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Accord commercial Union européenne / Etats-Unis: rira bien qui rira le dernier

Dernière mise à jour : 29 sept.


Depuis l’annonce de l’accord transatlantique sur les questions commerciales, les commentaires vont bon train. Ursula von der Leyen est accusée d’avoir cédé à toutes les exigences de Donald Trump afin de mettre un terme – bien hypothétique – à l’incertitude qui mine les acteurs de l’économie européenne. Trump triomphe et la Commission tente de justifier sa faiblesse. Mais cet accord est-il vraiment aussi désastreux qu’on le dit ?

 

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, en janvier dernier, les Européens s’angoissent au rythme de ses déclarations sur les droits de douane qu’il entend appliquer aux importations européennes. Il a lancé plusieurs ultimatums, assortis de divers taux et dates limites, et a fait machine-arrière à plusieurs reprises. A quelques jours de la date butoir, la Présidente de la Commission s’est rendue en Ecosse, où séjournait le Chef d’État américain, et a négocié un accord entre deux parties de golf présidentielles.

 

Un accord objectivement déséquilibré

 

De toute évidence, l’accord est très défavorable aux Européens. Leurs exportations seront frappées de droits de douane de 15% (et bien plus pour des produits comme l’acier et l’aluminium), sans que des taxes ne s’appliquent en retour aux produits américains. En outre, Ursula von der Leyen s’est engagée sur un ambitieux plan d’investissements aux Etats-Unis, et d’achat d’énergie et d’armes. Les Eurosceptiques – pourtant prompts à soutenir Trump et à dénoncer la prétention de l’Union à agir au nom des 27 – stigmatisent la faiblesse et l’illégitimité de la Présidente de la Commission. Les fédéralistes sont déçus par son manque d’audace et par son incapacité à surmonter les éternelles divisions et atermoiement des leaders européens. Les éditorialistes se désolent de l’image que cet accord donne de l’Union, à l’échelle internationale comme à l’échelle domestique : en effet, comment faire respecter l’Union si elle se plie aux lubies de Donald Trump et si elle trahit les intérêts de ses citoyens pour ménager ceux des industriels ? 


Un évident aveu de faiblesse

 

Depuis les premières menaces de Donald Trump, l’Union fourbit pourtant ses armes, et annonce de possibles mesures de rétorsion. Les institutions européennes ont longuement discuté de la possibilité de taxer fortement certaines importations américaines. Elles ont aussi abondamment évoqué le recours à l’instrument « anti-coercition » dont l’Union s’est récemment dotée, et qui permet, par exemple, de bloquer l’accès des entreprises d’un État tiers inamical aux marchés publics. Les tensions avec Donald Trump avaient, plus largement, valeur de test pour les nombreuses déclarations faites ces dernières années au sujet de l’Europe « géopolitique », « puissance » ou « souveraine », de son « autonomie stratégique », de sa réindustrialisation, de son retour au réalisme dans les relations internationales, ou encore de l’affirmation de sa place entre les autres grands blocs. Finalement, rien de tout cela ne s’est concrétisé : la Commission a négocié un accord qu’elle défend piteusement en indiquant que cela aurait pu être pire et que, tout bien considéré, c’était la meilleure chose à faire.

 

La Présidente avait-elle réellement le choix ?

 

De nombreux commentateurs estiment que cet accord désastreux est imputable à la Présidente de la Commission. Elle a en effet la réputation – sans doute justifiée – d’être une atlantiste forcenée. On lui reproche aussi d’être aux ordres de sa famille politique (le PPE), et tout particulièrement de la CDU, sa branche allemande, qui se soucie plus de clarifier les règles du jeu auxquelles sont soumises les entreprises exportatrices que d’affirmer la puissance de l’Union ou de réprouver l’attitude du Président américain. D’une manière générale, Ursula von der Leyen n’a guère impressionné par sa capacité à négocier avec Donald Trump. Des experts comme Thierry Breton, ancien commissaire européen (2019-2024), et Jean-Luc Demarty, ancien Directeur général du Commerce extérieur à la Commission (2011-2019), ont multiplié les interventions pour mettre en doute l’existence même d’une stratégie de la Présidente.

 

Toutefois, compte tenu de l’attitude du Président américain, des divisions entre les États-membres, de la duplicité de certains leaders nationaux européens et des enjeux socio-économiques et géopolitiques de la négociation, on voit mal comment la Présidente aurait pu opter pour un conflit ouvert. En l’espace d’un semestre, Donald Trump a bouleversé tous les principes et codes des négociations internationales, laissant ses partenaires – en Europe comme dans le reste du monde – hagards et perplexes. Il est peu soucieux des conséquences de ses décisions, et semble prêt à une escalade sans fin des sanctions si ses intérêts politiques l’exigent. Les responsables des institutions européennes et les leaders des États membres se soucient bien davantage du respect des alliances et des traités, et de l’impact d’un éventuel conflit sur la croissance économique et le chômage. La négociation est fondamentalement asymétrique, car Donald Trump n’est pas accessible aux arguments de droit et de raison, et n’a visiblement peur de rien.

 

Une Présidente en roue libre ?

 

Contrairement à ce que l’on a beaucoup entendu ici et là, la Présidente de la Commission n’a pas agi seule ou sans mandat, et ne s’est pas dispensée de rendre des comptes. En matière commerciale, la Commission jouit d’un mandat du Conseil de l’Union ; les représentants des 27 définissent les grandes lignes de son action, la Commission négocie en leur nom et elle les informe régulièrement de ses progrès. La Présidente agit aussi au nom du collège des 27 commissaires, et n’a pas les mains libres, compte-tenu du principe de collégialité qui gouverne l’institution. Enfin, elle doit compter avec l’avis du Parlement européen qui, comme le Conseil, doit approuver les accords commerciaux qu’elle signe, et peut à tout moment désavouer son action, y compris par une motion de censure.

 

Des critiques convenues

 

Les commentateurs (responsables politiques nationaux, députés européens, grands-patrons, syndicalistes, éditorialistes, universitaires, experts…) qui condamnent presque unanimement l’accord sont très convaincants dans leurs argumentations, mais ils n’expliquent pas ce qu’ils auraient fait à la place de Mme von der Leyen. Ils prennent le soin de détailler les conséquences néfastes de l’accord, mais n’évoquent pas celles – économiques mais aussi géopolitiques – de la rupture qu’ils recommandent, le plus souvent implicitement. En effet, Donald Trump n'a pas fait mystère, lors du dernier sommet de l’OTAN, de sa volonté de lier commerce et sécurité : pas de soutien militaire sans accord commercial. Mais l’Union européenne peut-elle assurer, seule, le soutien à l’Ukraine ? Peut-elle se prémunir d’une offensive russe contre l’un de ses États membres sans l’appui des Etats-Unis ? D’un point de vue socio-économique, quelles auraient été les conséquences de taxes douanières de 30%, ou plus, sur l’ensemble des produits européens exportés aux Etats-Unis ? Il serait évidemment souhaitable que l’Union ne se soumette pas à la volonté d’un tyran, mais à quel prix ? On a lu et entendu peu de commentaires à ce sujet. Et il n’est pas sûr que les contempteurs de l’accord auraient félicité Mme von der Leyen si elle avait indiqué à Donald Trump que l’Union européenne refusait de céder à ses injonctions et à ses menaces.

 

L’Union puissance, certes, mais comment ?

 

Aujourd’hui, il n’est plus besoin d’être un fieffé fédéraliste européen pour appeler de ses vœux une Europe plus unie, plus ambitieuse et plus forte, dans un contexte international où les relations entre les blocs se tendent, et ou la logique du multilatéralisme, du respect de la chose signée et de la coopération loyale entre les nations est en net déclin. Les sondages d’opinion montrent clairement que les citoyens entendent que l’Union serre les rangs et prenne plus de responsabilités en matière de sécurité et de défense. Les négociations avec Donald Trump auraient pu être l’occasion d’affirmer la volonté des Européens de prendre en charge leur destin et d’affirmer fièrement leurs valeurs et leurs conceptions de la marche du monde, mais l’intendance aurait-elle suivi ? Comment se lancer dans une telle aventure lorsque, autour de la table du Conseil européen, il se trouve plusieurs responsables politiques ouvertement inféodés au Président Trump, d’autres qui paniquent à l’idée de perdre le parapluie nucléaire américain, et d’autres encore qui sont obsédés par la nécessité d’écouler leurs produits manufacturés ?


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Affirmer l’indépendance et la souveraineté de l’Europe est un processus long et complexe qui ne peut reposer exclusivement sur des mots et des décisions symboliques. Inversement, l’accord négocié par Ursula von der Leyen en Ecosse n’est pas non plus la marque d’un renoncement à toute ambition de puissance pour l’Union : ce n’est qu’une péripétie malheureuse dans un processus plus vaste. Surtout, deux raisons appellent à nuancer les critiques dont il a fait l’objet : l’accord n’est pas juridiquement contraignant et bien des promesses européennes n’engagent personne.

 

Un accord politique non contraignant

 

Mme von der Leyen et M. Trump se sont entendus et ont échangé une poignée de main, mais ils n’ont rien signé. Leur accord est du même ordre que celui noué entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni : il ne repose pas sur un traité, mais sur l’engagement réciproque à prendre des décisions unilatérales. L’accord UE–Etats-Unis pourrait prendre la forme d’un traité, mais dans ce cas, il devrait être négocié en détail, avec un mandat précis du Conseil. Il devrait aussi être ratifié par celui-ci à la majorité qualifiée, et approuvé à la majorité simple par le Parlement européen. Si l’accord prenait la forme d’un traité plus ambitieux (comme le CETA avec le Canada ou le traité UE-Mercosur), intégrant des éléments qui relèvent des compétences des États, il s’agirait alors d’un traité dit « mixte », qui réclamerait un vote à l’unanimité du Conseil, l’approbation du Parlement européen, et la ratification par les 27 parlements nationaux. Ce serait le cas si, par exemple, le texte comportait des éléments relatifs à l’achat de matériel militaire américain. Cette hypothèse est toutefois peu probable, car le risque d’échec serait trop grand. Pour l’heure, il s’agit donc un simple accord politique. Les plus critiques l’ont d’ailleurs bien noté, estimant qu’il n’empêchera pas Donald Trump de réviser sa position quand il le voudra.

 

Des promesses qui n’engagent que celui qui y croit…

 

L’accord repose aussi sur de nombreuses promesses verbales d’Ursula von der Leyen : achat de davantage d’énergie, d’équipements militaires, investissements aux Etats-Unis… Sur toutes ces questions, elle n’avait ni mandat, ni capacité juridique à s’engager. En effet, la politique énergétique des États membres reste très largement de leur ressort, et repose en grande partie sur les choix d’opérateurs privés. De même, les États sont libres d’acheter leur matériel militaire où ils veulent, et on a pu voir récemment que les stratégies des 27 en la matière sont très contrastées. La Commission et les États ne peuvent pas non plus contraindre les investisseurs européens à privilégier les Etats-Unis. L’accord commercial négocié en Ecosse rappelle celui conclu le mois dernier lors du sommet de l’OTAN : les États européens se sont engagés à accroître substantiellement leurs investissements militaires, mais cela n’est pas juridiquement contraignant. Les responsables nationaux concernés savent que Donald Trump ne sera plus au pouvoir d’ici quelques années, et ils seront sans doute très inventifs pour labelliser « OTAN » toutes sortes de dépenses sans rapport réel avec la défense.

 

Un bon calcul à moyen terme ?

 

Dans un océan de commentaires sceptiques, sarcastiques ou défaitistes, il y a donc deux raisons d’espérer que cet accord se révèle moins mauvais qu’il n’y paraît.


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En premier lieu, on l’a vu, une partie des promesses faites par Ursula von der Leyen n’engagent que celui qui y a cru. De toute évidence, Donald Trump aime les victoires et les symboles de sa grandeur, entend se prévaloir de grands succès auprès de son électorat, et se soucie assez peu des détails. Les promesses qui relèvent de la compétence des États membres et des opérateurs économiques ne sont que de belles paroles destinées à flatter l’égo du Président américain et à calmer son courroux.

En second lieu, cet accord démontre la nécessité pour les 27 de serrer les rangs et leur donne du temps pour le faire. Ces négociations baroques prouvent définitivement que l’Union ne peut plus compter sur les Etats-Unis – du moins tant que D. Trump ou J.D. Vance sera à la Maison Blanche. Les intérêts et conceptions des Américains et des Européens ne coïncident plus, et le Président américain ne cache pas sa profonde détestation du projet et des valeurs que porte l’Union. Il faut en prendre acte. Les institutions de l’Union et les États membres doivent donc déployer des stratégies à moyen et long terme pour limiter leur dépendance vis-à-vis des Etats-Unis – qu’il s’agisse de commerce, d’énergie ou de sécurité. Comme plusieurs responsables européens l’ont déjà indiqué, l’Union pourrait profiter de ce tournant dans les relations internationales pour prendre la tête d’une coalition d’États désireux de préserver et promouvoir les principes du multilatéralisme – à rebours des conceptions qui dominent désormais à Washington et à Moscou. L’accord Union–Etats-Unis peut donc être compris comme un répit pour les Européens, mais seulement s’ils en profitent pour se mettre en ordre de bataille.

 

Olivier Costa

 
 
 

1 commentaire


D'accord avec votre texte : quoi qu'on pense de madame von der Leyen, il est évident qu'elle tient son mandat du Conseil et n'agit donc pas " en roue libre ", comme il lui en a été fait le reproche . Par ailleurs, et vous le documentez fort précisément...elle fait ce qu'elle peut avec ce qu'elle a ! J'observe d'ailleurs que les industriels se gardent bien de crier haro sur le baudet. Ceci dit étant dit, je me pose une question : l'Europe, qui a interdit l'extraction de gaz de schiste sur son territoire va-t-elle en augmenter ses importations en provenance d'Amérique ?


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