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Yaël Braun-Pivet, Présidente sortante de l’Assemblée nationale, membre de Renaissance, vient d’être réélue au terme de trois tours d’un scrutin disputé. D’ordinaire, cette élection n’est pas un événement politique majeur. Depuis le début des années 2000, elle intervient après les élections présidentielles et législatives, quand la messe est dite. En outre, le Président de l’Assemblée nationale est certes le 4° personnage de l’État, mais il ou elle a relativement peu de pouvoir et d’influence, et son rôle est surtout interne à l’institution. Aujourd’hui, l’événement était néanmoins scruté de toutes parts, dans un contexte chaotique où tout le monde guette des indications objectives des rapports de force à l'Assemblée.


Bilan de la journée.




Un scrutin d’ordinaire discret

 

En temps normal, peu de citoyens peuvent, spontanément, citer le nom du président ou de la présidente de l’Assemblée nationale. Son élection ne suscite d’ordinaire qu’un faible intérêt des médias, car elle mobilise avant tout les personnes concernées.

 

Cette année, c’est différent, pour quatre raisons.

  • D’abord, l’élection à la présidence a lieu alors que rien n’avance par ailleurs. C’est le premier élément de clarification du paysage politique depuis le 7 juillet. C’était une manière pour le NFP de montrer que ses quatre composantes étaient d’accord sur quelque chose – en l’occurrence le nom de leur candidat au perchoir. Emmanuel Macron avait aussi fait de ce scrutin un moment important, affirmant attendre « la structuration de l’Assemblée » pour prendre la moindre décision.

  • Ensuite, l'élection au perchoir a permis aux différents partis de compter leurs forces, et d’évaluer les ressources dont les trois grands blocs (NFP, majorité présidentielle et RN) disposent et de leur capacité à fédérer au-delà de leurs rangs.

  • En troisième lieu, l’élection intéressait car elle est inédite : pour la première fois depuis 1958, la Présidente de l’Assemblée nationale est issue d’un groupe « minoritaire », qui ne sera peut-être pas au gouvernement. Son rôle ne sera pas aisé, car elle sera structurellement minoritaire dans sa propre Assemblée, alors même qu'elle doit en défendre les intérêts et en organiser les travaux.


  • Pour finir, la fonction aura plus d’importance à l’avenir, compte tenu du rééquilibrage probable entre les pouvoirs exécutif et législatif. La présidence de l’Assemblée devra, d’abord, conduire les travaux de l’assemblée, malgré sa fragmentation. Elle devra aussi contribuer à la définir la stratégie de l’institution, qui sera en capacité de refuser certaines initiatives du gouvernement, quel qu’il soit, et de promouvoir ses propres idées, qui d’ordinaire ne font pas l’objet d’une grande attention de la part du Président et du Premier ministre.



Quatre candidats: Charles de Courson, Yaël Braun-Pivet, André Chassaigne et Sébastien Chenu (AFP)


Des règles spécifiques

 

L’élection a mis aux prises six candidats, représentants les principaux groupes politiques. En raison du mode de scrutin, ils sont encouragés à présenter leur propre candidat, du moins au premier tour. Il s’agit d’un scrutin à bulletin secrets, qui met les députés à l’abri de toute pression de la part de leur groupe ou de leur parti ; des surprises sont donc toujours possibles.

 

Aux deux premiers tours, pour être élu, un candidat doit obtenir la majorité absolue des scrutins exprimés ; certains peuvent se retirer au fil des tours de scrutin. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier ou au deuxième tour, on organise un troisième tour à la majorité relative : le candidat qui a le plus de voix l’emporte.

 

Aujourd'hui, les six candidats étaient :

  • André Chassaigne, député communiste, pour le Nouveau Front populaire (NFP)

  • Yaël Braun-Pivet, Renaissance, pour les groupe Ensemble pour la République et MoDem, Présidente sortante

  • Charles de Courson, centriste, pour le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT)

  • Naïma Moutchou, pour le groupe Horizons

  • Philippe Juvin, pour le groupe de La Droite républicaine.

  • Sébastien Chenu, député RN, pour son groupe et ses alliés LR ciottistes

 


Une élection qui prévoit l’hypothèse d’une absence de majorité absolue

 

Cette élection, comme c'est souvent le cas pour ce scrutin dans les assemblées parlementaires, prévoit l’hypothèse d’une absence de majorité. Plutôt que de multiplier les tours de scrutin identiques, la majorité relative suffit au 3° tour. C’est l’un des mécanismes qui permettent de surmonter l’absence de majorité claire ; un autre serait de limiter l’accès au troisième tour aux deux candidats les mieux placés, comme c’est le cas pour les élections présidentielles au second tour.

 

Cette mécanique institutionnelle est toutefois limitée à ce scrutin, et ne présage pas de la capacité de l’Assemblée nationale à voter des lois. Pour cela, il faudra toujours une majorité absolue des suffrages exprimés, qu’aucun groupe ne semble pouvoir atteindre aujourd’hui – comme en attestent les résultats.


André Chassaigne (au centre)



Une élection très disputée

 

Au premier tour, les résultats ont été sans surprise :

  • André Chassaigne (NFP) : 200 voix

  • Yaël Braun-Pivet (Ensemble) : 124 voix

  • Charles de Courson (LIOT) : 18 voix

  • Naïma Moutchou (Horizons) : 38 voix

  • Philippe Juvin (La Droite républicaine) : 48 voix

  • Sébastien Chenu (RN) : 142 voix

 

Aucun candidat n’ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés (286 sur 570), un deuxième tour a été organisé. Naïma Moutchou (Horizons) et Philippe Juvin (La Droite républicaine) se sont retirés, mais Charles de Courson (LIOT) s’est maintenu. Au deuxième tour, les résultats ont été conformes à ce que l’on pouvait attendre, avec un fort report de voix de la droite sur la candidature de la Présidente sortante :

  • André Chassaigne (NFP) : 202 voix (+ 2)

  • Yaël Braun-Pivet (Ensemble) : 210 voix (+ 86)

  • Charles de Courson (LIOT) : 12 voix (- 6)

  • Sébastien Chenu (RN) : 143 voix (+ 1)

 

Le NFP et le RN ont échoué à séduire de nouveaux députés, tandis que Charles de Courson a été victime du vote utile. Aucun candidat n’ayant atteint la majorité des suffrages exprimés (284 sur 567), un troisième tour a été nécessaire. Charles de Courson (LIOT) s'est retiré. Au troisième tour, les résultats ont été les suivants:

  • André Chassaigne (NFP) : 207 voix (+ 5 par rapport au 2° tour, + 7 par rapport au 1er)

  • Yaël Braun-Pivet (Ensemble) : 220 voix (+10 par rapport au 2° tour et +96 par rapport au 1er)

  • Sébastien Chenu (RN) : 141 voix (- 2 voix par rapport au 2° tour, - 1 par rapport au 1er)


La Présidente sortante a donc été réélue, avec une majorité relative seulement. En 2022, lors du second tour, elle avait obtenu 242 voix sur les 462 exprimées, soit la majorité absolue.



Un décompte qui n’augure rien de bon pour la suite

 

Le principal enseignement de cette élection est la confirmation que l’Assemblée nationale est profondément divisée en trois blocs : NFP, Ensemble et divers droites, et RN. Elle a permis à chacun de jauger les forces en présence et d’envisager les possibilités d’alliances.

 

Côté NFP, André Chassaigne a fait un beau score au premier tour, au-delà des 182 sièges du NFP, grâce à ses qualités personnelles : celles d’un élu d’expérience, apprécié par ses pairs, enraciné dans la ruralité. Mais les tours successifs ont montré qu’il n’y a pas de « réserves de voix » pour le NFP: il n'en a gagné que 7 au fil des trois tours.

 

Du côté de la majorité présidentielle, le score au premier tour de la présidente sortante n'était pas très impressionnant (124 voix). Elle aurait dû pouvoir compter sur les voix de deux groupes de la majorité présidentielle : le groupe Ensemble pour la République, ex-Renaissance, qui compte 97 députés et le groupe MoDem, qui compte au moins 33 députés. Le groupe Horizons, qui appartient aussi à la majorité présidentielle, et compte environ 25 élus, a choisi de présenter sa propre candidate, Mme Moutchou, qui a bénéficié d’un score relativement important (38 voix) au premier tour, avant de se retirer. Mme Braun-Pivet a bénéficié des désistements successifs des 2 candidats de droite et du candidat LIOT, et a gagné près de 100 voix au fil des trois tours. Ce résultat laisse augurer de la possibilité d’un accord politique de la majorité présidentielle avec ces élus. Mais cette perspective n’est pas garantie, car les enjeux sont très différents, et l’élection du Président de l’Assemblée n’implique pas un accord politique.

 

Le groupe RN apparaît comme clairement isolé : il a fait le plein des voix au premier tour (142), mais son score est resté stable au fil des trois tours.


La nouvelle Présidente de l'Assemblée nationale

 


Le plus dur reste à venir...


La nouvelle Présidente devra faire en sorte que l’Assemblée puisse fonctionner – dans un contexte encore plus complexe que celui de 2022. Avec une dizaine de groupes, et des députés aussi peu désireux que ceux de LFI et du RN à contribuer à l’apaisement, la tâche sera rude. Le fait que certains réclament que le LFI et le RN soient exclus des postes à responsabilité de l’Assemblée risque d'envenimer les choses plus encore. On saura vendredi s’ils sont effectivement tenus à l’écart du Bureau de l’Assemblée.




Dernière mise à jour : 16 juil. 2024

Depuis le 7 juillet, la confusion règne en France pour savoir qui a gagné les élections législatives et qui est fondé à gouverner. Les uns, à gauche, considèrent que, comme le Nouveau front populaire (NFP) est arrivé en tête des élections législatives, il est majoritaire et doit gouverner. D’autres, plus au centre et à droite, font valoir que le NFP est très loin d’avoir la majorité absolue (289 députés) et qu’il enregistre le score le plus bas (182) pour un parti « majoritaire » sous la V° République ; il se trouve donc près de 400 députés qui ne souscrivent pas à son programme, dans une Assemblée majoritairement composée d’élus de droite et d’extrême-droite.

Les premiers rétorquent que ce qui compte c’est le succès électoral et la dynamique : le NFP est arrivé premier, la majorité présidentielle a perdu près de 100 sièges, et le raz-de-marée RN n’a pas eu lieu. Il leur revient donc de gouverner. Leurs adversaires répondent que le scrutin du 7 juillet marque moins une victoire du NFP qu’un rejet du RN et un échec personnel du Président. Ils notent que les composantes du NFP ne sont pas d’accord sur des points essentiels (les questions européennes, la guerre en Ukraine, Gaza, la politique budgétaire, le nucléaire ou encore la laïcité) et qu'ils sont incapables de proposer un candidat au poste de Premier ministre, après une semaine de négociations intenses. Ils estiment aussi qu’il est facile de trouver au moins 182 députés parmi les élus du centre et de la droite républicaine qui sont davantage en accord sur un programme que ne le sont les députés du NFP sur le leur.

Comment s’y retrouver ?

 

Militants du NFP au soir du 2° tour des législatives. T. Padilla/AP/SIPA

 

1.     La règle de la majorité est une convention

 

Toute société humaine doit trouver les moyens de se gouverner. Que la démocratie soit directe (les gens participent eux-mêmes aux décisions) ou représentative (ils élisent des représentants pour le faire) il faut, à un moment donné, trancher. Idéalement, la délibération devrait permettre de parvenir à un consensus, mais quand les positions sont antagoniques et les intérêts divergents, c’est illusoire. Il faut donc trouver un équilibre entre deux impératifs : respecter l’avis de chacun et agir néanmoins. Face à des enjeux pressants (crise économique, guerre, catastrophe naturelle, épidémie, déficits, changement climatique…) il faut prendre des décisions. Par convention, les systèmes démocratiques s’en remettent pour cela à la règle de la majorité : on considère que ce que veut la majorité est une approximation de la volonté générale.

 

Différentes approches de ce qu’est la majorité

 

Toutefois, les droits de la minorité doivent aussi être pris en compte. On ne peut pas interdire la circulation des vélos au motif qu’ils enquiquinent les automobilistes, même si les seconds sont plus nombreux que les premiers. La règle est décidée par la majorité, mais il faut trouver les moyens de préserver les intérêts de la minorité, et interdire à la majorité de remettre en cause les droits fondamentaux, de discriminer une partie de la population ou de prendre des mesures qui ne sont pas motivées par l’intérêt général.

 

Les démocraties modernes sont ainsi fondées sur le principe de l’Etat de droit, qui garantit les droits et libertés de chaque citoyen à travers des limites apportées à l’action des gouvernants et un système juridictionnel indépendant. La majorité n’a pas la capacité de priver une minorité de ses droits sans raison valable, et ne peut pas remettre en cause des valeurs et objectifs fondamentaux de la société. Pour cela, il existe des règles spécifiques pour amender la constitution : elle peut être modifiée, mais seulement quand il existe un large consensus. En France, par exemple, le texte de révision doit d’abord être approuvé par l’Assemblée et par le Sénat, puis validé par référendum ou par le Congrès (réunion des députés et des sénateurs) à la majorité des trois cinquièmes.

 

Les majorités « surabondantes »

 

Dans certains Etats, dont la société est fragmentée et où certains groupes se sentent structurellement minoritaires, on exige des majorités « surabondantes » pour l’adoption des décisions courantes. Elles ne peuvent être prises que si plusieurs institutions, diversement représentatives (des citoyens, des Etats, des territoires, des communautés linguistiques…) sont d’accord. Parfois des majorités qualifiées (majorité des deux tiers ou des quatre cinquièmes, majorité des votants…) sont exigées, et il existe des systèmes de vetos, qui permettent aux minorités de défendre leurs droits. C’est le cas dans l’Union européenne : les lois doivent être approuvées à la fois par le Parlement européen (qui représente les citoyens) et par le Conseil (qui représente les 27 Etats), et ce dernier doit réunir de larges majorités (55% des Etats et 65% de la population). Les décisions les plus importantes (politique extérieure, fiscalité, élargissement, réforme des traités…) exigent même l’unanimité des représentants des Etats membres : chacun dispose d’un droit de veto pour s’opposer à une décision qui lui semble contraire à ses intérêts.

 

Chaque entité politique est donc gouvernée par des règles différentes, adaptées à son histoire, à sa sociologie et à ses objectifs. Elles définissent un équilibre entre l’efficacité de l’action publique et le respect des droits des minorités. La France est historiquement attachée au principe de la majorité absolue, car c’est un Etat unitaire, fondé sur l’idée d’une Nation indivisible. La plupart des citoyens français acceptent que la majorité gouverne et que la minorité « subisse » un temps sa politique. Car la France, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, est un système politique basé sur une logique d’alternance entre deux grandes forces politiques ; leur succession au pouvoir assure la satisfaction du plus grand nombre sur le long terme. D’autres pays récusent le principe du gouvernement de la majorité : on y privilégie de larges consensus, qui s’expriment dans de vastes coalitions, et il n’y a pas d’alternance brutale entre la gauche et la droite. C’est notamment le cas des pays où coexistent plusieurs groupes de population relativement distincts (en raison de clivages religieux, linguistiques, ethniques, culturels…), qui sont soucieux de leurs intérêts et droits respectifs. La Belgique, la Suisse, l’Autriche ou les Pays-Bas sont ainsi gouvernés par de larges coalitions, et prêtent une attention particulière au respect des droits des minorités.


La Chambre des Représentants belge reflète la fragmentation territoriale, linguistique et politique du pays. Aucun parti n'a plus de 16% des représentants. Source : Wikipedia


 

En France aussi il y a différentes approches de la majorité

 

Même en France, la règle de la majorité ne s’applique pas toujours de la même manière, notamment selon les élections. Les présidentielles, par exemple, « forcent » l’existence d’une majorité, puisque seuls deux candidats sont qualifiés pour le second tour : l’un d’eux aura toujours une majorité absolue, même si certains électeurs ont voté pour lui faute de mieux. De même, en cas de référendum, comme il n’y a que deux modalités de réponse, une majorité sera dégagée de manière artificielle. En 2005, sur le Traité constitutionnel européen, par exemple, les citoyens avaient toutes sortes de positions et de réserves, mais ils ont dû se prononcer par « oui » ou « non » sur un texte de 200 pages d’une grande complexité. 


On « force » aussi la majorité pour les élections municipales et régionales, via un système de scrutin proportionnel avec « prime majoritaire ». Dans les communes de plus de 1 000 habitants, si aucune liste n’obtient la majorité absolue au premier tour, on organise un second tour auquel peuvent participer toutes les listes ayant obtenu au moins 10% des suffrages. Il y a donc souvent plus de 2 listes au second tour, parfois 4 ou 5. Celle qui arrive en tête obtient automatiquement la moitié des sièges à pourvoir ; l’autre moitié est répartie entre toutes les listes. Concrètement, même si une liste n’obtient que 25% des suffrages au second tour, en raison d'un éparpillement des voix entre un grand nombre de listes, elle aura 50% des sièges, plus 25% du reste, soit 62.5% des sièges. Si cette liste obtient 70% des voix, elle aura 85% des sièges… Ce choix a été fait pour des raisons d’efficacité : le législateur a estimé qu’il était important qu’une liste dispose dans tous les cas de figure de la majorité absolue des sièges, pour faciliter l’élection d’un maire et lui donner les moyens de gouverner.


Le Conseil municipal de Bordeaux en juillet 2020 (source: mairie de Bordeaux). En 2020, la liste du maire écologiste Pierre Hurmic a obtenu 46,5% des voix au second tour, contre 44,1% à son opposant de la droite et du centre Nicolas Florian, et 9,4% au candidat d’extrême gauche Philippe Poutou. Néanmoins, la majorité dispose de 47 sièges (72,3% du total), contre 15 à la droite et au centre (23,1%) et 3 à l’extrême-gauche (4,6%).



D’autres choix ont été fait à d’autres niveaux de gouvernement. Pour les élections européennes, par exemple, tous les Etats membres pratiquent la représentation proportionnelle sans prime majoritaire. En France, toutes les listes qui obtiennent plus de 5% des voix participent au partage des sièges, en fonction des résultats de chacune. Cela implique que, jamais depuis la première élection directe en 1979, un groupe politique n’a eu la majorité absolue au Parlement européen. Les différents groupes sont donc obligés de négocier des accords de législature ou des accords ponctuels, texte par texte. On a estimé cela préférable, car l’Union européenne est un système politique faiblement intégré, et qu’un mode de scrutin majoritaire créerait trop de tensions entre la majorité et la minorité. On veut donc favoriser l’émergence de consensus plus larges.

 

La situation à l’Assemblée nationale

 

A l’Assemblée nationale, la situation est encore différente. On a un mode de scrutin majoritaire à deux tours dans des circonscriptions uninominales. En somme, il y a 577 élections parallèles, qui mettent aux prises des candidats uniques. Pendant longtemps, cela a permis de dégager des majorités claires, car la vie politique française était organisée en deux blocs : la gauche (communistes, socialistes et écologistes) contre la droite (centristes, démocrates-chrétiens et conservateurs). Mais la situation a évolué, avec désormais trois forces politiques dominantes : la gauche (NFP), le centre (Renaissance et ses alliés) et la droite radicale (RN et Reconquête !). Elles l’emportent selon les caractéristiques de chaque circonscription, de sorte que l’Assemblée nationale ne comporte plus de majorité claire : c’était déjà le cas en 2022, puisque la majorité présidentielle n’avait que 254 sièges sur 577 ; la fragmentation est encore plus grande depuis le 7 juillet, le groupe le plus étoffé (le NFP) ne comptant que 182 députés, soit moins d’un tiers de la représentation nationale.

 

La composition de l’Assemblée nationale (provisoire) (source: Le Monde)

 

 

Quelles conclusions tirer de tout cela ?

 

1.     Le NFP est fondé à demander la nomination d’un Premier ministre issu de ses rangs. Dans les démocraties parlementaires, la priorité est toujours donnée au parti ou à la coalition arrivée en tête des élections, même si elle ne dispose pas d’une majorité absolue. Toutefois le Président ne pourra nommer cette personne que si les différentes composantes du NFP parviennent à lui proposer un nom, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.


Raphaël Glucksmann, Clémentine Autain, Marine Tondelier, Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon. Quelques prétendants possibles au poste de Premier ministre au nom du NFP. Le Parisien/DA/AFP

 

2.     Un éventuel Premier ministre du NFP devra composer avec les autres groupes de l’Assemblée. Le fonctionnement du Parlement français est en effet fondé sur une logique de majorité absolue : à l’Assemblée nationale comme au Sénat il faut au moins la moitié des suffrages exprimés pour faire adopter un texte. Certains au NFP exigent d’appliquer leur programme, rien que leur programme et tout leur programme, mais cela n’est pas réaliste. Si le NFP décide de gouverner sans négocier avec personne, il sera dans l’incapacité de faire adopter la moindre loi. Il y a certes l’article 49.3 de la Constitution, mais son usage conduirait probablement à une censure du gouvernement, puisqu’il y aurait près de 400 députés d’opposition. Jean-Luc Mélenchon voudrait gouverner par décret, mais ce n’est possible que pour certaines décisions ; par exemple, il serait envisageable de modifier quelques aspects de la loi sur la réforme des retraites par décret, mais pas d’abroger tout le texte. Du moins si l'on respecte la constitution.

 

3.     Il est certes possible de gouverner le pays sans majorité absolue – comme cela a déjà été le cas avec les gouvernements Rocard ou Attal. Mais il faut pour cela que le Premier ministre trouve une majorité de députés qui, sans le soutenir, refusent de voter la censure. Il doit aussi négocier, texte par texte, le soutien de certains élus hors de sa majorité ; Elisabeth Borne et Gabriel Attal ont ainsi réussi à faire passer environ 60% de leurs projets de loi. Il reste que, dans la configuration actuelle, aucune force politique ne pourrait gouverner sans l’appui d'une autre, car leurs effectifs sont beaucoup trop éloignés de la majorité absolue pour échapper à la censure et au blocage.

 

4.     Si le NFP ne parvient pas à s’entendre sur le nom d'un candidat pour Matignon ou si cette personne ne parvient pas à démontrer qu’elle dispose d’un soutien suffisant à l’Assemblée nationale, la tâche de constituer un gouvernement reviendra à un autre parti ou à une autre coalition. C’est ainsi que fonctionnent les démocraties parlementaires : quand le parti arrivé en tête ne parvient pas à trouver des alliés, une autre coalition est appelée à émerger. En somme, la logique démocratique veut que le gouvernement soit exercé par les partis qui parviennent à réunir le plus grand nombre de députés ; qu’ils aient formé une coalition avant l’élection (comme on le fait habituellement en France, en raison du mode de scrutin) ou après (comme c’est généralement le cas dans les régimes parlementaires, où le scrutin proportionnel s’applique le plus souvent) importe peu.

 

5.     La démocratie française est fondée sur le principe d’égalité entre les citoyens et entre les élus. Il est délicat d'affirmer qu’il faut faire abstraction des chiffres et que les députés du NFP ont plus vocation que les autres à gouverner, en raison d’une « dynamique politique », du degré de mobilisation des militants de gauche, de la « colère sociale », de l’échec des instituts de sondage ou du fait que les responsables du NFP sont intimement convaincus de la justesse de leurs idées. En démocratie, la conviction d’avoir gagné et d'avoir raison ne constitue pas une raison suffisante pour faire fi des résultats des élections et des règles de fonctionnement des institutions.


Dessin de Xavier Gorce (Le Point, 12 juillet 2024)


Olivier Costa

Dernière mise à jour : 13 juil. 2024


La dissolution voulue par Emmanuel Macron est-elle un succès ou un échec ? C’est un succès si l’on considère la participation massive et la vitalité du débat démocratique généré par le scrutin. Les citoyens français ont plus appris sur le fonctionnement de leurs institutions et sur celui de l’Assemblée nationale depuis dimanche dernier que ces vingt dernières années. Cette crise de régime exige, en effet, d’en comprendre les règles et la logique, et de réfléchir aux possibilités d’en faire évoluer la pratique. Les Français ont aussi découvert que, dans la plupart des autres démocraties européennes, aucun parti n’a de majorité absolue, que la coalition y est la norme et que cela n’a rien de honteux. Mais la dissolution est aussi un échec car la « clarification » attendue n’a pas eu lieu : il y a toujours trois blocs à l’Assemblée nationale, dont aucun n’est proche de la majorité absolue, qui sont très peu désireux de travailler les uns avec les autres. Dans ce contexte, quelles sont les perspectives pour le pays ?

 


Quelques rappels…

 

Avant d’envisager les solutions pour sortir de la crise, il faut opérer quatre rappels fondamentaux.

 

1.     Le Président est libre du choix du Premier ministre


Cela semble curieux, mais les Pères fondateurs de la Constitution ont laissé au Chef de l’Etat une totale liberté quant au choix du Premier ministre. L’article 8 est en effet rédigé d’une manière laconique : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. » 


Au lendemain du second tour, selon la tradition, Gabriel Attal a présenté la démission de son gouvernement à Emmanuel Macron. D’ordinaire, le Président en prend acte et demande au gouvernement de gérer les affaires courantes jusqu’à ce qu’une nouvelle équipe soit nommée. Mais il a refusé la démission, ce qui permet aux ministres de conserver toutes leurs prérogatives. Il s’est appuyé sur le fait qu’aucun délai ne s’impose au Président pour prendre acte de la modification des équilibres politiques à l’Assemblée. Dans sa lettre aux Français publiée mercredi 10 juillet 2024, il a précisé qu’il attendrait qu’une solution émerge à l’Assemblée nationale avant de faire son choix. Autrement dit : il refuse de céder aux injonctions de ceux qui se voient à Matignon sans majorité.


Toutefois, au-delà de règles qui lui laissent une grande liberté d’action, il y a les réalités politiques. Le Premier ministre doit être capable de faire adopter des textes de loi – et donc de trouver, au moins ponctuellement, une majorité pour ce faire – et surtout d’échapper à une motion de censure. La nouvelle Assemblée nationale siègera pour la première fois le 18 juillet ; dès cet instant, elle pourrait faire tomber un gouvernement qui ne lui conviendrait pas. Et si le Président ne donne pas des gages d’ouverture quant à l’identification d’un nouveau Premier ministre d’ici là, il est probable que le gouvernement Attal sera censuré, afin de hâter le processus.

 

2.     L’Assemblée nationale ne propose pas de candidat


Depuis dimanche, les leaders du Nouveau Front Populaire (NFP) ont affirmé qu’ils feraient connaître rapidement le nom du Premier ministre qu’Emmanuel Macron devrait nommer ; toutefois, en raison de désaccords internes, leur proposition tarde. Les mêmes et d’autres ont fait don de leur personne à la République. Mais rien dans la Constitution n’indique que les partis ou l’Assemblée nationale auraient vocation à proposer des noms. Le choix appartient au Président. En situation de cohabitation, il lui revient de choisir un Premier ministre issu de la nouvelle majorité, mais en l’occurrence, il n’y a pas de majorité…


Il reste que, d’un point de vue politique, les partis sont évidemment libres de faire des suggestions au Président. Et celui-ci est libre de les consulter ou d’avancer des noms – ce qu’il n’a pas fait pour l’instant.

 

3.     Le Premier ministre n’est pas tenu de demander un vote d’investiture


L’article 49.1 est rédigé ainsi : « Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. » Cet article a été beaucoup discuté par les constitutionnalistes, mais l’interprétation dominante est qu’il n’y a là qu’une possibilité, et pas une obligation – comme c’est généralement le cas dans les régimes parlementaires. Il en découle qu’un gouvernement, en France, peut être structurellement minoritaire : il n’est pas tenu d’engager sa responsabilité et il ne lui faut pas forcément le soutien de 289 députés pour gouverner. Il importe juste que l’opposition soit suffisamment divisée pour qu’il ne se trouve jamais 289 députés prêts à voter une motion de censure.


Un gouvernement minoritaire est donc potentiellement viable. Il peut faire passer des textes de loi au cas par cas, en sollicitant le soutien de certains députés hors de la majorité relative, ou en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution. En France, il peut aussi prendre de nombreuses décisions par la voie réglementaire, puisque l’article 37 prévoit que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi [listées à l’article 34] ont un caractère réglementaire. »

 

4.     Une nouvelle dissolution est impossible avant un an


L’article 12 de la Constitution, est rédigé ainsi : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. (…) Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections. » L’hypothèse d’un retour aux urnes pour clarifier la situation politique est donc exclue, même en cas de crise majeure. La nouvelle Assemblée nationale devra siéger au moins jusqu’à l’été 2025, y compris si des élections présidentielles anticipées étaient organisées en raison d’une démission d’Emmanuel Macron.



 

Majorité et démocratie

 

Personne n’a gagné, donc tout le monde a gagné


Dimanche dernier, il n’y a pas eu de vainqueur, mais juste un vaincu : le RN. Néanmoins, dès la publication des résultats, de nombreux commentateurs et élus ont fait valoir que le Président devait prendre telle ou telle décision s’agissant du nouveau gouvernement.


Du côté du NFP, qui a emporté – contre toute attente – le plus grand nombre de sièges, on estime que le « peuple a parlé », que le Président doit prendre acte de la dynamique de l’élection, de la « colère » et du « désaveu » des citoyens, et donc nommer un Premier ministre issu du NFP, afin qu’il mette en œuvre son programme.


Chez les Républicains, on est d’un autre avis. Ses responsables estiment que la France ne peut être gouvernée ni par le RN ni par LFI, qui sont les deux visages d’un même populisme. Selon eux, la seule conclusion à tirer des législatives est que les citoyens se défient des extrémistes, et qu’il faut donc gouverner selon une voie modérée, qui pourrait être celle des Républicains.


A l’extrême-droite, on constate que 11 millions de citoyens ont apporté leurs voix à des candidats du RN, qui est plus que jamais le premier parti de France. Il aurait donc dû gouverner, n’étaient les désistements stratégiques et les appels au « front républicain ». Toute autre solution serait en conséquence un « vol » de l’élection et une méconnaissance de la volonté générale.


Du côté de la majorité présidentielle, on a le triomphe modeste, pour avoir perdu près de 100 sièges. Certains estiment néanmoins que, compte tenu de la division extrême de la représentation nationale, il faut choisir une voie moyenne, qui est celle du centre.

 

Et la logique démocratique dans tout ça ? 


Les régimes démocratiques sont généralement gouvernés par deux règles : celles de l’alternance et celle du plus grand nombre. En France, les deux sont censées coïncider : le mode de scrutin a été conçu pour que droite et gauche se succèdent au pouvoir, en disposant à chaque fois d’une majorité claire. C’est également le cas au Royaume-Uni (où les travaillistes viennent de l’emporter massivement sur les conservateurs) ou aux Etats-Unis. Les électeurs n’ont pas toujours le gouvernement qu’ils désirent, mais, sur le long terme, les choses s’équilibrent. Les échecs d’un camp sont sanctionnés par la victoire de l’autre.


Dans d’autres pays, on garantit la satisfaction du plus grand nombre, non pas par l’alternance au pouvoir, mais par de vastes coalitions qui veillent à accommoder les préférences d’une large majorité de citoyens, et sont souvent relativement stables dans le temps, car modifiées à la marge seulement.


La difficulté pour la France est de passer de la première logique – qui ne peut plus fonctionner, dans un système où il existe trois forces politiques concurrentes – à la seconde. Pour ce faire, les responsables des partis doivent apprendre l’art de la négociation et du compromis. Mais, comme on l’a déjà indiqué, tant que les élections présidentielles resteront le but ultime des responsables politiques français, et la raison d’être des partis politiques, il y a peu de chances que cela fonctionne.

 

Source: Le Monde



Trois scénarios pour sortir de l’ornière

 

Quoi qu’en disent les uns et les autres, il n’y a pas de solution simple à la crise politique que traverse la France. Si Emmanuel Macron avait nommé Jean-Luc Mélenchon à Matignon lundi matin, il est probable que ce dernier aurait été censuré dès le 18 juillet. En effet, plusieurs responsables politiques ont – comme Laurent Wauquiez, pour les Républicains – fait valoir qu’ils voteraient la censure contre tout gouvernement impliquant des députés Insoumis. Et on imagine mal les députés du RN se priver de pareille occasion de protester contre le sort qui leur est fait. Certains, comme Gérald Darmanin, on fait remarquer que le centre de gravité de l’Assemblée est clairement à droite (si l’on considère que « Renaissance » est désormais à droite), et qu’il serait donc étrange que le représentant de l’aile la plus radicale du NFP gouverne, avec moins du tiers des députés (et 12% pour ce qui concerne LFI) et le quart des suffrages exprimés au second tour.


Mais quelles sont alors les options ?

 

1. La coalition majoritaire


C’est la solution la plus évidente, celle qui prévaut dans la grande majorité des démocraties avancées. Après les élections, où il est rare qu’un parti dispose d’une majorité, les partis entrent en négociations. En France, on s’entend avant les élections – pour donner naissance à des coalitions comme le NFP ou Ensemble !. Ailleurs, on échange après.


Il revient au Chef de l’Etat – souverain ou président – d’organiser le processus, en chargeant le responsable du parti arrivé en tête d’essayer de bâtir une coalition majoritaire sur la base d’un programme de gouvernement. Si cette personne échoue, la tâche est confiée au leader d’un autre parti. Et ainsi de suite. La Belgique détient le record de longueur d’un tel processus, puisqu’il a fallu jusqu’à 541 jours après les élections pour bâtir une coalition – durée pendant laquelle le précédent gouvernement avait continué à gérer les affaires courantes.


Le NFP, arrivé en tête des élections, devrait avoir la priorité. Toutefois, il ne compte que de 182 élus, auxquels on peut ajouter 13 députés « divers gauches » : il lui manque donc près de 100 voix pour faire une majorité absolue. La tâche ne sera pas simple, d’autant que les partenaires potentiels du NFP ont tous indiqué qu’ils refuseraient de négocier avec les députés Insoumis, qui représentent la première composante de la gauche (71 sièges).


Si le NFP échouait à réunir une majorité, le Président pourrait confier la tâche à un autre parti. Renaissance pourrait s’y essayer en mobilisant des députés à sa gauche et à sa droite. Le RN pourrait tenter sa chance aussi, en sollicitant des députés LR. Toutes les configurations sont envisageables et, dans des pays comme la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Italie, les plus exotiques ont existé. Mais, pour l’heure, la France n’emprunte pas ce chemin. Les représentants des différents partis ont déjà récusé la perspective de gouverner les uns avec les autres – à gauche comme à droite. Le NFP veut appliquer son programme tel quel ; Renaissance refuse toute alliance avec LFI ; Edouard Philippe a écarté l’idée d'alliance "contre nature" ; Laurent Wauquiez ne soutiendra pas un gouvernement impliquant des Insoumis.


Cette situation s’explique par deux facteurs. D’abord, la culture politique française n’est pas favorable à ce type d’alliances, qui ont toujours été limitées à un camp ou à l’autre, et négociées en amont du scrutin. En second lieu, la perspective d’une large coalition ou d’un gouvernement « d’Union nationale » entre en contradiction avec les préoccupations des principaux leaders politiques français. Eux se soucient avant tout de se positionner en vue des élections présidentielles de 2027 – ou d’éventuelles élections anticipées, si Emmanuel Macron venait à démissionner. Dans ces circonstances, ils sont plus incités à souligner leurs différences qu’à négocier avec leurs homologues. Quant aux partis, ils restent en France des écuries présidentielles, et pas des organisations destinées à s’entendre sur un programme pour gouverner.

 

2. Le gouvernement minoritaire


La V° République a déjà connu plusieurs gouvernements minoritaires – dirigés par Michel Rocard, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy, Elisabeth Borne et, actuellement, Gabriel Attal. Ils ont réussi à se maintenir car les différentes oppositions ne se sont pas entendues pour adopter collectivement une motion de censure.


Pour que le NFP puisse gouverner, il faudrait qu’une centaine de députés – hors NFP – acceptent de ne pas le faire tomber. Renaissance pourrait aussi le faire, en trouvant environ 120 députés prêts à lui apporter un soutien au moins passif ; il serait toutefois politiquement délicat que le Président nomme un Premier ministre issu de son propre camp, car les citoyens comprendraient mal qu’après un vote de « clarification » au cours duquel le parti présidentiel a perdu près de 100 sièges, celui-ci continue à gouverner… L’hypothèse d’un gouvernement minoritaire du RN ou de LR semble plus improbable encore, compte tenu de leurs effectifs respectifs. Mais la logique serait la même.


On pourrait, en pareille hypothèse, avoir un gouvernement cantonné à la gestion des affaires courantes, incapable de proposer des réformes d’ampleur. Sa durée de vie serait probablement limitée.

 

3. Le gouvernement technique


En cas de blocage persistant, il resterait l’option de former un gouvernement « technique », en attendant les prochaines élections législatives, à l’issue du délai d’un an prévu par la Constitution. Un tel gouvernement serait composé de ministres sans affiliation partisane explicite, choisis pour leurs compétences, leur expérience et leur « sagesse », et qui gèreraient les affaires courantes sans entreprendre de réforme majeure. Ils pourraient compter sur les forces politiques soucieuses du bon fonctionnement des institutions du pays, et ils échapperaient à la censure en évitant de prendre des initiatives clivantes.

 

Un gouvernement des sages?

Un tel gouvernement n’a jamais existé en France, mais il est assez commun dans les régimes parlementaires ; l’Italie, par exemple, en a fait l’expérience à plusieurs reprises. Il reste que ces gouvernements ne durent jamais longtemps, et sont généralement victimes à la fois de leur manque de légitimité – puisqu’ils ne représentent aucun parti, et donc aucun électeur – et des ambitions des responsables des partis – qui sont souvent impatients d’accéder au pouvoir.


Vers une VI° République ?

 

La France connaît une crise institutionnelle et politique liée à deux facteurs principaux : l’épuisement du présidentialisme "jupitérien", dont les citoyens sont las, et un paysage politique tripartite, qui s’ajuste mal aux institutions de la V° République prévues pour une vie politique bipolaire. On se dirige sans doute vers un rééquilibrage, au moins provisoire, de l’équilibre entre les institutions, en faveur de l’Assemblée nationale. Le Président devra, dans tous les cas, se mettre en retrait, et l’Assemblée apprendre à devenir une force de proposition, et non pas seulement une chambre d’enregistrement ou de contestation, où les élus de la majorité approuvent les textes sans les lire et ceux de l’opposition les critiquent sans les lire davantage.


Emmanuel Macron – s’il reste Président – ne pourra pas continuer à superviser chaque initiative du gouvernement. Il conservera des moyens importants pour gérer les questions internationales et européennes, et celles qui ont trait à la défense, et pourra s’opposer ponctuellement à des initiatives du gouvernement. Mais il ne sera légitime pour cela que s’il s’agit de préserver les institutions ou les valeurs de la République, et pas de s’opposer à des choix politiques.

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