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50 ans de relations Chine-Europe : vers une relance des négociations ?

Dernière mise à jour : 29 sept.

Les foucades de Donald Trump et le protectionnisme américain affectent l’économie mondiale. Mais ils engendrent aussi une crise, possiblement salutaire, qui appelle les grandes puissances à reconsidérer leurs alliances et leurs priorités, ainsi que la dépendance dans laquelle beaucoup se trouvent vis-à-vis des Etats-Unis – du point de vue de la sécurité, du commerce ou des nouvelles technologies. Est-ce l’occasion pour l’Union et la Chine de raviver leurs liens, amorcés il y a exactement 50 ans ? Est-il possible de surmonter les obstacles qui ont conduit en 2021 à un gel des négociations entre les deux blocs ? Cette relation peut-elle être équilibrée ?



Ces derniers mois, les réseaux sociaux ont largement fait circuler une lettre, supposément adressée par la Présidente du Mexique Claudia Sheinbaum à Donald Trump, faisant valoir que les 7 milliards d’habitants de la planète qui ne sont pas citoyens américains peuvent trouver les moyens de commercer et de dialoguer entre eux, et se passer ainsi des services et des produits des Etats-Unis.

 

Lettre apocryphe de Claudia Sheinbaum à Donald Trump
Lettre apocryphe de Claudia Sheinbaum à Donald Trump

La lettre est apocryphe, mais son succès a montré que les citoyens des pays visés par les emportements du Président américain sont prêts à se mobiliser pour boycotter les Etats-Unis et trouver des alternatives. Mais la tâche n’est pas simple. Si l’on peut décider du jour au lendemain de préférer d’autres marques que Tesla, Nike ou Coca-Cola, ou aller en vacances dans un autre pays, on ne peut pas reconfigurer facilement les chaînes d’approvisionnement et réviser une stratégie commerciale et diplomatique établie depuis la seconde guerre mondiale. En outre, dans la mesure où les Etats-Unis comptent pour plus du quart du PIB mondial et pour la majeure partie du commerce de l’Union, il est difficile de prétendre y substituer à court terme d’autres partenaires commerciaux.

 

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C’est pourtant dans cet esprit que la Présidente de la Commission européenne a signé le traité de libre-échange avec le Mercosur en décembre dernier et relancé les négociations avec d’autres puissances (Malaisie, Mexique, Australie, Philippines, Indonésie…). Elle entend aussi diversifier les chaines de valeur et d’approvisionnement de l’Union, et développer ses capacités propres, par exemple dans le domaine des terres rares. Mais quelle peut être la place de la Chine dans ces évolutions ?

 

Des relations complexes et tendues

 

D’un point de vue stratégique, l’Union européenne considère la Chine tout à la fois comme un partenaire, un concurrent économique et un rival systémique. C’est un partenaire sur des enjeux globaux comme le climat, la santé publique ou la non-prolifération nucléaire, problématiques communes aux deux blocs. C’est aussi un concurrent économique redouté, dans des domaines tels que les nouvelles technologies, l’industrie verte, l’automobile et l’intelligence artificielle. Enfin, c’est un rival systémique, car l’Union et la Chine ont des conceptions divergentes de la gouvernance mondiale, des droits humains et des valeurs démocratiques. La Chine est néanmoins l’un des principaux partenaires commerciaux de l’UE : en 2023, les échanges bilatéraux dépassaient 850 milliards d’euros. Et ils vont probablement s’intensifier car, malgré ses difficultés actuelles, l’économie chinoise est en plein développement et reste la locomotive de la croissance mondiale.

 

Principaux contributeurs à la croissance mondiale  
Principaux contributeurs à la croissance mondiale  

Mais les responsables des institutions européennes estiment que la relation n’est pas satisfaisante : ils critiquent l’accès limité à certains marchés chinois, se préoccupent de la dépendance de l’Union à des importations stratégiques – tels que les terres rares et les panneaux solaires – et dénoncent les subventions de l’État chinois à certains secteurs. Depuis 2023, la Commission européenne a ainsi lancé plusieurs enquêtes, notamment sur les véhicules électriques chinois, soupçonnés de bénéficier d’aides publiques déloyales.

 

Les relations UE-Chine sont aussi perturbées par quelques dossiers sensibles. Il y a celui, ancien, des droits humains, et notamment de la répression au Xinjiang. Il y a la situation de Hong Kong et celle de Taiwan. Des tensions découlent aussi des mesures prises par l’Union à l’égard des entreprises chinoises impliquées dans les infrastructures de téléphonie mobile 5G, en particulier vis-à-vis de Huawei. Enfin, il y a le positionnement de la Chine face à la guerre en Ukraine ; Pékin maintient une position officielle de neutralité, mais est soupçonné en Europe de soutenir son allié historique.

 

Le gel de l’Accord global sur les investissements

 

Ces tensions ont conduit les négociations de l’Accord global sur les investissement (CAI : Comprehensive Agreement on Investment) dans l’impasse. Ce traité visait à faciliter l’accès réciproque aux marchés, à améliorer la transparence des règles qui s’imposent aux entreprises chinoises en Europe et inversement, et à protéger les investissements des uns et des autres. Les négociations, lancées en 2013, ont abouti à la signature d’un texte fin 2020, sous la pression de la présidence du Conseil allemande, qui tenait à boucler ce dossier. Le processus de ratification s’est toutefois heurté à l’hostilité du Parlement européen. Celui-ci a en effet formulé de vives critiques quant à la violation des droits humains au Xinjiang, critiques auxquelles les autorités chinoises ont répliqué en interdisant de séjour en Chine 10 députés européens, universitaires et représentants des institutions européennes. En conséquence, le Parlement européen a suspendu tout dialogue officiel avec Pékin.

 

Formellement, le CAI existe toujours, mais il n’est plus considéré comme viable. Ainsi, la carte des accords commerciaux de l’Union produite par les services de la Commission n’y fait plus référence depuis cette année ; la Chine n’appartient plus à la catégorie (jaune) des pays avec lesquels des négociations sont en cours.

 


Carte des accords commerciaux de l'UE (source: Commission européenne 2025)
Carte des accords commerciaux de l'UE (source: Commission européenne 2025)

 

Les avis sur cet accord sont très partagés. Ils le sont, plus largement, sur la stratégie de libre-échange de l’Union en général ; les controverses ne sont pas moindres sur les relations avec le Canada et le Mercosur. Les partisans du CAI vantent l’accès accru pour les entreprises européennes à certains secteurs chinois (automobile, santé, services financiers, cloud), qu’il s’agisse d’investir le marché domestique chinois ou de produire en Chine à destination du reste du monde. Ils soulignent les engagements chinois sur la transparence des subventions et le respect du droit du travail, et la protection juridique des investissements étrangers. Les opposants à l’accord estiment pour leur part qu’il procure plus d’avantages pour la Chine à court terme, que les garanties sont insuffisantes s’agissant des droits de l’homme et des libertés syndicales, et que le contexte global des relations entre la Chine et l’UE ne se prête plus à un accord. Ils estiment que la priorité doit être désormais au « dé-risking » économique, c’est-à-dire à la limitation de la dépendance vis-à-vis de partenaires donnés, et qu’il faut renforcer les mécanismes de contrôle des investissements entrants et sortants.

 

De profondes divisions d’approche

 

La possibilité d’une relance des négociations avec la Chine est dépendante de l’émergence d’un consensus au sein du Conseil européen et du Parlement européen (PE). Pour l’heure, les États membres comme les groupes politiques sont divisés, et prônent trois approches distinctes.

 

Il y a d’abord les tenants d’une ligne dure (France, Lituanie, Tchéquie) qui plaident pour plus de fermeté vis-à-vis de Pékin. C’est aussi le cas au PE du groupe des Verts/ALE, qui est particulièrement sévère sur les droits humains et l’environnement, et demande des mesures fortes pour éviter la dépendance stratégique de l’Union et préserver la sécurité des données informatiques. La gauche (groupe GUE/NGL) partage ce point de vue critique, mais éreinte aussi la politique extérieure de l’Union, jugée néocoloniale, et rejette le concept même de libre-échange au bénéfice d’une conception multipolaire du monde.

 

D’autres pays (Allemagne, Hongrie) privilégient la stabilité commerciale et la coopération pragmatique, et se préoccupent davantage d’enjeux commerciaux (exportations en Chine, investissement chinois sur leur sol). Au PE, cette ligne est défendue par le groupe PPE (démocrates-chrétiens) : il critique certes les entorses faites aux droits humains et se soucie des ingérences chinoises, mais reste favorable au libre-échange, à la condition de règles plus équitables et de davantage de réciprocité.

 

Un dernier groupe comprend les partisans du « dé-risking », qui entendent que l’Union réduise sa dépendance vis-à-vis de la Chine et veille à son autonomie stratégique, sans pour autant rompre les liens économiques avec Pékin. Au PE, cette ligne est celle des groupes S&D (socialistes) et Renew (centristes et libéraux). Ils sont préoccupés par le dossier des droits et libertés et, en matière économique, sont critiques des pratiques de dumping et de travail forcé. A ce titre, ils ont joué un rôle-clé dans le blocage du CAI au Parlement européen en 2021. C’est, dans l’ensemble, la position des groupes de la droite radicale et eurosceptique, qui ont toutefois – en cette matière comme en bien d’autres – des positions complexes et fragmentées. Ils se préoccupent peu de la question des droits humains, mais voient la Chine comme une menace stratégique. D’un point de vue économique, ils sont favorables au protectionnisme. Enfin, ils tendent à s’aligner sur l’hostilité des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine – notamment depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Certains partis, comme le Rassemblement national en France ou Fidesz en Hongrie sont néanmoins particulièrement conciliants avec les autorités chinoises. 

 

Quelles perspectives pour les relations entre Chine et Europe ?

 

Malgré le blocage persistant du dossier CAI, plusieurs raisons laissent penser qu’une évolution est envisageable à court ou moyen terme.

 

D’abord, dans le contexte des tensions croissantes avec les Etats-Unis, l’Union et la Chine ont toutes deux besoin de nouveaux partenariats. Ce sont des économies dont la prospérité repose sur les exportations, et qui dépendent des importations pour certains biens et services. Il leur est impossible d’atteindre à moyen terme une forme d’autosuffisance dans nombre de domaines, et leur marché intérieur ne peut absorber toute leur production. En outre, dans les négociations avec les Etats-Unis l’invocation d’un tierce partie (l’Union pour la Chine, et inversement) peut s’avérer précieux. Pour l’Union, renouer avec Pékin, c’est signifier à l’administration Trump qu’elle n’est pas incontournable et qu’elle n’est pas en situation d’imposer unilatéralement ses conditions. Ce serait tout particulièrement le cas si l’Union et la Chine alignaient leurs positions sur un dossier donné. L’analyse vaut aussi pour les négociateurs chinois, qui chercheront sans doute à s’appuyer sur l’Union européenne dans leurs contacts avec l’administration américaine.




En deuxième lieu, on note un affaiblissement des forces politiques les plus hostiles à la Chine, notamment à l’issue des élections européennes de juin 2024, qui se sont traduites par un net recul des Verts et des Libéraux et, dans une moindre mesure, des socialistes. A l’inverse, les partis favorables à un renforcement des liens avec la Chine et à plus de pragmatisme économique ont le vent en poupe, au PE comme au Conseil européen. Plusieurs leaders nationaux de la droite radicale – notamment Viktor Orban – sont en effet très investis dans des relations bilatérales avec la Chine.

 

Il faut, en troisième lieu, noter une certaine désescalade. Le 8 avril 2025, la présidente von der Leyen s'est entretenue au téléphone avec le Premier ministre chinois Li Qiang. Le 6 mai, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a annoncé que la Chine et le Parlement européen avaient convenu de lever simultanément les restrictions sur leurs échanges, et s’accordaient sur l’importance de renforcer le dialogue et la coopération entre la Chine et l’Union. Les dirigeants de l’UE sont d’ailleurs attendus à Pékin fin juillet pour un sommet avec le président Xi Jinping, à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux blocs.

 

On note enfin une évolution des opinions publiques. L’image de la Chine s’améliore mécaniquement à mesure que celle des Etats-Unis et de la Russie se dégradent. Les citoyens, même peu au fait des enjeux géopolitiques du moment, comprennent que la prospérité économique de l’Union dépend de sa capacité à commercer à l’échelle globale, et qu’il convient de développer de nouveaux partenariats en ce sens. La carte ci-dessous atteste de l’évolution en cours. En rouge figurent les pays dont les citoyens ont une meilleure image de la Chine que des Etats-Unis. On voit que l’atlantisme régresse fortement en Europe, ce qui crée un contexte positif pour la reprise des négociations avec la Chine.

 

Popularité relative Chine - Etats-Unis à travers le monde (2025)
Popularité relative Chine - Etats-Unis à travers le monde (2025)

Une forme de réalisme politique émerge, dans les institutions européennes comme dans l’opinion. Elle tend à considérer que l’Union ne peut pas prétendre dialoguer uniquement avec des pays dont le régime est pleinement démocratique, car leur nombre se réduit chaque année... Face à la dérive politique en cours aux Etats-Unis et à l’agressivité de la Russie, face aussi à la situation à Gaza, aux vives tensions entre l’Inde et le Pakistan, et à l’hostilité croissante de nombreux pays africains à l’égard de l’Union, les Européens pourraient être amenés à réviser leur position sur la Chine.


Olivier Costa - olivier.costa@cnrs.fr

 
 
 

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