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Pourquoi les élus sont-ils moins honnêtes que le citoyen lambda ?

Aujourd’hui, 10 novembre 2025, Nicolas Sarkozy a été libéré de la prison de la Santé. Libre à chacun de s’en offusquer ou de s’en réjouir. Quoi qu’il en soit, le passage derrière les barreaux d’un ancien Président de la République est symbolique du problème structurel que certains élus – en France comme à l’étranger – ont avec le respect de la loi. Tous ne sont pas à blâmer, mais la proportion de ceux qui ont maille à partir avec la justice semble plus importante que dans la population normale. Comment l’expliquer et comment y remédier ?


 

Nicolas Sarkozy au Forum E-G8, Paris, 2011. Crédits: Michel Mikiane Lévy-Provencal. Licence cc-by-2.0.
Nicolas Sarkozy au Forum E-G8, Paris, 2011. Crédits: Michel Mikiane Lévy-Provencal. Licence cc-by-2.0.

Le sujet est délicat et réclame de la nuance. Le discours du « tous pourris » n’a jamais fait avancer les choses, pas plus que celui de la vocation de quelque personnage providentiel à bénéficier d’une parfaite immunité. On dit que le pouvoir corrompt. Ou qu’il attire les corrompus. Mais quels sont plus précisément les facteurs qui sont à l’œuvre ? On peut en distinguer cinq.

 

1.     Le profil des élus


Il faut constater, d’abord, un biais de sélection psychologique et sociologique des élus. Pour réussir en politique, sortir victorieux de la compétition électorale et accéder aux plus hautes responsabilités, mieux vaut être égoïste, déterminé et impitoyable. La politique laisse peu de place aux candidats empathiques, généreux, amicaux et réservés. Elle réussit avant tout aux durs-à-cuire, aux tartufes, aux machiavéliques, aux manipulateurs. Les citoyens et les militants renforcent ce biais, en adoptant une perspective utilitariste de la sélection des candidats : « Ce n’est pas un enfant de chœur, mais il va nous faire gagner ! » Nombre d’élus doivent aussi leur succès à des logiques de cooptation, à un patronyme célèbre ou à des amis puissants. Ils sont les acteurs d’un projet politique qui les dépasse. Une fois aux affaires, ils peuvent difficilement faire abstraction des personnes ou des organisations qui les ont portés au pouvoir, et se doivent de répondre à leurs attentes et de servir leurs intérêts.


Certes, on peut aussi réussir en politique en mettant à profit des qualités plus nobles : le charisme, l’intelligence, la force de travail, l’éloquence, l’exemplarité, l’empathie… Mais ce ne sont pas les vertus les mieux distribuées dans la population, et elles n'excluent pas d'autres traits de caractère moins nobles. Enfin, les candidats les plus vertueux sont rarement les plus efficaces dans la compétition électorale, surtout lorsqu’ils affrontent des opposants sans foi ni loi.


La plupart des responsables politiques sont donc des gens prêts à tout pour gagner et choisis pour leur capacité à le faire. Ils doivent accepter, au besoin, de trahir leurs amis et leurs idées, et d’écraser leurs concurrents. Ces gens sont logiquement peu sensibles à des notions telles que la déontologie, le respect de la loi ou la préservation de l’intérêt général. Ils ne sont pas nécessairement malhonnêtes, mais sont plus accessibles à l’idée de monnayer des soutiens, de satisfaire des intérêts particuliers ou de s’abstraire des règles du financement de la vie publique si cela semble indispensable.

 

2.     Les opportunités de faillir


En deuxième lieu, le grand nombre de responsables politiques mis en cause dans des affaires judiciaires s’explique par un facteur d’opportunité, car ils sont en situation quasi quotidienne de commettre des délits. Quand on est boulanger, enseignant, chef de rayon, cadre de l’aéronautique, coiffeur ou plombier, on n’a guère d’occasion de verser dans le népotisme, la prise illégale d’intérêts ou la corruption passive. Ces métiers n’exposent pas à cela. A l’inverse, les fonctions politiques impliquent des tentations, que l’on retrouve dans d'autres métiers : un garagiste peut tricher sur le temps passé sur une réparation, un commerçant falsifier ses comptes, un entrepreneur frauder l’URSSAF et un caissier détourner de l’argent. Tous ont des opportunités de délits que d’autres n’ont pas – ce qui, évidemment, n’excuse rien.

 

3.     Les sollicitations


En troisième lieu, les élus sont régulièrement pris la main dans la sac car ils sont davantage sollicités en ce sens que le commun des mortels. Beaucoup de personnes, d’entreprises et d’organisations dépendent des lois et des règles que les élus adoptent et des décisions qu’ils prennent. Les maires subissent sans cesse les amicales pressions de grandes enseignes ou de promoteurs immobiliers pour signer des permis de construire, les députés sont invités par des lobbys à proposer des amendements ou à torpiller des textes, les ministres sont sollicités par des acteurs économiques pour leur accorder des autorisations ou supprimer des contraintes. Les candidats à une élections peuvent être approchés par des organisations qui leur proposent de soutenir leur campagne en marge de ce que prévoit la loi. En somme: la corruption et le trafic d’influence existent dans bien des secteurs de la société, mais les élus font partie des cibles privilégiées.

 

4.     L’envie


En quatrième lieu, il y a l’envie. Les responsables politiques de premier plan sont entourés de gens beaucoup plus fortunés qu'eux – grands patrons, chefs d’Etat étrangers, vedettes des médias, consultants. La tentation est grande pour certains de trouver les moyens de vivre sur le même pied. Ceux qui ont connu les ors de la République rechignent à mener une vie en rapport avec leurs revenus, et sont parfois animés par des fantasmes hérités de l’Ancien Régime. Il leur faut une grande force de caractère pour décliner une offre de consultance grassement rémunérée, l’achat d’un bien immobilier a prix cassé, une invitation dans la résidence de vacances de quelque milliardaire, une montre de luxe ou la promesse d’une embauche future à un poste de relations publiques. Si peu de personnes se lancent en politique par fascination pour l’argent, on est frappé par le nombre de ceux qui finissent par posséder un château ou une gentilhommière, dont le coût excède à l’évidence les moyens d’un élu.

 

5.     La banalisation de la corruption


Il y a, enfin, un effet de banalisation et d’émulation. Les élus les plus attachés à la probité font constamment les frais de leurs homologues moins scrupuleux, qui ont toujours plus de moyens de campagne, de soutiens, de réseaux dans les médias et d’obligés dans la société civile, les médias et le monde économique. Ces derniers sont en outre trop rarement inquiétés pour leurs manquements au droit et à la déontologie, ou parviennent à échapper longuement à la justice. Ce double-standard est d’autant plus décourageant qu’une partie des électeurs trouvent des excuses aux élus mis en cause ou condamnés, et n’hésitent pas à les réélire. La tentation est donc grande pour les responsables les plus exemplaires de quitter un jeu politique inéquitable ou de se laisser aller eux aussi à des écarts de conduite.

 

Que faire pour en sortir ?


Ce débat ne devrait pas laisser de place au relativisme. En démocratie, les citoyens sont en effet fondés à exiger de leurs élus qu’ils respectent la loi et soient soucieux de l’intérêt public – de même qu’on attend d’un pilote d’avion qu’il soit sobre, d’un cuisinier qu’il distingue un cèpe d’une amanite vireuse, et d’un instituteur qu’il s’abstienne de frapper ses élèves. C’est une condition fondamentale et non négociable du jeu démocratique, car il n’y a pas de droit acquis à exercer des responsabilités publiques : elles doivent être réservées aux gens qui s'engagent à respecter scrupuleusement le droit et l’intérêt général.


Un élu peut être idiot, incompétent ou porté sur la bouteille. Il a le droit de proposer des réformes fantaisistes, de n’avoir jamais la moindre idée ou d’être aux abonnés absents. Si ses électeurs s’en satisfont, ce n’est pas un problème rédhibitoire, et nombre de députés en sont aujourd’hui la preuve. En revanche, un élu doit s’abstenir de détourner l’argent public, de se laisser corrompre par des promoteurs immobiliers, de servir les intérêts de ses enfants et de ses proches, ou de promouvoir la cause d’un État tiers.


Pour inciter les responsables politiques à se montrer exemplaires et sanctionner ceux qui s'y refusent, la France s’est dotée de la législation anti-corruption la plus sévère et des règles déontologiques les plus exigeantes. L’action des élus et le financement de la vie politique sont étroitement encadrés, toutes les institutions sont régies par un code de déontologie, et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) tranche les conflits d’intérêts et surveille l’enrichissement des élus. Afin d’éviter certaines dérives, le cumul des mandat a été fortement limité, les élus ne peuvent plus embaucher leurs proches et exercer certaines activités, et ils ne disposent plus de lignes budgétaires à leur guise. Les contrôles se multiplient, les risques s’accroissent et les peines s’alourdissent. Mais les incitations pour les responsables politiques à se laisser tenter demeurent intactes, et la dégradation de la qualité du débat public dissuade les citoyens les plus vertueux de s'en mêler.


La solution à la moralisation de la vie politique ne peut donc venir que des électeurs. Tant que certains considéreront que la loi ne saurait s’appliquer aux responsables qui ont leur préférence – au nom des idées que ceux-ci portent, des services qu’ils ont supposément rendus à la collectivité ou d’enjeux clientélistes – il n’y a pas d’espoir que la situation s'améliore.


Olivier Costa

 
 
 
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