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Aucune majorité ne se dégagerait aux législatives avec le mode de scrutin en vigueur

Dernière mise à jour : 29 sept.

Tribune publiée par Le Monde (papier et web), le 29 août 2025



En juin 2024 Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale et appelé les citoyens à « clarifier » la situation politique du pays. Ce fut un échec, car la nouvelle chambre était encore plus fragmentée que la précédente. Depuis, le pays se heurte à l’existence de trois forces politiques (gauche, centre et droite, extrême-droite) dont aucune n’a la majorité et qui refusent de coopérer entre elles. Aujourd’hui, de nombreux responsables politiques et de commentateurs estiment que si le gouvernement Bayrou tombe le 8 septembre, il faudra dissoudre à nouveau pour opérer la « clarification » nécessaire.

 

Pourtant, il n’y aucune raison pour que les citoyens donnent une majorité à l’un des trois camps, car ils ne délibèrent pas pour se mettre d’accord. Les membres d’une assemblée ou les leaders des partis peuvent clarifier une situation politique en négociant un compromis, mais les citoyens n’ont aucun moyen de définir une stratégie collective en vue d’une élection. On peut les forcer à faire des choix, comme pour l’élection présidentielle : il n’y a qu’un poste à pourvoir, et on limite même le nombre de candidats à deux au second tour, afin que le vainqueur ait une majorité absolue. Il en va de même lors d’un référendum : on oblige les citoyens à se prononcer pour ou contre une mesure, de sorte qu’une majorité s’exprime. On peut également donner à la liste arrivée en tête d’une élection une « prime majoritaire », pour qu’elle ait les moyens de gouverner, comme on le fait pour les municipales et les régionales.

 

En revanche, il est improbable qu’une majorité émerge aux législatives dans le contexte politique actuel et avec le mode de scrutin en vigueur. Dans une élection, il n’y a jamais d’épiphanie, de moment de grâce où des électeurs très divisés décident que, tout bien considéré au terme de la campagne, tel parti mérite une large majorité. Quand il existe deux forces politiques principales, comme ce fut longtemps le cas en France, la majorité peut basculer au terme de la campagne électorale, mais c’est inenvisageable lorsque le paysage politique est plus fragmenté. En Espagne, en Grèce, en Italie et en Bulgarie, les citoyens sont souvent appelés aux urnes de manière répétée quand il est impossible de former un gouvernement. Mais ces scrutins n’opèrent jamais de clarification radicale : au mieux, ils poussent les partis à se montrer plus conciliants dans la conduite des négociations pour surmonter la crise.

 

Si le gouvernement chute, Emmanuel Macron sera tenté de dissoudre à nouveau et d’adopter le narratif de François Bayrou : celui d’un centre et d’une droite désireux d’éviter la faillite au pays, aux prises avec une gauche et une extrême-droite insensibles à cet enjeu, et d’un appel aux électeurs à clarifier la situation. Mais on voit mal les citoyens considérer que seul le camp présidentiel se soucie des finances de la France, et lui donner en conséquence une majorité. Pour sortir de la crise, certains exigent une démission du Président, avec l’idée que son successeur obtiendrait une majorité à l’Assemblée. En 2002, les tenants de l’inversion du calendrier électoral considéraient en effet que les résultats des présidentielles seraient mécaniquement confirmés lors des législatives, en raison de la dynamique politique. Mais rien n’est moins sûr, comme on a pu le constater en 2022, et aucun candidat à l’Élysée ne semble aujourd’hui capable de susciter l’élan nécessaire.

 

La solution est le passage à la proportionnelle. En effet, si les citoyens sont incapables de faire émerger spontanément une majorité, les partis peuvent en négocier les termes. Pour l’heure, le scrutin uninominal les pousse à forger des alliances avant les élections, afin de limiter le nombre de candidats ; mais une fois le scrutin passé, ils en sont prisonniers et ne peuvent négocier avec les autres camps. Avec la proportionnelle, chaque parti pourra concourir sous ses propres couleurs – comme c’est déjà le cas pour les élections européennes. Les négociations s’ouvriront au soir du scrutin pour déterminer quelles formations seront susceptibles de s’entendre pour gouverner. On constate en Belgique, en Allemagne ou au Danemark que ces tractations sont souvent complexes, mais la dramatisation des enjeux et la volonté d’accéder au pouvoir permettent aux négociateurs de s’entendre.

 

Une dissolution, sans évolution du mode de scrutin, aboutirait à répliquer les grands équilibres actuels de l’Assemblée. Les citoyens seraient fondés à penser que les élections ne servent à rien, que les institutions et les partis sont incapables de les représenter, et que le pays est structurellement ingouvernable. Il est grand temps d’abandonner la pensée magique de la « clarification » dans les urnes pour opérer la réforme électorale qui permettra aux partis de négocier pour gouverner.


Olivier Costa

 
 
 

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