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Tesla, une faillite politique?

Photo du rédacteur: Olivier CostaOlivier Costa

Mardi 11 mars, Donald Trump a organisé à la Maison Blanche un happening publicitaire pour encourager les Américains à acheter davantage de Tesla. Face à la dégringolade de l’action et des ventes du constructeur, le Président américain a dénoncé le « boycott illégal » qu’organisent ceux qui n’apprécient pas les actions et propos d’Elon Musk – qu’il s’agisse de la réduction des dépenses fédérales, de son soutien à diverses formations d’extrême-droite par le monde, de son aversion pour les minorités ou de sa gestuelle évocatrice. Il est cependant peu probable que les ennuis de Tesla cessent, car ce boycott est d’une nature inédite. Et le soutien de Donald Trump à Elon Musk est sans doute plus un baiser de la mort qu’une main secourable...



Présentation de la gamme Tesla à la Maison blanche, le 11 mars 2025
Présentation de la gamme Tesla à la Maison blanche, le 11 mars 2025

Le phénomène Tesla

 

Tesla est un phénomène unique dans l’industrie automobile. En partant de rien et en étant le premier constructeur à investir massivement – avec beaucoup d’audace et un certain sens du marketing – le créneau de la voiture électrique, Tesla a connu un succès insolent, notamment en bourse. Par sa capitalisation, la marque d’Elon Musk est devenue de très loin le premier constructeur automobile, sans que cela ait le moindre rapport avec ses résultats ou ses chiffres de production.

 

 

Capitalisation boursière des constructeurs automobiles, 13 décembre 2024
Capitalisation boursière des constructeurs automobiles, 13 décembre 2024

Ainsi, fin 2024, Tesla présentait une valorisation boursière de 1.500 milliards de dollars, soit 57% de l’ensemble du secteur. Pourtant, Tesla n'est que le 11° constructeur par le chiffre d'affaires et n’a vendu en 2024 que 1,8 million de véhicules – contre 11,2 millions pour Toyota, qui n'est capitalisé qu'à 231 milliards. En somme, Tesla est 40 fois plus valorisé par véhicule vendu que Toyota.



Chiffre d'affaires des constructeurs au premier trimestre 2024
Chiffre d'affaires des constructeurs au premier trimestre 2024

Cette disparité est le signe d’une situation boursière déconnectée des performances effectives de l’entreprise, car fondée sur les anticipations de l’évolution du marché automobile à moyen terme, de l’arrivée de la conduite autonome et de la fin des moteurs thermiques. Fort de ce succès, Elon Musk est devenu l’homme le plus riche du monde, avec une fortune atteignant 462 milliards de dollars en décembre 2024. C'est ce que gagnerait un smicard en 27 millions d’années de travail. Cette somme permettrait de tapisser l'intégralité du département des Alpes Maritimes avec des billets d'un dollar...

 


L’effondrement des ventes et du cours de l'action

 

Depuis l’entrée en fonction d’Elon Musk au DOGE, les ventes de Tesla s’effondrent un peu partout dans le monde : moins 30, moins 50, moins 80% selon les pays. Des concessions ferment, des possesseurs de Tesla bradent leurs véhicules, et l’entreprise perd désormais des fortunes. La valeur boursière de Tesla a fondu de 800 milliards de dollars en trois mois – chiffre totalement inédit dans l’histoire du capitalisme.

 


Cours de l'action Tesla depuis six mois
Cours de l'action Tesla depuis six mois

Les experts estiment qu’il ne faut pas sauter aux conclusions, et que plusieurs phénomènes expliquent cette contre-performance, selon eux passagère : l’attente de nouveaux modèles Tesla, le refroidissement du marché des voitures électriques, l’anticipation par les clients de baisses de prix, la montée en puissance des concurrents européens et chinois…

 

Il faut cependant se rendre à l’évidence : cette chute est tellement vertigineuse qu’elle ne peut être sans rapport avec le comportement d’Elon Musk et les décisions qu’il prend chaque jour au sein de l’administration Trump. En 2024, les sondages indiquaient que 9 conducteurs de Tesla sur 10 n’envisageaient pas d’acheter une autre marque. Posséder une Tesla, c’était comme avoir un Mac : une sorte de religion, qui impliquait de l’exclusivité. Beaucoup de propriétaires de Tesla pouvaient parler des heures durant de leur véhicule et des choix disruptifs opérés par le constructeur. Mais le vent a tourné. Les consommateurs affirment désormais se défier de Musk comme de Tesla, et les possesseurs de ces véhicules craignent d’être stigmatisés ou harcelés, et de faire les frais d’un effondrement du marché de l’occasion.

 


Les critiques d’Elon Musk sont-ils tous des jaloux ?

 

Sur les réseaux sociaux, quiconque critique Elon Musk est immédiatement accusé d’être un jaloux, un technophobe ou un gauchiste. De manière plus constructive, certains font valoir qu’on ne juge pas l’évolution de la bourse sur deux mois et que le succès boursier de Tesla n’est pas irrationnel, car nourri par des perspectives de développement riantes — nouveaux modèles, Robotaxis et technologie de conduite autonome complète (FSD). L’élection de Donald Trump avait en outre accru l’engouement pour la marque : l’influence d’Elon Musk à la Maison blanche devait lui permettre d’obtenir de nouveaux marchés publics (les coupes dans le budget fédéral devant épargner Tesla, SpaceX et Starlink) et de se débarrasser des normes de sécurité qui brident le développement de ses projets.



Elon Musk lors de l'investiture de Donald Trump
Elon Musk lors de l'investiture de Donald Trump

Musk ne s’est en effet jamais soucié de sécurité. Sa désinvolture en la matière fait même partie de sa stratégie de conquête spatiale: il sacrifie des lanceurs en phase de mise au point plutôt que de les fiabiliser en bureau d’études, et laisse les satellites Starlink retomber dans l’atmosphère sitôt devenus obsolètes. Il a géré X sans davantage de prudence, préférant voir les usagers partir par millions plutôt que d’entendre leurs récriminations. Il y a aussi 10 fois plus d’accidents du travail chez Tesla que chez les autres constructeurs automobiles. Le succès d'Elon Musk, indispensable à la conquête de Mars et au sauvetage de l'humanité, ne saurait s’embarrasser de normes et d’atermoiements.

 


Débris d'une fusée Starship
Débris d'une fusée Starship

 

Tesla : une image durablement ternie

 

Musk a d’abord nié tout problème, mais le petit happening publicitaire organisé hier à la Maison Blanche montre qu’il a pris la mesure des dégâts. Pour Tesla, le problème est en effet double, et bien plus sérieux que ne le disent les analystes de l’industrie automobile.

 

D’abord, Elon Musk a beaucoup fait pour le succès de ses marques. C’est un personnage public et charismatique, avide de médiatisation et de gloire, un gourou comme les affectionnent les fans de nouvelles technologies. Il fascinait par sa vision, son audace, sa soif de rupture, sa capacité à faire des paris insensés et à anticiper des évolutions majeures. Rouler en Tesla, c’était partager tout cela et préparer la conquête de Mars. Avoir des actions Tesla, c’était comme investir dans les Bitcoins en 2000, tout en contribuant à une décarbonation radicale du transport. Mais ce rôle de premier plan d’Elon Musk a un prix car, quand le patron déraille, c’est tout le train de la société qui finit dans le ballast.



Projection sur le siège de Tesla
Projection sur le siège de Tesla

Elon Musk n’est pas juste un personnage un peu maladroit, qui ne mesure pas la portée de ses propos ou se comporte bizarrement au motif qu'il souffrirait, selon ses zélotes, du syndrome d’Asperger. C’est un mégalomane paranoïaque et haineux, comme on en croise dans les films de James Bond des années 1970. Il est foncièrement raciste et homophobe, soutient l’extrême-droite partout dans le monde, assume son aversion pour la démocratie et la lutte contre les discriminations, exprime son amour de la foule avec des saluts nazis et déploie une énergie folle, lui, l’homme le plus riche du monde, à priver les gens les plus déshérités des aides publiques dont ils bénéficiaient. Quand il dérape, il ne se repent pas, ne s’amende pas, ne s’efface pas : il persiste, sourit et assume. Aujourd’hui, c’est donc un porte-étendard bien encombrant pour les responsables de Tesla et les fans de la marque.

 


De sombres perspectives pour Tesla

 

En second lieu, le boycott de Tesla est d’une ampleur et d’une puissance inédites. Il n’est pas le fait de quelques activistes ou associations, mais de millions de personnes qui condamnent les outrances d'Elon Musk ou cherchent des moyens de freiner la dérive illibérale de Donald Trump. Sauf si Elon Musk se sépare du constructeur automobile, personne ne pourra, dans six mois, deux ans ou cinq ans, prétendre acheter une Tesla sans assumer une forme de soutien aux idées du patron de la marque. Et la dénonciation par Donald Trump du boycott « illégal » organisé par « les gauchistes » ne fera qu’accentuer le phénomène, en soulignant le caractère politique de l’achat d’une Tesla.

 

Certes, les boycotts ne durent pas. Mais d’ordinaire ils viennent sanctionner une erreur de communication ponctuelle, le dérapage d’un patron – comme dans les cas de Barilla ou de Guerlain – ou une décision controversée. Les marques font amende honorable, s’organisent pour faire oublier le bad buzz et les choses rentrent dans l’ordre. En outre, un boycott n’est pas toujours simple à organiser ou à assumer : les consommateurs ne changent pas facilement d’habitudes et ne sont pas prêts à des sacrifices à moyen terme. Mark Zuckerberg et Jeff Bezos ont eux aussi pris des positions controversées dans le sillage de Donald Trump, mais se passer de Facebook ou d’Amazon n’est pas aussi simple que de changer de shampoing ou de café. En outre, à la différence de Musk, ces deux-là se font désormais très discrets.

 


Les milliardaires de la tech lors de l'investiture de Donald Trump
Les milliardaires de la tech lors de l'investiture de Donald Trump


Boycotter Tesla est simple et efficace

 

En revanche, boycotter Tesla est simple. L’offre de véhicules électriques est désormais pléthorique, et les autres constructeurs ont rattrapé leur retard technologique. Aujourd’hui, même le fan inconditionnel de la marque réfléchira à deux fois avant d’investir dans une voiture à l'image aussi controversée. Il faut rappeler qu'aucun bien n'est plus public qu'une voiture: chacun peut faire des choix de consommation discutables dans l'intimité de son domicile (musique, nourriture, équipements, lectures...) sans craindre pour sa réputation, mais il est impossible de cacher un véhicule. Sa fonction d'affichage est même centrale dans l'acte d'achat. Ainsi, les possesseurs de Tesla étaient particulièrement fiers de leur voiture, symbole tout à la fois d'engagement environnemental, d'amour de la technologie, de dynamisme et de réussite sociale. Beaucoup de Tesla sont d’ailleurs des voitures de fonction, acquises en leasing par des sociétés qui se soucient de leur image. Elles ont choisi ce constructeur pour afficher leur foi dans le progrès technologique et leur engagement en faveur de la préservation de l’environnement; aujourd'hui, elles ne veulent en rien être associées à un histrion proto-fasciste qui fait les gros titres de la presse chaque jour et prend des initiatives désordonnées. Certes, il restera toujours une frange de supporters inconditionnels de Donald Trump ou de Tesla qui s’afficheront fièrement avec leur Cybertruck, mais ils ne seront pas assez nombreux pour compenser les effets du boycott et permettre à la marque, comme l'a promis hier Elon Musk, de doubler sa production en 2025. Enfin, on note que le boycott de Tesla a des effets particulièrement dévastateurs. Etant donné que la capitalisation boursière du constructeur n'est pas directement liée à son activité industrielle et commerciale, mais fondée sur des anticipations rationnelles, la perte de confiance dans son développement a des effets puissants.

 


Mettre Elon Musk au pas

 

Le propos n’est pas d’accabler les possesseurs de Tesla, qui ont choisi ces voitures pour leur technologie et leurs performances, et pas pour partager les convictions politiques que Musk n’avait pas encore exprimées. Les actionnaires de Tesla sont logés à la même enseigne, victimes du comportement erratique d’un patron qui, jusque-là, s’était plus distingué par son audace et sa vision que par ses dérapages. Quant aux actions violentes contre les véhicules, les stations de recharge et les concessionnaires de la marque, elles sont injustes, imbéciles et contreproductives.

 

Il faut néanmoins prendre acte de l'ampleur des ennuis que rencontre Elon Musk du fait du boycott de ses voitures, et sans doute s'en réjouir. La fortune de l'homme le plus riche du monde n'est en effet pas liquide, mais constituée d'actions dont la valeur fond comme neige au soleil. Quant à ses multiples projets industriels, ils sont financés par des prêts garantis par ses actions... Si la dégringolade de Tesla continue, Musk va vite affronter de graves difficultés financières. Ses déconvenues sont une bonne nouvelle car elles prouvent qu’il existe des contre-pouvoirs et que des milliardaires ne peuvent pas gouverner un pays sans avoir été élus à rien, et sans être responsables de leurs actes et propos devant personne. Les citoyens du monde entier envoient aujourd’hui un message au patron de Tesla, qui fera sans doute réfléchir ses pairs multimilliardaires qu’une expérience d’apprenti autocrate pourraient tenter.


Olivier Costa

 
 
 

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