Bien qu’elles fassent partie de mon métier, je n’ai jamais apprécié les soirées électorales. Je trouve agaçant le défilé des responsables politiques qui expliquent, avec la foi du charbonnier et des airs pénétrés, qu’en dépit des résultats, le scrutin est une grande victoire pour eux ou une défaite majeure pour leurs adversaires, avancent toutes sortes de calculs pour démontrer qu’ils auraient mérité de gagner ou que d’autres auraient dû perdre, et exigent des choses fantaisistes. Les élections législatives de 2024 resteront un mètre-étalon en la matière, avec un Jean-Luc Mélenchon, élu à rien, qui exige Matignon alors que son propre parti n’a pas progressé et n’obtient que 12% des sièges, des responsables de la majorité présidentielle qui crient victoire après avoir perdu près de 100 députés, et un Jordan Bardella qui remet en cause le mode de scrutin et le droit des citoyens de faire barrage à ses candidats. Les éditorialistes, eux, soulignent la victoire de la gauche. Elle est certes inattendue, mais il convient de la relativiser et de considérer avec précautions l'idée que le prochain Premier ministre doit nécessairement être issu des rangs de LFI.
Une victoire-surprise du NFP à relativiser
Le NFP a « gagné » ces élections, en remportant le plus grand nombre de sièges (182 sur 577), dans un paysage politique plus fragmenté que jamais. Il est d’autant plus fondé à le prétendre qu’aucun sondage ne laissait entrevoir cette possibilité, et qu’il a bénéficié d’une belle mobilisation de son électorat au second tour et de reports de voix massifs. Il reste cependant très loin de la majorité absolue (289) qui signifie une victoire aux législatives, et son score reste médiocre par voie de comparaison avec la plupart des élections législatives sous la V° République.
Source: France Info
Certes, le NFP progresse en nombre de sièges par rapport à la NUPES : 182 contre 150.
LFI emporte la plus grosse part du gâteau (74 sièges), pour avoir obtenu le plus grand nombre d’investitures, malgré son mauvais score aux européennes (9,89% des voix). Mais il ne fait pas mieux que dans l’Assemblée nationale sortante (74 contre 75 en 2022), alors que le PS double le nombre de ses élus (59 contre 27) et qu’EELV progresse également (28 contre 16).
Le RN reste majoritaire en voix
Les élections législatives sont un cuisant échec pour le RN, qui voit s’envoler la perspective de gouverner. C’est une défaite si l’on se réfère aux résultats des sondages qui donnaient, invariablement, une majorité absolue ou relative au RN. Hier soir encore, certains instituts anticipaient plus de 220 députés du RN : les résultats définitifs (143, en ce compris les 17 LR ralliés) sont une douche froide. C’est aussi une défaite car il n’y a pas eu de dynamique autour du RN après les européennes du 9 juin dernier, et que les reports de voix ont été mauvais. Concrètement, les électeurs LR et Ensemble ont préféré voter pour d’autres candidats que ceux du RN, et montré que le barrage républicain existe toujours. C’est enfin une défaite si l’on examine la prestation de Jordan Bardella durant la campagne du second tour, incapable d’expliquer son programme et de défendre des propositions – telles que l’interdiction des emplois « sensibles » aux citoyens binationaux – qui semblent avoir été conçues sur un coin de table en fin de banquet.
Source: Ministère de l'Intérieur
Il faut toutefois souligner la progression du RN. Il gagne 54 sièges par rapport à l’Assemblée sortante (89 députés) – si l'on compte les 17 ralliés LR. Il réunit par ailleurs 32,05% des suffrages exprimés au second tour, loin devant le NFP (25,68%) et la majorité présidentielle (23,15%) : le RN est, clairement, le premier parti de France, et il double son score de 2022 (17,30%). Enfin, il se maintient par rapport aux européennes du 9 juin dernier (31,37% des suffrages exprimés), malgré une campagne ratée. Il est surtout « victime » du mode de scrutin uninominal à deux tours et du front républicain – même si les électeurs sont en droit de reporter leurs voix sur le candidat qui leur déplaît le moins au second tour. De toute évidence, ceux du RN continuent de rebuter une large partie de l’électorat et il n’est donc pas contraire à la logique démocratique qu’ils aient été écartés au profit de candidats plus consensuels.
Comment constituer une coalition ?
Jean-Luc Mélenchon exige de gouverner pour appliquer le programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme, au besoin « par décret », pour contourner les éventuelles oppositions de l’Assemblée nationale. Mais les choses ne peuvent pas se passer ainsi.
Il faut à présent que les différents partis négocient les uns avec les autres pour déterminer qui peut réunir 289 députés – pour pouvoir adopter des textes de loi et éviter la censure – et sur la base de quel programme. Autrement dit : si le NFP veut gouverner, il doit trouver un accord politique avec d’autres forces politiques, pour réunir les 107 sièges qui lui manquent afin d’atteindre la majorité absolue. Qui peuvent être ces élus ? Vont-ils accepter de se rallier au programme du NFP et en accepter les éléments les plus controversés ? Cela semble exclu.
Composition de la nouvelle Assemblée nationale, et de la sortante (Le Monde)
La solution la plus évidente serait une coalition avec les 168 députés de la majorité présidentielle. Mais on voit mal certains Insoumis accepter cela, compte tenu des premières déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches. Il faut donc imaginer une coalition impliquant une partie seulement du NFP (sans LFI) ; mais, dans ce cas, la majorité absolue serait hors d’atteinte. Il faudrait alors mobiliser certains élus Républicains et divers droite, qui totalisent 60 sièges. Sachant qu’ils ont refusé depuis 2022 de gouverner avec Renaissance, accepteraient-ils de le faire avec le NFP ? Ce serait surprenant.
Vers une coalition de droite?
D’un point de vue comptable, une autre coalition reste alors possible, si les Républicains et leurs alliés acceptent, enfin, de gouverner avec Ensemble. Les premiers comptent en effet 60 députés et les seconds 168, ce qui fait un total largement supérieur au NFP (228 contre 182). Gérald Darmanin faisait remarquer hier soir que « le pays est à droite » – ce qui est une vérité objective si l’on considère que « Ensemble » est à droite – et qu’il faut donc gouverner à droite. Mais il resterait 61 sièges à trouver, ce qui n’est pas une mince affaire. Et, surtout, il serait paradoxal que la majorité présidentielle, qui a été clairement désavouée hier soir, reste au gouvernement…
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