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Accord commercial entre l’UE et les USA : une victoire américaine entre trompe-l’œil ?

Article publié dans le mensuel "L'Europe", septembre 2025, n° 4, p. 2

Crédits: Fred Guerdin / European Union, 2025 / EC - Audiovisual Service
Crédits: Fred Guerdin / European Union, 2025 / EC - Audiovisual Service

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison blanche, les Européens attendent avec fébrilité le résultat des négociations commerciales transatlantiques. Un accord a été conclu le 27 juillet 2025 par le Président américain et la Présidente de la Commission. Celle-ci a été largement accusée d’avoir cédé aux exigences américaines afin de mettre un terme à l’incertitude qui taraude les acteurs de l’économie européenne.


Trump pavoise et la Commission tente de se justifier. Mais cet accord est-il vraiment aussi désastreux qu’on le dit ?

 


Un accord objectivement déséquilibré

 

Le contenu même de l’accord diffère selon les sources : déclaration de la Présidente de la Commission du 27 juillet, « fact sheet » de la Maison Blanche du 28 juillet, « explication » de la Commission du 29 juillet... Les points suivants font cependant consensus : taux « maximal unique et global » de 15 % pour les droits de douane perçus par les États-Unis sur les marchandises de l'Union ; absence de droits de douane pour les importations depuis les Etats-Unis ; accès au marché européen de quantités limitées de produits de pêche et agricoles américains ; réduction de certains obstacles non tarifaires (normes automobiles, mesures sanitaires et phytosanitaires) ; « intention » de l’Union d’acheter aux États-Unis de l’énergie pour 750 milliards de dollars dans les 3 ans ; « manifestation d’intérêt » des entreprises de l'Union pour investir au moins 600 milliards de dollars aux Etats-Unis d’ici 2029.

 

L’accord est objectivement défavorable aux Européens. Les Eurosceptiques, qui sont pourtant prompts à récuser la prétention de l’Union à agir au nom des 27, stigmatisent sa faiblesse et estiment que la Présidente de la Commission n’était pas légitime pour conclure cet accord. Les fédéralistes sont déçus par son manque d’audace et son incapacité à surmonter les divisions des leaders européens. Les éditorialistes se désolent de l’image que cet accord donne de l’Union, à l’échelle internationale comme à l’échelle domestique.

 

Depuis les premières menaces de Donald Trump, l’Union annonce pourtant de possibles mesures de rétorsion. Les institutions ont longuement discuté de la possibilité de taxer certaines importations américaines et d’activer l’instrument « anti-coercition » qui permet d’appliquer diverses sanctions à un État tiers inamical. Les négociations avec les Etats-Unis avaient, plus largement, valeur de test pour les déclarations faites ces dernières années au sujet de l’Europe « géopolitique », « puissance » ou « souveraine », capable de défendre ses intérêts, d’assurer son « autonomie stratégique », d’organiser sa réindustrialisation et de prendre soin de sa défense. Rien de tout cela ne s’est concrétisé : la Commission a négocié un accord qu’elle défend avec modestie en indiquant que cela aurait pu être pire.

 

Une négociation délicate

 

De nombreux commentateurs estiment que cette reculade est imputable à la Présidente de la Commission et moquent ses piètres qualités de négociatrice. Ils lui reprochent aussi son atlantisme et sa soumission à sa famille politique, le Parti populaire européen (PPE), qui réunit les démocrates-chrétiens et les conservateurs, et se préoccupe plus de clarifier les règles du jeu auxquelles sont soumises les entreprises exportatrices de l’Union que d’affirmer la « puissance » de celle-ci. Il faut toutefois rappeler le contexte très difficile de la négociation : l’attitude du Président américain, les divisions entre les États-membres, la proximité de certains leaders avec la Maison blanche, les pressions de l’industrie… En l’espace d’un semestre, Donald Trump a bouleversé tous les codes des négociations internationales, laissant ses partenaires – en Europe comme dans le reste du monde – sonnés et perplexes. Il semble prêt à une escalade sans fin des sanctions si ses intérêts politiques l’exigent, et ne se préoccupe pas des conséquences économiques, sociales et géopolitiques des « tariffs » qu’il annonce au gré de ses humeurs. La négociation est fondamentalement asymétrique, car Trump n’est pas accessible aux arguments de droit et de raison, et fait un usage immodéré de la menace et de l’ultimatum. Que son comportement soit guidé par une stratégie précise ou par des lubies, il est aussi difficile de négocier avec lui qu’avec un preneur d’otages. D’ailleurs, aucun pays n’a obtenu un accord satisfaisant, et l’invocation par les eurosceptiques de celui avec le Royaume-Uni fait peu de cas de sa substance.

 

Il faut aussi rappeler qu’Ursula von der Leyen n’a pas décidé unilatéralement du contenu de l’accord : en matière commerciale, la Commission agit sur mandat des États membres, adopté à la « majorité qualifiée » (55% des Etats représentants 65% de la population). Seules la Hongrie et la France étaient hostiles à la ligne proposée ; la Belgique, la Grèce et l’Estonie étaient réservées ; les 22 autres pays la soutenaient. La Hongrie contestait le principe même d’un accord conclu au nom des 27 ; les quatre autres Etats étaient préoccupés par son impact sur leurs filières exportatrices respectives, estimant qu’un bras de fer aurait permis d’obtenir de meilleurs conditions. Dans les 22 pays dont les diplomates avaient approuvé l’accord, des critiques virulentes se sont aussi fait entendre. Mais la Présidente de la Commission bénéficiait de la majorité requise pour négocier au nom des Etats membres.

 

On note aussi que les contempteurs de Mme von der Leyen ont rarement expliqué ce qu’ils auraient fait à sa place et ne se sont pas appesantis sur les conséquences économiques et géopolitiques d’une éventuelle rupture des négociations. Car Donald Trump n'a pas fait mystère, lors du sommet de l’OTAN des 24 et 25 juin 2025, de sa volonté de lier commerce et sécurité : pas d’appui militaire sans accord commercial. En outre, si les négociations commerciales avaient échoué, quelles auraient été les conséquences de taxes douanières de 30% ou plus ?

 

Une Union européenne « puissance », qui peine à s’affirmer

 

La situation de l’Union est paradoxale. Elle est critiquée de toute part, mais un nombre croissant de citoyens appellent de leurs vœux une Europe plus unie, plus ambitieuse et plus forte. En effet, les relations entre les blocs se tendent, et la logique du multilatéralisme, du respect de la chose signée et de la coopération loyale entre les nations est en berne. Les négociations avec Donald Trump auraient pu être l’occasion pour l’Union de s’affirmer davantage à l’échelle globale, mais l’intendance aurait-elle suivi les postures ? Comment s’accommoder de la présence, autour de la table du Conseil européen, de plusieurs responsables politiques inféodés au Président Trump, d’autres qui paniquent à l’idée de perdre le parapluie nucléaire américain, et d’autres encore qui sont obnubilés par leurs exportations ?

 

Il faut aussi rappeler que Mme von der Leyen et M. Trump n’ont échangé qu’une poignée de main, et n’ont rien signé : c’est un accord politique, un engagement non contraignant des deux parties à prendre un certain nombre de décisions unilatérales. Il pourrait revêtir la forme d’un traité, mais dans ce cas, il devrait être négocié en détail, avec un mandat précis du Conseil, ratifié par celui-ci à la majorité qualifiée, et approuvé par le Parlement européen. Si l’accord intégrait des éléments qui relèvent des compétences des États, il réclamerait même un vote à l’unanimité du Conseil et la ratification par les 27 parlements nationaux : le risque d’échec serait alors considérable. Pour l’heure, l’accord repose donc sur de nombreuses formules vagues et promesses verbales. Sur les questions d’achat d’énergie ou d’armes, et d’investissements, Mme von der Leyen n’avait ni mandat, ni capacité juridique à s’engager. En somme, elle s’est prononcée sur des enjeux qui ne relèvent pas de ses compétences afin de complaire aux demandes de M. Trump.

 

Un bon calcul à moyen terme ?

 

Dans un océan de commentaires sceptiques, sarcastiques ou défaitistes, il y a donc des raisons d’espérer que cet accord se révèle moins mauvais qu’il ne paraît. D’abord, on peut penser qu’Ursula von der Leyen a pris Donald Trump à son propre piège, le laissant célébrer une victoire qui repose en large partie sur de vagues promesses. Ensuite, si certains considèrent que ce deal symbolise l’absence d’Europe politique, il démontre aussi sa nécessité et donne du temps aux 27 pour l’organiser. Ces négociations atypiques prouvent qu'en effet l’Union ne peut plus compter sur les Etats-Unis – du moins tant que D. Trump ou J.D. Vance sera à la Maison-Blanche –, que les intérêts et conceptions des Américains et des Européens ne coïncident plus, et que la Maison-Blanche considère l’Union comme une organisation ennemie.

 

Les institutions de l’Union et les États membres doivent donc déployer des stratégies à moyen et long terme pour limiter leur dépendance vis-à-vis des Etats-Unis – qu’il s’agisse de commerce, d’énergie ou de sécurité – et défendre des valeurs et objectifs auxquelles le Président américain ne souscrit plus. L’Union pourrait profiter de ce tournant dans les relations internationales pour prendre la tête d’une coalition d’États désireux de préserver et promouvoir les principes du multilatéralisme, à rebours des conceptions qui dominent désormais aujourd’hui à Washington, à Moscou et à Pékin. Olivier Costa olivier.costa@cnrs.fr

 
 
 

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