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Dans ce blog, je publie régulièrement des textes sur des sujets d'actualité. J'en reprends certains en anglais.

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Dernière mise à jour : 29 sept.


La dissolution de l’Assemblée nationale a ouvert une séquence politique inédite. Emmanuel Macron voulait prendre de court ses adversaires et semer la zizanie à gauche comme à droite, qualifiant, en privé, la dissolution de « grenade dégoupillée lancée dans les jambes des oppositions » (Le Monde, 17 juin 2024). A gauche, la situation est tendue, mais un accord électoral a été négocié dans l’urgence, et il y aura des candidatures uniques quasiment partout en France. Il y a des voix dissonantes et quelques dissidences, mais la gauche fait front. A droite, le coup de poker du Président a attisé l’incendie qui couvait depuis longtemps chez Les Républicains (LR), entre partisans et adversaires d’une alliance avec le Rassemblement National (RN). L’affaire Ciotti pourrait sembler risible si elle ne constituait un tournant majeur dans l’histoire de la droite de gouvernement : pour la première fois depuis la guerre, son principal leader a choisi de pactiser avec l’extrême-droite. La campagne se dessine ainsi comme une compétition entre trois forces politiques : le Nouveau Front populaire, qui fédère toute la gauche – du NPA au PS en passant par les Verts – sous la férule de Jean-Luc Mélenchon ; Renaissance et ses alliés de la majorité présidentielle au centre ; et le RN, appuyé par quelques transfuges de LR et de Reconquête !


La diabolisation des adversaires pour seul programme ?

 

Ce qui frappe dans cette campagne, c’est la faiblesse des programmes. Renaissance est en peine de présenter des idées originales : quand on exerce le pouvoir depuis sept ans, il est difficile de prétendre renverser la table, et les promesses avancées par Gabriel Attal ce week-end font sourire les experts des finances publiques. Au RN, on a compris qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Ces dernières années le parti a donc construit son succès en ne se prononçant sur rien. Sur chaque sujet – gilets-jaunes, pandémie, Ukraine, pouvoir d’achat, dérèglement climatique, crise agricole, tensions commerciales avec la Chine… – les responsables du RN se contentent de vilipender le gouvernement et de dénoncer la responsabilité des immigrés, des technocrates et de l’Europe. Aujourd’hui encore, le programme du parti est squelettique, car les contraintes juridiques, constitutionnelles et budgétaires s’opposent à la plupart des visées du RN. Et il existe certainement un abîme entre le discours très social du parti, destiné à séduire les foules, et les mesures qu’il prendrait une fois arrivé au pouvoir. Côté Nouveau Front Populaire, on propose tant et plus, en évitant soigneusement d’évoquer les questions européennes et internationales, le sort de l’Ukraine ou la nature du Hamas. Il en découle une longue liste d’avancées sociales dont le financement exigerait le budget des Etats-Unis.


Que reste-t-il, alors ? La diabolisation des adversaires. Emmanuel Macron entendait construire sa campagne sur le rejet des extrêmes, la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le RN de Jordan Bardella, tous deux qualifiés de partis extérieurs à « l’arc républicain ». En soulignant les dangers qui s’attachent à l’accès au pouvoir de l’un ou l’autre, en ménageant certains candidats PS et LR, il entendait susciter un sursaut de la part des électeurs modérés pour les ramener au bercail. Emmanuel Macron a en effet été élu, en 2017 comme en 2022, par des électeurs socialistes et conservateurs déçus par leurs présidentiables respectifs (Benoît Hamon et François Fillon en 2017, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse en 2022), mais rebutés par les extrêmes. Le retour d’une liste PS pro-européenne et la « normalisation » apparente du RN expliquent le score catastrophique de la liste Renaissance aux européennes.

 

L’appel au sursaut de la majorité présidentielle

 

Depuis dimanche, le Président et ses proches ne cessent donc de fustiger les oppositions. Ils rappellent les outrances systématiques des députés insoumis à l’Assemblée nationale, l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien à des fins électoralistes, le goût de Jean-Luc Mélenchon pour les insinuations antisémites, et les divergences de fond au sein de la gauche sur des sujets cruciaux. Ils rappellent aussi ce qu’est l’ADN du RN, parti fondé par des collabos et des xénophobes, soulignent sa haine obsessionnelle des musulmans et son absence de programme, et s’inquiètent de l’inexpérience de Jordan Bardella, candidat du parti à Matignon, qui n’est titulaire que du bac, n’a jamais exercé de profession et a brillé par son absence au Parlement européen. Ils dénoncent aussi l’opportunisme et le cynisme de ceux qui, au PS comme chez LR, se sont ralliés aux extrêmes pour sauver leur siège, et appellent les électeurs à les sanctionner dans les urnes.


Le Premier ministre Gabriel Attal, qui doit endosser une fois encore le rôle de chef de campagne, multiplie les déclarations pour alerter les citoyens sur les risques que ferait courir au pays la victoire du Front populaire ou du RN, affirmant que « les extrêmes seraient une catastrophe pour l’économie et pour l’emploi » (Le Monde, 17 juin 2024). Le ministre de l’économie Bruno Le Maire fait appel, non pas à un vote idéologique ou partisan, mais à « un vote de conscience » (France Inter, 16 juin 2024), affirmant que « l’extrême gauche comme l’extrême droite conduisent directement à un appauvrissement » des Français. La ministre Olivia Grégoire renvoie le Front populaire et le RN dos-à-dos, indiquant qu’elle voterait blanc en cas de duel au second tour – sauf si le candidat de la gauche était un socialiste modéré (RTL, 15 juin 2024). Les candidats Renaissance aux législatives se gardent de revendiquer leur soutien à Emmanuel Macron ou d’invoquer le soutien de celui-ci, ont fait disparaître son nom et son portrait de leurs tracts et affiches, et font entièrement campagne sur le thème du rejet des extrêmes. Mais ils n’ont pas le monopole de la diabolisation, et le piège tendu aux oppositions par Emmanuel Macron est en train de se refermer sur lui.

 

Du côté du Front populaire, l’appel à faire barrage au RN

 

En effet, les partis de gauche se sont, eux aussi, mobilisés pour souligner les dangers du RN et l’échec du macronisme. Les leaders du Nouveau Front populaire sont peu désireux de s’appesantir sur certains sujets de fond, de commenter les investitures ou d’évoquer les outrances de LFI sur Gaza ; ils préfèrent axer leur campagne sur la dénonciation du bilan d’Emmanuel Macron et sur les risques qu’impliquerait l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Alors que le Président entendait se présenter une nouvelle fois comme le seul rempart contre le RN, pour susciter un vote « utile » dès le premier tour, la gauche lui conteste ce rôle et entend mobiliser elle aussi les électeurs face à cette perspective. Le Nouveau Front populaire estime que la majorité présidentielle est battue d’avance, compte tenu de son score désastreux aux européennes (14,6%), et incapable de répondre aux attentes des citoyens. Selon les leaders de la gauche unie, elle seule, qui a totalisé plus d’un tiers des voix le 9 juin, peut empêcher l’arrivée au pouvoir du RN et réconcilier les citoyens avec leurs gouvernants. Ils appellent donc, eux aussi, à un sursaut des électeurs en faveur de leurs candidats. Les mouvements de gauche et les syndicats les soutiennent dans cette démarche en multipliant les communiqués, tribunes, pétitions et manifestations pour alerter les électeurs sur les dangers de l’extrême-droite.

 

Le RN contre les « islamo-gauchistes »


Le Rassemblement national et ses alliés – certains chez Reconquête ! et chez Les Républicains – sont, eux aussi, dans une stratégie de dénonciation de leurs adversaires. Leur campagne n’est pas focalisée sur des propositions, dont les contours restent bien vagues sur nombre de sujets, mais sur la nécessité de sanctionner le Président et sur les risques que comporterait l’arrivée des Insoumis à Matignon. Pour ce faire, le RN capitalise sur l’image de modération patiemment construite à l’Assemblée nationale ces dernières années. Alors que les députés LFI ont multiplié les outrances et les provocations, dans le cadre d’une stratégie délibérée d’exacerbation des clivages et de « brutalisation » du débat public, les députés RN se sont montrés disciplinés et passifs, engrangeant sans rien faire ni dire le bénéfice des échecs du gouvernement. On peine en effet à comprendre la position du RN sur les grands sujets, qu’il s’agisse de l’Ukraine, de l’intégration européenne, de l’économie et ou des questions de société. Jordan Bardella se contente de se présenter comme la seule alternative possible à Gabriel Attal et comme un rempart contre « le bloc islamo-gauchiste » (Le Figaro, 16 juin 2024) qui menace, selon lui, la France. A droite, les lignes bougent, au-delà de la volte-face d’Eric Ciotti. François-Xavier Bellamy, la tête de liste aux européennes, sans approuver une alliance LR-RN, indique qu’en cas de second tour LFI/RN il voterait « bien sûr » pour le candidat de droite. Des personnalités publiques comme Serge Klarsfeld, qui a combattu les nazis et leurs soutiens toute sa vie, se prononcent dans le même sens (LCI, 15 juin 2024), au nom de l’antisémitisme qu’incarne aujourd’hui LFI. Les médias d'information de Vincent Bolloré (CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche...), qui promeuvent depuis longtemps une alliance des droites, relaient l’idée que le RN est le seul remède contre les excès des Insoumis, et que la droite républicaine doit lui venir en aide.


Le délitement de la vie politique française


La dissolution, loin de permettre pour l'heure la clarification qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux, a accouché d’une campagne violente et caricaturale, où chaque coalition se présente comme un rempart contre les outrances ou les dangers des deux autres. Les délais contraints ne permettent pas de présenter des programmes détaillés et financés, et d’aborder des enjeux centraux : quelle est la position du Front populaire ou du RN sur les questions européennes ou sur l’OTAN ? Le RN entend-il revenir sur la réforme des retraites ? Le Front populaire compte-t-il poursuivre le soutien à l’Ukraine ? Comment Gabriel Attal veut-il financer les mesures annoncées en catastrophe le week-end dernier ?

 

Le pari d’Emmanuel Macron – susciter un rejet des extrêmes pour retrouver une majorité de députés républicains et modérés – semble loin d’être gagné. Le Président se sert de Jean-Luc Mélenchon et de Jordan Bardella comme d’épouvantails, mais il en est devenu un lui aussi. Ces élections anticipées sont en effet perçues par nombre de citoyens comme un moyen d’abréger le mandat d’un Président qui agace et ne convainc plus, afin de le contraindre à se replier sur son domaine réservé (Europe et international) ou à démissionner.

 

Certains prédisent la disparition du centre macroniste, incongruité née de la situation politique très particulière de 2017, et le retour à la bipolarisation de la vie politique française qui était le projet de la Cinquième République. On voit cependant émerger une bipolarisation d’un nouveau type, qui n’est pas dominée comme par le passé par les partis modérés – le PS à gauche et LR à droite – mais par les extrêmes, et qui engendre un débat politique fruste, essentiellement fondé sur le rejet des adversaires. Si un camp l’emporte, le pays retombera immédiatement dans une agitation sociale extrême. Si aucune majorité ne se dégage le 7 juillet, on voit mal comment les forces politiques en présence pourraient s’entendre pour participer à un gouvernement d’union nationale. Le remède de la dissolution pourrait s'avérer pire que le mal.   

 

Olivier Costa

Dernière mise à jour : 29 sept.

Dimanche soir, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a occulté en France les résultats des élections européennes. Pourtant le scrutin est riche d’enseignements et aura un impact sur les activités de l’Union pour les cinq prochaines années.

Voici les six éléments à retenir.



1.     UNE PARTICIPATION EN HAUSSE

 

Les élections européennes confirment d’abord l’intérêt qu’elles suscitent auprès des citoyens. La participation s’élève, à l’échelle de l’Union, à 51% en moyenne, en légère hausse par rapport à 2019, avec toujours d’importants écarts nationaux : de 21,3% en Croatie à 89,8% en Belgique – où le vote est obligatoire et où d’autres élections avaient lieu le même jour. En France, elle atteint 51,49 %, là encore en hausse par rapport aux précédentes échéances : 40,6 % en 2009, 42,4 % en 2014 et 50,1 % en 2019. Comme on l’a déjà écrit, il est temps d’en finir avec l’idée que les citoyens ne s’intéressent pas aux élections européennes : elles se sont installées dans le paysage politique et constituent dans nombre d’Etats membres un événement politique majeur. Le fait qu’Emmanuel Macron ait décidé de dissoudre l’Assemblée nationale à la vue des résultats en est la meilleure preuve. Qui aurait imaginé pareille conséquence d’un scrutin européen il y a 20 ans ?


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2.     UN PARLEMENT PLUS A DROITE

 

Le Parlement européen (PE) poursuit l’évolution entamée lors des précédents scrutins, et penche toujours plus à droite, mais il n’y a pas eu de lame de fond. Dans certains pays – comme la France, l’Autriche, les Pays-Bas ou l’Allemagne – les partis d’extrême-droite ont réalisé des scores historiques, mais ce n’est pas le cas partout. En Italie, le total des députés d’extrême-droite décline (40, contre 43 en 2019), malgré le succès du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. En Pologne, le PiS recule aussi, de 26 à 20 députés. Le reflux est également net au Danemark, en Suède et en Finlande. Ainsi, alors que le PE a gagné 15 sièges, passant de 705 and 720 membres, le groupe ECR (nationalistes eurosceptiques, qui siègent à la droite du PPE, le groupe démocrate-chrétien) ne progresse que de 4 sièges (73) et le groupe ID (extrême-droite) de 9 (58). Ce n’est pas le raz-de-marée que l’on a décrit un peu vite, notamment en France, à la vue des seuls résultats nationaux.



3.     UNE MAJORITE PRO-EUROPEENNE PRESERVEE

 

Les principaux groupes pro-européens – socialistes (S&D), libéraux et centristes (Renew) et démocrates-chrétiens (PPE) – continuent à dominer le PE, avec environ 400 sièges. Le groupe PPE, avec 186 députés, progresse de 10 sièges, ce qui est assez inattendu. Le groupe S&D, qui compte 135 membres, en perd 5, et limite les dégâts. Les groupes S&D et PPE, qui ont longtemps dominé l’assemblée et assuré une forme de cogestion de ses activités, reculent toutefois à nouveau quant à leur poids global au sein du PE : ils comptaient en effet 67% des sièges en 1999, 63% en 2004, 61% en 2009, 55% en 2014, 47% en 2019 (avec les députés britanniques) et un peu moins de 45% désormais.

Le groupe Renew connaît un net recul, notamment en France du fait de la déconvenue de la liste Renaissance. Il passe de 102 à 79 sièges, mais conserve la troisième place au sein du PE. Il ne pourra plus jouer le rôle pivot de « faiseur de majorités » qui était le sien en 2019 ; son influence sera plus réduite encore si le VVD, qui a choisi de gouverner avec le PVV de Gert Wilders aux Pays-Bas, quitte le groupe, comme l’avait exigé Valérie Hayer.

Ces résultats laissent penser que la coalition informelle entre S&D, Renew et PPE, qui dominait le précédent PE, va perdurer. Un temps, les responsables du PPE – notamment le président du groupe, Manfred Weber, et la candidate du PPE à la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen – ont envisagé la possibilité de gouverner avec le groupe ECR, ou une partie de celui-ci. Du côté du groupe ID (extrême-droite, dominé par les élus du RN) on entendait aussi en finir avec le « cordon sanitaire » qui le tient à l’écart de toutes les négociations politiques depuis les années 1980. Mais la majorité préservée de l’alliance S&D, Renew et PPE rend le scénario d’une coalition formelle à droite improbable.

 

Source: PE
Source: PE

4.        UN RECUL DES VERTS

 

Les Verts ont perdu 18 sièges, et n’ont désormais que 53 députés, conséquence d’un déclin particulièrement fort en Allemagne et en France. Ils ont été victimes d’un certain nombre de décisions européennes ou nationales motivées par la lutte contre le dérèglement climatique (prix de l’énergie, fin des moteurs thermiques, remplacement des chaudières fonctionnant avec des énergies fossiles en Allemagne…) et d’une campagne virulente de la part de l’extrême-droite et d’une partie du PPE. Ce dernier, qui avait intégré les préoccupations environnementales en 2019, a fait campagne en présentant les écologistes comme des ennemis politiques. Dans ces conditions, la coopération du PPE avec les Verts, notamment pour l’investiture de la présidente ou du président de la Commission, va être rendue très difficile.

 

5.        QUELLE MAJORITE POUR ELIRE LE PRESIDENT DE LA COMMISSION ?

 

C’est désormais le principal enjeu de la vie politique de l’Union : quel candidat sera capable de trouver 361 voix (la majorité des membres du PE) pour être élu à la présidence de la Commission européenne ? D’un point de vue arithmétique, les groupes S&D, Renew et PPE disposent d’assez de voix pour investir un candidat (autour de 400) mais, en 2014 et en 2019, environ 13% des députés n’avaient pas suivi les consignes de vote de leur groupe, et des surprises sont possibles. Ce scrutin est en effet secret, ce qui permet aux élus d’échapper aux pressions de leur groupe. Ainsi, en 2019, Mme von der Leyen n’avait obtenu que 9 voix de majorité, bien moins qu’espéré.


C’est la raison pour laquelle elle s’est rapprochée de Mme Meloni, qui pourrait lui apporter les 24 voix de Fratelli d’Italia (ECR) en vue d’un second mandat. Mais les groupes S&D, Renew et Verts ont adopté une motion pour affirmer leur refus de collaborer avec le groupe ECR, et certaines délégations du PPE ont exprimé des réticences similaires. C’est le cas des députés de la Coalition civique polonaise, désormais au pouvoir, pour lesquels il est inacceptable de travailler avec le PiS (ECR). Le contexte politique en France rend aussi impossible une coopération entre Renew et le groupe ECR – où les députés Reconquête ! iront siéger. Enfin, le parti Fidesz de Viktor Orban, qui siège pour l’heure chez les non-inscrits après avoir quitté le PPE, pourrait rejoindre les rangs du groupe ECR ; en pareille hypothèse, une collaboration entre PPE et ECR pourrait coûter à Mme von der Leyen plus de voix qu’elle ne lui en rapporterait.

 

6.     DES MAJORITES PLUS DIFFICILES A TROUVER

 

Le problème est plus global, car le PE est plus fragmenté qu’en 2019. Le nombre de groupes n’augmente pas (7, plus les non-inscrits), mais les écarts de taille entre eux se réduisent, ce qui signifie que l’obtention de majorités devient plus complexe. Avant 2014, il suffisait en effet aux groupes S&D et PPE de s’entendre ; depuis 2019, ils sont contraints de négocier avec d’autres groupes pour assurer leurs arrières (Renew, Verts, GUE). A présent, les configurations seront encore plus instables. Au PE, les textes ont toujours été adoptés à l’issue de négociations au cas par cas, avec des dynamiques variables selon les sujets. Toutefois certaines configurations étaient récurrentes, ce qui accélérait l’obtention de majorités. Par exemple, les groupes pro-européens s’entendaient aisément pour unir leurs voix sur les questions socio-économiques, institutionnelles et internationales, mais d’autres majorités émergeaient souvent sur les questions de société, le budget ou la protection de l’environnement. Les choses seront encore plus complexes à l’avenir. On peut s’attendre à ce que les députés de droite (PPE, ECR, ID), qui ont déjà voté en commun sur certains textes dans le précédent PE, unissent leurs forces sur des sujets pour lesquels leurs vues sont proches, tels que l’immigration, la politique environnementale ou les questions de société. Les lobbies de l’industrie et de l’énergie seront sans doute à la manœuvre pour tirer parti de cette situation, et notamment pour rogner les ailes du Green Deal.

 

LES PROCHAINES ETAPES...

Les choses vont se clarifier assez rapidement. Du 13 au 15 juin, les chefs d’Etat ou de gouvernement français, allemand et italien, de même que les présidents de la Commission et du Conseil européen, se retrouveront pour le G7, et pourront commencer à évoquer la question des « top jobs » : présidences de la Commission et du Conseil européen, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, et, possiblement, vice-présidences exécutives de la Commission. Il s’agira de trouver un équilibre politique et géographique. Le Conseil européen se réunira de manière informelle le 17 juin, pour analyser les résultats des élections, définir son « Agenda stratégique » – document destiné à influencer le programme de la future Commission – et réfléchir aux nominations. Le nom des candidats pourrait être annoncé à l’issue du Conseil européen des 27 et 28 juin ; dans ce cas, le PE pourra se prononcer sur le nouveau leader de la Commission dès sa session constitutive, le 15 juillet. Dans le cas contraire, les nominations pourraient attendre la rentrée, afin de trouver un accord global pendant l’été et de s’assurer de l’existence d’une majorité au PE.


Olivier Costa




Dernière mise à jour : 29 sept.

A la surprise générale, Emmanuel Macron a annoncé dimanche soir sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, en conséquence des piètres résultats de la liste de son parti aux élections européennes (14,9%) et du succès inédit de celle du RN (31,7%), dans un contexte de participation très honorable (52,5%, contre 46,9% pour les élections législatives de 2022). L’article 12 de la Constitution dispose en effet que « le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. » Mais pour quelles raisons Emmanuel Macron a-t-il pris cette décision inattendue et subite ? Avançons trois hypothèses.


Première hypothèse : l’ego. Le Président, qui ne voulait pas se mêler des européennes et avait fait le choix d’une liste composée d’un grand nombre de députés européens sortants, ayant fait leurs preuves au Parlement européen et parlant exclusivement de questions européennes, y a été néanmoins contraint par le manque d’allant de la campagne de Valérie Hayer. Au soir de l’élection, il est évidemment affecté par le mauvais résultat de la liste Renaissance, qu’il a lourdement parrainée. Emmanuel Macron, qui a construit sa carrière sur une série de coups politiques, persiste et signe : il ne veut pas présider jusqu’en 2027 en portant la responsabilité de ce résultat désastreux et prend donc l’initiative de dissoudre l’Assemblée nationale. Il entend montrer qu’il reste seul maître à bord, qu’il décide du cap et du rythme, et qu’il ne craint pas les défis.

 


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Deuxième hypothèse : le calcul. Ayant changé de Premier ministre et de gouvernement en janvier 2024, il n’avait pas de réponse à apporter au coup de semonce des européennes et redoutait le ralliement des Républicains aux députés de la Nupes et du RN pour voter la censure. La seule réaction à celle-ci, compte tenu de l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, aurait été la dissolution. Pour prendre de court les oppositions, il choisit de dissoudre sans attendre. En optant pour un calendrier très serré, il sème la zizanie dans la Nupes : en vue de la répartition des circonscriptions, LFI fera sans doute valoir le score de J.L. Mélenchon en 2022, tandis que le PS se targuera du sien aux européennes ; et tous deux seront impitoyables avec les Écologistes. Dans ce contexte, on peut anticiper des candidatures multiples à gauche. En outre, là où il n’y a pas de député Renaissance sortant, le Président a laissé entendre qu’il appellerait à voter pour le candidat de « l’arc républicain » le mieux placé, ce qui est évidemment une invitation à la politesse inverse. Emmanuel Macron fait le pari d’un grand nombre de seconds tours Renaissance-RN, et compte sur un report des voix des forces républicaines sur ses candidats. Il y a certes le risque de triangulaires entre la gauche, Renaissance et le RN, mais il faut pour cela réunir 12% des inscrits, ce qui représente 24% des votants avec une participation à 50%. Sauf à présenter des candidats uniques, il est peu probable que la gauche puisse accéder massivement au second tour.

 

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Troisième hypothèse : la politique du pire. Le Président prend le risque d’aboutir à une majorité d’extrême-droite le 7 juillet. Dans ce cas, il se trouverait en situation de cohabitation avec un gouvernement dominé par le RN, et quelques possibles alliés à la droite de l’échiquier politique. Il pourrait trouver cela acceptable personnellement, en se repliant sur les questions européennes et internationales comme l’avaient fait François Mitterrand et Jacques Chirac en leur temps. Il pourrait aussi juger cela stratégique, pour laisser aux citoyens le temps d’apprécier les renoncements et les défaillances de l’extrême-droite au pouvoir, et démontrer que, somme toute, un gouvernement modéré est préférable. Car, même si Emmanuel Macron ne pourra pas être candidat à sa succession en 2027, il souhaite évidemment l’élection d’un allié, et se souvient que la cohabitation avait permis la réélection de François Mitterrand en 1988 et celle de Jacques Chirac en 2002.

Dans tous les cas, le Président est seul à contrôler le calendrier et à ne pas prendre de risque dans cette aventure : les députés de la majorité vont remettre en jeu leur mandat, trois ans avant son terme ; le gouvernement sera, dans tous les cas, amené à démissionner ; mais le Président restera à l’Élysée jusqu’en 2027. Il peut, en outre, s’abriter derrière une double justification. Celle, d’abord, d’être à l’écoute des citoyens : la majorité présidentielle a été désavouée ? Qu’à cela ne tienne, il redonne la parole aux citoyens en convoquant des élections législatives. Le calendrier est très serré ? Compte tenu de la difficulté d’organiser un scrutin le jour de la fête nationale, et de l’obligation faite par l’article 12 de la Constitution de tenir les élections dans un délai de 20 à 40 jours après la dissolution, les dates du 30 juin et du 7 juillet s’imposent à lui.

 

A l’issue des élections européennes, le RN est sans conteste le premier parti de France, avec un score plus de deux fois supérieur à celui de Renaissance, alors que les deux formations étaient au coude-à-coude en 2019 (23,30% pour le RN contre 22,40% pour Renaissance). Mais les élections européennes ont toujours été propices au vote sanction et au succès des partis protestataires. Emmanuel Macron compte sans doute sur la prudence des électeurs, qui ne voient pas de risque à expédier des bataillons de députés du RN siéger à Strasbourg, mais réfléchiront peut-être à deux fois avant d’envoyer à Matignon un responsable politique aussi inexpérimenté que Jordan Bardella. Le Président a d’ailleurs insisté sur le désordre qui règne à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de 2022, et sur la nécessité de disposer d’une majorité claire à l’appui de son action. En somme, il parie une fois de plus sur l’attachement des électeurs français à l’ordre plutôt qu’à l’aventure. Mais, cette fois-ci, cela va-t-il suffire ?


Olivier Costa


Post repris sous forme de tribune par La Croix (12 juin 2024)

 

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