top of page
Rechercher

Censure du gouvernement Barnier: trois constats inquiétants

Photo du rédacteur: Olivier CostaOlivier Costa

Dernière mise à jour : 8 déc. 2024



La dissolution de l’Assemblée nationale a accouché d’une fragmentation accrue de l’hémicycle, qui n’a laissé aucune chance au gouvernement Barnier. Il a été renversé le 4 décembre à une large majorité (331 voix, pour 288 nécessaires), au terme d’une alliance de circonstance entre le NFP et le RN. Trois mois après sa nomination, Michel Barnier s’en va, sans avoir pu faire adopter les lois de finance dont le pays a urgemment besoin. Emmanuel Macron a pris la parole à la télévision, le lendemain de la censure, pour annoncer avec pompe sa décision de nommer un Premier ministre de consensus. Reste à trouver cette perle rare. De cette séquence confuse, on peut tirer trois enseignements, malheureusement inquiétants.

 

 

1.     Les ambitions des présidentiables sont un poison pour la démocratie

 

Comme on a déjà eu l’occasion de le souligner, la vie politique française est malade, depuis longtemps déjà, des ambitions présidentielles des leaders des partis. Elles ont toujours pollué le fonctionnement des institutions du pays, en induisant une polarisation artificielle des camps et en faisant primer les enjeux personnels sur les enjeux politiques. Alors qu’un social-démocrate et un centriste sont idéologiquement plus proches l'un de l'autre que le premier d’un communiste et le second d’un conservateur, la logique électorale nie ce fait. Depuis 1958, la France a été structurée en deux camps – gauche et droite – et la frontière devait rester imperméable. Rares sont ceux qui l’on franchie. Quant à l’extrême-droite, elle pesait peu à l’Assemblée, de sorte qu’il s’y trouvait (presque) toujours une majorité nette pour l’un des deux camps. Mais, depuis 2022, ce n’est plus le cas. La vie politique s’organise désormais autour de trois blocs – NFP, centre et droite modérée, extrême-droite – qui sont tous loin de la majorité requise pour gouverner sereinement, et sont incapables de s’entendre entre eux.

 

Dans un régime parlementaire classique, les partis seraient poussés à coopérer et à surmonter leurs divergences. L’ambition de tous est en effet de gouverner plutôt que de siéger dans l’opposition, et cela mérite quelques concessions. En Belgique, en Allemagne, en Italie ou au Danemark, les leaders des partis sont rompus à ces négociations d’après-élections, d'où émergent les coalitions gouvernementales. Elles sont plus ou moins baroques et stables, mais elles permettent au pays d’aller de l’avant.

 

En France, l’obsession présidentielle s’y oppose. En effet, les leaders des principaux partis ne tiennent pas vraiment à participer à une coalition de gouvernement, tout accaparés qu’ils sont par leur destin élyséen.


Les candidats aux présidentielles de 2022


Dans cette logique, Jean-Luc Mélenchon orchestre le chaos dans les institutions, et l’unité dans son camp. Il entend empêcher les autres partis de gouverner et rendre impossible l’accès au pouvoir du NFP, afin de ne pas subir l’impopularité des sortants lors des présidentielles. Dans le même temps, il veut s’assurer d’une candidature unique de la gauche à l'Elysée, de préférence la sienne, condition d’un accès au second tour. Marine Le Pen joue une autre partition : elle ne veut pas gouverner non plus, mais incarner la modération. Comme Jean-Luc Mélenchon, elle ne fait rien pour que son parti puisse accéder à Matignon. En revanche, elle soigne sa respectabilité et laisse le rôle de trublion aux insoumis afin de séduire l’électorat modéré, dont elle a besoin pour l’emporter au second tour. Jusqu’au bout, Michel Barnier a cru pouvoir compter sur le soutien passif du RN : pas sur ses voix, mais sur son refus de voter une motion de censure de la gauche. Mais la perspective d’une peine d’inéligibilité pour Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires du RN est venue changer la donne : désormais, elle entend pousser Emmanuel Macron à la démission pour être élue avant la fin des procédures judiciaires qui la visent. Accessoirement, la chute du gouvernement Barnier était le plus sûr moyen de faire oublier ses ennuis, et d’empêcher Bruno Retailleau, le vibrionnant ministre de l’Intérieur, de braconner sur ses terres électorales. Au centre et à droite, ce n’est guère différent : les différents candidats putatifs ont soufflé le chaud et le froid depuis les élections, soutenant mollement le gouvernement Barnier pour ne pas être comptables de son impopularité et pour ménager différentes « offres politiques » en vue, une fois encore, des présidentielles.

 

Du côté des parlementaires ordinaires, ce n’est pas mieux. Socialistes, communistes et écologistes n’osent pas prendre leurs distances avec LFI, de peur de devoir affronter des candidats insoumis lors des prochaines législatives – anticipées ou non. Au centre et à droite, l'appui au gouvernement a été timide : les députés de l’ex-majorité ont appris à leurs dépens ce qu’il en coûtait de soutenir des responsables impopulaires. A l’extrême-droite, personne n’ose contester le leadership de Marine Le Pen, de peur de ne pas être réinvesti lors des prochaines élections. Les objections à son choix de censurer le gouvernement – qui contrevient à la stratégie de « modération » adoptée par le parti depuis longtemps – ont été prudentes. Les parlementaires français étant dans leur majorité des professionnels de la politique, qui n’ont jamais exercé d’autre métier que celui de collaborateur d’élu ou d’élu, ils privilégient les options qui leur offrent la plus grande chance de conserver leur mandat. C’est le syndrome Olivier Faure.

 

En somme, les partis qui ont dénoncé depuis 2017 le présidentialisme excessif qui mine la France, ont paradoxalement pour seule boussole les aspirations présidentielles de leur leaders respectifs. En outre, alors que depuis le 7 juillet dernier ils revendiquent la souveraineté et la légitimité de la nouvelle Assemblée nationale, ils agissent de sorte que le pays finira sans doute avec un gouvernement d’experts, qui privera les élus de leur rôle et de leur influence. Tout ça pour ça.

 

 

2.     Les vrais sujets ne sont pas à l’agenda

 

L’hystérie présidentielle qui mine la vie politique française a une autre conséquence : la surenchère dans les propositions démagogiques et le refus de débattre des vrais sujets, ceux qui fâchent. Une analyse objective de la situation du pays – et de la plupart des autres pays de l’Union – aboutit à deux constats fondamentaux, justement mis en exergue par les rapports Letta et Draghi.

 

D’abord, on note depuis une vingtaine d’années un très net décrochage de la productivité des pays européens par rapport à celle des Etats-Unis, qui se traduit par une baisse marquée du PIB de l’Union vis-à-vis de celui des Américains. Depuis la crise financière, les Etats-Unis se sont considérablement enrichis et ont tiré parti des grandes avancées du numérique, tandis que l’Europe stagnait et manquait cette révolution.

 



Ensuite, on remarque un déclin démographique rapide dans les pays européens – que ne connaissent pas, une fois encore, les Etats-Unis, le Canada et la plupart des puissances émergences. Alors qu’il faut 3 actifs pour 1 retraité afin de maintenir le système de protection sociale en vigueur en Europe, ce rapport va passer rapidement à 2.




Que faut-il en conclure ? Si l’objectif pour la France est de préserver son niveau de développement économique et social, il est impératif d’accroître la productivité du travail, d’investir dans l’innovation et de trouver des solutions à la crise démographique. Cela implique, pêle-mêle, d’augmenter la durée du travail, de repousser l’âge de la retraite, de privilégier l'innovation sur le social, et d’accueillir massivement une immigration de travail. Or, que proposent aujourd’hui LFI et le RN ? De travailler moins et moins longtemps, d’accroître les dépenses sociales et, dans le cas du RN, de stopper l’immigration.

 

Le débat s’est amorcé autour des enjeux budgétaires, sous la pression des agences de notation qui menacent de dégrader la note de la France et, par conséquent, de la contraindre à dépenser toujours plus pour financer les intérêts de sa dette. Mais la démagogie et le chacun-pour-soi l’ont vite emporté : à l'Assemblée, il n’y a eu d'accord ni pour réduire les dépenses ni pour augmenter les recettes. Chaque parti a défendu les intérêts de ses clientèles électorales, et Michel Barnier a été congédié.

 

 

3.     Un retour à la raison sera difficile

 

Il n’est pas surprenant que les partis français peinent à troquer la logique d’un régime semi-présidentiel pour celle d’un régime parlementaire – que la V° République est devenue après la dissolution ratée du 9 juin dernier. On pourrait espérer que la censure du gouvernement Barnier les rappelle à la réalité suivante : aucun des trois pôles ne pourra gouverner seul, et le pôle au gouvernement devra négocier le soutien d’autres partis pour faire adopter des lois ou, à tout le moins, échapper à la censure. Comme le disait Jean Monnet dans ses Mémoires, « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». La question est de savoir si la crise est suffisamment grave aujourd’hui pour que des élus aient le courage de sortir des routines, des dogmes et des schémas, et de s’abstraire de la tutelle de leurs leaders, tous monomaniaques des élections présidentielles.

 

Mais la voie est étroite, pour les raisons évoquées au premier point. Les insoumis ont déjà annoncé leur volonté de censurer tout gouvernement qui ne serait pas issu des rangs du NFP : seule compte l’orchestration du chaos, considérée comme favorable au destin élyséen de Jean-Luc Mélenchon. Leurs alliés socialistes, écologistes et communistes rivalisent de circonlocutions pour suggérer, la peur au ventre, qu’ils ne sont pas tout à fait d’accord avec les insoumis ; mais tous, sauf une, ont voté la censure. Au centre et à droite, rares sont ceux qui proposent ouvertement une alliance avec les socialistes ; au mieux, certains semblent prêts à faire cesser la cacophonie qui règne au sein du « socle commun ». Mais ils craignent qu’un gouvernement d’union nationale ne donne du grain à moudre à Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen, qui excellent dans la dénonciation de l’alliance de la carpe et du lapin, de « l’UMPS » et de la pensée unique. Quant au RN, il n’a aucun intérêt à gouverner et personne ne veut négocier avec lui, hormis les Républicains ralliés au forcené de la place du Palais Bourbon, Eric Ciotti.


En France, personne ne semble donc pressé de gouverner, et l’expérience malheureuse de Michel Barnier a refroidi les plus téméraires. En outre, beaucoup s’imaginent qu’un blocage durable des institutions poussera Emmanuel Macron à la démission, et occasionnera les élections présidentielles anticipées dont ils rêvent. Les uns et les autres s’emploient à minorer l’importance historique de cette censure, et les risques qu’elle fait courir au pays, distillant l’idée que l’ordre émergera du chaos. Or, rien n’est moins sûr, car il est peu probable que le successeur de Michel Barnier trouve subitement une majorité, et que de nouvelles élections législatives – avant ou après l’élection d’un nouveau Président – permettent de clarifier les choses.

 

La plupart des observateurs reconnaissent que cette situation politique intenable est le produit des paris manqués d’Emmanuel Macron et de son obstination à penser qu’il peut renverser l’opinion d’un nième discours, pétri de méthode Coué et de formules ronflantes. Mais c'est ironiquement à lui qu'il revient de nommer un nouveau Premier ministre. Diverses options sont envisageables, mais aucune ne permettra de surmonter sans douleur la fragmentation de l’Assemblée et l’hostilité des extrêmes. La droite ayant échoué, le Président a annoncé choisir un Premier ministre capable de rassembler largement les députés. Sera-t-il issu de la gauche (Hollande), du centre-gauche (Cazeneuve), du centre (Bayrou) ou du centre-droit (Lecornu, Baroin) ? Est-ce que le Président va plutôt opter pour un technocrate, sage et expérimenté, afin de créer un « gouvernement technique » capable, par la modestie de ses ambitions et l’absence de ses réformes, d’échapper durablement à la censure ?

 

Rien n’indique que les censures ne vont pas se multiplier, comme c’était le cas sous la III° et la IV° République, alors même qu’elles échappaient aux effets perturbateurs de l’élection présidentielle au suffrage universel. Aujourd’hui comme hier, la capacité des élus et des candidats à faire primer l’intérêt général sur leur intérêt propre est limitée, et rares sont ceux qui s’emploient à ce que les institutions françaises retrouvent un peu de stabilité. Au NFP comme au RN, on a fait le choix de la politique du pire, pour acculer le Président à la démission. Plus au centre, ce n'est pas une perspective que l’on souhaite, mais est-on vraiment prêt au dialogue avec les autres forces ?

 


La V° République a vécu

 

Une clarification institutionnelle s’impose.

 

Une option serait d'aller vers un véritable régime parlementaire, via deux évolutions. Il faudrait, d’abord, que le Président accepte de se mettre en retrait ; il ne devrait plus être le chef d'un parti, laisser le gouvernement gérer les affaires du pays, et renoncer à s’exprimer chaque semaine. Il faudrait, ensuite, introduire le scrutin proportionnel pour les élections législatives : cela libérerait les partis des alliances subies (au hasard, le PS de la tutelle de LFI), et leur permettrait de participer de manière constructive à l’élaboration d’une coalition majoritaire à l’issue des élections.


L’autre option serait de s’orienter vers un régime présidentiel véritable. Elle impliquerait la fin de la responsabilité du gouvernement devant le parlement et, inversement, la fin du droit de dissolution. Les majorités présidentielle et parlementaire ne coïncideraient pas forcément, comme c’est fréquemment le cas aux Etats-Unis, mais elles seraient contraintes de négocier, et le gouvernement ne serait pas à la merci des jeux politiques qui se déploient à l’Assemblée nationale.


Hors de ces deux options, on voit mal où pourrait être le salut du pays.


Olivier Costa

381 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout

1 Comment


yves.roubin
Dec 06, 2024

Bel éclairage pour un citoyen belge.😉

Like
bottom of page