous à la peine à l’échelle domestique, et le nombre des eurosceptiques autour de la table du Conseil européen s’accroît irrésistiblement. On voit mal d’où pourrait venir une nouvelle impulsion.


Projection de la composition de l'Assemblée nationale sur la base des résultats des élections européennes. Source: Toluna/Harris Interactive
Projection de la composition de l'Assemblée nationale sur la base des résultats des élections européennes. Source: Toluna/Harris Interactive


Un programme du RN en contradiction avec les fondamentaux de l’Union

 

Si le RN l’emporte avec une majorité absolue – seul ou en coalition avec certains élus LR – Emmanuel Macron n’aura pas d’autre choix que de nommer Jordan Bardella à Matignon. On peut imaginer que celui-ci fera preuve de prudence pour ce qui concerne les questions internationales et européennes, et choisira des personnes crédibles et expérimentées. C’est ce qu’a fait Giorgia Meloni en Italie, en nommant Antonio Tajani aux Affaires étrangères ; c’est un conservateur sourcilleux mais, en tant qu’ancien président du Parlement européen, il est respecté à Bruxelles et connaît suffisamment le contexte européen pour éviter les tensions inutiles. L’hypothèse est d’autant plus crédible que le Président de la République aura son mot à dire pour la nomination des ministres des affaires étrangères et des affaires européennes, avec lesquels il devrait travailler au quotidien. Côté RN, on avance le nom de Thibault François, délégué aux affaires européennes du RN, un temps secrétaire général adjoint du groupe Identité et Démocratie (ID) au Parlement européen. On parle aussi de Sébastien Chenu, vice-président et porte-parole du RN, membre sortant de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Cela dit, dans tous les cas, on voit mal le gouvernement Bardella soutenir des initiatives tendant à approfondir l’intégration européenne – à l’exception de la politique migratoire. Les représentants français ne joueront sans doute pas du veto comme Viktor Orban, mais on pourra difficilement compter sur eux pour proposer des avancées ou les soutenir.


Car le programme du RN est résolument contraire à l’esprit actuel de l’intégration européenne. Pour les européennes, il avait produit un document de 15 pages, décliné en trois thématiques : « L’Europe qui protège », « L’Europe qui produit » et « L’Europe qui respecte ». Il comporte un grand nombre de propositions fondamentalement incompatibles avec la construction européenne telle qu’elle existe depuis 1950. Il s’oppose aussi de manière virulente à l’élargissement de l’Union, et cultive son obsession de l’immigration. Il propose un moratoire sur la négociation de nouveaux accords de libre-échange par l’UE, veut remettre en cause le travail détaché et exige une restriction de la libre-circulation et le retour aux frontières nationales. Il se prononce contre le Pacte vert – le programme de l’Union qui vise à atteindre la neutralité carbone en 2050 – et contre les énergies renouvelables. Il veut permettre la priorité nationale dans les attributions de marchés publics. En matière institutionnelle, le RN propose de défaire l’existant, en revenant à un processus décisionnel strictement intergouvernemental : le droit d’initiative appartiendrait au Conseil, et non plus à la Commission, qui serait un simple secrétariat, et les décisions à l’unanimité seraient généralisées. Enfin, il entend réaffirmer la supériorité de la Constitution française sur les normes et juridictions européennes, ce qui reviendrait à rendre le droit européen sans objet. En somme, le programme européen du RN implique soit un démantèlement de l’Union, soit la sortie de la France – même si cela n’est pas assumé.

 

L’inconnue du premier ministre du Nouveau front populaire

 

Si le Nouveau Front Populaire (NFP) l’emporte, c’est l’inconnue. Divers noms sont avancés pour Matignon, mais l’accord politique du NFP n'évoque pas cette question. Les plus modérés parlent de Laurent Berger – mais celui-ci a fait savoir qu’il n’était pas intéressé. Raphaël Glucksmann envisage sans doute cette possibilité, mais il se garde de l’avancer. François Ruffin ou François Hollande seraient probablement tentés… Les uns et les autres font savoir qu’il est exclu que ce soit Jean-Luc Mélenchon, mais il affirmait encore, samedi 22 juin sur France 5, son « intention de gouverner ce pays » et de mettre fin au désordre à gauche. Ses partisans rappellent que les partis du NFP ont décidé que, en cas de victoire, le groupe parlementaire le plus nombreux avancerait le nom du candidat à Matignon. Or, la répartition des sièges est très favorable à LFI, qui a obtenu 229 circonscriptions, contre 175 au PS/Place Publique, 50 au PCF et 92 aux écologistes. Si LFI devait être le plus grand groupe, il est probable – sauf révolution de palais d’ici le 7 juillet – que Jean-Luc Mélenchon serait son candidat. Compte tenu des positions ouvertement eurosceptiques qu’il avait défendues pendant la campagne présidentielle en 2022, on imagine mal qu’il puisse accorder ses vues avec Emmanuel Macron en vue des sommets européens… 


Côté programme, le NFP est plus prolixe sur les questions européennes que la défunte NUPES, dont le pacte fondateur ne disait pas un seul mot – faute d’accord en la matière. Il mentionne plusieurs « actes de rupture », à entreprendre dès les 15 premiers jours de gouvernement. Il s’agit, notamment, de refuser les contraintes du pacte budgétaire et de proposer une réforme de la Politique agricole commune – sans beaucoup de détails. Les socialistes et les écologistes ont obtenu que soit mentionné un soutien « indéfectible » de l'Union à l’Ukraine. Le programme propose aussi « la suspension de l’accord d’association Union européenne – Israël ». Dans sa dernière partie, il évoque un plan de reconstruction industrielle à l’échelle européenne pour faire cesser la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques. Le NFP veut aussi « mettre fin aux accords de libre-échange » et « réviser le pacte asile immigration européen ». A long terme, il prône un « pacte européen pour le climat et l’urgence sociale », un « protectionnisme écologique et social aux frontières de l’Europe » et une « harmonisation par le haut entre les États » en matière sociale et fiscale. L’ambition est enfin de « taxer les plus riches au niveau européen pour augmenter les ressources propres du budget » européen.


Un gouvernement d’Union nationale ?


Il n’est pas nécessaire d’envisager l’hypothèse d’une majorité Renaissance : elle est quasiment impossible. Quand bien même elle adviendrait, la politique européenne du pays resterait alignée sur les orientations présentées par Emmanuel Macron lors de son second discours de la Sorbonne le 24 avril dernier. Même s’il a annoncé vouloir « gouverner autrement » dans sa lettre aux Français publiée dimanche dernier dans la presse quotidienne régionale, cela ne s’appliquera pas aux questions européennes et internationales.

S’il n’y a pas de majorité, c’est l’aventure. L’hypothèse d’un gouvernement « technique » ou d’union nationale s’imposera, mais elle ne correspond pas à la culture politique française. Jamais sous la V° République le pays n’a connu pareille configuration. Quand Michel Rocard a été premier ministre (1988-1991), sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, il n’a pu gouverner que grâce à un usage immodéré – 28 fois – de la question de confiance (article 49.3 de la Constitution). Or, le recours à cette procédure est désormais limité à un vote par session – en sus des lois de finance et de financement de la sécurité sociale. C’est la raison pour laquelle les gouvernements Borne et Attal ont été à la peine. S’ils ont réussi à susciter le ralliement de députés hors-majorité, cela s’est fait au coup par coup. Et, compte-tenu de la brutalité de la campagne actuelle, où chacun désigne l’autre comme un ennemi à abattre ou un danger pour la France, on voit mal les uns et les autres décider de négocier un contrat de gouvernement au soir du 7 juillet. S’il n’y a pas de majorité claire, le gouvernement sera structurellement minoritaire et devra se contenter d’expédier les affaires courantes pendant un an, jusqu’à ce qu’une nouvelle dissolution soit possible. Cela aura évidemment un impact sur la politique européenne de la France : le Président et les ministres n’auront pas les coudées franches, sachant qu’ils ne pourront pas compter sur le soutien du parlement pour adopter des réformes substantielles ou ratifier un traité ou un accord international.

 

Dans tous les cas, un affaiblissement de la France et de l’Union

 

Quelle que soit l’issue du scrutin le 7 juillet, l’Union européenne va souffrir de la dissolution française – à la grande satisfaction de Vladimir Poutine, Xi Jinping et Donald Trump. Les acteurs des institutions européennes et les diplomates des autres États membres redoutent le pire : une période de stagnation et d’incertitude qui sera nécessairement une régression, dans un monde en évolution constante. Dans toutes les hypothèses – gouvernement d’extrême-droite, sous influence LFI ou minoritaire – les marchés vont se défier et la situation économique de la France se dégrader.

La France perdra aussi son influence à Bruxelles. Ce sera déjà le cas au Parlement européen, où plus de la majorité des députés français – les 30 députés du RN, les 5 de Reconquête ! et les 9 de LFI – siègera dans des groupes marginalisés ou peu influents. Ce sera aussi le cas au Conseil européen : Emmanuel Macron est déjà en mauvaise posture pour peser dans les choix des leaders des institutions européennes pour les cinq années à venir, et n’a aucune garantie d’obtenir un portefeuille substantiel pour le commissaire français. Son poids est également réduit dans la rédaction de « l’Agenda stratégique » du Conseil européen, qui sera adopté lors du sommet européen en fin de semaine, et qui constituera la feuille de route de la prochaine Commission.

 

Résultats des élections européennes 2024 en France
Résultats des élections européennes 2024 en France

Longtemps, les espaces politiques nationaux et européens ont été déconnectés : les élections européennes ne passionnaient pas les foules et les élections nationales étaient sans impact substantiel sur la politique européenne des États. Ces deux espaces sont désormais étroitement intriqués. Les résultats des élections européennes ont poussé Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale, et toute l’Europe retient son souffle dans l’attente des résultats des élections législatives françaises. On devrait s’en réjouir, car c’est la preuve que l’Union européenne devient démocratique. Il est toutefois paradoxal que cette mutation s'opère à l’occasion de l’arrivée au pouvoir en France de partis hostiles à l’idée même d’intégration européenne, et rétifs à ce que l’Union s’affirme comme une puissance à l’échelle globale.


Salle du Conseil européen à Bruxelles. Crédits: Conseil européen
Salle du Conseil européen à Bruxelles. Crédits: Conseil européen


Olivier Costa

Dernière mise à jour : 29 sept.

La France est l’un des pays européens les plus endettés et dont le déficit public est le plus important. Néanmoins, dette et déficit sont des sujets dont les responsables politiques n’aiment pas parler – comme si les évoquer allait réveiller les créanciers du pays ou paniquer les marchés. Les journalistes ne les encouragent guère, car ce sont des sujets qu’ils maîtrisent mal ou trouvent trop arides pour les citoyens. Le budget n’est donc pas une thématique importante lors des campagnes électorales, et les candidats se contentent le plus souvent d’annoncer de nouvelles dépenses sans s’appesantir sur leur financement. Mais, alors que le parlement vote chaque année un budget en déficit de 25% et que le pays cumule plus de 3.000 milliards de dette, peut-on vraiment faire abstraction de ces enjeux ?


A l’occasion de la campagne pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, on évoque beaucoup les mesures proposées par les différents partis, qui rivalisent de créativité dans le registre de la générosité : hausse du Smic, baisse du coût de l’énergie, gratuité de tel ou tel service public, relèvement des minima sociaux, nouvelles allocations, réduction des impôts ou de la TVA… Ils sont en revanche moins diserts sur le chiffrage et le financement de tout cela.


Comme la plupart des journalistes et chroniqueurs français sont peu à l’aise avec les chiffres, et souvent incapables de distinguer millions et milliards, ils préfèrent polémiquer sur les petites phrases des candidats que de les cuisiner sur la viabilité de leur budget. Et c'est tant mieux, car rares sont les responsables politiques français qui peuvent parler plus d'une minute du sujet sans proférer des énormités.


Sans entrer dans les détails d'une question il est vrai très complexe, il convient de faire 4 rappels simples:

  • En 2024, le budget de la France (l’Etat seul) prévoit 582 milliards d’Euros de dépenses. Le PIB du pays (la totalité des richesses produites en une année) était de 2.803 milliards d’Euros en 2023 ; les dépenses de l’Etat représentent donc 21% de cette somme ; avec les collectivités territoriales et les caisses de Sécurité sociale, ça fait un total de 57%. Cet argent n'est pas intégralement dépensé : la plus large partie est simplement redistribuée, de telle catégorie de la population à telle autre, mais c'est un record du monde néanmoins ;

  • On dit que le déficit public de la France est de 5,5%. C'est plus que les 3% prévus par le Traité budgétaire européen, mais cela semble raisonnable... Mais on ne précise jamais que c'est 5,5% du PIB (5,25% pour le seul déficit de l'Etat), et pas 5,5% du budget... Le déficit du budget lui-même, c'est-à-dire la part des dépenses de l'Etat à financer par l'emprunt, devrait être en 2024 de 147 milliards sur 582, soit 25%. Et ce sont de simples projections ; ce sera plus. C’est un peu comme si une personne qui gagnait 1.500 Euros par mois en dépensait tranquillement 2.000. D'aucuns estiment que la comparaison n'a pas de sens: l'Etat est plus solvable qu'un ménage et, surtout, il peut augmenter les prélèvements pour réduire les déficits, ce qu'un ménage ne peut pas faire. Soit. Mais aucun candidat n'a proposé cela; le NFP veut certes taxer davantage les riches, mais c'est pour taxer moins les autres et financer de nouvelles dépenses. En somme, personne ne propose de réduire structurellement le déficit de l'Etat, car cela passerait par des mesures désagréables;


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  • La dette de la France (l'Etat) s'élève à plus de 3.000 milliards d’Euros : plus que son PIB annuel. Sachant qu'il y a 68 millions d'habitants en France, chacun d'eux est endetté à hauteur de 45.000 Euros au nom de l'Etat. Et davantage au nom des collectivités.

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  • Enfin, Bruno Le Maire, alors ministre de l'économie, indiquait l'an passé qu'en “2027, la charge de la dette sera le premier poste de dépenses de l’Etat. Cette dépense atteindra alors 71,2 milliards". Rappelons que la totalité de l'impôt sur le revenu a rapporté, en 2023, 113 milliards. Certains estiment que, à la différence d'un ménage ou d'une entreprise, l'Etat n'a pas à rembourser le capital de sa dette, et qu'il ne faut donc pas s'inquiéter de son montant et des conditions de son remboursement. Il reste que les intérêts sont dus chaque année, et que leur montant flambe avec l'accroissement de la dette et l'augmentation des taux d'intérêts.

En somme, il est étonnant d’entendre les différents partis proposer d’ajouter 10 ou 100 milliards de dépenses publiques non financées à la dette du pays sans que les éditorialistes les plus piquants et les intervieweurs les plus pugnaces y trouvent à redire. Certes, les candidats nous expliquent que ce surcroît de dépenses va générer une plus forte croissance, qui viendra alimenter en retour le budget de l'Etat, mais les prévisions des pouvoirs publics sont chaque année d’un grand optimisme, et les déficits toujours plus importants que prévus.


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Les gouvernants invoquent alors le caractère exceptionnel de la situation, liée à telle ou telle crise ou difficulté imprévue. C'est le "quoi qu'il en coûte" d'Emmanuel Macron: dépenser sans compter pour faire face à une situation exceptionnelle, afin d'éviter de mettre à terre toute l'économie. Il reste que, pas une seule fois, les prévisions budgétaires se sont révélées exactes.


L’idée de certains est aussi de mettre davantage à contribution les plus fortunés pour réduire les déficits. Par exemple, on pourrait priver Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, de ses biens: 187 milliards d'Euros. Mais, même en le faisant (ce qui reviendrait à mettre plus de 200.000 personnes au chômage, puisque sa fortune est essentiellement composée de ses entreprises, et pas d'un tas d’or comme Oncle Picsou), on ne financerait qu’une année de déficit du pays.


Il est logique que les plus fortunés contribuent davantage au financement de l'Etat, car l’évolution exponentielle de leur patrimoine est indécente. Par ailleurs, il n'est pas question de tailler massivement dans les dépenses de l'Etat, car les services publics font partie du modèle socio-économique auquel les citoyens français sont attachés, et que nombre d'entre eux ne peuvent survivre que grâce aux transferts sociaux.


Néanmoins, il est inquiétant de voir nos responsables politiques rivaliser de propositions budgétaires fantaisistes et non financées pour appâter les électeurs. Leurs attentes seront nécessairement déçues, car les gouvernements doivent préserver la confiance des marchés pour financer les déficits à un taux acceptable. Le refus des leaders politiques d'aborder de front les questions budgétaires, du moins en temps de campagne, est coupable, car il sape la confiance que les citoyens ont dans les institutions et le jeu démocratique.


Olivier Costa

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