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Photo du rédacteurOlivier Costa

Face à la réélection de Donald Trump, l’Union européenne doit prendre son destin en main


Cette tribune, signée par 15 membres du Conseil scientifique de l'Union des fédéralistes européens, a été publiée par Le Monde, le 6 novembre 2024. J'ai tenu la plume.


Le retour du républicain à la Maison Blanche devrait inciter les Européens à poursuivre l’intégration européenne pour assurer eux-mêmes leur prospérité économique, leur sécurité militaire et la promotion des valeurs démocratiques, estiment des membres du conseil scientifique de l’Union des fédéralistes européens dans une tribune au « Monde ».





La réélection de Donald Trump, surtout si la victoire des républicains se confirme aussi au Sénat, est de nature à bousculer trois principes qui sont au fondement même du mode de vie et de la prospérité de l’Europe : une économie reposant en large partie sur le commerce transatlantique, une sécurité dépendant principalement de l’OTAN, et des systèmes politiques fondés sur la démocratie libérale et la croyance dans la possibilité d’une concorde entre les peuples.

Ce constat n’est pas nouveau. Depuis des années, divers études, tribunes et rapports viennent alerter l’opinion publique européenne sur ce triple risque.

Celui, d’abord, d’un décrochage économique et technologique de l’Union européenne vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis : récemment, le rapport Draghi a rappelé que l’Europe ne s’est jamais remise de la crise financière de 2008, qu’elle a raté le coche du numérique et qu’elle n’attire plus les investisseurs.

 

Isolationnisme

 

Il y a, ensuite, une ombre sur la sécurité de l’Europe, confrontée aux menées de la Russie et au repli des Etats-Unis ; la campagne électorale a démontré que l’isolationnisme a le vent en poupe chez les citoyens américains, qui ne semblent préoccupés que par les rapports de leur pays avec la Chine.

Le troisième risque est celui d’une remise en cause globale des valeurs de la démocratie libérale qui fondent les systèmes politiques des Etats de l’Union et les institutions de celle-ci ; les violentes diatribes qui font désormais le quotidien de la vie politique américaine montrent qu’elles sont mal en point, et que des forces puissantes promeuvent une conception beaucoup plus brutale de l’espace public.

L’Europe est au pied du mur et doit se préparer à des évolutions alarmantes. Celle d’une politique ouvertement protectionniste des Etats-Unis et d’une négation, plus ou moins virulente, des principes qui fondent le commerce international depuis la seconde guerre mondiale. Celle d’un désinvestissement américain, plus ou moins rapide et prononcé, des mécanismes de sécurité globale. Celle, enfin, d’une remise en question des vertus de la démocratie libérale.

Dans ce contexte critique, l’intégration européenne est en panne de projet, de budget et de leadership. Du côté des Etats membres, aucun responsable politique ne semble plus capable ou désireux de faire avancer les choses à l’échelle européenne ; avec l’élection de Donald Trump, le sauve-qui-peut national est à redouter.

 

Les idées radicales ont le vent en poupe

 

Du côté de la Commission, la reconduction d’Ursula von der Leyen est intervenue alors que de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement sont en difficulté et s’est accompagnée du départ des personnalités les plus fortes au sein du collège des commissaires : il est probable qu’au nom de ses conceptions atlantistes, elle ne voudra prendre aucune initiative qui pourrait déplaire aux autorités américaines.

Du côté de la société civile, les idées radicales ont le vent en poupe, et la tentation est grande de s’en remettre, comme aux Etats-Unis, au protectionnisme et au repli national.

A l’heure où les discussions budgétaires font rage en France, il faut aussi rappeler que, alors que le budget de l’Etat fédéral américain représente environ 25 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, celui de l’Union européenne se limite à 1 % du PIB des Vingt-Sept. Avec une capacité budgétaire aussi faible, elle s’interdit toute action d’ampleur en matière de politique industrielle, d’innovation, d’action sociale, de transition écologique ou de défense.

Les prochains débats budgétaires poseront inévitablement la question d’une nouvelle répartition des financements disponibles, avec le risque de voir sacrifiés des secteurs essentiels pour l’Union européenne, tels que l’agriculture, la politique régionale ou encore l’éducation et la recherche.

L’Europe doit prendre son destin en main, à un triple niveau.

 

Décisions ambitieuses et inconfortables

 

Elle doit accélérer l’intégration économique et technologique pour donner à ses entreprises les moyens d’être concurrentielles à l’échelle globale, dans un monde où les règles du jeu évoluent rapidement.

Elle doit aussi veiller à sa sécurité militaire collective, face à la double menace que représentent l’impérialisme russe et le repli des États-Unis.

Elle doit enfin défendre vigoureusement ses valeurs, l’attention qu’elle porte au progrès social, aux libertés, à la protection de l’environnement, et lutter efficacement contre les ingérences étrangères dans sa vie démocratique.

Ce sursaut pourrait s’incarner, sans délai, dans la mise en place d’un cadre de défense européen. La tâche n’est pas aisée, car elle soulève des questions complexes qui exigeront des réponses courageuses.

L’augmentation des dépenses militaires doit-elle s’accompagner d’une réduction d’autres investissements ou d’une augmentation des prélèvements ? Peut-on penser une défense européenne sans une plus grande intégration politique et la création d’institutions – possiblement fédérales – capables de prendre des décisions au nom de l’Union ? Comment accompagner les changements socio-économiques qu’entraîneront des investissements massifs dans une politique industrielle de défense commune ?

Pour préserver son avenir, l’Union européenne doit prendre des décisions ambitieuses et inconfortables. Les bouleversements en cours, à l’Est comme à l’Ouest, sont un appel pressant à plus d’audace, à l’heure où la plus petite initiative européenne exige des trésors de diplomatie et des négociations interminables. Seul un surcroît d’intégration permettra de lutter contre les ambitions impériales et d’assurer la sécurité de l’Europe après la fin de la pax americana.

 

Signataires : Arvind Ashta, professeur de finances, Burgundy School of Business ; Robert Belot, professeur des universités (histoire), université de Saint-Etienne ; Christine Bertrand, maîtresse de conférences en droit public, université Clermont-Auvergne ; Frédérique Berrod, professeur des universités (droit), Sciences Po Strasbourg ; Yann Moulier-Boutang, professeur des universités émérite (sciences économiques), université de Technologie de Compiègne ; Christophe Chabrot, maître de conférences (droit public), université Lumière-Lyon-2 ; Olivier Costa, directeur de recherche CNRS, Cevipof - Sciences Po ; Michel Devoluy, professeur des universités honoraire (sciences économiques), université de Strasbourg ; Sophie Heine, autrice et consultante, chercheuse associée à l’Institut Egmont ; Jacques Fayette, professeur des universités honoraire (sciences de gestion), université Lyon-3 ; Marc Lazar, professeur émérite d’histoire et de sociologie politique, Sciences Po ; Gaëlle Marti, professeure de droit public, université Jean-Moulin-Lyon-3 ; Alexandre Melnik, professeur, ICN Business School Nancy-Metz ; Ghislaine Pellat, maîtresse de conférences (gestion), université de Grenoble ; Céline Spector, professeure des universités (philosophie), Sorbonne-Université.

Tous les signataires sont membres du conseil scientifique de l’Union des fédéralistes européens (UEF).

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