La France est l’un des pays européens les plus endettés et dont le déficit public est le plus important. Néanmoins, dette et déficit sont des sujets dont les responsables politiques n’aiment pas parler – comme si les évoquer allait réveiller les créanciers du pays ou paniquer les marchés. Les journalistes ne les encouragent guère, car ce sont des sujets qu’ils maîtrisent mal ou trouvent trop arides pour les citoyens. Le budget n’est donc pas une thématique importante lors des campagnes électorales, et les candidats se contentent le plus souvent d’annoncer de nouvelles dépenses sans s’appesantir sur leur financement. Mais, alors que le parlement vote chaque année un budget en déficit de 25% et que le pays cumule plus de 3.000 milliards de dette, peut-on vraiment faire abstraction de ces enjeux ?
A l’occasion de la campagne pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, on évoque beaucoup les mesures proposées par les différents partis, qui rivalisent de créativité dans le registre de la générosité : hausse du Smic, baisse du coût de l’énergie, gratuité de tel ou tel service public, relèvement des minima sociaux, nouvelles allocations, réduction des impôts ou de la TVA… Ils sont en revanche moins diserts sur le chiffrage et le financement de tout cela.
Comme la plupart des journalistes et chroniqueurs français sont peu à l’aise avec les chiffres, et souvent incapables de distinguer millions et milliards, ils préfèrent polémiquer sur les petites phrases des candidats que de les cuisiner sur la viabilité de leur budget. Et c'est tant mieux, car rares sont les responsables politiques français qui peuvent parler plus d'une minute du sujet sans proférer des énormités.
Sans entrer dans les détails d'une question il est vrai très complexe, il convient de faire 4 rappels simples:
En 2024, le budget de la France (l’Etat seul) prévoit 582 milliards d’Euros de dépenses. Le PIB du pays (la totalité des richesses produites en une année) était de 2.803 milliards d’Euros en 2023 ; les dépenses de l’Etat représentent donc 21% de cette somme ; avec les collectivités territoriales et les caisses de Sécurité sociale, ça fait un total de 57%. Cet argent n'est pas intégralement dépensé : la plus large partie est simplement redistribuée, de telle catégorie de la population à telle autre, mais c'est un record du monde néanmoins ;
On dit que le déficit public de la France est de 5,5%. C'est plus que les 3% prévus par le Traité budgétaire européen, mais cela semble raisonnable... Mais on ne précise jamais que c'est 5,5% du PIB (5,25% pour le seul déficit de l'Etat), et pas 5,5% du budget... Le déficit du budget lui-même, c'est à dire la part des dépenses de l'Etat à financer par l'emprunt, devrait être en 2024 de 147 milliards sur 582, soit 25%. Et ce sont de simples projections ; ce sera plus. C’est un peu comme si une personne qui gagnait 1.500 Euros par mois en dépensait tranquillement 2.000. D'aucuns estiment que la comparaison n'a pas de sens: l'Etat est plus solvable qu'un ménage et, surtout, il peut augmenter les prélèvements pour réduire les déficits, ce qu'un ménage ne peut pas faire. Soit. Mais aucun candidat n'a proposé cela; le NFP veut certes taxer davantage les riches, mais c'est pour taxer moins les autres et financer de nouvelles dépenses. En somme, personne ne propose de réduire structurellement le déficit de l'Etat, car cela passerait par des mesures désagréables;
La dette de la France (l'Etat) s'élève à plus de 3.000 milliards d’Euros : plus que son PIB annuel. Sachant qu'il y a 68 millions d'habitants en France, chacun d'eux est endetté à hauteur de 45.000 Euros au nom de l'Etat. Et davantage au nom des collectivités.
Enfin, Bruno Le Maire, alors ministre de l'économie, indiquait l'an passé qu'en “2027, la charge de la dette sera le premier poste de dépenses de l’Etat. Cette dépense atteindra alors 71,2 milliards". Rappelons que la totalité de l'impôt sur le revenu a rapporté, en 2023, 113 milliards. Certains estiment que, à la différence d'un ménage ou d'une entreprise, l'Etat n'a pas à rembourser le capital de sa dette, et qu'il ne faut donc pas s'inquiéter de son montant et des conditions de son remboursement. Il reste que les intérêts sont dus chaque année, et que leur montant flambe avec l'accroissement de la dette et l'augmentation des taux d'intérêts.
En somme, il est étonnant d’entendre les différents partis proposer d’ajouter 10 ou 100 milliards de dépenses publiques non financées à la dette du pays sans que les éditorialistes les plus piquants et les intervieweurs les plus pugnaces y trouvent à redire. Certes, les candidats nous expliquent que ce surcroît de dépenses va générer une plus forte croissance, qui viendra alimenter en retour le budget de l'Etat, mais les prévisions des pouvoirs publics sont chaque année d’un grand optimisme, et les déficits toujours plus importants que prévus.
Les gouvernants invoquent alors le caractère exceptionnel de la situation, liée à telle ou telle crise ou difficulté imprévue. C'est le "quoi qu'il en coûte" d'Emmanuel Macron: dépenser sans compter pour faire face à une situation exceptionnelle, afin d'éviter de mettre à terre toute l'économie. Il reste que, pas une seule fois, les prévisions budgétaires se sont révélées exactes.
L’idée de certains est aussi de mettre davantage à contribution les plus fortunés pour réduire les déficits. Par exemple, on pourrait priver Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, de ses biens: 187 milliards d'Euros. Mais, même en le faisant (ce qui reviendrait à mettre plus de 200.000 personnes au chômage, puisque sa fortune est essentiellement composée de ses entreprises, et pas d'un tas d’or comme Oncle Picsou), on ne financerait qu’une année de déficit du pays.
Il est logique que les plus fortunés contribuent davantage au financement de l'Etat, car l’évolution exponentielle de leur patrimoine est indécente. Par ailleurs, il n'est pas question de tailler massivement dans les dépenses de l'Etat, car les services publics font partie du modèle socio-économique auquel les citoyens français sont attachés, et que nombre d'entre eux ne peuvent survivre que grâce aux transferts sociaux.
Néanmoins, il est inquiétant de voir nos responsables politiques rivaliser de propositions budgétaires fantaisistes et non financées pour appâter les électeurs. Leurs attentes seront nécessairement déçues, car les gouvernements doivent préserver la confiance des marchés pour financer les déficits à un taux acceptable. Le refus des leaders politiques d'aborder de front les questions budgétaires, du moins en temps de campagne, est coupable, car il sape la confiance que les citoyens ont dans les institutions et le jeu démocratique.
Olivier Costa
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