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Tarifs douaniers américains: l’Union européenne ne se laissera pas faire

Photo du rédacteur: Olivier CostaOlivier Costa

Donald Trump a, de nouveau, menacé d’appliquer des taxes douanières de 25% aux importations européennes. L’Union semble désemparée : exclue des discussions sur l’avenir de l’Ukraine, elle serait divisée et dépourvue de stratégie face aux menaces du président américain. Mais est-ce bien vrai ? A y regarder de plus près, cette nième crise est peut-être en train de provoquer le sursaut politique tant attendu.

 


Donald Trump en 2025
Donald Trump en 2025


Trump : la tornade ou le chaos ?

 

Pour un chercheur, un blog est l’opportunité d’analyser et de commenter l’actualité en temps réel, sans attendre d’avoir le recul nécessaire à un article scientifique. Néanmoins, depuis l’investiture de Donald Trump le 21 janvier dernier, j’ai régulièrement renoncé à écrire au sujet de l’agitation qui s’est emparée des Etats-Unis et des réactions plus ou moins ordonnées de l’Union européenne, car la situation change de jour en jour. Chacun s’attendait à ce que Donald Trump prenne une série de décisions plus ou moins rationnelles et iconoclastes, mais personne ne pouvait imaginer qu’en cinq semaines il bouleverserait l’ordre mondial, laissant dériver les Etats-Unis vers un régime autoritaire aux mains de quelques milliardaires mégalomanes, battant en brèche la science et la médecine, organisant la discrimination de groupes entiers de la population, sabrant comme jamais dans les effectifs de l’administration fédérale, mélangeant allègrement business et action publique, s’ingérant dans la vie politique de pays tiers, remettant en cause des notions aussi fondamentales que la souveraineté des États et l’intangibilité de leurs frontières, devenant un allié objectif de la Russie à l’ONU – en votant avec la Biélorussie, le Nicaragua, la Corée du Nord et le Soudan…

 

A un journaliste américain qui me demandait récemment ce que les diplomates européens pensent de tout cela, j’ai répondu qu’ils étaient sans voix. Le type de conflit qu’ils ont l’habitude de régler est lié au choix d’un adjectif malheureux dans le discours d’un ministre, à l’oubli d’un drapeau lors d’un diner ou au report d’une visite officielle, et pas à la menace d’annexion d’un pays souverain, à la remise en cause de la légitimité d’un chef d’État ou à des décisions qui font abstraction du droit international. Les diplomates ne sont pas prêts à gérer une situation aussi outrancière, nourrie par les provocations d’un Donald Trump qui se réveille chaque matin en se demandant comment faire les gros-titres du soir.

 

Le président américain ne se contente pas, comme lors de son premier mandant, de promouvoir une vision égoïste des intérêts de son pays, tempérée par la technostructure fédérale. Désormais, il agit à sa guise et ne semble mu que par ses intérêts personnels – et ceux des businessmen qui l’entourent – et ses lubies du moment, au détriment de toute réflexion organisée sur les intérêts de son pays et de ses alliés.

 

 

L’Union européenne tétanisée ?




 

Le choc est rude, mais l’Union européenne n’est pas inerte. Elle n’a certes pas l’agilité d’une fédération, car elle doit composer avec la lourdeur d’un système décisionnel polycentrique, l’absence de véritable leadership et les divergences, parfois profondes, qui existent entre ses 27 Etats membres. Depuis toujours, l’Union est plus capable de gérer les affaires courantes que de lancer de grands projets et des réformes ambitieuses. Elle n’y parvient que lorsqu’elle se trouve au pied du mur et que la pression est suffisamment forte pour que les représentants des Etats acceptent l’idée qu’ils n’ont pas d’autre option que de lui concéder davantage de compétences et de pouvoirs, et de faire les concessions qu’exige l’émergence d’une position commune.

 

Ainsi, la crise financière de 2008 a permis à l’Union d’adopter toute une série de mesures destinées à sauver la zone Euro, qui n’auraient jamais abouti en temps normal. Il en a été de même pour la crise migratoire déclenchée en 2015 par l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés syriens sur les côtes européennes. La pandémie du COVID19 a conduit l’Union à développer rapidement des initiatives en matière de santé publique, et a convaincu les 27 de créer une dette commune pour soutenir leurs économies. Enfin, l’invasion de l’Ukraine en février 2022 a suscité une mobilisation sans précédent sur les questions de défense et permis des avancées rapides sur nombre de sujets sensibles.

 

En outre, si l’Union européenne est parfois lente à réagir, elle ne manque pas d’idées et de projets. C’est en effet un système politique dont les acteurs défendent une multiplicité de propositions et de points de vue, et vivent dans l’attente de pouvoir les faire entendre. Face à un problème inédit, les 27 ne sont donc jamais démunis : c’est l’occasion pour les uns et les autres – commissaires, haut-fonctionnaires, ministres, diplomates, députés, experts… – d’avancer des idées préparées de longue date. Enfin, il faut rappeler que la Commission a une forte culture de l’anticipation, et raisonne toujours en termes de scénarios, en n’oubliant pas d’envisager le pire.

 

 

L’Europe tient bon

 

Depuis un mois, l’Union vit dans l’attente de l’annonce par Donald Trump de l’augmentation des droits de douane sur les produits européens. Il souffle le chaud et le froid, et multiplie les déclarations fantaisistes sur l’ampleur du déficit commercial entre les deux blocs et le refus des Européens d’acheter des produits américains. Récemment, il a présenté – en des termes très crus – l’Union comme un projet conçu pour nuire aux Etats-Unis. Le 26 février, il a renouvelé ses attaques et annoncé qu’il imposera début mars des droits de douane de 25% sur toutes les importations européennes.

 

L’enjeu est crucial, car l’économie européenne est fondée sur le commerce international : l’Union a un besoin vital d’énergie et de matière premières, et doit importer les nombreux produits qu’elle ne fabrique pas. Mais elle exporte aussi massivement sa production industrielle et agricole, et reste la seconde puissance commerciale après la Chine.

 

Ursula von der Leyen
Ursula von der Leyen

Une Commission plus virulente

 

Depuis l’investiture de Donald Trump, Ursula von der Leyen affirme qu’il est possible d’éviter une escalade, et que personne n’a intérêt à une guerre commerciale. La Commission a toutefois répliqué vivement aux dernières déclarations du Président américain, avertissant qu’elle réagirait « fermement et immédiatement » à de nouvelles taxes. Elle a aussi contesté le mauvais procès qui était fait à l’Union, et a rappelé que l’intégration européenne a été « une aubaine » pour les Etats-Unis, en permettant aux Américains d’exporter les mêmes produits sur tout le marché européen et d’y investir massivement. Le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, a contesté les allégations de Donald Trump qui répète qu’il existe un « déficit commercial de 300 milliards de dollars avec l’Union ». Dans les faits, il est de 150 milliards de dollars sur les biens, compensé, à hauteur de 100 milliards de dollars, d’un surplus américain sur les services. Le déséquilibre se limite donc à 50 milliards sur un total d’échanges de 1.600 milliards de dollars.

 

La Commission affirme désormais être prête à toutes les éventualités, mais refuse de dévoiler ses intentions face à un Donald Trump passé maître dans l’art du bluff. Son désir de dialogue s’est nettement émoussé en raison de l’attitude condescendante du Président américain, qui a refusé de rencontrer Ursula von der Leyen ou Kaja Kallas, la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, et qui agit comme si l’Union n’existait pas.

 

 

L’Europe restera sans doute unie

 

Il est de bon ton, dans les médias et l’espace public, de moquer la faiblesse de l’Union européenne. Elle s’illustrerait à merveille dans la volonté de Donald Trump et Vladimir Poutine de sceller le sort de l’Ukraine sans convier ni les Européens, ni les Ukrainiens, à la discussion. Il faut toutefois nuancer ce point de vue à trois égards.


D’abord, le désir des présidents américain et russe de faire abstraction de l’Union reflète aussi leur crainte de la voir émerger parmi les grandes puissances. Il y a 20 ans, personne n’aurait songé à la convier aux négociations ; refuser sciemment de le faire, c’est admettre que cela est désormais dans l’ordre des choses.

 

Le navire européen dans la tempête (IA)
Le navire européen dans la tempête (IA)

En deuxième lieu, il faut rappeler que l’Union européenne n’a pas été créée pour assurer des missions de sécurité et de défense, et que ses compétences comme son budget en la matière sont encore très limités. La situation actuelle se prête sans doute plus à réfléchir à la manière de les accroître, qu’à dénoncer la passivité d’une organisation qui doit se contenter de moyens dérisoires.

 

Enfin, il faut considérer avec prudence l’idée que les 27 seraient très divisés. Il existe certes de nettes divergences stratégiques entre ceux qui cherchent la neutralité, ceux qui pensent encore possible de négocier avec les Américains et ceux qui estiment que Trump ne comprend que les rapports de force. Les intérêts des Etats membres ne sont en effet pas les mêmes, qu’il s’agisse de sécurité ou de commerce. Les initiatives européennes sont aussi entravées par la présence, autour de la table, de quelques leaders proches de Donald Trump et/ou de Vladimir Poutine. Le Président américain ne cache pas qu’il compte sur les divisions des Européens et il est possible que, s’il décide d’imposer des taxes douanières supplémentaires, il en exempte certains Etats considérés comme « amis ».

 

 

Les précédents du Brexit et de la guerre en Ukraine

 

Il faut toutefois rappeler que, dans le passé, plusieurs leaders se sont cassé les dents à trop compter sur les divisions des européens. Ce fut le cas des négociateurs britanniques du Brexit, qui n’imaginaient pas se heurter au front uni des 27 et devoir négocier avec le seul Michel Barnier. Le référendum de 2016 n’a en effet pas suscité « l’effet domino » espéré par certains, et les Britanniques n’ont pu compter sur aucun allié au sein du Conseil européen. Il en a été de même pour M. Poutine, qui ne s’attendait sans doute pas à ce que l’Union européenne se mobilise aussi rapidement et unanimement pour soutenir l’Ukraine. Le Premier ministre hongrois, M. Orban, a certes essayé de saboter le processus, mais ses efforts ont été peu efficaces.

 

Un sommet européen est prévu le 6 mars pour évoquer le sort de l’Ukraine, en présence du président Zelensky, et envisager des solutions au possible désengagement américain de l’OTAN. Si Donald Trump met ses menaces de nouvelles taxes à exécution d'ici là, les 27 devront aussi définir une ligne de conduite. Et, contrairement à ce que l’on entend souvent dire, les solutions existent. Cela fait un an que les services de la Commission et du Conseil travaillent à une riposte, dans l’hypothèse de la victoire de Trump et du déclenchement par celui-ci d’une guerre commerciale. Ces instruments permettront de faire pression sur les Etats-Unis qui ont, eux aussi, beaucoup à perdre dans une guerre commerciale transatlantique.

 

 

Quels leaders pour porter les réformes ?

 

Dans l’Union, comme dans toute organisation, un changement d’ampleur réclame la réunion d’au moins trois conditions : un consensus sur l’idée que le statu quo n’est pas la meilleure option ; l’existence de projets de réformes ; et des personnes capables de les porter. Pour l’heure, l’Europe souffre surtout d’une absence de leadership. Les responsables des institutions européennes n’ont pas la capacité juridique ou politique de faire bouger substantiellement les lignes et, autour de la table du Conseil européen, c’est l’atonie depuis quelques années déjà. Mais les choses évoluent.

 

Emmanuel Macron, qui est désormais contraint par la situation politique française de se focaliser sur les questions européennes et internationales, a multiplié les initiatives, en organisant un mini-sommet sur la défense européenne à Paris et en s’invitant à Washington pour rencontrer Donald Trump. Cette semaine, à l’occasion de sa visite d’État au Portugal, il a appelé les Européens à se montrer « plus que jamais unis et forts » et à refuser la « vassalisation heureuse » vis-à-vis des Etats-Unis. Il est aisé de railler les gesticulations du Président français et de rappeler qu’il est reparti bredouille de Washington, mais sa mobilisation est de nature à inspirer d’autres leaders européens et à susciter une dynamique.


Emmanuel Macron et Donald Trump à la Maison blanche
Emmanuel Macron et Donald Trump à la Maison blanche

Donald Tusk, le président polonais, dont le pays assure la présidence du Conseil ce semestre, s’est lui aussi montré offensif vis-à-vis des Etats-Unis, en contraste avec la tradition très atlantiste du pays. Le Premier Ministre espagnol Pedro Sanchez a également multiplié les appels à la mobilisation et à l’approfondissement de l’Union. Friedrich Merz, le leader de la CDU et futur Chancelier allemand, s’est montré lui aussi virulent, malgré les liens historiques de son parti avec les Etats-Unis. A peine trois jours après sa victoire aux élections législatives du 23 février, il s’est rendu à l’Elysée pour un diner avec Emmanuel Macron et s’est montré enthousiaste après leurs échanges. Son arrivée à la Chancellerie sera peut-être l’occasion d’une relance du couple franco-allemand, qui a beaucoup souffert de l’affaiblissement politique d’Emmanuel Macron, de la pusillanimité d’Olaf Scholz et de l’absence d’atomes crochus entre les deux hommes.

 


Friedrich Merz
Friedrich Merz

La situation est grave pour l’Europe. Sa prétention à jouer un rôle politique sur la scène internationale et à ne pas se contenter d’être une zone de libre-échange sous influence des grands blocs est en question. Mais, que ce soit sur le plan militaire ou commercial, les coups de menton de M. Trump aujourd’hui, comme l’agressivité de M. Poutine hier, pourraient paradoxalement alimenter le sursaut politique dont l’Union a besoin.

 

Olivier Costa

 
 
 

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